Dix ans à peine se sont écoulés depuis la sortie d’Isebakke, le premier album de Mork, mais le projet en est déjà à son sixième album. Pas mal pour ce qui avait commencé comme un side-project pour son seul membre, Thomas Eriksen, en 2004 : Mork a toujours progressé à son propre rythme, gagnant peu à peu l’attention du public et le respect de ses pairs. C’est que le projet s’est épanoui dans une scène à la fois très active et saturée par sa propre histoire, le petit monde du « true » black metal norvégien, à un moment de reflux où les déclinaisons possibles du genre n’en finissaient pas de se multiplier. Rapidement signé chez Peaceville, Mork s’est depuis imposé comme un protagoniste particulièrement fiable du style, qui, avec chaque album, revisite et se réapproprie le foisonnant héritage des années 1990. Deux ans après un Katedralen sorti en pleine pandémie, Dypet s’annonce comme une plongée dans les abîmes (ce titre signifie « Les profondeurs » en norvégien), thème de choix pour s’immerger à nouveau dans l’univers sombre et froid – comme il se doit – de Mork.
Et c’est bien un vent glacial qui nous accueille en ouverture de « Indre Demoner », bientôt remplacé par des guitares grésillantes et un motif mélodique particulièrement mélancolique. Durant les six minutes du premier titre, l’auditeur passe de passages furieux à des moments d’accalmie, parfois pris de court par des guitares à la mélodie pleine d’entrain, parfois pris tout court dans des tourbillons de riffs hypnotiques, pour se retrouver à son point de départ avec une fin de morceau qui boucle la boucle, et une idée relativement claire de ce qui l’attend : des titres plutôt longs qui donnent au musicien la place d’explorer différentes idées, et d’étendre le territoire de Mork au-delà des références à ses prédécesseurs. Si les incursions du côté du black’n’roll se font (beaucoup) plus rares que par le passé, c’est pour faire la part belle à un univers plus mélodique, plus nuancé, moins gris et monolithique que son titre et sa pochette le suggèrent : aux passages très abrasifs (« Et Kall Fra Dypet ») répondent des mélodies triomphantes, presque lumineuses (!), sur « Hoye Murer », et Eriksen joue de ces contrastes, entre le lent « Bortgang » et son final désaturé et l’ouverture explosive d’« Avskum » qui lui succède, par exemple. Cette dernière décline le même motif de manière purement black, puis presque doom, et les subtiles notes de claviers de « Tilbake Til Opprinnelsen » sont utilisées en contrepoint, comme le chant clair superposé à la voix gutturale à la fin du morceau. La production met en valeur la méticulosité des compositions, l’intrication des guitares, la basse dont le rôle passe parfois ingénieusement au premier plan (« Et Kall Fra Dypet »).
Bref, si l’ombre de Darkthrone était encore très présente sur ses derniers efforts, notamment Det Svarte Juv, elle se fait plus discrète ici. Détail symbolique : alors que Nocturno Culto justement – à qui la voix d’Eriksen fait d’ailleurs souvent penser – était invité sur Katedralen, c’est cette fois-ci Hjelvik, un ancien de Kvelertak, que l’on entend sur « Hoye Murer ». La personnalité de Mork s’affirme, et si les clins d’œil à Burzum sont toujours là (dès la pochette signée une fois de plus par David Thiérrée qui inclut un motif de Jannicke Wiese-Hansen, créatrice des artworks des albums Burzum et Det Som Engang Var), c’est à un état plus vaporeux, atmosphérique, plus allusif. De la même manière, les thématiques brodent univers lovecraftien et mythologie nordique, Cthulhu et Draugen, sur fond de sentiments – évidemment – tourmentés : de quoi satisfaire des aspirations toujours relativement traditionalistes, et laisser la place à une sensibilité moderne, éclectique et singulière de s’épanouir. Pas de révolution avec Mork, mais une réutilisation de motifs familiers à des fins personnelles, un univers rendu unique par une infinité de détails pour un résultat plus poignant qu’obscur, et une plongée dans les profondeurs finalement moins ténébreuse que vivifiante.
Lyric vidéo de la chanson « Tilbake Til Opprinnelsen » :
Lyric vidéo de la chanson « Bortgang » :
Album Dypet, sortie le 24 mars 2023 via Peaceville Records. Disponible à l’achat ici