Dokken. King Diamond. Motörhead. Scorpions. Vous en connaissez beaucoup, des musiciens dont le CV comporte autant de groupes légendaires ? Avec un passif pareil, on pardonnerait aisément à Mikkey Dee d’avoir pris la grosse tête – mais il s’avère que ce n’est pas le genre de la maison. D’après l’iconique batteur, avoir appartenu à des formations qui ont fait l’histoire du rock et du metal n’est pas une raison pour se croire au-dessus du lot. Se mélanger aux fans et les traiter avec respect est pour lui une évidence. C’est d’ailleurs ce qui l’a poussé à associer son nom à l’Alabama, le bar parisien où nous l’avons rencontré et où il vient régulièrement prendre le pouls du public.
Entre souvenirs chaleureux de Lemmy, projets de biopic, nouvelles aventures avec Scorpions et nominations au Rock’n’Roll Hall of Fame, nous avons pris le temps d’évoquer avec Mikkey l’après-Motörhead… et aussi un peu le pendant-Motörhead, car on ne tourne pas si aisément la page de vingt-cinq ans de carrière dans un groupe culte.
« C’est très facile d’être un con ou d’être une rock star, mais c’est très, très dur d’être un gars sympa, normal […]. Je ne veux pas me couper de la réalité. C’est comme ça que je recharge mes batteries. J’ai plein de collègues dans le business qui sont totalement à l’opposé et ça ne m’attire pas du tout. »
Radio Metal : L’Alabama est ton nouveau bar, ouvert en avril dernier. Comment as-tu eu l’idée d’ouvrir un bar à Paris ?
Mikkey Dee (batterie) : En fait, c’est Sophia. C’est la gérante de ce bar. Nous nous connaissons depuis peut-être quinze ans et elle m’a appelé un jour et a dit : « Qu’est-ce que tu dirais d’ouvrir ce bar ? » Elle connaissait ce lieu. Elle a dit : « Est-ce que ça t’intéresserait de t’impliquer là-dedans ? » J’ai dit : « Absolument ! » A partir de là, nous avons commencé à travailler sur l’idée. D’après mon expérience de Paris, il y a énormément de rock n’ roll ici mais il n’y a pas beaucoup de bars. On pourrait probablement en ouvrir vingt comme celui-là et ça ne serait toujours pas suffisant. Donc pourquoi pas, je trouvais que c’était un bon endroit pour commencer. Car j’ai eu un bar à Tenerife pendant un temps, qui s’appelait Mikkey Dee Rock Lounge, sur la plage, et ça n’a pas du tout marché. Je ne sais pas pourquoi. C’est un lieu pour les vacances, donc on ne peut pas travailler tous les jours dans un bar comme celui-ci. Donc faire ça a Paris, j’ai trouvé ça super.
J’imagine que tu as un attachement particulier pour ce type d’endroit : qu’est-ce qu’un bar représente pour toi ?
Un bar, pour moi, c’est un peu comme ici : un trou dans un mur où tu peux venir et voir des visages familiers, des amis, des gens du coin… C’est un peu ta petite bulle. Tu joues du rock, tu rencontres tes amis, et c’est très confortable : ça, pour moi, c’est un bon bar rock. Tu ne viens pas dans ce bar pour entendre du Britney Spears. Tu sais à quoi t’attendre, c’est très important. Il y a une cohérence, on sait ce qu’on va chercher en entrant ici.
Tu as joué dans certains des plus grands groupes de heavy metal, mais tu as choisi d’ouvrir un bar, c’est-à-dire un lieu modeste, douillet et convivial. A quel point c’est important pour toi, malgré ton statut d’icône du rock, de rester terre à terre et proche des gens ?
Oh, c’est très important pour moi. S’il y a une chose que Lemmy m’a apprise dès le début… Il n’arrêtait pas de dire : « Mikkey, les bonnes manières ne coûtent rien. C’est gratuit. » C’est très facile d’être un con ou d’être une rock star, mais c’est très, très dur d’être un gars sympa, normal, et je préfère… [Petits rires] Enfin, je ne me vois jamais comme étant une légende ou une rock star. Je joue de la batterie et j’ai joué avec certains… J’ai joué et je continue de jouer avec plein de super musiciens et de gros groupes, mais… Comme hier soir, il y avait quelques gars ici d’un autre groupe. Je ne les avais jamais rencontrés et ils n’arrêtaient pas de dire : « Oh mon Dieu, tu es complètement normal ! » [Rires] « A quoi est-ce que vous vous attendiez ? A un putain de connard snob ? » Ce n’est pas moi. C’est comme quand je suis en tournée. Je signe tous les putains d’autographes que je peux et je prends des photos avec tout le monde, autant que je peux, et après les concerts, ceci est le genre d’endroit où je vais pour traîner, parler aux gens, etc. Je ne veux pas me couper de la réalité. C’est comme ça que je recharge mes batteries. J’ai plein de collègues dans le business qui sont totalement à l’opposé et ça ne m’attire pas du tout. Ce n’est pas moi.
Après presque vingt-cinq ans dans Mötorhead, ça s’est fini en 2015 quand Lemmy nous a quittés. Ce groupe était parfait pour ton style de jeu et je suis sûr que tu étais épanoui dans ce groupe. Tu as dû ressentir un vide quand tout s’est arrêté presque du jour au lendemain. Comment as-tu surmonté, non seulement la tristesse d’avoir perdu Lemmy, mais aussi la perte d’une carrière longue de vingt-cinq ans ? Quel était ton état d’esprit à ce stade ?
Il est certain que j’ai ressenti un vide, mais le truc, c’est que ça ne s’est pas passé du jour au lendemain, parce que je faisais partie du voyage avec le groupe et Lemmy depuis que ça a commencé à mal tourner, pour ainsi dire, quand il a commencé à devenir un peu malade. Donc nous étions tous sur le même bateau. Quand le navire a commencé à tanguer, nous nous sommes tous un peu préparés à ce que ceci ne dure pas éternellement. Au final, nous étions simplement heureux pour chaque tournée que nous pouvions faire. Oui, c’est très définitif. Quand c’est fini, tu te dis : « D’accord, on était là à foncer à deux cents à l’heure et maintenant, on… » Nous ne nous sommes pas simplement arrêtés, nous sommes retournés au point de départ. Donc c’est assez renversant : qu’est-ce que tu veux faire ? Dans quoi veux-tu t’embarquer maintenant ? A quel niveau veux-tu être ? Est-ce que tu vas rester sur la grande scène ou bien tu vas prendre ta retraite ? Je crois que je joue mieux que jamais, donc la retraite n’était pas une option. Je me sens super bien. Je n’ai pas fini de parcourir le monde. Et puis quand les Scorps m’ont appelé, c’était tout simplement parfait. C’était génial. Je trouvais que je pouvais faire la différence dans ce groupe, car ils avaient aussi leurs problèmes. J’ai vu quels étaient les problèmes et j’ai dit : « Si vous me voulez dans le groupe, je vous donnerais un tout nouveau moteur, c’est certain. » Et ils ont adoré. Mais à savoir si Lemmy me manque, oui, bien sûr. Ça me manque d’appeler ce gars, qu’il m’appelle et qu’il me crie dessus [petits rires]. Nous nous disputions beaucoup, mais c’était de super disputes. Nous faisions toujours avancer le groupe. Ces moments où je pouvais avoir une discussion me manquent. Parfois Lemmy était mon frère, mon père, mon collègue et même parfois ma petite sœur, ou mon petit frère, car c’était vraiment une relation unique que j’avais avec Lem, c’est sûr.
Très vite tu as rebondi, puisque dès janvier 2016, on t’a demandé de rejoindre Thin Lizzy pour une tournée…
Finalement, je n’ai pas joué avec Lizzy. On m’a demandé de le faire et j’ai dit oui. C’était seulement pour six ou huit concerts durant l’été 2016 en tant que Thin Lizzy, pas Black Star Riders, c’était un hommage à Phil Lynott, les trente ans, et le groupe, les quarante ans. J’ai à peine dit oui et puis je suis retourné en Suède, et les Scorpions m’ont appelé. Je savais que ce serait plus qu’un petit plan. Donc j’ai dû rappeler les gars de Thin Lizzy et j’ai dit : « Ecoutez, j’ai eu cette autre offre et je sais que c’est un truc sur le long terme, pas simplement des concerts d’été. » Mais Thin Lizzy reste l’un de mes groupes préférés de tous les temps et j’étais très, très fier et heureux qu’ils me demandent de faire ça. C’est un peu nul que je n’aie pas pu le faire, parce que j’aurais adoré, mais on ne peut pas faire les deux à la fois.
« Ça me manque d’appeler [Lemmy], qu’il m’appelle et qu’il me crie dessus [petits rires]. Nous nous disputions beaucoup, mais c’était de super disputes. […] Parfois Lemmy était mon frère, mon père, mon collègue et même parfois ma petite sœur. »
Phil Campbell a pris un chemin très différent avec sa carrière : au lieu de rejoindre un groupe préétabli, il a redémarré de zéro et a formé son propre groupe avec ses fils, parce qu’il ne voulait pas se « retrouver à jouer le best of d’un autre groupe pour le restant de [s]a vie ». N’as-tu pas eu la même préoccupation ? As-tu songé à former ton propre groupe aussi ?
Oui, absolument. Ça fait des années que j’ai ça en tête, peut-être depuis trente ans. Mais pour faire ça, il me faut la motivation et aussi le temps, et ma carrière, depuis l’époque King Diamond… J’ai quitté King et j’ai tout de suite rejoint Dokken ; j’ai quitté Dokken et j’ai rejoint Motörhead ; comme tu le sais, Lemmy venait de décéder et Scorpions s’est présenté à moi. Je n’ai jamais tellement eu le temps de vraiment y penser et me mettre dans l’état d’esprit : « Ok, maintenant je vais le faire ! » Car j’ai été très occupé à jouer et tourner. Je me dis toujours qu’un jour viendra où je pourrai le faire. Donc pourquoi se presser ? Par rapport à Phil, c’est un petit peu différent parce qu’il a toujours voulu jouer avec ses garçons, car ils sont très talentueux et ce sont de super musiciens. Plus ils vieillissaient, plus j’avais l’impression que Phil voulait vraiment jouer et former un groupe avec eux. Et je trouve ça génial, c’est brillant. J’aurais aimé pouvoir faire ça. J’ai deux garçons aussi, mais seul un joue d’un instrument. C’est une merveilleuse opportunité, donc il est très content de la situation. Mais je ne sais pas s’il formerait un jour un groupe traditionnel avec trois ou quatre autres membres ; là c’était parce que c’était avec ses fils. Je pense que c’est ce qu’il lui faut et ils sont très bons. Nous nous parlons constamment, donc…
Phil Campbell nous a dit : « Scorpions est parfait pour Mikkey, il sonne merveilleusement bien avec eux. Mais c’est différent pour les batteurs et pour les guitaristes. Un batteur peut convenir à plus de groupes qu’un guitariste. C’est un rythme, ce n’est pas de la musique à proprement parler. On voit plus souvent des batteurs sauter d’un groupe à l’autre sans problème que des guitaristes réussissant à se faire une place. » Es-tu d’accord avec lui ?
Oui, j’ai tendance à être d’accord. Il a raison, parce qu’un guitariste, généralement, a un rôle différent dans le groupe, évidemment. Si tu regardes Phil Campbell, je pense, en fait, qu’il peut jouer dans n’importe quel groupe au monde, techniquement, mais généralement les guitaristes sont un petit peu différents dans leur tête, ils sont un peu plus tordus [petits rires]. Ils sont bien plus limités en tant que musiciens, par rapport à leur style, que les batteurs, ou possiblement les bassistes, ou les claviéristes. Nous sommes plus ouverts. Je joue du jazz de big band, je joue de la soul, je joue de la fusion, du funk, même des trucs pop… J’ai vraiment joué de tout. Phil n’a pas joué de tout. Les guitaristes sont plus : « Voilà comment cette personne sonne. » Et ils ne vont pas bien dans tous les groupes, c’est certain. Phil Campbell est un guitariste très bluesy, rock n’ roll, il a beaucoup de feeling, et je pense à plein de groupes dans lesquels je ne le verrais pas jouer, mais je connais aussi des groupes dans lesquels il serait parfait. Donc il a vraiment raison, c’est clair. C’est plus facile pour nous, les batteurs, de nous adapter. Bien sûr, nous avons notre style. J’ai mon style. Mais nous pouvons mieux nous adapter.
Venant d’un groupe bien établi avec ses propres paramètres, sa routine, son éthique de travail, ses règles, etc., tu as rejoint un autre groupe bien établi avec ses propres paramètres, sa routine, son éthique de travail, ses règles, etc. Ce changement d’environnement n’a-t-il pas été difficile parfois ? Quel genre de flexibilité et d’adaptabilité est-ce que ça a nécessité de ta part ?
C’est une très, très bonne question parce que ce n’est pas facile. C’est probablement la partie la plus dure. Je vois ça de la manière suivante : si tu as ta propre famille mais que tu dois rejoindre une autre famille ou alors si tu as soudainement un nouvel enfant dans ta famille, il faut que tu sois flexible, mais il faut aussi que tu restes fidèle à tes principes. J’ai essayé de faire ça avec Scorpions, c’est clair. Je leur ai dit que si je suis le batteur qu’ils recherchent, alors je suis le batteur qu’ils recherchent. Ne me prenez pas en espérant que vous aurez quelqu’un d’autre ou ne cherchez pas à ce que je joue comme quelqu’un d’autre. Le meilleur exemple est lorsque j’ai rejoint Motörhead : Lemmy m’a demandé trois ou quatre fois depuis 86 de rejoindre le groupe et j’ai refusé, pas parce que je ne voulais pas, mais parce que j’étais très content là où j’étais. Et je n’ai jamais quitté un groupe pour aller dans un plus gros groupe, pour l’argent ou pour la gloire. Je restais là où j’étais content d’être là.
Quand j’ai rejoint Motörhead, j’ai dit : « J’ai deux options, ainsi que je vois les choses. Soit je serai un remplacement ou une réplique, pour ainsi dire, de Philthy Animal Taylor, soit je fais connaître Mikkey Dee. » Et j’ai choisi la seconde option. J’ai dit : « Je vais changer la musique, je vais changer l’état d’esprit, je vais complètement changer Motörhead, parce que j’apporte qui je suis. Je ne suis pas Philthy Animal Taylor. » J’ai trouvé qu’il avait fait un boulot fantastique avec Motörhead au fil des années, mais je peux faire autre chose. A savoir si c’est mieux ou pire, ce n’est vraiment pas à moi de le dire. Enfin, pour certaines personnes, j’ai énormément apporté, tandis que d’autres disaient : « Non, j’aime le vieux Motörhead quand Taylor jouait avec son jeu », ce qui n’est pas un souci. C’est pareil avec Scorpions, j’ai dit : « Je peux vous changer. Je peux apporter à nouveau une mise en place, un côté heavy, de l’énergie. » James Kottak était fantastique avec Scorpions pendant des années et des années, et puis tout d’un coup, je suppose, je ne vais pas parler à sa place, mais il a peut-être perdu intérêt ou… C’est ce qui est arrivé avec Würzel dans Motörhead : du jour au lendemain, il était devenu une autre personne, il n’aimait plus tourner, il voyageait avec les membres de l’équipe. Pas qu’il était fâché contre nous, mais il n’aimait tout simplement pas être sur la route. Donc tout a été en descendant pour Würzel. Et je suppose qu’ils ont eu des problèmes avec James et ils recherchaient autre chose, et ceci est ce que j’ai amené au groupe.
« Il y a le fait que j’étais triste, Lemmy était parti, tu vois l’œuvre de ta vie s’écrouler devant toi, puis un autre groupe établi te récupère, et ce qui vraiment te donne de l’énergie, c’est de voir que tu peux apporter quelque chose à ce groupe. »
C’est très important d’établir ça, mais à la fois, on ne peut pas simplement… La porte s’ouvre à double sens. J’ai dû faire des compromis pour rejoindre Scorpions. Car j’étais un meneur dans Motörhead. Je m’occupais de la majorité de la promo – j’en faisais quatre-vingts pour cent, peut-être que Lemmy en faisait dix-neuf pour cent et Phil en faisait un pour cent au fil des années. Moi et notre manageur, Todd Singerman, nous gérions ce groupe. Car Lemmy et Phil ne s’intéressaient pas beaucoup au côté business. Donc ils venaient me voir et j’allais voir le business ; le business venait me voir et j’allais voir le groupe. J’étais toujours au milieu. C’était pareil dans King Diamond. Pareil dans Dokken. Ici dans Scorpions, c’est différent. Donc il faut que je m’adapte aussi. Ce n’est pas qu’à eux de s’adapter à moi. Je dois m’adapter à leurs règles. Ça fait cinquante-quatre ans qu’ils jouent, je ne peux pas juste débarquer et dire : « Voilà ce que je vais faire. »
Donc c’est une bonne question et c’est très, très dur à faire, mais heureusement, je connaissais assez bien les gars avant de rejoindre le groupe, car nous nous sommes croisés au cours de toutes ces années, que ce soit lors de festivals ou ailleurs. Mais ce n’est pas avant de vivre sous le même toit qu’on se rend compte de ce qui se passe. J’aurais très bien pu être un cinglé ou peut-être qu’un de ces gars n’aurait pas du tout pu travailler avec moi. Mais après la première tournée, nous avons ressenti : « Oh, c’est fastoche ! » Tout le monde a adoré. Nous sonnons super bien maintenant, nous avons l’énergie. Tout le monde est sympa avec tout le monde. Ça roulait ! Donc j’en suis content. Mais si ça n’était pas comme ça, je partirais. Je ne perdrais pas deux semaines sur quelque chose sur lequel je ne suis pas d’accord. Et je suis sûr qu’ils diraient pareil : « Merde, Mikkey Dee, on pensait que c’était un mec sympa, mais il est un peu bizarre, on ne peut pas tourner avec ce gars ! » [Petits rires] Mais ça marche merveilleusement bien et tout le monde est content.
Globalement, les chansons de Scorpions sont plus posées par rapport aux puissantes chansons que tu jouais avec Motörhead. Après vingt-cinq ans à jouer le style de Motörhead et à réfléchir dans l’état d’esprit de Motörhead, était-ce difficile d’adapter ta manière de penser et ton approche de la batterie ?
Oui, c’est un petit peu différent parce qu’ici je joue avec un bassiste plus traditionnel, avec Pawel [Maciwoda]. Lemmy n’était pas un bassiste. Enfin, c’était un bassiste et un guitariste, mais il jouait plus de la guitare sur sa basse, avec des accords. Ce n’était pas tellement un bassiste traditionnel. Donc c’est un mode de pensée un peu différent. Bon, en fait c’est même un mode de pensée très différent. Avec Motörhead, nous n’étions que trois. Avec Scorpions, nous sommes cinq. Avec Motörhead, en l’occurrence, quand Phil faisait un solo, il fallait que je remplisse derrière le solo. Il fallait que je charge plus la batterie parfois, que peut-être je fasse un motif de grosse caisse différent et autre pour remplir l’espace pour que ça ne baisse pas trop en intensité. Avec Scorpions, c’est complètement l’opposé ; quand Matthias et Rudolf partent en solo, je dois rester avec Pawel, et nous devons rester fidèles au plan, afin de ne pas foutre le bordel. Mais quand tu joues depuis aussi longtemps que moi, tu t’adaptes assez rapidement. Il faut juste que j’écoute plus Pawel que je n’écoutais Lemmy. Avec Lemmy, il fallait que je sois la basse. Phil et Lemmy tournoyaient tout autour de moi, et moi je devais rester solide comme un roc, à faire mon truc, et eux pouvaient partir dans différentes directions. Nous ne pouvons pas du tout faire ça avec Scorpions de la même façon. Nous devons nous concentrer sur la section rythmique, la basse et la guitare rythmique doivent être très focalisées et en place, tout le temps. Puis, durant les solos ou certaines mélodies de Klaus, ils peuvent tournoyer un peu plus. C’est donc un autre mode de pensée. Mais ça vient naturellement quand on a mon expérience. Mais tu as absolument raison, c’est complètement l’opposé, vraiment.
Comme tu l’as dit, tu as apporté une nouvelle énergie à Scorpions, mais qu’est-ce que Scorpions t’a apporté ?
Exactement pareil ! Grosso modo. Car à la fin de Motörhead… C’est toujours important de revenir à Motörhead. Je veux dire que ces cinq ou sept dernières années peut-être, je dirais, après avoir joué aussi longtemps… En fait, il faut que parle d’autre chose pour que tu comprennes. Avec Motörhead nous avions un cadre très restreint par rapport à ce que nous pouvions faire. Nous pouvions très facilement tout faire foirer avec Motörhead en expérimentant avec la musique, mais nous avions un cadre extrêmement restreint et nous devions rester dans ces limites. Et après autant d’albums, autant de tournées et après avoir autant joué ensemble, parfois on se dit : « Bordel de merde ! », on a besoin de faire autre chose. Ça fait vingt-cinq ans que tu manges de la pizza, or tu aimerais bien manger un peu de salade de temps en temps [petits rires], ou des spaghettis. Donc quand j’ai rejoint Scorpions, c’était un bol d’air frais, c’était autre chose à faire. Même si j’avais déjà joué de la musique plus commerciale et mainstream avant, c’était aussi un vrai coup de pied au cul pour moi. Et il y a le fait que j’étais triste, Lemmy était parti, tu vois l’œuvre de ta vie s’écrouler devant toi, puis un autre groupe établi te récupère, et ce qui vraiment te donne de l’énergie, c’est de voir que tu peux apporter quelque chose à ce groupe.
« Je crois que c’est la musique la plus dure que j’ai faite de toute ma vie ! Car il n’y a pas de place pour souffler ou pour les erreurs. C’est un concert de deux heures très millimétré. Je crois n’avoir jamais été aussi fatigué avec Motörhead que je le suis avec Scorpions. »
Je ne me vois pas juste assis derrière la batterie à suivre ces gars pour jouer des reprises le reste de ma vie, comme disait Phil. Je ne le vois pas comme ça, parce que je fais bouger les choses. Je les ai emmenés à un autre niveau ; c’est ce qu’ils disent eux-mêmes. Ils s’habituent à mon jeu. Ils disent : « Mec, on pensait qu’on aurait un nouveau moteur avec toi, mais ce qu’on a, c’est tout une nouvelle voiture ! » [Petits rires]. C’est mutuel. Et c’était exactement pareil avec Motörhead : ils étaient un petit peu chancelants au tout début des années 90, en 1991, avec l’album 1916 et celui encore avant. Ils se portaient bien, mais ils avaient leurs problèmes avec Philthy. Je sais que Lemmy n’était pas tellement content à ce moment-là de Philthy, car il m’a appelé pour vérifier la batterie de 1916 : « Qu’est-ce que tu penses de la batterie ? Qu’est-ce que tu ferais ici ? Ecoute ce que Taylor a fait ici. » J’ai dit : « Je trouve ça plutôt pas mal ! » Je trouvais que Taylor avait fait du très bon boulot. Mais Lemmy était là : « Oh, je ne sais pas, je ne trouve pas que ça envoie et tout. » Donc quand j’ai rejoint le groupe, je leur ai mis un coup pied au cul. Quand nous avons fait Bastards, c’était mutuel, nous nous sommes mutuellement foutu des coups de pied au cul, en permanence [rires]. Donc la plupart du temps, l’énergie est très partagée.
Mais ce n’est pas facile d’arriver dans un groupe qui a joué pendant cinquante-quatre ans et de dire : « Hey, écoutez, je vais vous changer un petit peu. » Mais c’est important d’être très rapidement accepté par les fans, de rester droit dans ses bottes et de faire son propre truc. Je ne suis pas James Kottak, je ne suis pas Herman Rarebell, je suis Mikkey Dee dans Scorpions maintenant. Je suis sûr qu’il y a des tas de fans qui se disent : « James convenait bien mieux ! » Oui, et pas de problème, mais je sais que quatre-vingt-dix pour cent des gens pense que je fais du meilleur boulot. Donc je suis content. On ne va jamais plaire à tout le monde. Pas du tout. C’est ce que je veux dire : ça m’a également beaucoup apporté, parce que nous étions dans un cadre très restreint et maintenant je peux sortir de ce cadre et faire autre chose. Je dois aussi ajouter que plein de gens viennent me voir pour me dire : « Oh, ce style de musique, c’est les doigts dans le nez pour toi. » Et je dis : « Tu en sais tellement peu. Je crois que c’est la musique la plus dure que j’ai faite de toute ma vie ! » Car il n’y a pas de place pour souffler ou pour les erreurs. C’est un concert de deux heures très millimétré. Je crois n’avoir jamais été aussi fatigué avec Motörhead que je le suis avec Scorpions, car je donne deux cents pour cent et je ne peux pas juste crier à Klaus : « Hey Klaus, attends une minute, buvons un coup, » comme nous le faisions avec Motörhead. Nous pouvions avoir une petite conversation sur scène ! « Attends, je dois accorder ma caisse claire ! » et je courais hors scène pour aller boire et régler ça, « d’accord on y va ! » Ici, non, tout est tellement… Nous jouons presque à la minute près le même concert. Si ça fait, je ne sais pas, une heure et cinquante et une minutes ou quelque chose comme, ça fera une heure et cinquante et une minute ou une heure cinquante-deux, vraiment. Donc c’est extrêmement dur à faire.
D’ailleurs, je me gèle sur scène pendant que nous faisons le petit truc acoustique. Le concert commence très, très fort et ça reste fort jusqu’à ce que nous fassions « Delicate Dance », cette instrumentale à la guitare de Matthias. Juste après ça, nous faisons une sorte de set acoustique et je joue sur un petit kit sur la passerelle. Nous faisons une sorte de medley et ensuite, juste après ça, il y a « Wind Of Change ». Durant cette partie, je me gèle ! Et ensuite, l’enfer commence pour moi. Car nous faisions « Rock And Roll Band », « Tease Me, Please Me », « Overkill » de Motörhead, un solo de batterie, « Blackout », « Big City Nights », tout d’une traite. Il n’y a pas une seconde de pause entre ces chansons. Oh mon Dieu ! C’est presque quarante minutes à constamment… C’est un marathon ! Je vois des étoiles ! Après le solo de batterie, mon signal c’est deux coups de cymbales, quand ils entendent ça, ils savent que j’ai fini. Ils commencent l’intro de « Blackout », et je m’assois, je vois des putains d’étoiles, et je dois tout de suite m’y remettre ! Puis après « Big City Nights », nous sortons de scène, et puis nous faisons « Still Loving You’ » et « Rock You Like A Hurricane », donc j’ai une pause avant ces deux chansons, mais c’est extrêmement dur pour moi ! Plein de gens pensent : « Ces chansons, tu les fais les doigts dans le nez. » Non !
Je tape plus fort avec Scorpions que je ne le faisais avec Motörhead, car Motörhead allait plus vile, je n’avais pas le temps de taper aussi fort que je le fais maintenant. Les chansons sont plus lentes, oui, mais je tape deux fois plus fort dans ce groupe, donc je compense autrement. Mais simplement parce que c’était des chansons avec de la double grosse caisse à toute allure, « Overkill », « Bomber »… Je n’étais même pas en sueur après « Overkill » ! « Overkill » est une chanson facile à jouer. C’est la chanson la plus facile dans tout le set ! « The Chase Is Better Than The Catch » ou « Metropolis » étaient plus dures à jouer pour moi. Elles sont plus lentes, elles groovent plus et je tape plus fort. On ne peut pas faire d’erreur dans ce type de chanson, car ça fout en l’air toute la chanson. « Overkill » est facile, « Bomber » est facile, « Ace Of Spades » est facile, quand nous faisions « In The Name Of Tragedy » c’était super facile. C’est rapide, tu les traverses à vive allure, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la chanson est finie [petits rires]. Donc je n’étais pas du tout fatigué en jouant ces chansons. Voilà une petite explication des choses.
« C’est presque comme si [Motörhead] existait toujours, ce qui est vraiment unique, c’est du jamais-vu, parce que les gens refusent de laisser partir le groupe. Ils ne veulent pas admettre qu’il se soit arrêté : ‘Non, non, non. Peut-être qu’ils joueront au Hellfest l’été prochain !’ Ils y croient presque dans leur for intérieur. »
Malheureusement, peu d’anciens membres de Mötorhead sont toujours en vie aujourd’hui. Ressens-tu une quelconque forme de responsabilité pour maintenir la légende de Motörhead en vie ?
Absolument ! C’est un besoin très fort que Phil et moi ressentons. Il ne reste plus que nous ! Car nous savons ce que le groupe représentait pour Lemmy. Je sais ce que le groupe représentait pour Eddie et Philthy. Malheureusement, je ne connaissais pas Lucas Fox et Larry Wallis. Pete Gill, je ne l’ai rencontré que deux ou trois fois. Brian Robertson, je le connais un petit peu, mais… Ce sont des membres qui ont été dans le groupe, mais tous les trois, nous avons fait avancer la locomotive tellement longtemps. Phil a été dans le groupe pendant trente et un ans et a fait seize albums ; j’ai fait douze albums avec le groupe – je parle d’albums studio. C’est donc un peu notre responsabilité de continuer à faire vivre la légende de Motörhead, la marque, car les gens refusent d’abandonner Motörhead. Ils refusent ! Car on connaît certains groupes qui déclinent. Les gens les aiment toujours, ce n’est pas qu’ils les oublient, mais ils sombrent et finissent sur les étagères du bas, et y restent. Mais nous, nous n’avons même pas encore atteint le troisième ou quatrième niveau sur l’étagère ! C’est presque comme si le groupe existait toujours, ce qui est vraiment unique, c’est du jamais-vu, parce que les gens refusent de laisser partir le groupe. Ils ne veulent pas admettre qu’il se soit arrêté : « Non, non, non. Peut-être qu’ils joueront au Hellfest l’été prochain ! » Ils y croient presque dans leur for intérieur. C’est ce que je ressens lorsque je parle à des fans. Aucun groupe au monde… J’avais pour habitude de dire qu’il y a quelques groupes comme ça, AC/DC en fait partie, Metallica en fait probablement partie aussi, mais de tous ces groupes, Motörhead est le numéro un, je dirais. Ramones est un groupe aussi qui a une communauté de fans très forte qui n’abandonnera jamais les Ramones. C’était aussi un des groupes préférés de Lemmy, d’ailleurs. Mais partout, ils veulent utiliser le logo, ils veulent intégrer un thème Motörhead dans leur festival, ou avoir une zone Motörhead, ils veulent constamment avoir un lien avec Motörhead… Donc pour répondre à ta question : absolument. Je ressens même un désir encore plus ardent aujourd’hui de transporter l’œuvre de la vie de Lemmy dans l’avenir, et en en ayant fait partie pendant autant de temps, j’ai vraiment le sentiment que nous avons fait quelque chose de véritablement unique. Donc nous devons le faire perdurer, c’est clair.
Les films biopics rencontrent un joli succès ces derniers temps : Bohemian Rhapsody, Rocketman, The Dirt… Avez-vous été contactés pour ça ?
Oui ! Nous adorions le faire. Ce qui est drôle, c’est que Phil m’a appelé il y a deux ans ou un an et demi, et il m’a dit : « Qui va jouer mon rôle ? Il faut que je sache qui serait moi ! » Il était très préoccupé par qui serait Phil Campbell. J’ai dit : « C’est pareil pour moi, Phil ! » Evidemment, moi aussi ça m’intéresse de savoir, mais lui paniquait presque à l’idée que ça se fasse ! Ce n’est pas encore dans les tuyaux, mais nous allons clairement… Je pense qu’il faut que ça se fasse, car comme Lemmy disait toujours : « Motörhead, c’est comme Spinal Tap sans texte. » Ce groupe serait parfait. Il y a tellement de conneries qui se passent sur la route et nous nous éclations tellement, les gens doivent voir le film de l’évolution du groupe, comment les choses se déroulaient, etc. Je sais qu’il y a des discussions. D’autres gens s’en occupent mais je suis sûr qu’ils cherchent les bons acteurs et la bonne société de production pour le faire. Ça demande tellement de boulot. Je suis sûr qu’ils sont dessus. Ce n’est pas encore écrit mais on verra.
Qui aimerais-tu voir jouer ton rôle ?
Je ne sais pas ! C’est une question difficile. J’aimerais que ce soit un parfait inconnu qui joue mon rôle. Et j’aimerais être dépeint – ce serait très important pour moi – de la façon dont on vient de parler, c’est-à-dire que j’ai toujours été tourné vers l’avenir et que j’ai toujours eu une connexion avec les fans. Je leur accorde tout le temps du monde ; quand tout le monde décolle, je suis là au portail à signer des autographes ; il fait moins dix et il neige, et je suis encore là à signer, prendre toutes les photos, jusqu’à ce que tout le monde soit satisfait. C’est tout. Et les fois où je ne le fais pas, j’ai une bonne raison. Donc ce serait sympa à voir. C’est clair.
Je regardais les nominations pour le Rock And Roll Hall Of Fame l’an prochain : Judas Priest, Motörhead, Thin Lizzy. Comment se fait-il que vous n’y soyez pas déjà ?
Les trois groupes, oui ! Personne ne le comprend. Ce sont trois groupes qui auraient dû être là depuis le premier jour. Je ne sais vraiment pas. C’est un peu bizarre cette affaire. Je ne vais pas dénigrer le comité, mais ils cherchent d’autres choses. J’espère vraiment… Nous avons une bonne chance d’y arriver maintenant, et j’espère vraiment qu’ils y réfléchiront à deux fois, pas simplement parce que je suis dans le groupe… Je vois le groupe comme une équipe de hockey ou de football, surtout de football peut-être : tu fais la Coupe du monde, tu joues chaque match, mais il n’est pas assuré à cent pour cent que tu joueras lors de la finale, il se peut que tu la passes sur le banc de touche, et ça ne me pose pas de problème. Il n’est pas nécessaire que je sois au Rock And Roll Hall Of Fame. Motörhead doit être au Rock And Roll Hall Of Fame, avec ou sans moi, et si j’y suis, c’est un super bonus, c’est un plaisir, c’est génial, c’est marrant qu’ils te récompensent comme ça. Je veux juste que le groupe y soit, parce que ce groupe a inspiré énormément de musique pendant quarante ans et il continue à la faire encore aujourd’hui. Ne parlons même pas de Thin Lizzy, enfin, allez ! Je suis super inspiré par Thin Lizzy. Dans le milieu des années 70, c’est tout ce que j’écoutais. Et puis on a Judas Priest, un groupe de heavy metal d’énormes bosseurs ! Iron Maiden, Saxon, Judas Priest, les gars du British Steel, ils auraient dû être au Rock And Roll Hall Of Fame depuis des années !
Interview réalisée en face à face le 30 novembre 2019 par Tiphaine Lombardelli.
Retranscription, traduction & fiche de questions : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Mikkey Dee : www.mikkeydee.com.
Site officiel de Scorpions : www.the-scorpions.com.
nul meme pas un petit mot sur timi hansen qui est récemment décédé et avic qui il a jouer dans King Diamond ! Nul ! Nul Radio Metal Nul!
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Un petit mot sur Timi Hansen :
« Je suis tellement triste que mon frère d’armes nous ait quitté. Nous nous sommes tellement amusés ensemble et quel plaisir c’est de jouer avec un tel bassiste durant nos jeunes années. Mon frère, mon pote, je t’aime mon ami. RIP Timi Hansen ! »
https://www.facebook.com/mikkeydeeofficial/photos/a.1392866457625493/2269081816670615/?type=3&theater
Ainsi est réparée cette énoooorme bévue qui invalide tout le travail effectué sur cette interview.
Que les gens peuvent parfois être excessifs sur internet…
@Spaceman : « Que les gens peuvent parfois être excessifs sur internet… », cela t’étonne toujours après toutes ces années ? 😉
@RM : Cool cette interview 🙂 Et pour avoir vu Scorpions avec Mikkey et sans, il est vrai que le nouveau moteur déchire. Si Scorpions ne jouait pas ses dernières productions un ton en-dessous du reste quand même, quels concerts mémorables aurions-nous !!!
Merci pour cette super interview!! Faut vraiment que je passe à l’Alabama 🙂
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Excellente entrevue ! Je n’ai pas pour habitude de jeter des fleurs mais je l’ai lu (dévoré) avec passion. Ça m’a replongé dans ma jeunesse … Mikkey est un mec bien.
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Ça fait plaisir à lire, merci ! Le bonhomme est un bonheur à interviewer, en tous cas.
Totalement d’accord avec Torpedo et merci tiphaine ^^