Rappeler que Memoriam est né des cendres de Bolt Thrower (le groupe a été fondé par Karl Willetts et Andy Whale, chanteur et batteur de ce grand nom du death metal, avec Frank Healy et Scott Fairfax des groupes Benediction et Cerebral Fix) devient de moins en moins pertinent, tant le groupe a depuis 2016 forgé sa propre identité. Créé dans une période de chagrin et, comme le souligne son nom même, pour rendre hommage à Martin Kearns, batteur décédé de Bolt Thrower, le groupe a désormais dépassé son statut initial et démontre même, avec un cinquième album en seulement six ans, une vigueur certaine. À cinquante-cinq ans de moyenne d’âge, les quatre musiciens sont non seulement productifs, mais toujours suffisamment inspirés pour créer plus qu’une resucée de Bolt Thrower et Memoriam a même tendance à se bonifier d’album en album. L’inspiration semble même encore suffisamment vive pour que soit remisée l’idée initiale de faire de Memoriam un groupe de reprises d’anciens groupes de crustcore et de grindcore, idée que Karl Willetts prévoyait de concrétiser après le triptyque des trois premiers albums.
De Bolt Thrower, Memoriam a cependant hérité quelques caractéristiques notables. Côté textes, le quatuor s’intéresse toujours essentiellement au sujet de la guerre dont Bolt Thrower avait fait sa thématique centrale, bien avant que Sabaton investisse le créneau. Côté musique, Memoriam poursuit la coloration doom que Bolt Thrower avait apportée à son death à partir de l’album The IVth Crusade. Memoriam reprend donc le flambeau, mais l’emmène dans sa propre direction, avec notamment un positionnement politique affirmé. Avec l’âge, le côté ludique de la guerre à la Warhammer s’est émoussé au profit d’une réflexion plus approfondie sur la situation du monde et Karl Willetts ne craint plus d’exprimer librement ses opinions dans un genre majoritairement apolitique. C’est d’ailleurs sur cette note engagée que s’ouvre l’album avec « Never Forget, Never Again (6 Million Dead) » et « Total War », qui traitent respectivement de la Shoah et de l’actuelle guerre en Ukraine. La musique de Memoriam se répartit toujours dans ses grandes lignes entre un instinct death vigoureux et une force de gravité doom. Ainsi la vélocité initiale du premier morceau de Rise To Power se rompt-elle à mi-parcours, comme terrassée par l’évocation du nombre de victimes de la Shoah. Le feu roulant de la section rythmique et les rafales de riffs de guitare laissent place à des leads aux accents tragiques sur lesquels Karl Willetts pose ses mots aussi lourds qu’un fardeau. Soucieux de ne pas affaiblir la portée de son propos par des grunts trop rocailleux, le chanteur, dans un style vocal plus désolé qu’enragé, est toujours distinctement audible. Il n’y perd pas pour autant en impact, ses éructations, bien qu’un peu usées par le temps, ont toujours la force de ce qui vient des tripes.
Memoriam est apparemment décidé à construire sa discographie sous la forme de trilogies successives : après celles des Hellfire Demos puis des trois premiers albums, Rise To Power est le deuxième album de celle entamée avec To The End. Celui-ci marquait l’ouverture d’un nouveau chapitre en élargissant le spectre stylistique du groupe et parsemait notamment son champ entre death metal old school et death-doom de miettes de punk/thrash. Rise To Power prolonge cette tendance en offrant une collection de morceaux variés. Le penchant doom de Memoriam y est particulièrement manifeste, à travers des morceaux comme « I Am The Enemy » et « The Conflict Is Within ». Avec ses répétitifs leads de guitare tournoyant tels des oiseaux de mauvais augure, que Karl Willetts accompagne de ses sentences accablantes, le premier illustre le sens mélodique qui guide l’écriture du groupe et qui imprime une profondeur mélancolique jusque dans ses moments les plus brutaux, à l’image de « Total War ».
Les sombres humeurs n’engourdissent pas le dynamisme d’un album justement porté par sa diversité et par un groove toujours puissant. Additionné d’une structure tout en breaks un brin plus technique et d’une violence obstinée, cet allant rythmique fait de « Annihilation’s Dawn » un irrésistible brûlot. Dans « This Pain », de beaux accords tristes et la pesanteur rythmique dessinent une ambiance morose à travers laquelle un death metal belliqueux se fraye peu à peu un passage. Un tableau familier des autres morceaux, auquel s’ajoute ici une ampleur épique plus prononcée qui permet à Memoriam, fidèlement à son habitude, de conclure l’album sur une note précisément mémorable.
Lyric vidéo de la chanson « Total War » :
Clip vidéo de la chanson « All Is Lost » :
Album Rise To Power, sortie le 3 mars 2023 via Reaper Entertainment. Disponible à l’achat ici