Malgré son statut de précurseur dans le mélange entre rock et funk, on peut être passé à côté de Mother’s Finest. D’autres groupes pratiquant ce registre, tel que les Red Hot Chili Peppers ou Living Colour, ont eu un succès plus éclatant et une carrière plus régulière, éclipsant logiquement Mother’s Finest dont les sorties de disque, une fois passé les années 70 et le début des années 80, ont été espacées de longues périodes. A tel point que le groupe a sorti ses deux derniers albums en… pas moins de vingt ans ! Ce qui n’a pas empêché les musiciens du groupe d’avoir une carrière bien remplie, ni le combo en lui-même d’évoluer de manière naturelle et avec son temps.
Nous vous proposons donc une interview du bassiste et membre fondateur Jerry « Wyzard » Seay et, peut-être pour certains, une découverte d’un groupe qui démontre qu’il n’y a pas de modèle unique de carrière musicale. Une interview qui nous aura aussi permis de remonter aux racines du mariage entre rock et funk, ainsi que sur l’évolution du milieu de la musique au cours des décennies avec un artiste qui en a été témoin et acteur.
« Il n’y a aucun groupe comme celui-ci et nous n’essayons pas d’être quelqu’un d’autre. Nous n’avons donc qu’à rivaliser avec nous-mêmes. »
Radio Metal : Goody 2 Shoes & The Filthy Beast est le premier album de Mother’s Finest depuis Meta-Funk’n Physical en 2003, qui était aussi le premier album en plus de dix ans. Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre votre carrière entre parenthèse ?
Jerry « Wyzard » Seay (basse) : La carrière du groupe n’était pas entre parenthèses. Nous faisons différents projets, tu sais, nous avons tous fait des choses séparément. Nous sommes ensemble depuis longtemps et c’était naturel pour nous de prendre une pause. Lorsque tu t’échappes de ça, parfois c’est une bonne chose. Par exemple, je vis à Los Angeles et il y a plein de choses à faire, j’ai deux enfants, tu sais, c’était donc aussi bien de sortir du groupe et être une personne normale.
Est-ce que vous avez ressenti de la pression pour ce retour ?
Non, ce n’est pas une pression pour nous. Le fait est que dès que nous nous retrouvons et commençons à jouer, l’alchimie est toujours là. La chose en particulier qui fait qu’avec Mother’s Finest il n’y a pas de pression, c’est parce que nous sommes un groupe vraiment original, il n’y a aucun groupe comme celui-ci et nous n’essayons pas d’être quelqu’un d’autre. Nous n’avons donc qu’à rivaliser avec nous-mêmes. Si nous sommes heureux de ce que nous faisons, alors ça enlève toute pression.
Vous avez présenté une nouvelle chanson en décembre 2014. C’était un premier pas important, puisque c’était le premier enregistrement studio que vous sortiez en dix ans. Quels genres de réactions avez-vous reçus avec ça ?
Nous avons eu des réactions mitigées parce que ce n’était qu’une chanson sortie d’un CD complet, et lorsque tu écoutes la nouvelle musique, chaque chanson est complètement différente. Chaque chanson a sa propre personnalité. Nous savions donc que la première chanson que nous allions sortir… Tu sais, c’est un peu un son nouveau et nous voulions juste que les gens sachent que nous étions de retour et qu’ils aient un échantillon de cette énergie. Ce n’était donc pas quelque chose de très important, comme si nous étions en train de prouver quoi que ce soit. C’était juste une question de faire savoir aux gens que nous étions de retour et que nous faisions une musique différente. Tu sais, c’est un style différent aujourd’hui à cause de ce que nous sommes aujourd’hui. Une chose à propos du groupe : nous évoluons avec le temps. Nous ne sonnons pas comme nous sonnions à l’époque dans les années 70. Lorsque nous étions dans les années 70, nous étions fidèles à cette époque et maintenant nous sommes en 2015 et nous sommes fidèles au temps présent. La musique sonne donc plus actuelle. Ce n’est pas le vieux son, c’est un son différent. Nous avons changé avec chaque décennie et le nouvel album sonne plus comme ce que nous sommes aujourd’hui. Nous voulions donc offrir un petit truc aux gens pour qu’ils puissent dire : « Ok, ce sera quelque chose de différent. » Et ensuite, une fois qu’ils se procurent le tout, ils voient le tableau dans son ensemble.
Penses-tu que vous avez pu attirer de nouveaux fans qui n’ont pas eu la chance de vous découvrir il y a dix ou vingt ans ?
Nous espérons obtenir de nouveaux fans lorsque le travail est fini. Nous voulons vraiment prendre notre temps et laisser les gens l’écouter, le voir et prendre leur décision quant à savoir s’ils aiment ou pas. Le business de la musique est totalement différent aujourd’hui. Il y a tellement de groupes, il y a tellement de travail qui est fait de manière indépendante… Ce n’est plus comme c’était. Je veux dire que nous avons traversé toutes les phases… La manière dont nous avons réalisé cet album, en fait, c’est par le biais du financement participatif et nous nous sommes embarqués dans l’approche la plus moderne qui soit de faire de la musique, et en gros, nous le faisons de manière indépendante. Tout d’abord, nous avons fait les enregistrements nous-mêmes et ensuite, nous avons fait des démarches et avons conclu des accord de distribution et de marketing avec des labels. Et c’est ce que nous faisons : d’abord nous avons fait l’Europe, ensuite nous ferons séparément l’Amérique et ensuite nous ferons séparément l’Asie. Parce que, tu sais, même tout le processus pour faire de l’argent est très différent aujourd’hui. Tu ne fais plus de l’argent comme tu le faisais avant. Tu dois être créatif pour trouver de nouvelles manières de gagner ta vie dans ce business aujourd’hui. Nous espérons donc gagner de nouveaux fans, parce que nous sommes un groupe qui est là depuis toujours, comme chacun sait, mais nous sommes toujours très pertinents et très frais, selon moi.
Cet album est très moderne et combine tous vos éléments habituels : le côté rock et le côté funk. Dirais-tu que ces deux genres sont intemporels ?
Tu sais, c’est ce que nous faisons le mieux. C’est naturel pour nous et ce n’est pas quelque chose que nous feignons. Et je pense que le monde embrassera toujours les trucs funky et les trucs rock n’ roll. C’est comme les groupes avec lesquels j’ai grandi : j’adore Jimi Hendrix and j’adore Sly And The Family Stone et j’adore Led Zeppelin… Ces groupes mettaient du blues là-dedans, ils mettaient du rock là-dedans, ils mettaient des grooves funky là-dedans… Et ça, ça ne change pas en ce qui concerne Mother’s Finest. Ces ingrédients, pour ce qui est d’être à la pointe, funky, agressif, cool et bluesy… Nous avons toujours ces saveurs et je pense que les gens peuvent toujours s’y retrouver là-dedans.
« Nous avons toujours voulu avoir un groove heavy avec la puissance du rock. Tu secoues ta tête tout en remuant tes fesses ! »
Iron Age est généralement considéré comme votre album le plus heavy. Mais ce nouvel album a aussi des passages pas mal heavy. Vouliez-vous recréer une partie de la lourdeur qu’avait Iron Age sur cet album ?
Non, nous n’avons pensé à aucun de nos albums passés lorsque nous avons écrit la nouvelle musique. Tout est venu du feeling que nous avons aujourd’hui. Mother’s Finest n’est pas le genre de groupe qui fait beaucoup de recherches en écrivant. Nous écrivons la musique naturellement à partir de ce que nous ressentons sur le moment et ensuite nous nous retrouvons et assemblons le tout. Nous avons deux guitaristes heavy, et même l’approche de la basse et de la batterie peut être heavy, et Joyce est très agressive avec sa voix… Nous n’avions donc pas à recréer quoi que ce soit. Cette nouvelle musique est sûrement une combinaison de tous les albums que nous avons faits dans le passé.
Mother’s Finest comprend désormais deux guitares alors qu’auparavant, jusqu’au milieu des années 90, vous aviez une guitare et un clavier. Penses-tu que ce type de line-up que vous avez aujourd’hui correspond mieux à ce que vous voulez véhiculer dans votre musique ?
Les deux guitaristes fonctionnent vraiment bien. Parfois, le clavier me manque, mais j’aime le son que nous avons avec Mother’s Finest avec deux guitares. C’est un son différent mais ça va bien.
Les années soixante-dix et les quatre-vingt sont généralement considérés comme étant des sommets artistiques pour la musique hard rock. A cette époque, les groupes de hard rock étaient plus médiatisés et jouaient dans de grandes salles. Es-tu nostalgique de tout ça ?
C’est vraiment difficile… La chose (principale) à propos d’être un musicien, c’est que tu dois rester fidèle à toi-même. Si tu es un musicien de hard rock, c’est difficile pour toi d’essayer d’être un musicien de pop parce que le public, au bout du compte, ne ressentira pas ce que tu fais. Aujourd’hui, avec Mother’s Finest, nous ne sommes pas vraiment un groupe de hard rock, nous sommes plus un groupe de musique, tout simplement. Nous jouons une musique forte et agressive mais nous ne nous considérons pas comme un groupe de hard rock. C’est plus du funk et du rock. J’espère qu’il y a une audience pour la musique que nous venons de faire, j’espère qu’il y a assez de gens qui l’apprécieront et la soutiendront pour nous permettre de continuer et de faire un nouvel album pour pouvoir poursuivre notre carrière. C’est grosso-modo tout ce que je peux espérer. Je ne vais pas me mettre à changer tous les jours à cause du style qui est populaire dans le monde à un moment donné.
Puisque vous êtes de ces groupes qui ont eu la chance de jouer dans les années soixante-dix, quatre-vingt et aujourd’hui, comment comparerais-tu ces périodes ?
Elles étaient toutes totalement différentes. Les années 70, 80, 90 et 2000, chaque décennie était différente et c’est vraiment une bénédiction que d’avoir pu jouer pendant toutes ces décennies. C’est une récompense en soi de toujours avoir une audience après quatre décennies de musique. Les années 70 étaient supers, c’était très expérimental. Les années 80 étaient très gratifiantes parce que tu pouvais te faire beaucoup d’argent dans ce business. Les années 90 étaient très étranges à cause de… Tu sais, c’est là où on a grosso-modo laissé tomber les musiques heavy. Je suppose que la musique grunge venant de Seattle, comme Soundgarden et Nirvana, amenaient toujours des trucs sympas. Aujourd’hui, les années 2000, la musique à base de guitare est un peu [méprisée]. C’est plus porté sur la musique pop, tu sais, les divas, toutes ces émissions à la télévision comme La Nouvelle Star et The Voice, les boys bands et tout qui sonne parfait avec de l’auto-tune… Tu vois, c’est ce que les gens ont l’habitude d’entendre et ensuite il y a le téléchargement digital, tout est en train de changer et les gens s’attendent à ce que la musique sonne de manière parfaite et soit utile. J’ai toujours le sentiment que les gens ont besoin de musique naturelle faite par des artistes originaux et différents. Tu n’as pas à être… Je suppose que tu en souffrirais parce que tu n’obtiens pas les mérites de ce qui est populaire sur le moment, mais lorsque ton moment revient, ça te permet de continuer.
Aujourd’hui, les groupes de funk rock les plus connus sont les Red Hot Chili Peppers, Living Colour et Infectious Grooves, mais vous, vous faisiez ça bien avant eux. Vous considérez-vous comme des genres de précurseurs ?
Oui, je pense nous avions une longueur d’avance. Comme je l’ai dit avant, nous étions influencés par Sly And The Family Stone, Jimi Hendrix, Led Zeppelin, etc. Ces groupes, pour moi, faisaient du funk rock et des trucs expérimentaux avec la soul et le rock. Je connais Vernon Reid de Living Colour, les mecs des Chili Peppers, je vois tout le temps Flea à LA… Il écoutait Mother’s Finest quand il était gosse tout comme moi j’écoutais Sly And The Family Stone et d’autres groupes. Et nous avons aidé à influencer le changement et nous faisions clairement ça avant ces gars parce que nous étions là avant eux.
« Nous avons effectivement le sentiment que nous aurions pu aller un peu plus loin si nous avions été complètement blancs ou complètement noirs. »
Vous étiez effectivement l’un des premiers groupes à mélanger le rock et le funk. Comment l’idée de ce mélange vous est apparue au départ ?
Ouais, avec de la drogue… [Rires] Et naturellement en voulant expérimenter. Je me souviens lorsque nous sommes allés voir le film Woodstock, lorsque le film sortait, et nous l’avons regardé tant de fois Joyce, Glenn, Mo et moi-même et nous adorions la performance de Sly And The Family Stone. C’était tellement incroyable, c’était puissant. C’était motivé par le funk et pourtant c’était le concert le plus puissant de cet événement, à nos yeux. Et nous étions là : « Wow ! Qu’est-ce qu’on peut faire avec ce type de son ! » Voilà pourquoi nous avons toujours voulu avoir un groove heavy avec la puissance du rock. Tu secoues ta tête tout en remuant tes fesses !
Te souviens-tu quelles étaient les réactions à l’époque, lorsque vous êtes arrivés dans le paysage avec ce mélange de funk et de rock ?
Ce qui nous a fait du bien, c’est la réaction que nous obtenions des foules. Lorsque nous jouions la musique face aux gens, ils la ressentaient et ça nous a fait comprendre que c’était la bonne chose à faire. Nous étions influencés par tous nos héros et nous y allions et jouions la musique que nous écrivions, et nous obtenions de supers réactions ! Alors nous avons continué à avancer ! Et c’était naturel de continuer à faire ça et le rendre encore meilleur au fur et à mesure.
Comment comparerais-tu ces deux genres ? Qu’est-ce qu’ils ont en commun et qu’est-ce qui les différencient ?
Tu sais, au final, ce qui importe c’est la composition. Si la chanson donne de bonnes sensations, ça fait toute la différence du monde. Tout d’abord, tu dois avoir une très bonne chanson. C’est la première chose qui te donne de la puissance et ensuite la manière dont tu la présentes, que tu la fasses de manière agressive ou peu importe, dépend du type de musiciens que tu as dans ton groupe. Et la manière dont Mo joue, c’est un guitariste de rock mais il est très funky et je suis un bassiste de funk mais je suis aussi très électrique. Donc, ces combinaisons nous permettent de jouer d’une certaine façon mais nous nous sommes rendus compte que [ce qui importe le plus], c’est de le faire avec une chanson très bien écrite. Toutes les chansons les plus populaires sont aussi les chansons les mieux écrites.
Quel serait ton album de rock préféré de tous les temps ? Et même question pour le funk ?
Ok, album de rock préféré : Led Zeppelin I ou II. Et l’album Stand! de Sly And The Family Stone [pour celui de funk]. Je remonte loin… Earth Wind And Fire, j’aimais un peu ce qu’ils faisaient avant qu’ils ne se mettent à faire de la pop. Sly And The Family Stone, j’aimais à peu près tout ce qu’ils ont fait, genre les quatre ou cinq premiers albums qu’ils ont fait sont tous des classiques. Et puis Jimi Hendrix, s’il te plaît, ne me laisse pas l’occulter ! Chaque album qu’il a fait est un classique. Led Zeppelin, j’adore le son de ce groupe : le batteur, John Bonham, et John Paul Jones et Jimmy Page, cette alchimie, plus le chanteur et le talent de composition, même sur les chansons qu’ils ont volés [petits rires]… C’était la meilleure sélection musicale que tu pouvais obtenir.
A l’époque, vous avez généré une controverse avec la chanson ironique « Niggizz Can’t Sing Rock ‘n’ Roll ». Avez-vous en fait souffert du racisme en tant que groupe ?
Nous avons fait des tournées avec beaucoup de groupes différents… Nous avons fait une tournée avec Black Sabbath et Ted Nugent dans les années 70. Nous avons joué dans la ville de Philadelphie et on nous a poussés dehors avec des huées. Nous n’avons pas pu aller plus loin que la seconde chanson et c’était uniquement à cause de la couleur de peau, parce que la fois suivante que nous avons joué, à Chicago, nous avons eu une standing ovation à la fin du concert. Mais pour cette seule ville, c’était un problème. Et puis on ne nous remarquait pas. Nous avons essayé d’aller trop loin dans le marché du rock. Nous avons aussi fait une tournée dans les années 70 avec les Who alors que Keith Moon était encore ne vie, et la tournée était super. Je pense que les Who amènent une audience un peu plus éduquée et ils ne regardent pas tellement la couleur de peau. Certains concerts, comme lorsque tu es en tournée avec Lynyrd Skynyrd ou même Black Sabbath… Le public de Lynyrd Skynyrd est un peu difficile. Et puis même dans le business, comme lorsque nous étions signés chez CBS. CBS a été un super label pour nous mais nous avons traversé une période où la part noire du marché voulait plus de r’n’b alors que la partie blanche de la maison de disque voulait que nous soyons plus rock, et nous avions l’impression d’être tirés dans deux directions… Nous avons effectivement le sentiment que nous aurions pu aller un peu plus loin si nous avions été complètement blancs ou complètement noirs.
Interview réalisée par téléphone le 26 mars 2015 par Philippe Sliwa.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Mother’s Finest: www.mothersfinest.com.