Une véhémence chargée de nihilisme et de black metal vient s’abattre sur le Vieux Continent. Le co-plateau Mgła et Revenge n’a clairement pas la prétention de venir apaiser les consciences de ses spectateurs. Le premier connaît une ascension certaine depuis quelques années grâce à son black metal hypnotique et son esthétique, tandis que le second incarne à lui seul ce qu’il y a de plus virulent dans la scène extrême. Si l’union des deux formations peut surprendre par leurs approches musicales bien différentes, le message de fond lui est bien commun et tient en trois mots qui portent le nom de cette tournée : Vision, Discipline et Mépris.
Le groupe Doombringer, les autres Polonais de la soirée, ont ouvert la deuxième partie de la tournée. Cette alliance canado-polonaise est évidemment passée par la France sur trois dates, et nous étions au CCO de Lyon le 14 mai dernier pour assister à cet événement black/death. Notre photographe était lui présent sur la date parisienne du lendemain pour illustrer notre article.
Artistes : Mgła – Revenge – Doombringer
Date : 14 Mai 2019
Salle : CCO
Ville : Lyon [69]
Doombringer
Avec des membres de Culte Des Ghoules et Bestial Raids, le side-project Doombringer est le premier groupe à se produire sur les planches du CCO avec pas moins de 45 minutes de set, laissant largement le temps au public de s’accaparer l’ambiance qu’il veut dégager et n’ayant pas simplement un rôle d’introduction à la soirée. C’est sur un jeu de lumière vert, et qui restera dans cette teinte quasiment tout au long de la prestation, que les musiciens habillés en « monsieur tout le monde » s’élancent. Si effectivement la chemise noire sobre semble exigée pour les protagonistes, c’est pour mieux mettre en avant le chanteur qui arrive vêtu de blanc avec un collier et une ceinture avec des formes d’os. Le maître de cérémonie est clairement désigné, et il ne manquera pas de faire usage de son rôle avec son chant black, se permettant toutefois quelques incartades sur des vocalises plus claires afin de servir une ambiance occulte assez intéressante.
Les compositions de Doombringer sont assez longues et dans une tessiture black metal, mais proposent également quelques riffs de guitares teintés d’un death old school. Le son impeccable dès les premières minutes permet de profiter de morceaux au riffing hyper efficace, comme « Red Vapour Fills the Skull Of The Cadaver » à l’impact immédiat en live. Le dénommé Sepulchral Ghoul derrière les fûts soulèvera l’estomac avec une grosse caisse qui bénéficie là encore d’une excellente acoustique. Le public est quant à lui captivé assez rapidement bien que très statique, disons même timide, et pouvant paraître froid, recevant pourtant bien le groupe entre leurs morceaux. Si Doombringer fait office de bonne découverte, on pourrait reprocher quelques petites longueurs en seconde partie de set avec des morceaux qui se ressemblent et un jeu de scène qui mériterait peut-être d’être davantage accentué, voyant un potentiel intéressant chez le chanteur qui côtoie l’idée de la possession sans vraiment y céder complètement, comme d’autres leaders du style. Les Polonais ont malgré tout eu le temps d’étendre leur identité musicale sur scène et seront soutenus par les applaudissements des spectateurs.
Setlist :
Into the Woodlands
Briceia Chant the Spells
Children to Moloch
Red Vapour Fills the Skull of Cadaver
Samhain Melancholia
Ominous Alliance
Stupor Infernal
Seven Evil Spirits
Revenge
Venus du Canada, les réputés Revenge, fiers représentants de la scène war / bestial black metal, officie dans un registre musical des plus corrosifs. Agressifs et chaotiques, les travaux studio du combo sont connus pour être assez inaccessibles et s’adressent à un public de niche assoiffé de furie musicale. Leur dernier passage en France remonte au Fall Of Summer 2016 et ils reviennent dans l’Hexagone pour partager avec férocité leurs compositions qui décontenancent plus d’un auditeur. Reste à savoir si l’impact sur scène est le même que celui du studio. C’est sur une sirène que le trio arrive sur scène. Fallait-il en attendre autrement de la part d’un groupe comme Revenge ? Les premières notes lourdes et lentes de « Us And Them (High Power) » ouvrent donc ce bal des enragés sur un jeu de lumière rouge et blanc. Le premier constat portera sur le son à nouveau excellent qui donne une couleur nouvelle aux compositions de Revenge : moins opaque, et plus discernable, le son live permet en outre de saisir l’ensemble des parties des morceaux, là où tout est écrasant et dense en studio. Mais alors quid de la violence musicale ? Elle est toujours là, et plus présente que jamais. D’ailleurs un pit se formera au CCO, pas forcément d’une énorme taille, mais avec des protagonistes bien déterminés à en découdre. Un jeune homme torse nu en particulier paraîtra bien agité, inquiétant d’abord une personne de la sécurité, mais ce dernier se montrera rapidement rassurant. Tout cela est bon enfant, enfin si l’on peut dire.
L’autre aspect intéressant, peut-être insoupçonnable à la première écoute et qui est souligné par les conditions live, est la technicité des musiciens. Le batteur fera quasiment office d’attraction tellement son jeu est intense et rapide sur scène. A la guitare aussi rien n’est laissé au hasard, pas même ces petits solos death metal ponctuels au cœur des morceaux. Les musiciens démontrent donc qu’ils savent où ils veulent aller, et que répandre le chaos en musique ne se fait pas à la légère et demande quelques notions techniques assez poussées. Si le visage du batteur est assez peu visible de par ses headbangs répétés, Haasiophis à la basse aura des mimiques communicatives et paraîtra comme un assoiffé de sang. Bon enfant, disions-nous. Le duo de vocalises entre Haasiophis qui s’occupe du growl/death caverneux et le leader Vermin à la guitare et chant aigu black prend là aussi son sens sur les planches. Le bassiste nous gratifiera même d’un passage de chant suraigu à la Slayer qui ne manquera pas de faire son petit effet. Evidemment difficile pour un groupe évoluant dans ce registre musical d’acquérir l’ensemble du public – le fossé étant assez large entre leur musique et celle de Mgła – et s’ils arrivent à happer bon nombre de cervicales avec quelques riffs qui ont vocation à broyer des boyaux, d’autres passeront leur chemin. Pas de quoi démoraliser le groupe qui a servi sur un plateau une bonne dose de brutalité à qui voulait en prendre.
Mgła
Il n’a pas fallu attendre leur dernier passage en ouverture de Behemoth à l’automne 2016 pour entendre le nom de Mgła, souvent écorché par ailleurs, dans les bouches des amateurs de black metal. Si With Hearts Towards None en 2012 leur avait permis d’acquérir une notoriété certaine, c’est bien le dernier album Exercises In Futility paru il y a maintenant quatre ans qui les a propulsés en tête d’affiche aujourd’hui. Malheureusement Mgła a vu son début de tournée européenne entachée par des accusations calomnieuses autour d’une appartenance politique supposée que le groupe a réfutée sur les réseaux sociaux, alors que celui-ci communique habituellement très peu. Les Polonais disent dans ce communiqué envisager des poursuites judiciaires envers les auteurs de ces accusations, celles-ci ayant mené à l’annulation, ou plutôt le report, de deux concerts à Berlin et Munich. Quoi qu’il en soit, le groupe a bien pu se produire en France malgré les quelques pressions existantes.
Alors que les lumières étaient déjà assombries depuis une dizaine de minutes, les musiciens arrivent sur scène avec leurs instruments en toute simplicité et sans mise en scène. Le leader M l’assume depuis quelques années : ce qui importe pour lui sur scène est la musique, et seulement la musique. Dans cette démarche il est allé jusqu’à dépersonnaliser les membres du groupe avec l’accoutrement capuche/cagoule qui, paradoxalement, ont fait leur identité sur scène. Le public ne peut donc que se concentrer sur l’essentiel et ne pas s’attarder sur un visage ou d’autres artifices, ce qui participe évidemment au rendu hypnotique des concerts de Mgła. Penchons-nous sur la musique en elle-même donc. Les Polonais ont, pour cette tournée, globalement gardé la même structure que la dernière. Leur set s’ouvre avec « Exercises In Futility I », toujours efficace pour démarrer, mais présentant quelques faiblesses avec un son assez mal équilibré – les parties plus mélodiques de la guitare auront un peu de peine à se faire entendre – mais aussi de rythme puisque les guitares ne semblent pas forcément en phase. M semble lui aussi quelque peu éprouvé au niveau du chant sur ce premier morceau. Le temps d’un titre pour se mettre en jambes donc, car tout cela sera assez vite rattrapé, et si seule « With Hearts Towards None I » un peu plus tard souffrira de quelques failles, le reste du concert aura bonne envergure.
Mgła
Dès la seconde piste, la première nouveauté fait son apparition : « Exercises In Futility IV », titre phare du dernier album, est clairement une des compositions les plus audacieuses du groupe, et est l’occasion de mettre en avant les prouesses du batteur Darkside, impressionnant aussi bien en studio que sur scène. L’identité musicale de Mgła passe aussi par ce musicien qui colore de manière assez unique avec son jeu de batterie les compositions d’un black metal pourtant froid. Si M en leader reste implacable et imperméable à toute émotion, portant à lui seul tout le message nihiliste du groupe, les membres live ne manqueront pas d’être plus démonstratifs, comme pris à leur tour dans leur musique frénétique. Quelques mouvements de tête pour le guitariste E.V.T., tandis que le bassiste et second vocaliste The Fall montrera fièrement son instrument, preuve de son implication dans ce line-up live. De la joie dans la musique de Mgła, serait-ce donc possible ?
Côté light-show on restera sur quelque chose d’assez minimaliste, avec ces couleurs turquoise et ces lumières blanches qui traversent la scène. Un rouge vif viendra cependant teinter « Groza III », qui n’est par ailleurs pas l’unique morceau de l’ère de Mgła avant With Hearts Towards None. Le groupe remontera jusqu’en 2006 avec « Mdłości II » que l’audience semble moins connaître mais qui, avec le nouveau son du groupe, arrive malgré tout à convaincre. Le CCO bien rempli semble complètement accaparé par le groupe, et si le public est évidemment bien plus statique que lors de la prestation de Revenge, chacun est transporté à sa manière. En témoigne le désormais classique « With Hearts Towards None VII » qui dans sa longue montée en puissance agrippe forcément le spectateur. S’ensuit sans surprise le dernier morceau de Exercises In Futility, très bien représenté ce soir, où le public montre sa ferveur en reprenant le refrain « Self crucified ! » toujours imparable en live. Chaudement applaudi par le public venu en nombre faire honneur au groupe ce soir, Mgła arrive à la fin de son set. Mais nouvelle et dernière nouveauté qui vient se greffer à la setlist, les Polonais ont choisi pour terminer leur concert la transcendante « Exercises In Futility V » qui là encore ne manque pas d’audace à tous les niveaux, même si c’est encore Darkside qui attirera l’attention avec son jeu de batterie intense et l’utilisation des cymbales semblant absolument inépuisable. Levant le poing et avec ce que l’on devine être des remerciements francs envers le public qui l’acclame, les musiciens quittent la scène aussi simplement qu’ils sont venus. La tempête Mgła a encore sévi.
Setlist :
Exercises in Futility I
Exercises in Futility IV
Mdłości II
With Hearts Toward None I
Exercises in Futility II
Groza III
With Hearts Toward None VII
Exercises in Futility VI
Exercises in Futility V
Le metal extrême doit pouvoir perdurer sur scène car c’est là qu’il prend sa forme réelle. L’énergie qui s’en dégage ne s’invente pas, et les musiciens de ce soir qui mettent tout en œuvre pour la répandre l’ont encore prouvé. L’attitude d’une toute petite minorité de spectateurs, qui s’est fait remarquer notamment sur les concerts de Marduk ces dernières semaines, est anthropophagique et menace la scène elle-même. Remercions donc à nouveau tous les acteurs qui rendent possible le maintien de ces évènements. Sous couvert de thématiques violentes et nihilistes, et dans un certain chaos ambiant de la pensée, ces groupes desservent un seul véritable message : seul l’art doit rester intouchable.
Photos : Matthis Van der Meulen (Petit Bain – Paris)
j’étais au concert, pas aimé Revenge, son trop crade, comprends pas lorsque je lis « son excellent », ça sature à mort, inaudible,connaissais pas ce groupe, et franchement mis à part les mecs torses nus un peu beaucoup exité ça m’a pas marqué
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Le coup du « son excellent » j’avoue que c’est surprenant. Mais il doit falloir le remettre en perspective du son « Revenge » qui bouffe pas mal du côté du crust en plus d’être « war black metal ». Bon ok, ça done un son crade, brouillon, raw comme dissent les gens qui s’autorisent à penser.
Mais là, le son était « excellent » puisque l’auteur du report a pu « discerner » des notes …
par la suite, j’ai écouté quelques titres sur youtube pour vraiment voir, et là c est encore plus crust que lors du live , pour employer ton terme, franchement c est trop inaudible pour moi, même les vieux Burzum ont un meilleur son, je passe mon chemin 🙂 ceux qui aiment, tant mieux.
« inquiétant d’abord une personne de la sécurité, mais ce dernier se montrera rapidement rassurant. Tout cela est bon enfant, enfin si l’on peut dire. »
Ouais, j’ai trouvé ça quand même relou de devoir se décaler de dix mètres et garder un œil de traviole pour pas se prendre des gnons xD Enfin bon, je suppose qu’il faut être prêt à subir ça de temps en temps dans ces concerts. Pis ça s’est calmé pour Mgła (foule plus dense, il faut dire).
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