En musique, tout est une question d’expression, et ça, Paul Gilbert l’a bien compris. En témoigne son nouvel album solo instrumental Werewolves Of Portland avec lequel il a pris plaisir à tout jouer lui-même – batterie et basse comprises – et qui lui a permis de développer encore un peu plus sa technique consistant à mimer le chant avec sa guitare.
Paul Gilbert a beau avoir été connu comme un grand shreddeur, c’est avant tout un amoureux des mélodies et un instinctif pour qui la sincérité est primordiale, quitte à s’inspirer de banalités du quotidien. Il s’en veut d’ailleurs terriblement de voir certains de ses élèves venir le voir en s’étant entraînés à descendre et monter les gammes à la vitesse de l’éclair… Certes, pour lui, le rock c’est le son du labeur, mais le labeur physique, celui qui donne des gouttes de sueur et implique le corps, par opposition à la musique classique originellement destinée aux aristocrates.
Dans l’entretien qui suit, le guitariste nous parle donc de Werewolves Of Portland mais aussi de son rapport à la guitare et aux instruments en général, de ses méthodes de compositions centrées sur le chant même si la finalité est instrumentale, et de ses petits « tracas » de musicien qu’il relativise volontiers.
« Le concert est presque toujours mauvais quand nous faisons de bonnes balances, alors que si nous faisons des balances où tout le monde est fatigué, qu’il y a une dispute, qu’un truc cloche avec le matos, souvent le concert sera excellent. »
Radio Metal : Werewolves Of Portland est l’un de ces albums qui sont une sorte de produit des circonstances dues à la pandémie, car ça t’a un peu forcé à changer tes plans. Peux-tu nous en parler ?
Paul Gilbert : (guitare, basse, batterie) : Mon plan originel était d’avoir un groupe et d’enregistrer live en studio, mais ça n’était plus possible car le Covid-19 a tout bloqué ! Au départ, je ne savais pas quoi faire. J’ai tout annulé et j’ai attendu, mais environ six mois se sont écoulés et je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose. J’ai eu l’idée de jouer tous les instruments moi-même et c’était vraiment amusant. J’adore jouer de la batterie et je peux jouer un peu de clavier et de la basse. Evidemment, c’est un album instrumental, donc je joue aussi le rôle du chanteur avec la guitare slide. Au final, le résultat est plutôt bon !
Ton coproducteur et ingénieur Kevin Hahn était ton seul collaborateur. Quel était son rôle dans ce contexte d’enregistrement intimiste ?
J’avais clairement besoin de Kevin. La première chose que nous faisions était de mettre en place la piste de click, et le click était pas mal sollicité car j’avais pas mal de changements de tempos et de groove. Ça allait du quatre-quatre à du six-huit et il fallait que la transition soit fluide. Nous pouvions peut-être passer trois heures à élaborer la piste de click. Puis je jouais une guitare toute simple de référence. J’écoutais et je disais : « Tu sais quoi ? Il faut qu’on change la fin » [petits rires]. Car pour la plupart des chansons, je n’avais jamais fait de démo et donc nous étions plus ou moins en train de construire l’arrangement et la piste de click en même temps, et enfin tout semblait bien et nous nous y mettions, je jouais la batterie, je mettais quelques guitares rythmiques, je faisais le solo, et la basse venait toujours en dernier. Kevin était super. Il m’a beaucoup aidé avec les lignes de basse aussi, car souvent avec la basse, je ne savais pas trop quoi faire et lui avait de très bonnes idées. Il m’a souvent sauvé la mise. Je peux passer la journée à chercher des lignes de basse et juste perdre du temps. Il m’a permis de vite me concentrer.
Les sessions d’enregistrement ont pris deux mois, mais n’étaient pas continues. Tu travaillais seulement quelques jours par semaine, ce qui t’a donné « l’occasion de cogiter sur les mélodies et les accords ». Malgré ça, tu as dit que « quand même, comme d’habitude, la majorité de [ton] inspiration venait à la dernière minute, dans la panique, en sachant que [tu devais] être au studio dans une heure, et que [tu avais] intérêt à terminer [tes] arrangements ! » Est-ce que ça veut dire que tu es à ton meilleur niveau quand tu es stressé et sous pression ?
Quand on est stressé et sous pression, on n’a pas d’autre choix que de sortir uniquement ses meilleures parties, on ne peut pas utiliser des plans qui sont encore en cours de travail, on ne peut qu’utiliser ceux pour lesquels on est sûr de soi, car ce sont les seules choses qui fonctionnent. Parfois, la meilleure décision est de jouer ce qui vient naturellement, et on retire tous les petits détails pour ne garder que l’essentiel. On n’a plus d’habits et on est tout nu. Je ne sais pas, cette métaphore est bizarre [rires]. Il n’y a pas que cet album, si tu prends Behold Electric Guitar, je n’ai presque pas dormi durant la conception de cet album. J’arrivais au studio en étant là : « Ah, donne-moi un café » et j’arrivais à peine à enregistrer, mais j’ai adoré la façon dont j’ai joué. Ce qui est drôle, c’est qu’en tournée, si nous faisons de très bonnes balances, je sais que le concert sera nul [rires], car ça veut dire que nous sommes tous bien reposés, tout va bien, il n’y a rien de cassé dans le matos. Le concert est presque toujours mauvais quand nous faisons de bonnes balances, alors que si nous faisons des balances où tout le monde est fatigué, qu’il y a une dispute, qu’un truc cloche avec le matos, souvent le concert sera excellent. J’aimerais que nous puissions faire de bonnes balances et un bon concert, mais on dirait que ça n’arrive jamais.
Ça me rappelle une discussion que nous avons eue avec Billy Sheehan. Il disait que la pression et les courtes deadlines étaient de bonnes choses « parce qu’il faut réfléchir vite et être malin ». Et il a dit que « le luxe de prendre des mois et de longues périodes de temps pour être créatif, pour [lui], ce n’est pas créatif, [il a] besoin de [se] mettre au travail ! » Es-tu sur la même longueur d’onde ?
Oui, pratiquement. De temps en temps, il m’arrive de préparer quelque chose… Pour moi, le premier album de Boston est vraiment un album parfait et ils ont probablement eu beaucoup de temps pour travailler dessus parce qu’il a été fait avant qu’ils obtiennent un contrat avec une maison de disques. C’est très rare, mais de temps en temps on peut préparer quelque chose et obtenir un résultat parfait. Mais ensuite, il a fallu, je ne sais pas, six ans à Boston pour sortir l’album suivant et quinze ans pour celui encore après, donc ils ont eu beaucoup de mal à continuer à faire de la musique. Quand on repense à l’histoire des Beatles ou des Beach Boys, ils faisaient deux albums par an, ils étaient catapultés en studio, sans temps de répétition, et ils ont enchaîné les albums avec de la musique que tout le monde adore et qui a changé le monde. Oui, il y a de petites imperfections ici et là, mais on est des êtres humains, donc on peut être pardonnés pour de petites imperfections. On veut principalement voir la vérité. D’une certaine façon, quand on est sous pression et qu’on fait ce qu’on peut pour survivre, c’est plus sincère que d’être là : « D’accord, créons ce truc à partir d’overdubs et d’un planning. » Faire ça reviendrait peut-être un peu plus à se cacher derrière quelque chose, derrière la technologie ou derrière le fait de jouer un solo soixante-dix fois pour obtenir celui qu’on aura reconstitué – faire en une prise c’est plus authentique, plus honnête, ça représente mieux qui on est.
« Il faut aimer l’instrument. Si tu fais quoi que ce soit en te disant : ‘Oh, je déteste ça. Je le fais juste parce qu’il le faut…’, c’est comme un médicament qui est bon pour toi mais qui a mauvais goût. Il y a des chances que tu vives ça comme une mauvaise expérience. »
Comme tu as joué tous les instruments toi-même, t’es-tu entraîné pour être au point pour cet album ?
C’était vraiment amusant de jouer la batterie. Je me suis éclaté. Je veux dire que ça fait longtemps que je joue de la batterie. Même dans Mr. Big, nous avions l’habitude d’échanger nos instruments à la fin et je passais derrière la batterie. Mais je ne savais pas si j’en étais capable, car je ne m’entraîne pas à la batterie et il faut avoir des muscles pour frapper sur les fûts. Donc j’y suis allé tête baissée, c’était physiquement difficile, mais le résultat est bon. La basse, c’était un petit peu plus compliqué. C’était beaucoup de travail mental, car une grande partie des chansons ne sont pas du pur metal. Si tu prends un morceau comme « Argument About Pie », ça va d’un accord de Ré, une tierce sur la basse jusqu’au Sol, jusqu’au La, Fa dièse septième, Si mineur… Si je jouais la basse comme une basse heavy metal, ça ferait [joue une simple partie de walking bass à la guitare], mais je voulais jouer plus dans le style de Paul McCartney, donc il y a beaucoup plus de mouvement [joue une partie plus élaborée]. C’est beaucoup plus chargé et ce n’est pas facile pour moi. Il faut vraiment que je me concentre pour l’avoir ! Quand je jouais la guitare, je faisais généralement des mélodies définies, je n’improvise pas. Mon objectif est plus clair, alors qu’à la basse, je ne savais pas vraiment ce que j’allais faire. Je suivais juste les accords et c’était plus improvisé par-dessus les changements. Donc la basse était l’un des trucs les plus épineux, pas pour la technique, mais pour mon cerveau, mais j’ai réussi.
Ceci dit, il y a un roulement de caisse claire sur « Hello! North Dakota! » qui a été enregistré par quelqu’un d’autre. Qui l’a fait et comment a-t-il réagi quand tu lui as expliqué que tu avais besoin de lui pour juste une toute petite partie ?
Je ne me souviens pas de son nom. Je n’étais pas là. Je savais que je voulais un roulement de batterie, mais je n’ai pas cette technique, je ne suis qu’un batteur de rock, je ne peux pas faire des trucs de fanfare. Mon ingénieur a dit qu’il connaissait un gars et j’ai dit : « Eh bien, amène-le ! » Je crois qu’il était là pour faire une autre session. Mon ingénieur a dit : « Oh, il est prévu qu’il vienne pour jouer avec tel groupe. Tant qu’il est là, je vais lui demander de faire un petit enregistrement rapide. » Il m’a donc rendu service. Il a enregistré ça, je n’étais même pas au studio. Qui que ce soit, il a assuré. C’est marqué dans le livret, j’ai mis son nom, mais je ne l’ai pas retenu.
Tu as vraiment un niveau professionnel à la basse et à la batterie. La basse n’est probablement pas très éloignée de la guitare à certains égards – enfin, on t’a déjà vu faire du shred à la contrebasse ! – mais la batterie, c’est une autre histoire. Comment et quand as-tu appris à maîtriser la batterie ? As-tu aussi des références sur cet instrument ?
Je joue de la batterie depuis que je suis gamin. J’ai toujours été dans des groupes avec des batteurs et je les regardais, je leur posais des questions, etc. Quand j’étais dans Mr. Big avec Pat Torpey, je lui demandais : « Comment tu fais des doubles frappes ? » L’une de mes plus grandes influences et quelqu’un avec qui j’ai beaucoup appris, c’était en fait Jeff Martin, qui est le chanteur de Racer X, mais c’est aussi un très bon batteur, dans un style années 70 ou 60. Nous avons joué dans un groupe de reprises ensemble, et il adorait Mitch Mitchell du groupe de Jimi Hendrix, Ian Paice de Deep Purple, John Bonham de Led Zeppelin, les premiers groupes de heavy rock avant que le metal n’arrive, avant les trucs à la Lars Ulrich. J’ai beaucoup appris en le regardant jouer de la batterie et en jammant avec lui, et j’ai vraiment commencé à aimer ce style. Dans les batteurs de metal, j’adore Tommy Aldridge, Neil Peart, Vinnie Appice de Dio – je suis fan ! – et bien sûr Cozy Powell avec Rainbow. L’un des musiciens que j’aime beaucoup et qui n’est pas très connu, c’est Jerry Shirley, qui a joué avec Fastway et Humble Pie. Andy Parler de UFO, je l’ai toujours aimé. Alex Van Halen…
J’ai beaucoup joué de la batterie quand j’étais adolescent – j’ai fait beaucoup de air drumming [rires]. Comme je suis fan de Rush, j’étais tout le temps en train de faire du air drumming avec Neil. Quand j’avais la trentaine, j’avais un kit de batterie à la maison et je m’entraînais souvent à jouer sur les albums de Rush et de Black Sabbath. Je me suis beaucoup entraîné par le passé, mais pas beaucoup dernièrement. J’étais un petit peu inquiet en me mettant sur cet album, parce que ça faisait des années que je n’avais pas joué, mais c’est vite revenu. Une chose que j’ai faite, c’est que j’ai expérimenté avec différents types de baguettes, car généralement je me contente d’utiliser les baguettes qui traînent dans le coin, or cette fois j’en ai vraiment essayé des différentes. J’ai opté pour des baguettes en érable 5A, ce qui est assez léger, donc même si je frappais une cymbale très fort, le toucher restait relativement léger. Je trouve que le son est meilleur, c’est presque comme avec les médiators à la guitare. J’utilise des médiators très légers, ce qui me permet d’attaquer très fort sans que ça gratte la corde trop fort.
« Si tu regardes Yngwie [Malmsteen], on dirait qu’il essaye d’avoir éternellement dix-neuf ans et c’est admirable d’une certaine façon, mais je ne suis pas capable de faire ça. J’adhère au fait de vieillir ! »
As-tu toujours été curieux de toutes sortes d’instruments ?
Pour les instruments que j’aime ! Je ne me suis jamais intéressé à la trompette, car je n’en écoute pas beaucoup. J’ai étudié la clarinette et le saxophone, mais ce sont des instruments qui me font un peu peur. Si je dois souffler dedans, généralement avec moi ça ne rend pas très bien. Je suis meilleur avec mes mains.
Est-ce que la guitare est l’instrument avec lequel que tu as commencé étant enfant ?
Quand j’ai commencé, je voulais être chanteur, donc j’avais un petit enregistreur cassette et je chantais souvent dedans. Je crois que je n’avais même pas de guitare, donc je jouais de la batterie sur un bureau et je chantais, et ensuite j’ai enfin eu une guitare. Je ne savais pas vraiment comment en jouer, donc je n’utilisais que la corde de Mi grave et je faisais des riffs [joue un riff basique]. Ma technique était nulle, je n’attaquais la corde qu’en montant. J’ai fini par avoir un professeur qui m’a montré comment jouer un accord, j’étais scotché ! J’étais tellement excité de pouvoir jouer des accords, car tout d’un coup je pouvais gratouiller un morceau des Beatles. Je voulais jouer comme Jimmy Page, mais je ne savais pas comment faire. Donc j’ai fini par apprendre la gamme pentatonique et j’ai commencé à comprendre que si je tirais la corde, ça commençait à sonner un petit peu plus rock, comme Aerosmith. Ensuite, avec les power chords, je jouais du Black Sabbath… Mais maintenant, je me sens à nouveau comme le chanteur. Si je veux jouer du Black Sabbath, je joue la partie d’Ozzy, j’essaye d’apprendre sa mélodie, ou Dio dans « Long Live Rock And Roll », c’est une super ligne de chant ! On obtient de très bons phrasés de cette manière.
Recommanderais-tu à d’autres musiciens d’essayer d’apprendre d’autres instruments que leur instrument de prédilection pour avoir une vision plus étendue de la musique ?
Il faut aimer l’instrument. Si tu fais quoi que ce soit en te disant : « Oh, je déteste ça. Je le fais juste parce qu’il le faut… », c’est comme un médicament qui est bon pour toi mais qui a mauvais goût. Il y a des chances que tu vives ça comme une mauvaise expérience. J’aime ce que je fais. Je le fais parce que j’aime. J’adore la batterie, je m’éclate. J’adore le chant. J’ai toujours adoré chanter, le problème étant que je ne peux pas chanter très haut. Pour moi, jouer des lignes vocales sur une guitare c’est un vrai plaisir parce que je peux enfin faire certaines choses que… Comme Steven Tyler, c’est un chanteur qui chante vraiment aigu, comme ses parties vocales sur la chanson d’Aerosmith qui s’intitule « Last Child ». Je pense que les guitaristes sont tout excités quand ils font [joue un plan très rapide], genre « Waouh ! C’est une gamme ! » C’est presque comme si tu passais un examen à l’école, genre : « Peux-tu réussir l’examen de la gamme ? » « D’accord, tu as réussi l’examen. » Mais ce n’est pas aussi musical que le fait de jouer une mélodie. Quand j’ai appris à jouer de la slide, je n’ai jamais copié le moindre guitariste, je copiais des chanteurs. J’ai appris « Mercedes Benz » de Janis Joplin ou les parties d’Eric Martin dans les albums de Mr. Big [joue la partie de chant de « To Be With You » en slide]. C’est dur à faire, il a fallu que je m’entraîne beaucoup [rires]. C’est tellement différent de si tu te contentes de jouer la note pile dessus, il n’y a pas la même âme. Il faut faire un slide en venant de dessous, il faut le vibrato… Il en faut beaucoup pour que ça sonne comme du chant.
Tu as commencé ton approche de chant à la guitare avec l’album de reprises Stone Pushing Uphill Man. Dirais-tu que c’est devenu une obsession pour toi depuis ?
C’est marrant, parce que sur le premier album instrumental que j’ai fait, Get Out Of My Yard, j’ai essayé de ne jouer aucune mélodie. Elles me faisaient peur ! C’est une manière de jouer tellement différente que j’étais là : « C’est le boulot d’un chanteur, or il n’y a pas de chanteur, donc il n’y aura pas de mélodie. » Mais plus je le fais, plus je suis à l’aise, et maintenant c’est ce que je préfère faire. J’ai tellement de mélodies dans ma tête, car j’ai grandi en écoutant les albums des Beatles et d’Elton John. Donc si j’entends quelque chose comme [chante « I Want To Hold Your Hand » des Beatles], je ne suis pas capable de le chanter très bien, mais je peux le faire à la guitare, d’autant que les notes sont intéressantes. Souvent, le genre de notes qu’on met dans une mélodie est très différent des notes auxquelles je penserais si je faisais un solo dans un style plus guitaristique. On fait de belles découvertes avec les notes quand on fait des mélodies, c’est très différent. C’est donc ce qui m’intéresse en ce moment. C’est ma manière d’apprendre de nouvelles choses à la guitare. J’adore me poser avec une mélodie et travailler dessus. Hier, j’ai travaillé sur « The Ballad Of John And Yoko » des Beatles [joue la mélodie vocale], et la dernière partie du refrain qui fait: « They’re going to crucify me », c’est vraiment difficile à jouer ! Car il y a un très grand saut [sur le manche]. C’est très dur et c’est génial ! Je n’aurais jamais trouvé ça sans copier la partie vocale de John Lennon, et maintenant j’ai ce super plan de guitare. Merci John Lennon, ça déchire !
« Je m’en veux, parce que je vois venir des étudiants qui se sont entraînés et qui sont là : ‘Ça fait vingt ans que je m’exerce sur les gammes.’ Je suis là : ‘Oh mon Dieu, je suis désolé que tu aies perdu autant de temps, alors que tu aurais pu jouer de la musique !’ [Rires] C’est un mode de pensée pour lequel je m’excuse, car je pense que je l’ai encouragé via les vidéos éducatives que j’ai faites. »
Comment ton chant à la guitare s’est développé depuis Stone Pushing Uphill Man ?
Sur Stone Pushing Uphill Man, je ne jouais pas encore tout à fait en slide. J’y travaille encore d’ailleurs, la guitare slide c’est encore nouveau pour moi, mais je pense que c’est plus facile d’être juste en slide parce qu’on peut aller sous la note et au-dessus de la note, alors qu’en faisant un vibrato, on ne peut que monter, on ne peut pas descendre. Je me souviens quand j’écoutais la chanson qui s’intitulait « Wash Me Clean » sur Stone Pushing Uphill Man quand nous étions en train de mixer, tout sonnait trop haut en termes de justesse à mes oreilles. J’étais là : « Bon sang, est-ce qu’on peut corriger la justesse avec Pro Tools ? » La raison pour laquelle ça sonnait trop haut, c’était que quand on fait un vibrato avec les doigts, on ne peut que monter la note [rires]. Avec une whammy bar et des slides, on peut aller dans les deux sens. Donc je pense que jouer en slide m’aide un peu mieux à rester juste. De même, j’ai tout simplement mieux conscience de la façon dont les mélodies sont construites. Probablement que tous les guitaristes savent jouer [joue un riff blues-rock], c’est un langage commun pour la guitare, mais avec le chant il y a davantage de modulations. Si tu écoutes AC/DC, ils le font parfois, le fait de faire une vraie mélodie vocale à la guitare. Il faut parfois être capable de faire de grands glissés rapidement, par exemple de Mi à Si et revenir. Si tu vas chercher la note sur une autre corde, il n’y a pas la même âme. Ces petites choses sont un peu ennuyeuses quand on les explique, mais c’est ce qui fait que ça sonne bien.
Tu as apporté plusieurs guitares vintage pour enregistrer cet album, y compris une sur laquelle tu avais l’habitude de jouer au début de Racer X…
Oui, c’est amusant d’avoir une collection de guitares ! Ces vieilles Epiphones sont géniales. C’est un gros manche, mais c’est gros dans le bon sens. C’est profond, mais c’est aussi un peu mince et c’est facile d’atteindre les frettes hautes. J’ai dû beaucoup travailler dessus pour que ce soit comme il faut. J’ai dû refaire les frettes et mettre des micros DiMarzio. Mais je dirais que le principal avec les guitares, c’est que j’utilise des cordes très légères de façon à pouvoir faire de gros tirés ; c’est très facile de faire des tirés sur mes guitares. Et je règle l’action haute pour avoir une bonne prise en main et pouvoir jouer en slide tout en restant très propre. Certains musiciens ont des cordes lourdes et une action basse, je fais tout le contraire. J’aime que l’action soit haute et que les cordes soient légères. C’est le secret.
Tu as déclaré que cette vieille Epiphone te rappelait ton style de jeu en shred de tes débuts. N’était-ce pas tentant de ramener le jeune Paul Gilbert et le laisser shredder à fond comme dans le temps, ou le vieux Paul Gilbert est-il toujours là pour calmer un peu ses ardeurs ?
[Rires] Je suis tous les Paul Gilbert ! J’aime les contrastes de voix. Je trouve que si je joue une mélodie, celle-ci sonne mieux après un peu de shred, les deux se complètent. C’est bien d’avoir des sons différents pour ne pas être ennuyé par un truc particulier. Je fais ce que je fais. Je ne me lève pas le matin en pensant : « D’accord, il y a le vieux moi, le moi du milieu, le moi d’aujourd’hui et le futur moi. » Je m’excuse, ce n’est pas ma manière de penser. Ma manière de penser c’est plus : j’ai une chanson ou une partie de chanson et il faut qu’elle soit terminée d’ici la fin de journée, comment vais-je la faire du mieux possible ? Surtout à cause de l’enregistrement, j’ai l’impression que si je me répète, je finis par vraiment m’ennuyer. Certains des vieux morceaux seraient difficiles à faire car je tenais le médiator différemment, j’étais plus jeune, mes muscles et mes oreilles étaient différents.
Par exemple, « Green-Tinted Sixties Mind », j’aime écouter ce morceau, mais le jouer toute la journée, ça m’ennuierait vraiment parce que je l’ai déjà entendu et déjà fait. D’autant qu’il a déjà été enregistré. Si personne ne l’avait entendu avant, si j’étais en tournée et qu’il n’existait pas d’enregistrement, alors il y aurait une raison de le faire. Avec Racer X, nous avons enregistré des albums, tout le monde peut les écouter et je suis là : « Ok, on a fait ça. » Si vous êtes un groupe comme les Eagles avec de gros tubes, je comprends un peu mieux, car les gens veulent vraiment entendre ces tubes. C’est peut-être l’avantage que j’ai en n’étant pas un musicien très célèbre. Peut-être que mon tube c’est [joue un riff rapide en shred], si ça c’est un tube, quel malheur ! [Rires] Quand tu as un truc pour lequel tu es connu, tout le monde est là : « Est-ce que tu vas faire le truc ? Allez, fais le truc ! » Tu es content quand les gens écoutent, peu importe ce que c’est, mais à la fois, en tant qu’artiste, tu dois être libre de faire de nouvelles choses. Désolé si je déçois parce que je ne fais pas tout le temps la même chose. Et certaines personnes… Si tu regardes Yngwie [Malmsteen], on dirait qu’il essaye d’avoir éternellement dix-neuf ans et c’est admirable d’une certaine façon, mais je ne suis pas capable de faire ça. J’adhère au fait de vieillir ! J’aime être moi aujourd’hui plus que quand j’avais dix-neuf ans, la vie est meilleure. Je n’étais pas intelligent quand j’avais dix-neuf ans.
« Tu peux programmer un ordinateur à faire une gamme et il te battra systématiquement, alors que si tu joues du blues, de l’eau va couler sous les ponts avant qu’un ordinateur arrive à maîtriser ça. »
Il y a aussi une chose, car j’enseigne beaucoup et je vois un peu les effets que produit le shred sur les musiciens, et globalement ça a vraiment déboussolé les gens. Ou peut-être que c’est juste parce que les gens athlétiques viennent me voir, donc je les entends plus. Je me souviens que j’avais un étudiant une fois, il s’est posé et a joué, et j’ai trouvé qu’il était super. J’étais là : « Bordel, d’où sort ce gars ? » Il jouait beaucoup mieux que la plupart de mes étudiants. Je lui ai demandé : « Qu’est-ce que tu écoutes ? » Il a répondu : « les Red Hot Chili Peppers. » Je ne suis pas fan des Red Hot Chili Peppers, je ne les écoute pas trop, le chant me semble faux, ce groupe ne m’intéresse pas, mais lui les écoutait et d’une certaine manière, ce qu’il en a retiré a fait de lui un très bon guitariste. Alors que les gens qui ont écouté ma musique en général, j’ai tendance à les déglinguer ! Ils croient que les gammes sont importantes… Tout ce que j’entends, ce sont des étudiants qui jouent mal des gammes et ça me fait dire : « Il faut que j’arrête de faire ça parce que je suis une mauvaise influence ! » [Rires] Mais au final, il faut que je fasse ce que je fais. J’aime combiner les choses. Je joue suffisamment de shred, si bien que les Black Crows ne voudront jamais de moi dans leur groupe. A la fois, les fans de shred sont là : « Il s’est passé quelques secondes où il n’a pas joué vite, il s’égare » mais pour la plupart des gens je joue tout le temps bien trop vite. Donc tout dépend qui écoute, mais je n’en tiens pas compte, je fais ce que je veux.
Donc les gammes ne sont pas si importantes…
Elles sont ce qu’elles sont. Si une chanson a besoin d’une gamme, on utilise une gamme. Je pense que les gens ont cette idée, genre : « Oh, si j’exerce suffisamment mes gammes, quelque chose de magique va se produire. » C’est un outil dans notre boîte à outils, mais la majorité des musiques ne sont pas faites avec des montées et descentes de gammes. Ce n’est tout simplement pas un outil aussi utile que ça. De temps en temps… J’ai écrit une chanson qui s’intitule « Boku No Atama » et ça repose en grande partie sur une gamme. Je l’ai en fait écrite pour démontrer ce qu’on peut faire avec une gamme. Il y a même une partie que j’ai faite comme un cas d’école, juste pour dire : « D’accord, on peut utiliser ça », mais la plupart des chansons ne font pas ça. Donc je trouve ça frustrant qu’il y ait un petit groupe de gens vraiment épris de ça et je m’en veux, parce que je vois venir des étudiants qui se sont entraînés et qui sont là : « Ça fait vingt ans que je m’exerce sur les gammes. » Je suis là : « Oh mon Dieu, je suis désolé que tu aies perdu autant de temps, alors que tu aurais pu jouer de la musique ! » [Rires] C’est un mode de pensée pour lequel je m’excuse, car je pense que je l’ai encouragé via les vidéos éducatives que j’ai faites. Je ne faisais que de la démonstration. Je voulais montrer aux gens : « Regardez, je peux aller vite. » Peut-être que c’est bon pour ça : si vous voulez faire des vidéos éducatives, il peut y avoir ce petit monde où on peut jouer des montées et descentes de gammes et parler de BPM. Dès qu’un musicien parle de BPM, je suis là : « Oh non… » Il faut que j’aide cette personne, elle n’est pas là pour la musique, elle est là pour un truc athlétique bizarre.
Ton album s’intitule Werewolves Of Portland – car tu vis à Portland, dans l’Oregon – et on peut y entendre quelques « hurlements » à la guitare. Est-ce que le fait de jouer de la guitare ou du rock en général est quelque qui chose qui a à voir avec une certaine animalité ?
Eh bien, un être humain c’est un genre d’animal, même si quand j’ai entendu cette idée pour la première fois quand j’étais enfant, j’étais là : « Non ! On est différents d’une certaine façon. » Mais on a beaucoup en commun avec les animaux. On a des yeux, des oreilles, un nez, etc. Notre cerveau fait quelques trucs en plus, mais certainement, on mange et on va aux toilettes, on fait tout ce que font les animaux. De même, on a la musique, et je suppose que les baleines… Je ne sais pas si c’est vraiment de la musique, car une part importante de la musique consiste à avoir un rythme discernable. Encore une fois, d’après mon expérience de prof, le fait de pouvoir tenir un rythme, c’est très important. Donc peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles je le fais autant. Il y a aussi le fait de se distinguer d’une intelligence artificielle prête à prendre le pouvoir : que peut-on faire en tant qu’animal humain qu’un robot ou un ordinateur ne peut pas faire facilement ? C’est une autre raison pour ne pas s’exercer sur les gammes, car tu peux programmer un ordinateur à faire une gamme et il te battra systématiquement, alors que si tu joues du blues, de l’eau va couler sous les ponts avant qu’un ordinateur arrive à maîtriser ça.
« Quand je me suis intéressé à la musique classique, j’ai essayé de mettre un rythme rock par-dessus et ça ne sonne jamais bien, je trouvais que quelque chose n’allait pas. C’est comme si on faisait travailler l’aristocratie dans les champs, ça ne marche pas. »
Ce que je voulais dire, c’est qu’il y a quelque chose de primitif et d’instinctif dans le rock…
Quand je pense au rock, une chose qui me vient à l’esprit c’est le côté rythmique, le fait qu’il y a généralement une accentuation sur le deux et le quatre – ça vient du blues justement. Pour moi, ça vient du labeur physique. Il existe de vieux enregistrements de chaînes de forçats, ils avaient des pioches et ils brisaient des pierres ou quelque chose comme ça, et ils levaient la pioche – c’est le un – et la faisaient retomber – c’est le deux. C’est donc le son du labeur physique [fait mine de travailler avec une pioche qu’il lève et fait retomber avec faisant un effort] : un, DEUX, trois, QUATRE. Quand on regarde des concerts de rock, les gens sont en sueur et sont physiquement dedans. C’est très différent de la musique classique. La musique classique était faite pour l’aristocratie et les rythmes sont différents. Si tu joues par exemple [joue Eine kleine Nachtmuzik de Mozart], ce n’est pas comme travailler au sein d’une chaîne de forçats. C’est plus une posture avec la tête haute. C’est physiquement un sentiment différent. C’est marrant, quand je me suis intéressé à la musique classique, j’ai essayé de mettre un rythme rock par-dessus et ça ne sonne jamais bien, je trouvais que quelque chose n’allait pas. C’est comme si on faisait travailler l’aristocratie dans les champs, ça ne marche pas. Pour moi, le truc avec le rock et le blues, c’est ce sentiment qu’on a quand on travaille dur physiquement avec son corps et qui fait du bien. C’est très physique, c’est un peu de la musique pour travailler. Peut-être que c’est le côté primitif de cette musique. Il est clair qu’elle a fait du chemin. Il y a un million de genres de rock différents et il y a des gens qui sont intelligents et qui y mettent des idées sophistiquées, mais malgré tout, ils continuent à accentuer le deux et le quatre.
Pour revenir sur l’idée de chanter avec la guitare, tu as expliqué que principalement tu « compose[s] en chantant, même si le résultat final c’est de la guitare. [Tu] utilise[s] les paroles pour [te] donner une structure dans laquelle [tu peux] fixer les notes ». Comment est-ce que ça marche concrètement ?
Les paroles te donnent une structure avec laquelle jouer. L’une des choses les plus dures quand on compose de la musique, c’est quand tu es face à une page blanche et que ça peut devenir n’importe quoi, genre : « D’accord, écris une super chanson, tu as toutes les possibilités. » Alors que si tu as des paroles, c’est : « D’accord, il faut que ce soit de telle longueur. Je peux peut-être trouver deux ou trois rythmes différents qui fonctionnent avec ça. » Tu peux te concentrer sur quelque chose de beaucoup plus réduit. Si je composais une chanson maintenant, si « j’ai une guitare violette » sont mes paroles, alors quel est le rythme ? Est-ce que ça commence sur le un ? Je fais : « Un, deux, trois, quatre » [chante puis joue une mélodie simple basée sur la phrase]. Ce serait un point de départ. Puis je me demande : « Est-ce que je peux le tourner autrement ? Peut-être en ne commençant pas sur le un. Commençons sur la fin du trois. Un, deux, trois » [chante puis joue une mélodie plus élaborée]. C’est un petit peu différent et je l’aime un peu mieux, donc peut-être que je vais utiliser celle-là. Ensuite, le truc c’est de le faire deux fois, puis la troisième fois, tu fais autre chose : « Un, deux, trois » [chante puis joue une mélodie alternative]. Donc maintenant je suis en train de travailler sur quelque chose de très spécifique et je commence à faire de petites variations. Il faut jouer avec. Pendant tout ce temps, tu écoutes et tu te demandes : « Est-ce que j’aime ? Est-ce que je n’aime pas ? Si je n’aime pas, je vais le changer. » Tout ce que j’avais, c’était : « J’ai une guitare violette » et tout d’un coup, j’ai de la musique ! Ou bien est-ce que j’ai envie de changer les accords ? [Chante la phrase tout en variant les accords à la guitare]. Tu essayes de faire en grande partie à l’instinct, mais tu utilises aussi ton cerveau, ton cœur, ton pied et tu continues à construire le morceau.
Ça veut donc dire que tu as des paroles associées aux chansons mais qu’on n’entend pas. Est-ce que l’intention ou l’inspiration derrière le message est plus important que le fait de transmettre le message lui-même ?
Pour moi, le plus important, c’est la musique. J’ai juste envie de transmettre la musique et son émotion. Enfin, j’aimais beaucoup les paroles d’« Argument About Pie ». C’est la raison pour laquelle j’ai fait une lyric video. Il se peut que ce soit la première lyric video d’une chanson instrumentale qui ait jamais été faite [rires], et j’en suis plutôt content. Donc j’aime bien les paroles de celle-ci. Parfois, pour moi, les paroles, c’est juste quelque chose qui n’est pas… Ça ne m’intéresse pas tellement, je m’intéresse plus à la musique. Quelque chose comme « A Thunderous Ovation Shook The Columns », ce sont les seules paroles de tout le morceau et j’ai construit toute la mélodie en les répétant, presque comme un opéra où on chante « alléluia », le même mot répété. Ce peut être un bon mot, mais ce n’est pas une histoire ou quoi que ce soit. Donc parfois je fais ça.
Penses-tu que tu pourrais faire une version vocale de certaines chansons, comme « Argument About Pie » ?
La plupart des mélodies sont trop aiguës pour que je puisse les chanter, mais Freddie Nelson, avec qui j’ai fait un album auparavant, il fait du bon boulot quand il chante les mélodies que je trouve. Si j’avais sa voix, il est probable que je ne ferais que chanter. J’adorerais entendre Freddie chanter « Argument About Pie ». Il faudrait probablement que je lui envoie le morceau et il pourrait rajouter sa voix par-dessus. Ça déchirerait. Donc peut-être que je pourrais faire ça, mais il faudrait probablement que j’écrive deux couplets supplémentaires, car ce sont les mêmes paroles qui se répètent et peut-être qu’en arrivant au troisième couplet, les gens seraient là : « N’as-tu pas autre chose à me dire ? »
« Plus tôt dans l’année, il y avait le carré noir [sur Instagram] et ça a pris une tournure politique, et tout le monde devait intervenir et faire une déclaration. J’étais là : ‘Ah… J’essaye juste de faire un album.’ Je ne suis pas vraiment du genre à vouloir être militant. J’ai juste envie de faire de la musique. »
Thématiquement, tu traites souvent de sujets de la vie quotidienne avec un certain sens de l’humour, comme justement dans « Argument About Pie » qui est inspiré par une boutique qui vend des tartes – et je pourrais mentionner de nombreux exemples dans certains de tes albums passés. Ce qui semble être des expériences banales et la vie en général, est-ce ta principale source d’inspiration ?
Pour moi, si je fais ça, je suis honnête. Ça fait du bien d’être honnête et je pense que les gens aiment entendre de la sincérité de la part… des gens en général. Je me souviens, quand j’étais gamin et que je voulais jouer du heavy metal, c’était toujours compliqué, parce que les gens pouvaient écrire sur des histoires fantastiques, des dragons, le fait de gravir une montagne avec un elfe, etc. Je pouvais lire ce genre de paroles, mais j’avais le sentiment de ne pas moi-même être capable de parler très longtemps de combattre un dragon ou même de conduire une moto. C’est vraiment merveilleux de pouvoir trouver quelque chose… Car je suis quelqu’un d’assez normal. J’aime simplement la musique et je ne suis pas un véritable aventurier agitateur. Je ne sors pas me saouler, faire le fou et détruire des choses. C’est aussi l’autre truc : parfois, le rock n’ roll parle de causer des problèmes, or je ne suis pas vraiment un perturbateur, donc je ne peux pas chanter sur ce sujet [petits rires]. Ça fait partie des trucs qui sont super dans la musique instrumentale : je peux former une chanson sur la base de mon quotidien, mais en tant qu’histoire, ce n’est peut-être pas la chose la plus intéressante qui soit. Les problèmes c’est intéressant, c’est intéressant d’entendre parler de gens qui enfreignent la loi ou je ne sais quoi, mais je ne suis pas un hors-la-loi et ça ne devrait pas m’empêcher d’écrire des chansons. Donc c’est sympa de trouver le moyen d’être quand même inspiré, de quand même pouvoir dire la vérité et de quand même avoir de la musique qu’avec un peu de chance les gens écoutent.
Tu as deux morceaux évoquant le compositeur Russe Dmitri Chostakovich. Tu as notamment utilisé son histoire pour faire un parallèle avec la cancel culture d’aujourd’hui. Quel est ton avis sur la montée de cette cancel culture qu’on voit actuellement ? Fais-tu parfois attention à ce que tu fais ou dis en tant qu’artiste ?
Ça fait assez peur. Surtout avec Instagram, car c’est le seul réseau social auquel je prête vraiment attention. J’ai un compte Facebook et un compte Twitter, mais je laisse mon webmaster s’en occuper, mais j’aime beaucoup Instagram, c’est vraiment marrant. C’est vraiment le premier réseau social dont je m’occupe personnellement. Enfin, j’avais un site web il y a longtemps, mais Instagram c’est presque comme faire chaque jour une nouvelle petite pochette d’album. Il faut une légende et une image, j’aime beaucoup. Plus tôt dans l’année, il y avait le carré noir et ça a pris une tournure politique, et tout le monde devait intervenir et faire une déclaration. J’étais là : « Ah… J’essaye juste de faire un album. » Je ne suis pas vraiment du genre à vouloir être militant. J’ai juste envie de faire de la musique. J’ai mes propres problèmes. Je ne veux pas embêter les gens avec mes problèmes. Ça me semblait bizarre, ce n’était pas pour moi. A la fois, Instagram est important pour ma carrière. C’est une manière de promouvoir sa musique. J’étais là : « Bon sang, je ne peux pas partir parce que je dois utiliser ça pour promouvoir ce que je fais. » C’est mon boulot et tout d’un coup, ce truc que j’utilise pour mon boulot prend une tout autre dimension avec laquelle je ne suis pas très à l’aise. C’était dur.
Mais dès que je commence à me plaindre de ma propre situation, je regarde dans l’histoire ce que d’autres gens ont vécu. Car j’adore la cinquième symphonie de Chostakovich. C’est la musique la plus extraordinaire qui soit et elle sonne vraiment effrayante. Si vous aimez le heavy metal sombre, écoutez la cinquième symphonie de Chostakovich, ce truc va vous faire flipper, c’est génial ! Et le fait de lire ce qu’il a vécu… Sa cancel culture c’était Joseph Staline qui lui disait : « Si je n’aime pas ta prochaine symphonie, tu es bon pour le goulag en Sibérie pour y mourir dans la douleur. » Je me suis dit : « Bon sang, avec ma petite plainte concernant Instagram qui vire politique pendant un mois, je devrais la fermer, car avec Joseph Staline c’était bien pire ! » [Rires] Et il a réussi à y survivre et à composer une extraordinaire symphonie, donc je pense à ce que les musiciens ont dû endurer à différentes périodes. Les gens se plaignent : « Oh, c’était tellement super dans les années 70, il y avait le vinyle. » Ouais, mais c’est une petite période de dix ans, avant ça il n’y avait même pas de musique qui était enregistrée. Je veux dire que Beethoven ne pouvait pas faire d’album. Mozart devait jouer pour le roi. Ils ne se plaignaient pas qu’il n’y avait pas d’album, personne n’avait encore inventé ça. Je me plains un petit peu et ensuite je réalise : « De quoi je parle ? Peut-être que d’autres gens ont vécu des époques beaucoup plus difficiles que moi. »
Interview réalisée par téléphone le 20 & 27 avril 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Jason Quigley.
Site officiel de Paul Gilbert : www.paulgilbert.com
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Super intéressant, ce type. J’ai le sentiment que cette interview aurait été encore plus chouette en audio, avec tous les trucs qu’il explique sur son chant à la guitare, mais elle est déjà vraiment passionnante 🙂
Allez hop, on va aller écouter ça 🙂