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Interview   

Monolithe : dans le secret des explorateurs


Monolithe est assurément un groupe qui a des choses à dire. La formation française n’a cependant pas choisi la voie de la simplicité ou du formatage pour développer son propos et son esthétique. Comme les groupes dont il s’est inspiré à ses origines, il se veut plus complexe sans pour autant se revendiquer de l’avant-gardisme et cherche toujours à évoluer avec une proposition nouvelle, d’abord pour ne pas s’ennuyer et se lasser et ensuite pour trouver du sens à sa musique. C’est en cela que Kosmodrom est un album de doom qui ressemble assez peu à ses semblables : il est un pavé audacieux qui se prêtera à l’oreille de l’auditeur qui veut aller plus loin, en quête d’exploration.

De Paradise Lost à Massive Attack, le panel musical des influences plus ou moins conscientes de Sylvain Bégot présente un horizon assez large, avec cette volonté de ne pas se répéter et d’innover dans son propre style. Dans la discussion qui suit, le musicien ne cache pas son appétence à relever des défis artistiques et sa fascination pour les hommes qui prennent des risques en général. Il manifeste également un intérêt à la discussion étayée et au débat, c’est aussi ce qui l’a amené à lancer son podcast Dans Le Secret Des Dieux, qui propose une approche quasi universitaire autour du metal et de ce qui l’entoure. C’est d’ailleurs sur la plateforme virtuelle qu’il utilise pour enregistrer son podcast que nous nous sommes donné rendez-vous pour cette interview.

« Quand tu as déjà sorti quelques albums, il faut trouver un intérêt à sortir un album de plus. Il faut que je trouve une thématique ou quelque chose qui me donne envie de m’y coller et que j’ai une espèce de puzzle à résoudre. »

Radio Metal : Vous avez officiellement sorti votre précédent album, Okta Khora, en janvier 2020. Officiellement, car la sortie a en réalité été avancée, précipitée au mois de novembre 2019 en raison d’une fuite de l’album sur internet en très basse qualité. Vous aviez programmé un plan promotionnel assez dense et tout est tombé à l’eau. Quelles ont été les conséquences de cela pour vous ?

Sylvain Bégot (guitare & claviers) : Déjà, concernant la fuite, effectivement, nous avons sorti la version digitale à l’avance, pas les versions physiques, qui sont sorties à la date prévue. D’ailleurs, c’est marrant parce qu’on voit sur les sites deux dates de sortie différentes pour cet album, mais nous considérons que la date de sortie initiale, c’est-à-dire en janvier 2020, est la bonne, et non celle de novembre 2019. Ce que nous voulions éviter avec la fuite, c’est surtout que les gens écoutent l’album dans une qualité médiocre. C’est pour cela que nous avons un peu précipité la sortie digitale. Oui, c’est sûr que ça a un petit peu foutu en l’air la promo qui était prévue, mais avec le recul, je dirais que ce n’est même pas ça le pire. Le pire, c’est que l’album est sorti juste au moment où le Covid-19 est arrivé, donc rien ne s’est fait comme prévu. La promo a été plus complexe à faire parce que beaucoup de choses se sont arrêtées. Moi-même, je n’ai pas souhaité rester en France pendant le confinement, donc j’étais un petit peu moins disponible. Et puis, par la force des choses, les gens ont cessé de sortir, d’acheter des CD, etc. Ça a donc été un petit peu compliqué pour cet album-là. En termes purement de ventes, notamment physiques, c’est pratiquement quand l’album est sorti qu’il s’est le moins vendu, parce que les circonstances de sa sortie ont été doublement pénalisées.

L’album avait fuité sur un site de torrent assez obscur, il y avait quand même peu de chances qu’une partie du public tombe dessus. Donc même si au final, ça ne change pas grand-chose avec le Covid-19 qui est venu après, vous n’avez pas un peu regretté cette décision ?

Si ça devait être à refaire, peut-être que nous aurions fait différemment. Disons que de la part du groupe comme du label, il y a eu une légère panique, mais nous nous rendons compte maintenant qu’une grande partie de notre public, celui qui est fidèle à Monolithe, achète beaucoup de physique. Finalement, vis-à-vis de ce public-là, ça n’aurait pas changé grand-chose. Je sais aussi, pour avoir eu de nombreux retours de la part de fans un peu partout dans le monde, qu’eux préfèrent de toute façon ne rien écouter avant d’avoir une version physique dans les mains. Ta question est donc assez pertinente, dans le sens où il fallait qu’il y ait cette expérience pour que nous sachions qu’en fait, ça ne sert un peu à rien de se battre contre ça. C’est quelque chose qui peut arriver et puis pour un groupe de notre stature – nous ne sommes pas Metallica ou quoi – ça n’a pas une importance démesurée. D’ailleurs, pour compléter ma réponse, on a fait quelque chose de différent avec Kosmodrom : nous commençons la promo beaucoup plus tard. C’est une indication spécifique que nous avons donnée au label, parce que nous trouvons aussi que commencer la promo trop tôt, ça ne sert à rien. Ça multiplie les risques de fuites et les gens n’ont pas besoin d’être informés six mois à l’avance comme avant. C’est fini ce temps-là. Les gens reçoivent des notifications Spotify et suivent les réseaux sociaux, donc ils sont au courant bien assez tôt.

Monolithe est un projet qui casse les codes à plusieurs niveaux. Si on devait vous catégoriser assez grossièrement, on dirait que c’est du death doom mélodique, mais vos inspirations sont bien plus variées, notamment pour ce nouvel album. C’est difficilement une musique qu’on pourrait qualifier de purement mélancolique puisqu’il y a quand même beaucoup de passage très lumineux. C’est aussi porté par des thématiques très orientées vers l’espace et la science-fiction. Est-ce que l’intention a toujours été identique dans le groupe ou bien, pour toi, il y a eu des évolutions depuis la création du projet ?

Au début du groupe, je souhaitais déjà me démarquer un petit peu des autres groupes de doom – car nos racines sont dans le doom au sens large, même si c’est plus doom death/extrême. Nous n’avons jamais complètement été déraciné. Je dirais qu’encore aujourd’hui nous faisons du doom, même si les frontières du doom avec d’autres styles sont un peu plus poreuses, un peu plus élastiques qu’avant. En fait, c’est un peu des deux. Je considère que nous restons toujours ancrés dans notre style, nous avons toujours nos racines, tu trouveras toujours du doom dans Monolithe. En même temps, l’envie de nous démarquer de ce que nous faisions au début pour faire autre chose, car Kosmodrom est déjà notre neuvième album, vient du fait que ce n’est pas très intéressant de sortir constamment le même album. Et puis, au fil du temps, on évolue. Quand Monolithe a commencé, j’étais jeune, j’avais une vingtaine d’années, aujourd’hui j’en ai quarante-cinq. La musique que j’écoute, mes envies musicales et mon expérience ne sont plus du tout les mêmes. Nécessairement, ça se retrouve d’une manière ou d’une autre dans la musique, ce qui la fait évoluer. Et comme beaucoup de groupes, je dirais que notre identité propre s’est vraiment créée au fil du temps avec l’expérience. Vous connaissez le proverbe : c’est en forgeant qu’on devient forgeron. C’est en faisant de la musique qu’on devient de meilleurs musiciens. Au début, on est apprenti, on reproduit certains codes qu’on connaît, qu’on a entendus chez d’autres groupes, puis plus le temps passe, plus on a l’habitude de composer et de jouer de la musique, et plus on trouve son propre terrain.

Une des particularités de Monolithe est aussi qu’il y a une sorte de jeu mathématique : après Monolithe IV, vous avez systématiquement proposé des compositions aux durées exactement équivalentes, quinze minutes pile sur Epsilon Aurigae et sur Zeta Reticuli, sept minutes sur Nebula Septem, quatre et huit minutes sur Okta Khora. Était-ce pour toi d’abord un défi en tant que compositeur de faire ça ?

Oui. C’est à la fois un challenge que je me suis donné et une motivation supplémentaire pour me remettre au travail. Je suis quelqu’un qui a besoin d’avoir des objectifs. Quand tu as déjà sorti quelques albums, il faut trouver un intérêt à sortir un album de plus. Il faut que je trouve une thématique ou quelque chose qui me donne envie de m’y coller et que j’ai une espèce de puzzle à résoudre. Quand nous avons commencé à jouer sur ça à partir d’Epsilon Aurigae, il fallait trouver une méthodologie pour faire des morceaux de quinze minutes pile qui tiennent la route. Méthodologie que j’ai affinée sur Nebula Septem, parce que ça peut paraître étrange de dire ça, mais faire des morceaux de sept minutes, c’est plus difficile que quinze minutes, car tu dois condenser un peu plus ton propos, tu dois sortir quelque chose d’un peu plus ciselé, donc il fallait aller plus loin. Maintenant, je sais le faire, je l’ai fait. Sur Kosmodrom, il y avait d’autres envies, d’autres besoins. C’est pour ça que sur celui-ci, nous avons arrêté de faire ça.

« Dans le film 2001 : L’Odyssée De L’espace, le monolithe est un artefact extraterrestre et sa particularité est d’être de forme parfaitement rectangulaire, ce qui implique que ce n’est pas une création de la nature. C’est exactement ce que nous faisons en ayant ce genre de concept et d’artwork. D’une certaine manière, il y a une symbolique sur le fait que tout cela ne peut pas être naturel, que c’est créé par quelque chose d’intelligent. »

Était-ce aussi pour soigner une esthétique, appuyer ce concept d’asymétrie, de rapport art/science ? Car c’est une esthétique qui est présente sur vos artworks également avec plein de figures géométriques.

Oui, complètement. Ça fait partie de notre esthétique. En fait, dans cette esthétique, il y a quelque chose de sous-jacent : dans nos textes, nous parlons beaucoup de vie extraterrestre ou d’absence de vie extraterrestre. Comme vous le savez, dans le film 2001 : L’Odyssée De L’espace, dont le nom du groupe est issu, le monolithe est un artefact extraterrestre et sa particularité est d’être de forme parfaitement rectangulaire, ce qui implique que ce n’est pas une création de la nature. C’est exactement ce que nous faisons en ayant ce genre de concept et d’artwork. D’une certaine manière, il y a une symbolique sur le fait que tout cela ne peut pas être naturel, que c’est créé par quelque chose d’intelligent. Il y a tout ce concept, toutes ces idées derrière tout ce que nous faisons dans Monolithe.

N’y a-t-il pas aussi un parallèle avec cette volonté de dépasser les codes stylistiques du doom qui se confronte à ce côté très mathématique, géométrique ? Est-ce que ce ne serait pas une manière de mimer le paradigme scientifique qui est remis en cause en permanence, en portant le sujet au-delà de lui-même ?

Il y a peut-être un peu de ça. Effectivement on peut voir un rapport avec la science à l’inverse de la nature. Encore une fois, la science est quelque chose de profondément lié à l’intellect, dans notre cas, avec Monolithe, qu’il soit humain ou extra-humain, en l’occurrence extraterrestre. Je pense que cette manière de voir les choses est assez juste. Je ne suis pas sûr de répondre correctement à ta question. C’est très difficile à verbaliser !

Avant même de remarquer la reprise de « Special Cases » de Massive Attack sur les bonus, nous avons instantanément pensé au groupe de trip-hop dès le titre d’ouverture « Sputnik-1 ». Là encore, Massive Attack est un groupe qui a cassé les codes pour révolutionner la musique : t’a-t-il inspiré pour ce nouvel album ? Et, par extension, est-ce que la musique électronique en général t’a ouvert en tant qu’artiste et compositeur ?

D’une manière générale, je suis assez fan des artistes qui sortent de l’ordinaire, donc effectivement, Massive Attack est un groupe que je suis depuis longtemps. Est-ce que Massive Attack m’a inspiré ? Je dirais peut-être de manière un peu inconsciente. D’ailleurs, c’est curieux que vous disiez que vous avez senti du Massive Attack dans « Sputnik-1 ». Personnellement, je n’y aurais pas pensé, mais quelque part, ça fait sens. Comme nous parlions de casser les codes, je n’hésite pas à mettre dans la musique de Monolithe, donc le doom, quelque chose qui normalement ne doit pas faire partie de cet univers-là, donc sans que ce soit forcément conscient pour moi, c’est possible que des artistes comme Massive Attack m’aient influencé. En fait, je vois l’inspiration comme une espèce de grande marmite dans laquelle on met différents ingrédients. C’est un peu le gloubi-boulga de Casimir. Sauf que le gloubi-boulga, c’est indigeste et nous, nous faisons le nécessaire pour que ça ne le soit pas, qu’il y ait quand même une cohérence. Au-delà de la volonté consciente de sortir des carcans du doom… Par exemple, ce que vous pouvez remarquer chez Monolithe, c’est que les ambiances un peu romantiques comme il y a souvent dans le doom, nous n’en faisons pas du tout. Nous avons beaucoup d’atmosphères plutôt mystérieuses, un peu angoissantes, ou lumineuses, comme tu l’as dit tout à l’heure. Mais il y a aussi quelque chose d’un peu plus inconscient qui est l’ensemble des choses qui, en tant que compositeur, m’ont nourri. Effectivement, ça va au-delà du doom et même du metal.

Kosmodrom est présenté un peu comme un compendium. C’est un terme qui peut autant s’appliquer au cheminement thématique qu’à la multiplicité musicale dont nous avons déjà pu parler. Est-ce que la diversité stylistique est le fruit d’une intention présente dès le départ ou alors est-ce davantage le résultat du parcours de composition ?

C’est un peu des deux. J’essaye de faire en sorte que l’album ne soit pas monotone et linéaire, parce que c’est ce que je reproche à beaucoup d’albums de metal. Une fois que tu as écouté les trois premiers titres, il y a ensuite une certaine monotonie qui s’installe. Ce n’est pas seulement lié à des ressorts de composition, c’est lié aussi à des ressorts de production. Toujours est-il qu’aujourd’hui, j’apprécie plus des albums qui proposent une certaine diversité, tout en n’étant pas non plus trop éparpillés. C’est là toute la difficulté de trouver la bonne mesure. En même temps, quand tu te laisses entraîner dans une compo et que tu as des envies de faire sonner telle ou telle partie de telle ou telle manière, au bout d’un moment, il y a quelque chose qui échappe. Tu te laisses un petit peu guider par ton inspiration. Dit comme ça, ça donne un côté un peu mystique, mais ce n’est pas le cas, ça reste beaucoup de travail. Il peut m’arriver parfois de me dire : « Bon, qu’est-ce que je vais mettre après ? » Et c’est en réécoutant et en étant en immersion dans ce qui a déjà été composé pour un morceau, sans trop y réfléchir, que j’imagine la suite sans trop me poser la question de la place de cette partie dans l’ensemble de l’album. Les choses sont très pensées, mais pas non plus à un point extrême. Il y a beaucoup de choses qui sont faites sur le moment, dans l’inspiration du présent.

« En fait, je vois l’inspiration comme une espèce de grande marmite dans laquelle on met différents ingrédients. C’est un peu le gloubi-boulga de Casimir. Sauf que le gloubi-boulga, c’est indigeste et nous, nous faisons le nécessaire pour que ça ne le soit pas, qu’il y ait quand même une cohérence. »

Le communiqué de presse parle des albums de Monolithe comme des œuvres exigeantes. Est-ce que, aujourd’hui, ce besoin d’exigence est ce qui t’intéresse dans la musique en général ou est-ce simplement ce que toi, tu désires faire en tant qu’artiste ?

Je dirais que ce n’est pas uniquement un désir, c’est quasiment un sacerdoce dans le sens où je ne serai pas forcément capable de faire autre chose que ça. Monolithe, c’est vraiment l’expression la plus brute de mon univers musical. Je n’aime pas trop ce vocabulaire, « univers musical », etc. qui vient beaucoup de la téléréalité, mais ça touche quand même quelque chose d’assez juste. Moi, en tant qu’individu, ma musique me représente. Si j’essayais de faire autre chose, si j’essayais de faire du punk, par exemple, ça ne serait pas intéressant. Je suis techniquement capable d’en faire ou je suis techniquement capable de faire du black metal, mais est-ce que ce serait intéressant ? Je ne sais pas. Il s’avère que – je dis ça humblement – quand je fais cette musique-là, je la trouve intéressante, donc elle vaut la peine d’être sortie. Il y a quelques années, j’avais un projet de synth wave. Je voulais en faire parce que j’étais tombé complètement sous le charme de groupes comme Carpenter Brut et Perturbator – surtout ces deux-là. J’ai commencé à composer des trucs, mais ce qui sortait ne me paraissait pas assez intéressant pour être écouté. Ce n’était tout simplement pas mon univers. Je n’avais pas énormément de choses à exprimer là-dedans. Techniquement, c’était correct, mais je ne me voyais pas sortir un album et en faire la promotion en proposant ça à des gens, alors que c’était juste un album de synth wave de plus, certes, foutu correctement, mais sans valeur ajoutée. C’est la valeur ajoutée qui m’intéresse.

Quand on parle d’exigence, c’est vraiment une exigence de faire de la musique de bonne qualité. Ce n’est pas une exigence technique ou de faire des choses avant-gardistes. Au contraire, ça aurait plutôt tendance à m’emmerder. J’aime les artistes qui ont des choses à dire et à raconter. Ça peut être très simple, mais il faut que, d’une certaine manière, je trouve ça suffisamment intéressant et passionnant pour que je l’écoute et que je passe du temps dessus. Je vais donner un exemple très simple : je suis un grand fan de Paradise Lost et je trouve que c’est un groupe qui sait vraiment faire ça. Ils n’ont pas un niveau technique hallucinant, ils ont même parfois tendance à se répéter un peu, mais c’est un groupe qui sait à la fois avoir une musique de grande qualité, avec une certaine exigence sur plein d’aspects, et rester de l’entertainment. Pour moi, l’aspect ludique de la musique est super important. Je ne peux pas écouter des trucs complètement inécoutables juste parce que c’est avant-gardiste ou super technique. Ça ne m’intéresse pas. Par exemple, tout ce qui est la scène death technique, j’ai une certaine admiration pour les mecs qui savent super bien jouer, mais quand j’écoute, je m’emmerde, ça me fait chier, ça ne m’intéresse pas. J’ai besoin qu’on me crée vraiment un univers particulier, immersif, peu importe les outils techniques ou autres avec lesquels on y arrive.

Est-ce que la frustration que tu as eue en ne faisant pas de synth wave explique que tu as repris Carpenter Brut à la sauce Monolithe, avec tes outils et ton savoir-faire, sur le disque bonus ?

Oui, on peut dire ça. « Frustration », c’est un mot un peu fort, mais on va dire qu’il y avait cette « légère frustration » qui s’est du coup transformée en reprise de ce groupe. Mais c’est aussi parce que, quand j’ai écouté Carpenter Brut et notamment ce morceau, « Invasion A.D », déjà il y a quelques années quand j’ai découvert le groupe via la compilation Trilogy des trois premiers EP, je me suis dit que ça ferait un super morceau de metal instrumental. J’aime bien les vieux instrumentaux, genre « Switch 625 » de Def Leppard, qui sont en milieu ou en fin d’album. Je me suis dit que ce titre-là remplirait bien cet office. Finalement, il s’est retrouvé sur un album de reprises plutôt qu’un vrai album, puisque c’est une reprise, donc ce n’était pas intéressant de le mettre sur un album. Mais voilà les raisons qui m’ont fait me tourner vers Carpenter Brut et ce titre en particulier.

Avant de revenir sur cet album de reprises, l’album se concentre à nouveau, en partie, sur l’univers cosmique et les récits de science-fiction, mais d’un point de vue beaucoup plus humain, puisqu’il explore la fascination de l’humanité pour la découverte de l’espace, notamment à travers la conquête spatiale, mais du point de vue du côté soviétique. Pourquoi avoir choisi ce point de vue ?

Dans tous les médias, que ce soit cinéma, littérature ou autres qui explorent ou ont exploré cette thématique, c’est quasiment toujours vu du côté américain. Le côté américain est donc extrêmement bien renseigné, alors que le côté russe est un petit peu négligé, ce qui est dommage, je trouve, parce que même si je ne veux pas remettre en cause l’exploit américain – ils étaient très forts et ils le sont toujours dans le domaine de la conquête spatiale –, chez les Russes, il y avait un petit truc supplémentaire. Déjà, c’est un régime autoritaire qui a envoyé des gens au casse-pipe dans l’espace, dans des espèces d’engin en carton – j’exagère à peine –, et ces gens ont réussi des choses incroyables. En plus, les Russes ont été les premiers à envoyer un être vivant dans l’espace. Ils ont aussi été les premiers à avoir fait une sortie spatiale. Ils étaient donc très forts et c’était « intéressant » de leur rendre hommage à cet égard. Il y a aussi quelque chose que nous avons exploré avec le groupe depuis deux ou trois albums, c’est l’imagerie totalitaire. Tous les régimes totalitaires ont créé une esthétique que je trouve assez peu exploitée dans l’art. Je considère qu’en tant qu’artiste, on peut récupérer absolument tout. En plus, ce qu’on pourrait qualifier de méfaits des régimes totalitaires, aujourd’hui c’est du passé, c’est de l’histoire, donc on peut reprendre certains codes. Vous avez peut-être pu voir que dans l’artwork de Kosmodrom, il y a des choses très géométriques, très carrées, vous en avez parlé tout à l’heure, et ça vient vraiment de l’esthétique totalitaire. Ça nous intéressait d’explorer ça aussi. Il y a un côté un peu fascinant là-dedans, ça fait partie aussi du charme supplémentaire que nous voulions rajouter à la conquête de l’espace, ce côté un peu dur, froid et autoritaire qu’il y avait aussi derrière la conquête spatiale chez les Russes.

« Quand on parle d’exigence, c’est vraiment une exigence de faire de la musique de bonne qualité. Ce n’est pas une exigence technique ou celle de faire des choses avant-gardistes. Au contraire, ça aurait plutôt tendance à m’emmerder. J’aime les artistes qui ont des choses à dire et à raconter. »

Je dois quand même préciser – parce que c’est important pour moi – que ces éléments historiques repris de l’Union soviétique sont plutôt des métaphores. Le vrai thème de l’album n’est pas la conquête de l’espace du côté URSS, c’est le fait d’être pionnier de quelque chose, de découvrir. C’est l’exploration et l’unicité qui sont des thèmes récurrents chez Monolithe, jusque dans le nom du groupe. Cette fois, c’était l’occasion de se pencher sur ces thèmes d’une autre manière, car comme tu me faisais la remarque au début de ta question, dans le passé, nous avons beaucoup parlé de science-fiction et d’espace, mais de manière beaucoup plus métaphysique, jusqu’au tournant qu’a été Nebula Septem sur lequel nous parlions plus de l’âge d’or de la science-fiction, avec des histoires de voyage dans l’espace, de civilisations extraterrestres, etc. Pour ce nouvel album, je voulais revenir sur Terre, être au début de l’ère spatiale, et recommencer un nouveau cycle à partir du début.

C’est finalement un album qui parle davantage de l’homme avec ses interrogations, son désir de conquête et d’emprise sur quelque chose qui le dépasse, que sur l’espace en lui-même.

Exactement, la découverte de l’espace est une métaphore. D’ailleurs, le dernier titre de l’album, qui s’appelle « Kosmonavt », commence par aussi une métaphore qui est celle de la navigation maritime, car beaucoup d’exploration s’est faite par bateau dans l’histoire de l’humanité. Les premières lignes font un parallèle : peut-être que dans un futur proche ou lointain on naviguera dans l’espace comme on naviguait avant sur les mers. C’est la même chose, il y a une soif de découverte derrière et il y a des hommes dans un vaisseau, qu’il soit maritime ou spatial, qui vont aller vers l’inconnu – en terra incognita.

A quel niveau t’es-tu identifié à ces hommes qui se questionnent et se passionnent pour l’espace ?

Je ne m’identifie pas, je n’ai pas du tout le courage de ces hommes. J’ai toujours de l’admiration pour les gens qui prennent des risques, qui sortent de leur zone de confort et qui vont jusqu’à mettre leur vie en jeu pour une espèce d’idéal, et notamment cet idéal qui est de découvrir de nouvelles choses. Ça peut être des gens qui se mettent physiquement en danger, comme des explorateurs, ou qui se mettent socialement en danger, comme des scientifiques ou comme des gens qui vont affirmer quelque chose à un moment où le monde n’est pas prêt. Je pense par exemple à Galilée. Des gens qui vont se mettre en danger pour la vérité, pour la science. Je parlais de régime totalitaire : des fois, il y a des gens qui se mettent en danger physiquement et socialement pour dire : « Non, la société dans laquelle on vit n’est pas bien. » Ça m’intéresse. Je n’ai pas du tout la prétention d’être à ce niveau, parce que je fais de la musique. Si mon album est trop anti-commercial parce que j’ai essayé de défricher des choses nouvelles, tant pis, tout ce que j’ai, c’est que l’album ne se vend pas, ce n’est pas grave. Donc je ne me comparerais vraiment pas à ces gens-là.

L’édition limitée en version physique de l’album Kosmodrom est donc accompagnée d’un album de reprises, Kassiopea. Comment est né cet album ?

Il faut que je revienne aussi à l’origine de Kosmodrom. Quand nous avons sorti Okta Khora, j’avais l’intention de faire une pause avec Monolithe au niveau de la composition. Nous avions enchaîné les albums pratiquement tous les deux ans, ce qui, mine de rien, est un rythme important, parce que nous ne sommes pas des musiciens professionnels, mais semi-professionnels, nous ne vivons pas de notre musique. Ça veut dire que le temps que tu dégages pour travailler sur le groupe, c’est du temps que tu prends sur tes loisirs, ton temps libre. J’avais donc besoin de faire une pause, mais il s’avère que le Covid-19 est arrivé et ma femme et moi étant les personnalités que nous sommes, c’est-à-dire éprises de liberté et scientifiquement rationnelles, nous avons considéré que les mesures qui ont été prises en France – pas seulement, mais en l’occurrence, nous vivons en France – ont été complètement démesurées par rapport à ce qui se passait réellement. Nous avons donc décidé de ne pas rester en France pour ne pas nous faire confiner. Nous sommes donc partis dans un endroit que nous connaissions déjà, qui est une île thaïlandaise sur laquelle il n’y avait pas vraiment de mesures anti-Covid, donc sur laquelle on pouvait vivre en liberté. Il s’avère que comme j’étais sur cette île, je n’avais pas grand-chose à faire, donc je me suis dit que j’allais profiter de ce temps-là pour composer un nouvel album Monolithe. C’est donc ce que j’ai fait. Mais comme les choses avec le Covid-19 ont duré, je me suis à nouveau retrouvé désœuvré, et je me suis dit que je n’allais quand même pas composer encore un autre album. J’ai donc eu l’idée de cet album de reprises, en me disant que nous allions sortir ces deux albums simultanément. Au départ, il n’y avait pas d’histoire d’édition limitée et tout ça.

C’est aussi simple que ça. C’est à cause du Covid-19, j’avais du temps, donc j’ai passé un moment à choisir des morceaux. Je ne l’ai pas fait tout seul, j’ai quand même consulté un peu le groupe. Par exemple, la reprise de The Cure, ce n’est pas mon idée ; j’ai deux fans de The Cure dans le groupe, c’est eux qui voulaient faire cette reprise. C’est donc juste parce que pour, une fois dans ma vie, j’avais des plages de temps libre très longues, donc je me suis dit que nous allions faire ça. Surtout que nous avions déjà fait quelques reprises par le passé et que c’était quelque chose d’assez agréable à faire, surtout de les arranger.

Pourquoi finalement avoir fait le choix de le réserver à l’édition limitée physique ?

C’est une suggestion de notre label qui nous a fait comprendre que pour plein de raisons, ce serait préférable. Nous avons donc tout simplement suivi ces recommandations.

« Tous les régimes totalitaires ont créé une esthétique que je trouve assez peu exploitée dans l’art. Je considère qu’en tant qu’artiste, on peut récupérer absolument tout. »

Kosmodrom est votre album le plus long, soixante-sept minutes et quarante-huit pour l’album bonus. Tu parlais tout à l’heure du titre « Kosmonavt » qui fait quand même vingt-six minutes. C’est commun dans le doom d’avoir des titres fleuves, mais qu’est-ce que ça signifie pour toi, par rapport à la composition et à la musique en général ? Est-ce que tu cherches une sorte de contre-pied à une musique pop aseptisée où le format radio est roi ?

Petite rectification, « Kosmonavt » ne fait pas vingt-six minutes. Il y a marqué vingt-six minutes sur la piste, mais le titre fait vingt-trois minutes trente. Ça veut dire qu’il y a encore quelque chose derrière, il y a une petite surprise pour nos amis russes… C’est une bonne question, mais je n’ai pas vraiment de réponse à te donner parce que, pour ce qui est du formatage de la musique pour des raisons commerciales, nous ne sommes pas concernés. Le seul formatage que j’ai pu faire pour la musique, c’est les durées précises, mais c’était aussi une esthétique artistique. Pour moi, un morceau est terminé quand il est terminé, c’est tout. Qu’il fasse X minutes, XX minutes ou XXL minutes, nous nous en foutons parce que de toute façon, nous ne passons pas à la radio, ou alors des radios comme la vôtre ou associatives qui s’en fichent du format. Ça peut paraître un peu arrogant de dire ça, mais ce qui nous intéresse, c’est l’esthétique artistique. Pour parler très trivialement, nous nous en battons les couilles de l’aspect commercial. Ce n’est pas notre intérêt de faire des morceaux de trois minutes juste pour que je ne sais pas quelle radio la passe, ça ne nous intéresse pas, de toute façon, ils ne le passeront pas. En trois minutes, je ne suis pas sûr d’avoir le temps de dire ce que j’ai à dire dans un titre. Peut-être qu’un jour ça pourra m’intéresser de le faire, mais ce sera vraiment pour des raisons artistiques et non de formatage commercial. Donc il n’y a pas de réponse, c’est juste que dans notre univers, dans notre style, il n’y a pas besoin de ce genre de formatage.

Tu nous apprends donc que Monolithe ne vise pas de diffusion sur NRJ…

Il faudrait que NRJ s’adapte à Monolithe [rires]. Ce serait mon souhait, en réalité.

Vous êtes six au total au sein du groupe. Est-ce que les autres membres ajoutent parfois des éléments à la composition ou participent à l’élaboration finale de certains morceaux ? Ou es-tu le seul chef d’orchestre ?

Il y a un peu des deux, dans le sens où au sein du groupe, c’est très clair, je suis le chef d’orchestre, je suis compositeur principal, et Monolithe repose sur ma vision. On peut dire que j’apporte quasiment toute la musique et tous les textes. Cela dit, il y a deux aspects. Déjà, au fil du temps, d’autres membres ont aussi participé à la composition, même si ça arrive assez peu, et ce n’est pas moi qui freine, c’est plutôt eux qui n’ont pas nécessairement ce besoin. Sur Nebula Septem, il y a un titre qui s’appelle « Delta Scuti » et qui a été co-composé par moi et Rémi Brochard, qui est notre chanteur-guitariste, et puis sur Kosmodrom, il y a toute la partie centrale de « Kosmonavt », en son clair, qui a été composée par Thibault [Faucher], notre batteur, qui m’a proposé ça en demandant si ça m’intéressait et c’était le cas. Je l’ai intégrée en n’ayant pas touché grand-chose dedans. En tout cas, les autres membres du groupe savent qu’ils peuvent proposer des choses, mais ils savent aussi que je peux les refuser ou les réarranger pour les rendre plus conformes à ma vision. Ça, c’est l’aspect composition.

Ensuite, il y a un deuxième aspect qui est celui de l’interprétation. Comme je propose un morceau terminé aux autres membres du groupe, ils sont, dans une certaine mesure, libres de les interpréter à leur guise. Je dis dans une certaine mesure, parce que je demande que ce soit conforme à ma vision, mais si, par exemple, Thibault à la batterie préfère jouer quelque chose d’une certaine manière plutôt que d’une autre, je ne vais pas l’en empêcher, à partir du moment où c’est bien. En fait, j’ai un côté un peu strict, c’est-à-dire que la vision est claire et c’est moi qui la connais et la maîtrise, mais en même temps, si leurs idées sont meilleures que les miennes, je n’ai aucun souci d’ego à intégrer quelque chose qui est mieux que ce que j’ai fait. Au contraire, je vais plutôt encourager les autres à proposer leur vision de la partie, parce que parfois, on est plus performants à plusieurs que seuls, donc quand on me propose une idée qui est meilleure que la mienne, je l’adopte sans aucun problème. Donc tout ce qui est batterie, basse et chant notamment, il y a quand même une certaine latitude par rapport à ce que j’ai composé et l’interprétation des membres du groupe joue forcément.

Il y a aussi des participations extérieures aux membres du groupe dans Kosmodrom. Je pense notamment au titre « Sputnik-1 » où la chanteuse London Lawhon prête son chant, donnant d’ailleurs une coloration vraiment singulière au morceau. C’est elle qui a apparemment écrit ses paroles. Comment s’est passée cette collaboration ?

Au départ, c’est une autre chanteuse assez connue de la scène metal qui devait faire ce featuring. Je ne vais pas dire de qui il s’agit, parce qu’elle m’a fait un sale coup. Elle avait accepté et au moment où il fallait se mettre au travail, elle m’a tout simplement ghosté. C’est d’ailleurs la deuxième fois qu’elle me fait le coup. Donc je lui en veux un petit peu, mais toujours est-il ça ne s’est pas fait et que j’avais besoin d’une chanteuse. Comme c’est une chanteuse de très grand talent – pour moi, c’est la meilleure chanteuse de la scène metal… Avec tous ces indices, je vous laisse chercher qui c’est [rires]. J’avais besoin d’une voix singulière et j’étais obligé de la chercher en dehors de la sphère metal, parce que je n’ai pas trouvé quelqu’un d’aussi singulier qu’elle dans la sphère metal. En cherchant, par hasard, je suis tombé sur London. Elle a participé à l’équivalent américain de la Nouvelle Star et je suis tombé sur sa vidéo. Je me suis dit : « Rien à foutre, je la contacte quoi, on verra. » Elle a répondu : « Ok, je ne connais rien à votre musique, mais ça m’intéresse. » Elle a donc fait le truc. J’avais donné quelques indications, mais elle n’a pas du tout suivi mes consignes. Ça rebondit sur la question d’avant : ce qu’elle a fait est beaucoup mieux que ce que j’avais en tête et j’ai donc gardé ce qu’elle a fait sans rien toucher. Ça donne ce côté effectivement un peu singulier et différent. C’est une chanteuse qui fait du rock… j’allais dire RnB, mais ce n’est pas RnB moderne, mais années soixante, un peu groove, un peu black américain, et ça se sent dans sa voix. Et effectivement, quand tu colles ça sur un titre d’un groupe qui vient du doom avec des grosses guitares, ça fait un peu étrange, mais ça sonne, ça marche bien.

« J’ai toujours de l’admiration pour les gens qui prennent des risques, qui sortent de leur zone de confort et qui vont jusqu’à mettre leur vie en jeu pour une espèce d’idéal, et notamment cet idéal qui est de découvrir de nouvelles choses. »

Y a-t-il quelque chose que tu aimerais ajouter à la dimension scénique avec ce nouveau cycle autour du Kosmodrom ?

C’est un peu compliqué. Par rapport à nos moyens actuels, en toute humilité, je pense que nous sommes plus ou moins au taquet. Jouer encore mieux, proposer encore plus, par rapport à ce que nous sommes en mesure de proposer avec nos moyens aujourd’hui, je pense que nous sommes au max. C’est-à-dire que sur scène, c’est carré, globalement, en façade, nous avons un super son, nous avons des vidéos en arrière-fond. Nous avons quand même un « spectacle » qui est rodé, dans lequel nous sommes super à l’aise. C’est sûr que si nous avions les moyens financiers de Rammstein, nous réfléchirions peut-être à avoir plus de choses en termes de décoration et d’aspect un peu plus spectacle. Pour l’instant, par rapport au concept simple d’un groupe qui vient, qui se produit sur scène avec des lumières, un backdrop ou des vidéos – dès que nous pouvons, nous projetons des vidéos –, j’ai du mal à imaginer d’aller encore plus loin. Je ne saurais pas répondre. Par contre, si on nous donne les moyens de faire un truc, genre « allez-y, faites ce que vous voulez », je pense que nous ferons appel à des gens qui auraient la compétence pour nous proposer des choses intéressantes qui seraient dans la vision de ce que nous faisons et ça pourrait effectivement nous plaire. En plus, ce serait fun. Mais nous n’allons pas mettre des petites fusées gonflables derrière façon Spinal Tap ou venir déguisés en cosmonautes. Les déguisements d’Halloween en cosmonaute, nous n’allons pas le faire !

Tu tiens également depuis deux ans un podcast qu’un bon nombre de nos auditeurs doivent connaître, qui s’intitule Dans Le Secret Des Dieux. Au départ, c’est un projet que tu as mené pendant que tu avais du temps au moment du confinement. Finalement, ça a continué à suivre son cours. Tu proposes des longs entretiens avec des musiciens et des acteurs du milieu du metal, mais également des débats et des sujets thématiques. Qu’est-ce qui t’a donné l’idée de ce podcast ? Quel a été l’élément déclencheur ?

L’élément déclencheur, c’est juste le temps libre. Je vous ai parlé de la genèse de Kosmodrom et Kassiopea. Il s’avère que le gouvernement français a décidé de nous confiner une deuxième fois. Donc ma femme et moi, nous nous sommes échappés une seconde fois, cette fois en Suède, à Stockholm. Même scénario, je me suis retrouvé un peu désœuvré. J’ai des amis suédois, notamment Jari Lindholm qui a mixé Kosmodrom et qui fait partie d’Enshine, donc il y avait un petit peu plus de contacts sociaux avec des gens. Il n’empêche que j’avais quand même beaucoup de temps libre. Du coup, m’est venue cette idée de ce podcast. Enfin, on ne peut pas dire qu’elle m’est venue comme ça d’un coup. Il s’avère que Nicolas Bénard – qui m’accompagne souvent dans les débats, dans les agoras – et moi, nous avions discuté il y a déjà longtemps de ce que serait notre magazine idéal. Nous nous souvenions de notre frustration de lire la presse metal et de trouver que c’était souvent un petit peu trop axé sur l’actualité, avec un peu toujours les mêmes questions. Nous trouvions que ça manquait de dossiers, de débats ou d’interviews un peu plus en profondeur ; plutôt que d’interroger un musicien sur son dernier album, il s’agissait de l’interroger sur sa vie, sur ce qu’il est, sur son parcours, pourquoi il fait cette musique-là, etc. Le podcast, c’est plus ou moins la concrétisation de cette frustration qui date d’il y a dix, quinze ou vingt ans, je sais plus – ça fait tellement longtemps que je connais Nicolas. Je lui ai parlé de ça, il m’a dit : « Ok, on y va. » Il s’avère que c’est surtout moi qui le fais, aussi pour des raisons un peu pratiques, c’est surtout mon podcast, mais Nicolas m’accompagne assez souvent, même quand il n’est pas forcément présent à l’antenne. Et puis il y avait du temps, donc c’était le moment de s’y mettre.

Comme j’ai pas mal d’expérience dans le milieu et pas mal de contacts, ce n’était pas très compliqué de s’y mettre. Au début, je n’avais pas trop l’habitude d’être devant le micro. Je n’ose pas trop réécouter les premiers parce que je me dis que ça ne doit pas être terrible. Encore aujourd’hui, je ne me considère pas comme un mec d’expérience derrière le micro, pas du tout. Quand je fais la post-prod et que je m’entends, des fois je me dis que je bafouille, je zozote, je répète trois fois la même chose, il n’y a rien qui va… Après, pourquoi ça a perduré ? C’est parce que je prends un certain plaisir à le faire. J’ai un côté très scolaire. Ce qui me plaît, c’est de créer une espèce de « body of work », un truc assez complet, et quand j’aurai fini, je me dirai : « Voilà, j’ai fait ça. » Vous pourrez aller vous référer à ce que nous avons dit et fait avec Dans Le Secret Des Dieux. Si nous faisons cinq saisons, il y aura un certain corps, il y aura des choses dans lesquelles on pourra aller puiser. Je serai satisfait, j’aurai fait mon truc. Il y a aussi un côté un peu cinglé et autiste dedans, dans le fait de vouloir toucher un peu à tous les sujets dans le metal au sens large au travers du podcast. Nous ne faisons pas du tout d’actualité, par exemple.

Nous parlions de contre-pied tout à l’heure concernant la musique, mais le podcast a l’air aussi de se placer un peu en opposition par rapport à ce qui est proposé notamment dans le YouTube du milieu metal, dans le sens où ce n’est pas un podcast qui est tourné uniquement autour de ta personne et de tes goûts personnels. C’est aussi souvent un format très long qui propose des réflexions assez poussées et des débats avec des gens qui s’écoutent – ce n’est pas, là encore, un youtubeur qui parle tout seul. Y avait-il cette volonté de faire perdurer ce format en partant du constat que ça manquait dans le paysage metal ?

Je ne me suis pas lancé là-dedans en me disant que j’allais combler un trou. Par contre, je fais le même constat que toi par la force des choses. Ce n’était pas forcément volontaire. Il y a des youtubeurs que je suis, que je trouve intéressants – Maxwell, par exemple, je le trouve très intéressant, même si un peu moins quand il parle de jeux vidéo, parce que ça ne m’intéresse pas, mais quand il parle de metal, je trouve ça bien. Effectivement, ce que nous proposons dans Le Secret Des Dieux, c’est unique en France. Disons que les inspirations viennent plutôt du monde anglosaxon, parce qu’un musicien, quelqu’un qui vient du milieu, qui a de l’expérience, qui parle de son expérience en tant que musicien ou dans la scène metal, ça existe dans le monde anglosaxon, mais pas en France. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, il y a des podcasts comme ça. Celui qui m’a donné le déclic, c’est Alan Averill, le chanteur de Primordial, qui a un podcast où il parle un peu de tout, y compris de politique. Je me suis dit que c’était un bon format – des fois il invite des gens, parfois il parle de son expérience avec Primordial, etc. – et je me suis dit que ça n’existait pas dans le monde francophone. Il y a un peu ce mélange : je me suis dit que j’avais la capacité de parler de ça, mais à la fois, c’est une coïncidence, dans le sens où d’autres que moi auraient pu commencer un podcast de ce style et faire quelque chose d’équivalent.

« Nous nous souvenions de notre frustration de lire la presse metal et de trouver que c’était souvent un petit peu trop axé sur l’actualité, avec un peu toujours les mêmes questions. […] Le podcast, c’est plus ou moins la concrétisation de cette frustration qui date d’il y a dix, quinze ou vingt ans. »

Ce qui nous distingue aussi, je dirais, c’est que nous avons un côté – ça fait pompeux de le dire, mais ce n’est pas du tout arrogant – un peu « universitaire » dans notre façon de faire. Ça ne me dérange pas, même si ça peut arriver que ça m’agace, mais dans beaucoup de podcasts, il y a un côté « on est entre potes », c’est basé sur l’humour, etc. Des fois, ça me saoule parce que beaucoup de podcasteurs, notamment ceux qui sont à plusieurs, sont dans une sorte « private joke », et toi, en tant qu’auditeur, tu te sens un peu exclu. En tout cas, c’est comme ça que je le ressens. Je préfère les choses qui t’impliquent un peu plus, où on t’apprend quelque chose, où on te partage une expérience, mais sans faire des blagues toutes les deux secondes. Je sépare les choses. Ça ne veut pas dire qu’ils sont mauvais, c’est juste que ce n’est pas le truc qui m’attire et que j’ai envie de faire. Ça ne veut pas non plus dire que nous sommes hyper stricts. Nous ne sommes pas France Culture avec le petit doigt levé… Ce n’est pas non plus à ce point-là, mais nous avons un côté plus « sérieux », plus académique, du moins nous essayons, modestement. Notre ton va plus se retrouver dans quelque chose d’un peu caustique, un peu pince sans rire, voire un peu hussard. Je suis un grand fan d’Antoine Blondin, par exemple, qui est un mec alcoolique et tout. Quand tu le vois s’exprimer, il a l’air hyper sérieux, mais en fait, c’est un mec qui se moque de tout. C’est un petit peu l’esprit du podcast ; c’est mon esprit et c’est aussi un peu celui de Nicolas. Ça peut se sentir mais nous ne lançons pas des confettis.

Dans ce podcast, tu donnes quand même ton avis personnel parfois sur des choses qui sont alimentées sur les réseaux sociaux, et souvent par les « militants réseaux » sociaux. Ça veut dire que, depuis que tu as créé ce podcast, tu scrutes un peu ce qui se passe, et on te sent parfois un peu désabusé. Est-ce que ça ne t’effraie pas de te faire inspirer par cette logique de réseaux sociaux ? Parviens-tu à prendre du recul ?

Non, ça ne me fait pas peur. Comme je le disais tout à l’heure, j’ai quarante-cinq ans, je n’en ai pas vingt, donc j’ai quand même une certaine expérience de la vie. Je suis quelqu’un qui voyage beaucoup, qui a quand même une vie familiale, qui a un taf à côté, qui fait de la musique, etc. Donc le podcast, les réseaux sociaux, c’est une toute petite partie de ma vie et de mon activité. Ce ne sont pas trois mecs sur Internet, parce que j’ai parlé de Sandrine Rousseau, qui vont me dire que je suis un fasciste qui vont m’inquiéter ou faire autre chose que me faire sourire. En fait, ça ne m’intéresse pas. Quand je m’exprime, ce n’est pas parce que j’ai scruté les réseaux sociaux, c’est parce que je fais partie intégrante de la société. Comme tout le monde, j’ai moi-même des réseaux sociaux, j’ai Facebook, Instagram, etc. Bon, je n’aime pas trop Instagram. J’ai Twitter, ça m’arrive des fois de surfer dessus. Et je vois l’étendue de la connerie de ce monde qui est de plus en plus prégnante. C’est hallucinant. Justement, en bon hussard caustique, à la fois ça m’attriste et à la fois ça me fait rire. Par exemple, si je suis la cible de commentaires disgracieux par rapport à des choses que j’ai pu dire, ça ne m’intéresse pas, parce que de toute façon, en général, ce sont des gens avec qui tu ne peux pas discuter qui vont aller là-dedans. Ce sont des gens qui ont besoin, pour leur bien-être, de se trouver des ennemis ; laissons-les se sentir bien ces pauvres enfants ! Plutôt que d’essayer de voir ce qui ne va pas chez eux, ils préfèrent trouver des ennemis – c’est assez classique – et se défouler sur eux.

Récemment, j’ai vu sur le forum d’un autre podcast, qu’on parlait de la fameuse interview que j’ai donnée sur Guts Of Darkness où ils reprenaient hors contexte quelque chose que j’ai pu dire pour me faire passer quasiment pour un mec d’extrême droite. Je me suis posé la question si j’allais répondre. Justement, pour aller dans le sens de ta question, je me suis dit que non, je n’allais pas répondre. Peu importe. Pensez ce que vous voulez. De toute façon, le contenu est ce qu’il est, les gens qui sont capables de le comprendre le comprendront, ceux qui n’en sont pas capables ne le comprendront pas. Si je viens en plus justifier ce que je dis auprès de gens qui ne sont pas capables de le comprendre, je rentre dans ce jeu-là et je ne souhaite pas rentrer dans ce jeu-là, je préfère les ignorer. Les chiens aboient, la caravane passe. Ça peut m’arriver dans le podcast, parfois, de parler de gens dont j’ai trouvé le comportement pas très correct, « 不合适 » (« Bù héshì », « ce n’est pas approprié », en français, NDLR) comme dirait Xi Jinping à Justin Trudeau. Je l’exprime, d’une certaine manière, avec un petit peu d’humour, mais ça s’arrête là. Je ne rentre pas dans ce jeu de drama, de bataille, de commentaires sur Facebook. J’ai autre chose à faire et ce n’est pas intéressant. Et je vous conseille de faire pareil ! [Rires]

As-tu des perspectives pour faire évoluer le format, des choses que tu aimerais encore développer ou que tu n’as pas faites et que tu aimerais expérimenter avec ce podcast ?

Disons que je me laisse la liberté de créer de nouveaux formats si l’idée me vient. C’est un podcast, ce n’est pas figé. Par exemple, il y a un format que j’avais commencé que j’avais appelé les Stories, j’avais commencé par Amorphis, mais ces trucs-là sont très peu écoutés. Par rapport au travail que ça demande, je me suis dit que je n’allais pas continuer ça. C’est des heures et des heures de travail pour deux cents écoutes, ça n’en vaut pas la peine, même si je fais ça avant tout pour m’amuser. C’est fun de faire des podcasts, mais là, le rapport travail/résultat était trop faible, donc je laisse tomber. En termes de création de nouveaux formats, oui, je pense qu’il y en aura d’autres. Pour l’instant, je ne peux pas dire lesquels parce que je n’ai pas d’idée particulière.

Enfin, si j’en ai peut-être une, mais il n’y a rien d’original. Je ne sais pas si je vais le faire. J’ai remarqué que mes formats Olympus, par exemple, où je parle de quinze albums que j’ai choisis parmi ceux que j’aime, sont assez écoutés et commentés. Les gens aiment bien ça. Donc je me suis dit que je pourrais prendre des discographies de groupe et les classer, faire du ranking. Je vois qu’il y a beaucoup ça sur YouTube, ça plaît aux gens, donc je pourrais faire ça. Comme en ce moment, j’écoute pas mal Paradise Lost, parce que je les ai vus en concert à Paris il n’y a pas trop longtemps, je me suis dit que ça pourrait être sympa de faire un ranking Paradise Lost. Je trouve que Paradise Lost a une seconde partie de carrière post-Host qui est un petit peu sous-estimée à mon goût. On considère qu’ils sont revenus en arrière, ils ont fait des albums qui ressemblent un peu trop aux premiers, mais je ne suis absolument pas d’accord. Je trouve que quelques-uns de leurs meilleurs titres voire albums datent de cette période-là. Il y a un album de Paradise Lost que j’aime beaucoup qui s’appelle The Plague Within et qui date de 2015. Le premier titre de l’album, « No Hope In Sight », est pour moi un des meilleurs titres de Paradise Lost, toutes périodes confondues. Donc pourquoi pas ? On verra. Peut-être que je le ferai, peut-être pas. En tout cas, je ne m’interdis rien.

Interview réalisée par téléphone le 21 novembre 2022 par Jean-Florian Garel & Erik Melkhian.
Retranscription : Nicolas Gricourt.

Facebook officiel de Monolithe : www.facebook.com/monolithedoom

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