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Interview   

Monster Magnet : reprendre le contrôle quand l’esprit dérape…


Dave Wyndorf, leader de Monster Magnet, aime varier les plaisirs, lui qui revendique le côté melting pot d’influences de sa musique. Ainsi, après avoir vogué loin dans les contrées space rock et psychédéliques en offrant un de ses meilleurs albums avec Last Patrol, puis avoir prolongé le voyage en revisitant ce dernier et son prédécesseur Mastermind, il est revenu mettre les pieds sur terre avec dans l’idée de proposer un pur album rock « pour passer du bon temps » avec la scène de Detroit, alias la Motor City, en ligne de mire. Mais attention, le décollage psychédélique n’est pour autant jamais très loin…

Sauf que tout ne se passe jamais comme prévu : entre-temps, un certain Donald J. Trump a investi la Maison Blanche et le monde a pris un tournant où la folie semble prendre le pas sur la raison. Le « bon temps » bat sérieusement de l’aile pour Dave Wyndorf, se retrouvant alors déboussolé face à sa copie. C’est ce cheminement de l’insouciance de la musique vers la gravité des textes que nous raconte le frontman dans l’entretien qui suit, partageant avec nous son sentiment sur le monde tel qu’il le perçoit aujourd’hui.

« C’est une question de trouver le bon équilibre entre le rock direct, le rock n’ roll un peu punk, le garage punk des années 60 et le space rock à la Hawkwind, avec en plus Black Sabbath et tous ces trucs. J’ai un paquet d’influences [rires]. […] Il y a toujours une bataille dans nos albums pour savoir quel style musical va gagner. »

Radio Metal : Tu as insisté sur le fait que Mindfucker a été créé pour être un album pour passer du bon temps, et l’a comparé aux vieux albums d’UFO et Kiss, mais avec un vrai feeling à la manière de la scène de Detroit. Qu’est-ce qui a déclenché cette envie après Last Patrol, qui était très orienté space rock ?

Dave Wyndorf (chant) : Je pense que c’est justement à cause de ça, car je suis allé très loin avec Last Patrol. Je suis allé à fond dans le space rock, je voulais m’assurer qu’il ait ce côté lunatique, avec une vraie mélancolie. Donc, après avoir été dans ce genre d’atmosphère, c’est une réaction naturelle que de vouloir changer. Je voulais simplifier. C’est une contre-réaction directe à Last Patrol. C’était genre : « D’accord, maintenant que je me suis sorti ça de la tête, faisons du rock ! Hey, allez, balance la sauce ! »

Malgré tout, cet album conserve une part de space rock, au moins dans le son et certains effets. Du coup, était-ce une question d’équilibre entre le rock pur et dur et le space rock ?

Ouais, parce que je pense que ça a toujours fait partie du son de Monster Magnet, dans la majeure partie de notre carrière. Il y toujours eu une bonne dose de psychédélique dans notre rock. Donc tout est une question de dosage, comme lorsque tu cuisines un plat et tu y ajoutes des épices. Il doit y avoir un peu de sel et de poivre, et parfois il y a un peu plus de sel ou de poivre que d’autres fois. Mais le côté psychédélique fait partie du feeling originel du groupe. Nous avons complètement commencé en tant que groupe de rock ou punk psychédélique, et le psychédélique est toujours dans les parages, en quantité variable. Et Last Patrol, ça correspond à ce que je voulais faire à l’époque. Je ne peux pas vraiment prévoir ce que Monster Magnet est supposé être, sauf pour… Je suis censé suivre mes tripes plutôt qu’un business plan. Le plan, c’est plutôt de refléter mes émotions. Je pense que c’est de toute façon ce qu’un compositeur est censé faire et que les auditeurs n’apprécieraient pas si j’essayais de davantage contrôler ça. Ils le sentiraient. Je dois donc prendre des risques et aller d’un extrême à l’autre, en espérant que les gens me suivront dans l’aventure.

Que ce soit toi ou ton guitariste Phil Caivano, vous avez tous les deux fait référence à la vieille scène rock de Detroit pour décrire cet album. Qu’est-ce que cette scène représente pour vous ?

Pour moi, et c’est pareil pour Phil parce que nous avons grandi ensemble, cette scène, c’était le hard rock, mais surtout le hard rock n’ roll. Ce n’était pas que du rock, ce n’était pas du heavy metal ou du proto-metal comme les gens disent. C’était basé sur le swing, ça balançait, et il y avait toujours beaucoup de rock n’ roll dedans, le rock n’ roll d’origine : entraînant, tempo rapide et sautillant. Voilà ce que ça a toujours représenté pour moi : de la vraie musique pour le plaisir du public. Une musique très extravertie qui implique le public. La scène de Detroit, c’est ça, c’est focalisé sur le live. Et c’est ce que j’ai essayé d’obtenir sur l’album, genre : « Hey, ces chansons sont taillées pour la scène. » Et puis cette influence a toujours été présente ! Parmi mes groupes préférés de tous les temps, aux côtés des heavy rockeurs comme Black Sabbath et des space rockeurs comme Hawkwind, on trouve MC5, les Stooges et Grand Funk Railroad, tout ça ce sont mes groupes favoris. C’est avec ça que j’ai grandi quand j’étais gosse, à dix, onze, douze ans. Et tout ça rentre parfaitement dans le cadre de Monster Magnet.

Considérerais-tu que ceci est le fondement du son de Monster Magnet, avant même le space rock ?

Le space rock a surtout commencé à s’insinuer dans notre musique probablement vers Tab. C’est un EP psychélédique que nous avons fait ; c’est notre second disque. Ensuite, quand nous avons signé chez A&M Records, nous avons fait Superjudge et une chanson qui s’appelle « Dinosaur Vacume » ainsi qu’une reprise d’Hawkwind. Le space rock a commencé à prendre de plus en plus de place parce que je trouvais ça cool. Mais comme on disait plus tôt, c’est une question de trouver le bon équilibre entre le rock direct, le rock n’ roll un peu punk, le garage punk des années 60 et le space rock à la Hawkwind, avec en plus Black Sabbath et tous ces trucs. J’ai un paquet d’influences [rires]. Ça part dans tous les sens et, d’une certaine façon, j’essaie toujours de regrouper les trucs que je préfère. Genre : « Y a-t-il moyen de faire une chanson hard rock qui sonne à la fois comme les années 1972 et 1968 ? » « Y a-t-il moyen de faire un truc à la Hawkwind mais qui sonne aussi comme Black Sabbath ? » Ce sont un peu comme des rêves de gosses. Quand tu es gamin, tu es là : « J’ai envie de regrouper tout ce que je préfère ! » Il y a toujours une bataille dans nos albums pour savoir quel style musical va gagner.

Tu as déclaré que l’une des choses importantes au sujet de cet album est que c’est « totalement l’œuvre d’un groupe. » Ça n’a pas toujours été le cas ?

Non ! Par le passé, la façon dont Monster Magnet fonctionnait était… Habituellement, ce que je fais toujours, c’est que je compose une poignée de chansons et je le fais sans avoir qui que ce soit de particulier en tête pour les jouer, car par le passé, une bonne partie des membres de Monster Magnet ne s’intéressait pas autant que moi au groupe. Ils ne savaient pas ce qu’ils jouaient, ils s’en fichaient un peu. Ils étaient là : « Oh, c’est comme tu veux. » Ils n’étaient pas vraiment sur le coup. Ils étaient bons mais ils n’étaient pas super. Et là, c’est le premier groupe que j’ai connu dans l’histoire de Monster Magnet où tout le monde est complètement à fond dedans. Ils sont putain de géniaux ! Ils sont là : « Ouais, on veut jouer ! » Voilà ce qu’ils disent ! Ils sont là : « C’est quand qu’on joue ? Allez, on y va ! On joue ! » Quand tu as ce genre d’enthousiasme autour de toi, en tout cas pour ma part, j’ai tendance à du coup me souvenir de ces gars personnellement lorsque je compose les chansons. J’étais là : « Oh, ça sera une super partie à jouer pour Gary ! » ou : « Bon sang, Chris va tout déchirer là-dessus ! » C’est la toute première fois que je pense comme ça.

« On s’est abrutis, avec plein de débiles qui déambulent, genre [avec une voix stupide] : ‘Ouais, je suis d’accord’ sans même lire les choses. Peut-être qu’il fallait que ça arrive pour que le monde se prenne une grosse gifle. »

C’est un soulagement pour toi ?

Complètement. Oh ouais ! C’était nul avant quand il fallait que je m’inquiète. C’est dur quand tu es un compositeur et que tu crains que le groupe n’aime pas tes chansons. C’est vraiment nul, tu es là : « J’ai vraiment l’impression que ça ne les intéresse pas ! » Certains de ces gars se sont accrochés au groupe malgré tout parce qu’ils voulaient leur chèque, ce genre de choses. Mais ça me foutait vraiment les boules.

Tu as d’abord écrit toute la musique et ensuite, tu as dû commencer à écrire les paroles le 9 janvier dans le contexte de l’investiture de Donald Trump. Comment as-tu résolu l’équation de faire un album pour passer du bon temps à un aussi mauvais moment ? Ça n’a pas créé un schisme dans ton cerveau ?

Ouais, ça m’a complètement plongé dans une putain de dépression nerveuse. Je n’arrivais pas à écrire ! J’ai essayé la première semaine, la semaine de l’investiture. Je me suis posé et j’ai dit : « D’accord, je vais écrire exactement ce que je ressens. Exactement ! » Et j’ai écrit deux chansons et elles sonnaient comme des articles de presse. Ce n’était tellement pas du rock ! C’était horrible ! Ça sonnait comme de mauvaises paroles de Rage Against The Machine, c’était bien trop politique ! Il était évident que ça faisait trop longtemps que ça me travaillait, j’avais oublié comment écrire une chanson de rock. Tout ce que j’arrivais à faire à ce stade, c’était être là comme un mec révolté dans sa cuisine disant : « Putain, c’est quoi ce bordel ? Le monde devient fou ! » Donc j’ai dû me prendre une semaine pour me vider la tête, et puis revenir pour recommencer à écrire. Donc j’ai mis tout ce contexte avec mon angoisse politique et existentielle… Car, vraiment, c’est ça, ça dépasse la politique maintenant. C’est comme si tout le monde était paranoïaque avec la technologie, avec tout. Et pour de bonnes raisons ! Bref, je n’arrivais pas à écrire là-dessus mais au final je n’ai pas écrit comme si c’était une sorte de déclaration politique. J’ai enrobé la plupart de ces choses en écrivant au sujet des filles et certains des bons aspects du rock n’ roll, mais en utilisant des métaphores pour expliquer. Je voulais que l’album et les paroles donnent le sentiment de « j’essaie d’être cool mais à la fois je suis un peu en pleine dépression nerveuse. » Donc partout sur l’album, on m’entend parler de mon cerveau… ou de mensonges, le mot « mensonge » revient souvent. Je ne pouvais pas m’en empêcher. Je l’ai réécouté récemment… Car habituellement je n’écoute pas mes albums, mais là je devais le faire car la presse arrivait, et j’étais là : « Bon, ce gars – c’est-à-dire moi – a l’air pas mal contrarié ! » J’ai entendu le mot « cerveau » revenir, genre, quatre—vingt-dix-mille fois [rires]. Mais ça va. Au moins je suis honnête, ça me représente bien durant ces quelques semaines, et c’est tout ce que je peux exiger d’un album.

On voit beaucoup d’artistes aujourd’hui qui donnent leur avis sur le monde et les dérives dont on est témoins. Que voulais-tu dire qui n’ait encore été dit ?

Rien ! J’étais en lice avec personne. Je ne cherchais pas à faire la course aux gros titres ou quoi, genre « ce que je dis est le dernier mot sur… » Je ne me considère pas important à cet égard. Mon boulot est juste d’écrire des chansons à propos de ce que je ressens et c’est tout ! Je ne peux rien apprendre à personne. C’est aux gens de décider, il faut qu’ils lisent, il faut qu’ils apprennent à lire. Mon boulot est simplement de transférer mes émotions et espérer que ça vaille quelque chose.

Tu as déclaré que, tout d’abord, tu ne pouvais arriver à la fin de ta vie sans avoir intitulé un album Mindfucker…

Oh ouais, bien sûr ! [Eclate de rire] J’adore ce mot ! J’utilise ce mot depuis que j’ai quatorze ans. C’est complètement un mot à la Beavis And Butthead [imite] : « Man, mindfucker! They’ve got mindfucked! » C’était souvent utilisé quand j’étais gamin au début des années 70 parce que c’était une autre époque où on manipulait le cerveau des gens. C’est parfait maintenant parce que c’est une époque vraiment paranoïaque, et mon côté un peu bouffon dit : « Ça fait tellement longtemps que tu es dans le rock, il n’y aura jamais un meilleur moment pour appeler un album Mindfuck car c’est en phase avec l’époque. » En plus, qu’ai-je à perdre ? Ce n’est pas comme si j’allais gâcher ma carrière en mettant un gros mot ou en utilisant un titre « débile ». En fait, c’est tellement débile que je l’adore ! Je l’aime probablement plus que je ne le devrais ! Je trouve juste que c’est marrant à dire.

En parlant de débilité, tu as dit que « de nos jours, la stupidité a remplacé l’intelligence. » Comment en sommes-nous arrivés à une telle situation, selon toi ? Comment expliquer que l’intelligence ait autant reculé ?

[Soupir] C’est dingue… Je veux dire que c’est vraiment perturbant. Je suppose qu’à un moment donné, les gens ont simplement arrêté de vraiment prêter attention à ce qui fait réfléchir les foules, et comment les foules réagissent. Je pense que ça s’est fait lentement par des décennies d’abrutissement par la publicité, la culture de la télévision, la vénération de la célébrité, les régies publicitaires qui jouent avec les pulsions humaines les plus basses. Alors qu’il existe de nombreuses très bonnes personnes qui savent encore réfléchir, il y en a beaucoup plus qui sont vraiment aussi stupides qu’une putain de boite vide. Ils croient n’importe quoi ! Ils se sont faits avoir ! Ajoutons à cela la révolution de la communication que leurs émotions sont incapables de gérer ; il y a tellement d’information qu’au lieu de plonger dedans et faire le tri, ils prennent des raccourcis et, aussi incroyable que ça puisse paraître, ils choisissent la réponse la plus facile ! La réponse la plus stupide ! C’est un cas d’école, une propagande qui fonctionne. Je n’aurais jamais… Je craignais que quelque chose comme ça arriverait parce que j’ai lu des livres de science-fiction dans les années 70 et j’ai vu ces trucs, mais je me suis dit qu’on était plus malins que ça. Mais je suppose que l’humanité est loin d’être aussi intelligente que je le pensais ! Voilà ce qui est arrivé : on s’est abrutis, avec plein de débiles qui déambulent, genre [avec une voix stupide] : « Ouais, je suis d’accord » sans même lire les choses. Peut-être qu’il fallait que ça arrive pour que le monde se prenne une grosse gifle.

« Les gens devraient une fois par jour sortir et s’asseoir par terre. [Petits rires] Sortez de chez vous et juste asseyez-vous par terre ! Regardez le sol pendant une minute : c’est réel ! C’est tangible ! »

En lisant le manifeste que tu as écrit au sujet de l’album, on dirait qu’en grande partie, tu tiens pour responsable les réseaux sociaux, comme lorsque tu dis que « tout vient avec cette suspicion tenace que l’on va disparaître si on se met hors ligne et ou qu’on va se désintégrer si on ne fait pas comme il faut. » Penses-tu que les réseaux sociaux, l’hyper-connectivité et l’excès d’information et de non-information a déglingué nos cerveaux ?

Oui, je le crois. Je n’accuse pas les réseaux sociaux en tant que tels, j’accuse les humains qui passent leur temps là-dessus, les détournant du bon sens. C’est exactement comme l’utilisation de la technologie. Je pense vraiment que c’est ce qui s’est passé. Il y a plein de gens qui, à un moment donné, pourraient lire une info et la voir se développer, mais on est trop occupés à faire autre chose pour vraiment prêter attention à la façon dont une vraie info se développe. Et ils ont tendance à croire ce que leur fil d’actualité leur dit, et ils sont généralement en retard sur l’info, ils ne savent pas comment retrouver la source d’une info, ils ne connaissent rien au journalisme, ils ne savent pas comment croiser les sources. Ils se fient juste aux gros titres qui sont fournis par des propagandistes qui sont, eux, très malins. C’est une vieille histoire. C’est la vieille astuce fasciste et totalitaire : balance autant de conneries que tu peux, raconte à tout le monde ce qu’ils veulent entendre – exactement ce qu’ils veulent entendre ou alors exactement ce qui leur fait le plus peur. Et si tu fais ça, si, d’un côté, tu leur donnes exactement ce qu’ils veulent et, d’un autre côté, tu les effraies avec exactement ce qui les fait le plus peur, ils vont être désorientés et prendront une décision désespérée. Voilà ce qui se passe, les gens prennent des décisions désespérées. Ils pensent que le monde a plus de problèmes désespérés qu’il n’en a vraiment.

Je veux dire, ouais, le monde est déglingué mais il n’a pas autant de problèmes que ces gars veulent nous faire croire. Ce n’est pas le cas. Lorsque Donald Trump débarque et dit : « Le monde cours à sa perte ! » C’est genre, mais non, espèce d’imbécile ! C’est une combine politique flagrante et elle ne date pas d’hier ! C’est ce qui me surprend par rapport à ça : ce sont vraiment de vieilles ruses ! La seule chose qui diffère est le fait que la technologie moderne a offert plein de moyens pour que les gens ne prêtent pas attention à la réalité ! Ils sont tellement habitués aux théories du complot et aux films, ils sont tellement habitués aux fantasmes et aux « et si » et au fait d’accuser et genre « oh, il y a un secret derrière tout ça. » Ils ne font pas attention à la réalité. Donc lorsque quelqu’un leur fait passer ces infos sur leur fil Facebook, qui répond à exactement ce qu’ils veulent et à ce dont ils ont le plus peur, ils sont complètement conditionnés pour dire : « Ouais, ça doit être ça ! » Fainéants ! Putain de paresseux ! Ceci leur servira de leçon. J’espère que le monde y survivra, car une fois qu’on aura passé tout ce putain de truc insensé de droite, et cette connerie ultra-nationaliste, il va falloir qu’on commence à reconstruire le monde. J’espère qu’ils sont prêts à avancer vers l’avenir.

Tu commences la chanson « Brainwashed » en disant : « Cette chanson est très difficile pour moi, c’est dur à dire. Dernièrement, j’ai le sentiment que mon esprit a été déchiré. […] Je suis une bombe à retardement ambulante et je te dis, ça ne me ressemble pas. » Est-ce que ça signifie que tu as du mal à te reconnaitre toi-même dans ce contexte ?

Parfois, ouais. Dernièrement, j’ai… La dépression, c’est nul. C’est comme si tu étais dans une pièce sombre, tu imagines qu’elle est décorée d’une certaine façon et puis on allume la lumière et là, tu réalises que c’est merdique là-dedans [petits rires]. Depuis que tout le truc avec Trump s’est produit et qu’on a pu se rendre compte qu’il y a un certain pourcentage de gens dans ce pays qui étaient capables de voter pour un tel type, ça donne le sentiment qu’il y a moins de raisons d’être fiers et d’être heureux, et qu’il faut toujours être sur ses gardes, que les bonnes personnes ne gagneront pas toujours et que la folie peut prendre le dessus, même dans un système aussi fort que le système politique américain, ou n’importe quel système politique occidental, même là, il peut y avoir des moments où l’obscurité peut commencer à s’immiscer. Et c’est de ça dont parle la chanson : moi étant un enfoiré de paranoïaque. Dit de la manière la plus simple possible : qui m’a volé mon rayon de soleil ? Pourquoi est-ce toujours gris dans ma tête ? J’ai l’impression qu’on m’a lavé le cerveau ! [Petits rires] On m’a lavé le cerveau et je suis paranoïaque, et maintenant, je vais commencer à accuser tout le monde ! C’est fait de manière très ironique, presque humoristique, à la façon de ces chansons de garage rock paranoïaque de la fin des années 60.

Et comment te sors-tu d’un tel état ?

Tu sais, il faut juste trouver une issue pour en sortir. Je veux dire que le chanter, c’est une façon. Il faut que je l’exprime, en espérant que quelque chose comme ça permettra… La bonne chose qui pourrait ressortir de ce qui se passe aujourd’hui est que ça pourrait nous enseigner quelque chose, qui est : devine quoi ? La nouvelle technologie implique qu’il faut être plus intelligent. Tu ne peux pas la laisser faire à ta place. Ne crois pas tout ce que tu lis, et lis un putain de livre ! Tu veux être libre ? On veut une civilisation qui va vers la lumière plutôt que l’obscurité ? Eh bien, chacun d’entre nous devra être un peu plus intelligent, et commencer à penser avec son cerveau au lieu de ses putains d’instincts primaires.

Penses-tu que ce soit pour ça qu’il est plus important que jamais que des groupes comme Monster Magnet jouent en concert et se connectent au public, et que les gens aillent au concerts – en d’autres mots, qu’ils vivent la vraie vie -, car les gens n’ont plus autant d’interaction humaine ?

Absolument ! Je n’aurais jamais cru dire ça mais c’est vraiment aussi simple que ça : les gens devraient une fois par jour sortir et s’asseoir par terre. [Petits rires] Sortez de chez vous et juste asseyez-vous par terre ! Regardez le sol pendant une minute : c’est réel ! C’est tangible ! Regardez la vieille dame dans la rue. Lorsque vous allez dans un magasin, parlez au vieil homme dans la boutique. Parce que toutes les autres personnes à qui vous parlerez, à moins qu’elles soient vraiment impliquées dans votre vie, à moins que ce soit votre amant ou votre mère, tous ces trucs internet, c’est plus une idée qu’autre chose. C’est sympa mais c’est un peu un jeu comparé à la vraie vie. Ce n’est pas la vraie vie. C’est plus comme une version papier calque de la vie. C’est une quasi vie. Est-ce que ça vaut le coup de s’y intéresser ? Bien sûr ! Je ne suis pas contre la technologie, j’ai plein de putain d’amis d’emails, comme à l’époque où on s’écrivait des bonnes vieilles lettres, mais combien d’amis peut-on avoir avant que ça devienne trop ? Pas tant que ça. Je veux dire, le fait que la technologie soit rapide et globale ne signifie pas que les êtres humains le sont ! Combien d’amis peut-on avoir dans la vie ? Je veux dire, de vrais amis. Deux ou trois, n’est-ce pas ? Je pense que ces gens sont à côté de la plaque, mec !

« [Le live] c’est le moment où je m’éclate le plus et ce n’est pas juste parce que je suis dans un groupe de rock, c’est parce que je me retrouve littéralement hors de ma zone de confort […], ça me met face aux gens […] et ça me force à être humain ! C’est extraordinaire ce qui se produit lorsque des étrangers se réunissent et parlent vraiment ! »

Et crois-tu que les concerts sont un des derniers bastions qu’internet ne pourra pas nous prendre et qui préserve notre humanité ?

Je vais te dire, ça préserve mon humanité ! J’en suis la preuve vivante. C’est le moment où je m’éclate le plus et ce n’est pas juste parce que je suis dans un groupe de rock, c’est parce que je me retrouve littéralement hors de ma zone de confort, qui serait ma maison, mon internet quotidien, toutes ces petites choses très prévisibles, et ça me met face aux gens, que je connais pour certains, que je ne connais pas pour d’autres, pour certains je les connais très bien, d’autres pas tellement, et encore d’autres pas du tout, et ça me force à être humain ! C’est extraordinaire ce qui se produit lorsque des étrangers se réunissent et parlent vraiment ! C’est tellement différent de ce truc sur internet, les gens ne se cachent pas. Vous ne pouvez pas vous cacher quand vous vous regardez dans les yeux. C’est plus dur, il faut être un sacré baratineur pour sortir et faire en direct aux gens ce qu’ils se font sur internet. Ça a tellement plus d’importance à mes yeux, et j’espère que ça a plus d’importance pour les autres aussi. Par rapport au rock n’ roll, le rock n’ roll n’existe pas à moins qu’il y ait un public. Autrement, ça devient un étrange concept ; ça devient comme un souvenir. Donc ouais, aujourd’hui plus que jamais, le live, mec !

Al Journgensen de Ministry, qui a également fait récemment un album sur la façon dont les choses vont de travers actuellement, nous a dit que « la vérité, tu dois la trouver à l’intérieur de toi et spirituellement » et « qu’on devrait donner de la DMT et des produits psychédéliques à chaque homme, femme et enfant de la planète, » afin d’entrer en « contact avec [notre] soi cosmique et les connaissances universelles qu’on a tous. » Et on sait bien comme tu as souvent fait référence aux drogues psychédéliques dans tes chansons. Du coup, as-tu aussi le sentiment que les substances psychédéliques ont ce pouvoir de nous révéler la vérité ?

[Hésite] Bon, dans certains cas peut-être mais non, je ne prescrirais pas des drogues psychédéliques à tout le monde, non, je pense que ce serait fou [rires]. Car ça sonne cool, j’adore l’idée d’Al de Ministry qui dit « tout le monde devrait prendre de la drogue ! Whoo ! » Mais non, je pense qu’il y a une manière plus facile d’y arriver, ça s’appelle éteindre ta machine pendant une semaine et aller à l’intérieur de toi, ensuite réinitialiser, et revenir pour voir si tu te sens différent. Les drogues, pour moi, ont été une aventure mais c’était des aventures qui avaient leurs limites, elles n’ont résolu aucun problème pour moi. Elle m’ont ouvert quelques portes de perception, comme Aldous Huxley l’a dit, et c’était une aventure intéressante, mais je trouve qu’avoir l’esprit clair est généralement mieux. Si tu arrives à penser de manière psychédélique sans avoir recours aux substances psychédéliques, alors tu sais que t’as réussi.

Tu as déclaré que « en ces temps insensés, [tu as] voulu conduire [ta] voiture à 160 km/h et crier. » As-tu une relation particulière avec ta voiture ?

Parfois ! J’imagine que ça fait partie du fait d’être Américain. J’ai grandi dans la seconde moitié du vingtième siècle, où tout le monde avait une voiture, on construisait ces autoroutes géantes et tout, des millions d’autoroutes, un truc complètement américain. C’est quelque chose que j’ai fait toute ma vie. Genre : « Oh, je dois réfléchir à quelque chose ? » Alors je vais sur l’autoroute la nuit, il n’y a pas de voiture, il est minuit, et je conduis aussi vite que je peux. Ça fait du bien ! C’est inspirant. Balance un CD de Led Zeppelin et putain, « vrooooom », ouais !

En 2014 et 2015, vous avez sorti des versions ré-imaginées de vos albums Last Patrol et Mastermind. Penses-tu qu’il n’y a pas de versions définitives des chansons mais une infinité de possibilités ?

Ça m’arrive parfois de le penser, oui. Du fait que nous jouons tout le temps en live, toutes nos chansons sont constamment réinventées. Même si elles ont été répétées d’une certaine façon, elles ne peuvent jamais être jouées exactement pareil à chaque fois. En ayant ça en tête, il est clair que, dans ma tête, je vais me faufiler dans le terrier, en pensant : « Et si c’était comme ça ? Et si c’était fait de cette manière ? » Je l’admets, c’est un peu fou mais c’est marrant à explorer. J’ai toujours été du genre, si j’aime une chanson, de n’importe quel artiste, à aller sur Youtube, Itunes ou autre et rechercher toutes les reprises de cette chanson qui existent, car j’ai envie de voir à quel point j’aime cette chanson. Combien de façons différentes cette chanson peut-elle être jouée et combien de fois je peux encore l’aimer ? J’adore cette idée. Voilà pourquoi je me suis mis à faire ça.

Et pourquoi l’avoir fait à ce moment-là sur Last Patrol et Mastermind ?

La raison principale est que j’étais encore chaud pour aller en studio mais je ne me sentais pas de faire quoi que ce soit de nouveau. Last Patrol m’avait vidé, c’était un gros projet pour moi, mais je me disais : « J’ai encore envie de faire des trucs. » Et ça me dérangeait de penser que Last Patrol n’avais jamais été vraiment terminé. Last Patrol était un gros projet et il y avait des trucs supplémentaires que je n’avais pas pu enregistrer, et voilà comment c’est arrivé. Pour Mastermind, c’était un peu moins ça. C’était juste tant que j’étais chaud, tant que j’étais en studio, autant continuer à réinventer des trucs. C’était un peu une obsession que j’ai suivi jusqu’à sa conclusion.

Y a-t-il d’autres albums avec lesquels tu aimerais faire ça ?

Rien de prévu pour l’instant mais je ne dis jamais « jamais ». Il se peut que de temps en temps je regarde s’il n’y a pas quelque chose à faire. C’est très important pour moi de ne sortir que des choses, de nouvelles choses, si je pense que c’est bon. Après avoir œuvré avec un groupe pendant longtemps, tu commences à devenir un peu paranoïaque à propos de la façon dont tout ça va s’empiler. De temps en temps, je vais revenir en arrière, j’écouterais tout ce que j’ai fait jusqu’à présent et dirait : « Ok, tu te souviens de ça ? C’était il y a vingt ans, mec, tu dois t’en souvenir ! » Et je me dirais : « Eh bien, tu sais… » Tu veux t’assurer que tout est… Tu n’as pas envie de sortir quoi que ce soit qui te ferait dire « bon sang, il était vraiment à l’ouest ! » Et c’est le genre de truc qui arrive souvent, or tu ne veux pas que ça t’arrive. Donc si ça signifie que je dois attendre quelques années avant d’écrire quelque chose de nouveau, ainsi soit-il. Mais en attendant, j’ai envie de faire quelque chose. Donc le fait de réinventer des choses et créer des paysages sonores intéressants basés sur de la musique qui existe déjà, ouais, il se peut que je le refasse.

Interview réalisée par téléphone le 12 février 2018 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nathalie Holic.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Jeremy Saffer.

Site officiel de Monster Magnet : www.zodiaclung.com.

Acheter l’album Mindfucker.



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