Pas loin de trente années d’existence pour Meshuggah, où tout avait commencé avec Contradictions Collapse (1991). Désormais, difficile d’imaginer ce que serait le métal dit « progressif » sans l’apport des suédois, adeptes de riffs venus d’une autre planète : là où esprit torturé rime avec efficacité. Après un Koloss (2012) massif (à l’instar du titre éponyme et du désormais culte « Demiurge »), Meshuggah propose son huitième opus, The Violent Sleep Of Reason, motivé par le mépris d’événements contemporains tels que la montée d’idéologies extrêmes ou les actes terroristes. Le titre s’inspire directement du tableau de Francisco Goya, The Sleep Of Reason Brings Forth Monsters, réalisé aux alentours de 1799. Au-delà du thème, ce que l’on retiendra surtout de Meshuggah est une toute nouvelle méthodologie : non, The Violent Sleep Of Reason n’est pas qu’une refonte de ses prédécesseurs.
Évidemment, après trente ans de carrière, on n’attend pas des suédois un revirement de style. Seulement, l’une des critiques récurrentes (parfois juste) était la trop grande proximité et le manque d’équilibre de certaines compositions entre Obzen (2008) et Koloss. Si The Violent Sleep Of Reason ne déstabilisera certes personne (quoique…), il innove car l’intégralité des titres ont été enregistrés en studio par des prises live à la manière de ce qu’il se faisait dans le début des années 90, la volonté du batteur Thomas Haake étant de retrouver un « son naturel » et d’éviter une production « trop parfaite ». En résulte effectivement un album plus organique où les sons ne sont pas tous les mêmes, moins digitaux. En outre, c’est le batteur avec le bassiste Dick Lövgren qui ont été les principaux compositeurs de l’album, ce dernier, fort d’un solide background en jazz et improvisation, apportant pour la toute première fois sa fibre aux créations. The Violent Sleep Of Reason a ainsi une conception singulière dans la discographie du groupe, ce qui devient flagrant après plusieurs écoutes.
L’album s’ouvre sur « Clockworks » où Thomas Haake s’illustre d’entrée de jeu par un rythme aux myriades de ghost-notes. Le titre contiendra à l’image de l’ensemble de l’album une intervention de guitare complètement torturée en guise de « solo », un enchaînement de notes stridentes typique du groupe et de son goût pour certaines sonorités malsaines. Ce titre d’introduction résume assez bien l’ensemble du disque : davantage de variations rythmiques, aucun temps mort et des plages mélodiques beaucoup plus marquantes qu’auparavant. « Monstrocity » et son refrain au riff étonnamment catchy (la voix de Jens Kidman a toujours ce timbre rauque, sec et brutal) aboutit sur un pont qui rappelle Uneven Structure ou Textures : plan lourd et nappe mélodique en arrière-plan. Meshuggah réutilise ce même procédé à de multiples reprises (« Our Rage Won’t Die », « Ivory Tower », « Stifled » et son outro aérienne) et contrecarre justement cette impression de « froideur » et d’ « aridité » à toute épreuve que ses réfractaires éprouvaient.
Moins mécanique, plus vivant. Mais là ou Meshuggah brille et survole encore une fois le genre, c’est dans l’efficacité des riffs, aussi alambiqués et inventifs que violents et percutants. The Violent Sleep Of Reason est à cet égard une véritable cascade. « By The Ton » et « Ivory Tower » se reposent sur une assise rythmique pachydermique lorsque le pont du titre éponyme révélera le savoir-faire du groupe en terme de riffs grandiloquents, que l’on retrouve avec la clôture d’un « Nostrum » qui prend des proportions épiques. Mention spéciale à « Into Decay » qui donne effectivement l’impression d’un effondrement irrémédiable, une destruction lente mais sûre.
Meshuggah livre dix titres qui ne s’essoufflent pas, preuve que les suédois arrivent toujours à côtoyer l’excellence. The Violent Sleep Of Reason est, une fois n’est pas coutume, difficile à digérer tout comme l’étaient Obzen ou Koloss. Meshuggah ne ménage pas l’auditeur mais il est juste et sait récompenser les efforts. Cet opus fait honneur à la volonté d’une formation qui cherche encore à progresser en sortant de sa zone de confort via de nouvelles méthodes de travail. Surtout, The Violent Sleep Of Reason fait doucement sourire, en raison d’une petite constante que les habitués des suédois connaissent bien : quoi qu’il arrive et quels que soient les moyens employés, Meshuggah parvient, le temps de la découverte de son œuvre, à rendre inertes et fades les riffs d’autres formations qui leur ont emboîté le pas. The Violent Sleep Of Reason met les choses au clair : Meshuggah domine.
Lyric vidéo à 360° de la chanson « Nostrum » :
Lyric vidéo de la chanson « Born In Dissonance » :
Album The Violent Sleep Of Reason, sortie le 7 octobre 2016 via Nuclear Blast. Disponible à l’achat ici.
Il tourne en boucle depuis deux jours. Je suis en train de devenir dingue tellement il est parfait pour ma part^^
« Meshuggah parvient, le temps de la découverte de son œuvre, à rendre inertes et fades les riffs d’autres formations qui leur ont emboîté le pas ».
Exactement, souvent imités, jamais égalés !
Voilà une chronique digne de ce nom ?
Meshuggah domine. Excellente conclusion
Album magnifique