Le futur du black metal se trouverait-il en Islande ? Au vu des sorties dont nous a gratifié la scène locale (Svartidauði, Wormlust, Sinmara…) ces dernières années, et l’enthousiasme que les-dites sorties ont suscité (rappelons aussi que Sólstafir a sorti deux demos de black metal au milieu des années 90), on serait tentés de le croire, et nous ne sommes pas les seuls : le Roadburn festival, réputé pour la qualité et l’exigence de sa programmation, a non seulement programmé, mais nommé « artiste en résidence » Misþyrming, les fers de lance de la scène, qui se sont vus ainsi attribuer trois sets et succéder à Enslaved ou Neige (Alcest), rien que ça.
C’est à cette occasion que nous avons pu nous entretenir avec trois des membres du groupe, à quelques rues de l’agitation du festival, et pendant l’un des rares moments d’accalmie de leur planning serré. Au programme : jusqu’à six sets joués avec des groupes et des combinaisons d’artistes différentes, dont le clou du spectacle se nomme Úlfmessa et réunit pas moins d’une dizaine de musiciens. Bref, une activité foisonnante, prétexte idéal pour passer en revue bien des aspects saillants de la scène islandaise, de son fonctionnement à ses influences en passant par sa quasi consanguinité (!).
D.G., H.R.H. et T.Í., qui, en plus de Misþyrming, jouent entre autres dans Naðra, Carpe Noctum et NYIÞ, font preuve autant d’enthousiasme que de contrôle, d’humilité que d’ambition. Une chose est sûre : nous n’avons eu pour le moment qu’un avant-goût de tout ce qu’ils ont à offrir. Présentations :
« Je suis tout à fait d’accord avec le fait de dire que nous avons une attitude punk. […] Le punk, c’est une sorte de black metal très primitif après tout. »
Radio Metal : Tout d’abord, qu’est-ce que cela représente pour vous d’être ici, non seulement de jouer au Roadburn mais aussi d’être artiste en résidence ? C’est un achèvement en soi, surtout aussi tôt dans votre carrière !
D.G. (guitare, voix) : Oui, nous en sommes tout simplement très heureux.
H.R.H. (batterie) : C’est énormément de travail, cela dit. Notre planning est chaque jour plein à craquer et il faut encore que nous trouvions du temps pour bouger notre matériel d’une scène à l’autre, pour faire des interviews…
À combien de sets participez-vous exactement ? Au moins trois ?
T.Í. (guitare) : Moi, six, deux par jour.
D.G. : … Et nous, quatre et demi, disons.
Aujourd’hui se déroulera la troisième Úlfmessa [messe des loups]. Je ne sais pas si vous voulez en parler à l’avance, mais que pouvez-vous nous en dire ? Vous en avez déjà fait deux, peut-être que vous pouvez nous parler de celles-ci ?
Les précédentes ont été faites avec l’intention de prendre le meilleur de chaque groupe y participant et de le fusionner en un rituel fondé sur un mélange d’esthétiques. Le groupe NYIÞ en est un peu le centre : leur allure, les instruments qu’ils jouent et l’atmosphère qu’ils créent leur donnent une dimension grandiose et théâtrale.
H.R.H. : Nous sommes parvenus à incorporer tous ces groupes de black metal dans une sorte de rituel. C’est une sorte de showcase ritualisé de tous les groupes impliqués, disons.
T.Í. : Il y avait un thème pour chacun des rituels réalisés. Il peut y avoir quelques variations, mais de manière générale, c’est la musique qui en est le principal catalyseur, et qui permet au public d’accéder aux états recherchés. Le premier rituel était surtout centré autour des aspects masculins, lucifériens, flamboyants et destructeurs, ce qui explique pourquoi nous avons fini par détruire la salle où il a eu lieu. Et puis le second tournait plutôt autour des aspects féminins, mystiques, magiques et sombres… Deux faces d’une même pièce. Le troisième sera l’entre-deux, et donc sans doute très déséquilibré et contre-nature, mais il est censé donner naissance à quelque chose de plus grand.
Est-ce que vous pensez que vous en ferez d’autres ?
H.R.H. : Sans doute pas.
T.Í. : Si nous sommes amenés à faire quelque chose de ce genre à nouveau, ça aura un autre nom et ce sera selon ses propres termes, sans doute complètement différents.
Est-ce que ça a une signification spéciale pour vous que cet événement ait lieu non pas sur votre territoire, mais dans Het Patronaat qui est une ancienne église ?
H.R.H. : Chacune de ces Úlfmessa a été jouée dans une salle différente, tout simplement parce que la salle de la première a été détruite. La seconde s’est déroulée dans un lieu plus grand, et cette fois-ci, c’est un lieu plus grand encore.
D.G. : J’aime bien le fait que si les deux premières avaient à peu près le même public – c’était à l’occasion du même festival [ndlr : Eistnaflug] en Islande –, cette fois-ci des gens extérieurs à notre pays ont la chance d’y participer au Roadburn. Ça devrait être une belle apothéose.
Misþyrming a joué hier un set composé uniquement de nouvelles chansons me semble-t-il. Est-ce que c’était un album qui est prêt – ou presque – et sortira à peu près en l’état, ou étaient-ce des choses sur lesquelles vous êtes en train de travailler en ce moment ?
Je préfère ne pas trop en parler, mais la plupart des chansons sont prêtes et sous une forme qui ne devrait pas différer beaucoup des versions finales. C’était uniquement des choses nouvelles, mais pour ce qu’elles sont amenées à devenir… L’avenir le dira !
Est-ce que la pochette de votre album Söngvar Elds Og Oreiðu est une peinture de John Martin ?
[Tous ensemble] : Oui !
Et pourquoi l’avez-vous choisie ? Je trouve qu’elle colle très bien à votre musique, le feu et la démesure vont bien avec l’énergie presque punk qu’on entend dans ce projet…
D.G. : Oui, c’est ça. Pour la pochette comme pour les paroles, j’ai toujours la musique en premier, et le reste suit, inspiré par la musique. Comme tu le dis, ça va bien ensemble !
H.R.H. : C’est complémentaire.
D.G. : Et je suis tout à fait d’accord avec le fait de dire que nous avons une attitude punk. Nous aimons le punk – certains groupes de punk, du moins. Le punk, c’est une sorte de black metal très primitif après tout. On y retrouve toujours les mêmes vestes en cuir et la même sorte d’attirail !
« [Les groupes de black metal français] ont de la fluorite, et nous, nous avons du souffre ! [rires] »
Qu’est-ce que vous pensez de la hype qu’il y a autour de vous ces derniers temps ? Vous êtes une scène un peu isolée, vous êtes jeunes, vous avez votre propre label… On a l’impression que pas mal de monde a envie de voir en vous une sorte d’équivalent de la scène norvégienne des années 90. Qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que la comparaison vous flatte, ou est-ce qu’elle vous entrave ?
H.R.H. : Ça ne nous entrave pas du tout !
D.G. : C’est d’abord un honneur, et ensuite, c’est gratifiant de voir notre travail reconnu.
H.R.H. : Mais en même temps, nous ne nous y attendions pas du tout. Ça a fait boule de neige. Les choses se sont mises à grossir de plus en plus et de plus en plus vite. Au bout d’un moment, c’est devenu hors de contrôle. Nous laissons cette publicité faire le boulot.
Il y a quelques mois a eu lieu le festival Oration MMXVI. J’imagine que c’était un gros événement pour votre scène ?
D.G. : C’était logique que quelque chose comme ça soit organisé vu l’effervescence de la scène en ce moment. Et le mec qui est derrière tout ça a enregistré beaucoup de ces disques de black qui sont sortis ces dernières années.
Il me semble que l’un des premiers groupes de black islandais à attirer l’attention à grande échelle était Svartidauði. Est-ce que vous les considérez comme des références, ou qu’ils vous ont ouvert la voie d’une certaine manière ?
Ce sont de bons amis maintenant, nous les avons vu jouer des milliers de fois.
H.R.H. : Nous avons aussi joué avec eux à pas mal de reprises.
D.G. : Clairement, nous aimons beaucoup leur musique. Et évidemment, aller à un concert de black metal et voir un groupe comme Svartidauði a un gros impact quand tu commences à songer à former un groupe.
T.Í. : Mais ça va dans les deux sens, parce qu’il y a tellement de groupes de black en Islande en ce moment et tout le monde se connaît, donc tout le monde travaille ensemble. C’est une scène qui marche de manière collaborative.
Vous avez d’ailleurs votre propre label, Vánagandr : est-ce que vous l’avez fondé par nécessité, pour vous fédérer ou pour faire les choses comme vous le voulez ?
D.G. : Ce n’était pas tant pour nous fédérer que pour proclamer haut et fort que nous avons plein de super trucs à sortir en ce moment…
T.Í. : En fait, nous nous sommes juste dit que nous avions envie de nous y prendre comme ça. Nous avions quatre choses à sortir qui commençaient à s’empiler et nous n’avions même pas commencé à réfléchir à qui nous pourrions demander de les sortir, donc nous nous sommes dit : « Et si nous le faisions nous-même ? », tout simplement. Pour commencer nous avons fait une série de cassettes que nous copiions nous-mêmes chez nous, et au fur et à mesure, de plus en plus de gens nous ont passé commande, et nous avons fini par faire des pro tapes parce qu’être DIY jusqu’au bout nous aurait vraiment pris énormément de temps.
D.G. : Et puis elles sont plus belles quand elles sont fabriquées de manière professionnelle. C’est un autre projet qui s’est avéré être un succès ! Nous avons eu l’idée de nous y mettre parce que d’autre labels de cassettes avaient commencé à faire ce genre de truc au sein de leur propre scène. Nous nous sommes juste dit : « Nous avons trois ou quatre albums sur le feu, certains sont déjà prêts, donc allons-y, sortons-les ! »
Vous ne sortez que vos productions ou vous travaillez avec d’autres groupes ?
T.I. : Nous sortons tous les groupes dans lesquels nous jouons, mais aussi parfois des groupes dans lesquels nous ne jouons pas. Nous avons sorti l’album de Sinmara en cassette l’année dernière. Nous demandons à droite à gauche si des gens veulent que nous sortions leurs albums ; parfois ils sont intéressés, parfois non. Les deux nous conviennent ! [rires]
D.G. : Nous avons pas mal de projets en cours, l’avenir dira l’ampleur du rôle que nous jouons dans la scène exactement.
Comment gérez-vous le fait de jouer dans autant de groupes ? Comment passez-vous d’un projet à l’autre ? Quand vous écrivez par exemple, vous savez déjà pour quel projet ce sera ?
Chaque groupe a une identité propre, est composé de personnes différentes et est une combinaison de compositeurs unique, voilà leurs caractéristiques propres, et ce qui les différencie les uns des autres.
H.R.H. : Il y a différents esprits créatifs dans chaque groupe, mais pour être honnête… L’une des raisons principales pour lesquelles nous avons tant de membres en commun, c’est tout simplement la disponibilité : nous sommes déjà tous dans le même local de répèt, donc l’un va demander : « Hé, tu peux jouer de la batterie pour nous ? » et l’autre va répondre : « OK ! » [rires]
D.G. : Oui, en gros, ça se passe comme ça, et c’est d’ailleurs comme ça qu’il [H.R.H.] s’est retrouvé dans Naðra!
« Tout le monde a des liens de parentés avec tout le monde ici ; en gros, tu peux donc dire que la scène est à la fois très soudée, et très dégénérée [rires]. »
Souvent, les chroniques de disques de black metal islandais vont à un moment ou un autre mentionner les paysages islandais. C’est quelque chose qui arrive souvent quand on parle de black metal parce que chaque pays, chaque scène a un…
Héritage ?
… très fort, exactement. Est-ce que vous trouvez ça pertinent en ce qui vous concerne ?
H.R.H. : Tu ne peux pas nier que la nature autour de toi, ou plus simplement ton environnement, va avoir une influence sur toi d’une manière ou d’une autre, mais je pense que c’est surtout un processus inconscient. Ce n’est pas une influence directe sur toi, mais ça peut l’être plus ou moins en fonction des projets.
D.G. : Oui, ça dépend des personnes et des groupes. Certains vont plus rechercher l’influence de leur environnement que d’autres.
Il y a eu un long article à propos de la scène black islandaise sur une site qui s’appelle The Grapevine, et qui se trouve être le site touristique de la ville de Reykjavik. Du coup, je me demande quelle est la place du black metal dans le monde de la culture islandaise, et dans quelle mesure l’intérêt suscité par la scène black peut être lié à un intérêt plus général pour la culture islandaise…
D.G. : En dehors de notre pays, les seules personnes qui connaissent nos groupes sont celles qui savent où chercher. En Islande en revanche, un article comme celui-ci et quelques autres nous ont amené pas mal d’attention, comme le fait de jouer au Roadburn d’ailleurs, c’est le genre de chose que les gens remarquent.
H.R.H. : Les gens ont simplement dû remarquer que ces dernières années, il y a plein d’albums tenant vraiment la route qui sont sortis de notre scène, donc à partir de ce moment-là, c’est normal de se demander ce qu’il se passe par ici… Je pense que c’est ça qui a lancé l’effet boule de neige, d’ailleurs.
Peut-être que mes impressions sont biaisées parce que je suis française et que j’écoute pas mal de black français, mais c’est aussi quelque chose qui a été souvent pointé au sujet de votre scène : l’influence d’un groupe comme…
[Tous ensemble] : Et voilà !
… Deathspell Omega est souvent mentionnée, mais j’irais même jusqu’à dire que j’entends aussi des influences d’un groupe comme Aosoth chez Misþyrming, ou même de Peste Noire sur une chanson comme “Söngur uppljómunar” par exemple…
D.G. : Complètement !
T.Í. : Nous adorons la scène française, de Blut Aus Nord aux trucs old school des Légions Noires… Ce n’est pas un secret, mais ce n’est pas notre seule source d’inspiration non plus.
D.G. : Cela dit, je ne sais pas ce qu’il y a dans l’eau chez vous !
T.Í. : Ils ont de la fluorite, et nous, nous avons du souffre ! [rires]
D.G. : Je trouve que la scène black française est, et depuis un moment d’ailleurs, l’une des meilleures au monde.
Alors que la scène française est relativement éparpillée et disparate, avec des individualités très fortes, la votre se distingue par la grande impression de cohésion qu’elle dégage. C’est peut-être juste une question de taille, cela dit…
Oui… Ici, la moitié du pays vit dans la région de la capitale, donc c’est impossible de ne pas connaître les autres groupes.
H.R.H. : Tout le monde a des liens de parentés avec tout le monde ici ; en gros, tu peux donc dire que la scène est à la fois très soudée, et très dégénérée [rires].
D.G. : La femme de T.Í. est ma nièce, par exemple !
T.I. : Et nous ne nous en sommes rendus compte que lorsque nous avons rendu visite à l’arrière-grand-mère de ma femme, qui se trouve donc être la grand-mère de D.G. et qui avait une photo de lui accrochée au mur…
H.R.H. : Nous avons une histoire similaire au sein de Carpe Noctem : l’un des guitariste et moi avons découvert que nos arrières-grand-mères étaient sœur cinq ou six ans après que nous nous soyons rencontré. Nous nous sommes dit : « Oh, nous sommes cousins en fait ! »
Dernière question avant que vous alliez vous préparer pour votre prochain set : qu’avez-vous de prévu pour la suite ?
D.G. : Nous allons passer l’année à faire pas mal de concerts à l’étranger, voilà ce qui va nous occuper pour le moment, et nous espérons en faire encore plus en 2017, ça va dépendre de notre emploi du temps… Et puis nous préparons pas mal de choses avec tous nos groupes !
Interview réalisée en face à face le 15 avril 2016 par Chloé Perrin.
Retranscription & traduction : Chloé Perrin.
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