Il est enfin là. Après un album entier terminé en 2016 puis jeté aux oubliettes en raison d’un emploi du temps pharaonique et de chansons devenues obsolètes, le frontman d’Alter Bridge, Myles Kennedy, nous livre son premier album solo. Ouvrage le plus « proche d’un concept-album » selon ses dires, Myles Kennedy a choisi de jouer une carte osée en illustrant un épisode tragique de sa vie, la mort de son père lorsqu’il avait quatre ans. Year Of The Tiger évoque ainsi une blessure d’enfance aux ramifications profondes. Reste à savoir si cette fois-ci, Myles Kennedy est parvenu à dessiner l’aperçu de sa personne qu’il souhaitait livrer à l’époque.
Cette blessure d’enfance, Myles l’évoque parfois dans Alter Bridge de façon subtile, le morceau « Cradle To The Grave » sur le dernier opus du groupe en est un bon exemple. Mais c’est la première fois qu’il extériorise et développe officiellement ce drame. Passant tour à tour de son point de vue à celui de sa mère restée seule avec deux enfants en bas-âge lors du décès de son époux, s’interrogeant sur la puissance de la foi ou encore sur ce que sa vie aurait été si son père avait été encore en vie, on navigue avec lui dans son intimité, sans jamais avoir un sentiment de voyeurisme, plutôt une conversation avec un vieil ami qui se dévoile et que l’on écoute attentivement. Le hard rock, registre habituel dans lequel s’illustre Myles Kennedy, a clairement été mis de côté afin de privilégier un esprit plus blues, plus folk, voire country. Les instruments choisis y sont pour beaucoup. Myles Kennedy joue tour à tour du banjo, de la mandoline, de la guitare lap-steel, des instruments aux sonorités folk qui confèrent à l’ensemble des morceaux une atmosphère typiquement sudiste. Le titre d’ouverture, « Year Of The Tiger » et ses accents zeppeliniens (on pense facilement à « The Battle Of Evermore ») avec sa mandoline et son tambourin donnent le ton : Myles Kennedy ne reproduit pas un Alter Bridge amoindri. On pourrait se trouver à la Nouvelle Orléans comme on pourrait être également avec Clapton ou Simon And Garfunkel (il suffit d’écouter les premières notes de « Turning Stones » pour s’en rendre compte), la production contemporaine en plus.
Quant au travail de la voix, on aborde là le point fort de l’album. Le registre qu’emprunte Myles Kennedy se veut plus varié, tantôt doux et caressant. « Haunted By Design » ou encore « Ghost Of Shangri La » nous emmènent sur les routes gorgées de soleil du sud des Etats-Unis, bercées par une guitare folk au son clair et une batterie jouée aux ballets – là est tout le paradoxe d’un album sachant s’extraire de la tristesse pour ramener de la chaleur, de l’optimisme et de l’espoir. Cette facette plus suave du chant de Myles Kennedy se retrouve justement lorsqu’il empreinte de manière plus appuyée un accent folk, à l’image de « Turning Stones » ou des harmonies vocales de « Blind Faith » qui lorgnent du côté de l’exubérance maîtrisée d’un Bjørn Berge ou du timbre de Cormac Neeson (The Answer). Il y a même un aspect théâtral au chant de Myles, notamment lorsque ce dernier se laisse aller à quelques envolée et va même jusqu’à atteindre un cri déchirant lors du refrain de « The Great Beyond », chanson orchestrale à la trame dramatique. La variété des compositions permet à Myles de s’exprimer d’une manière qui lui est plus difficilement exploitable dans ses autres groupes (« Devil On The Wall » lui permet de s’éprouver dans un registre proche du rockabilly). Sa voix ne cesse d’osciller entre plusieurs styles : parfois écorchée, parfois sensuelle, parfois murmurée, parfois criée. Il pourrait en faire trop, s’il n’avait pas un certain sens de la mesure, y compris sur « Love Can Only Heal », point d’orgue émotionnel de l’album, mélancolique à souhait où de simples « lalalala » font émerger un spleen presque baudelairien.
Year Of The Tiger est un album d’un chanteur marqué par la perte d’un être cher, en proie au doute toute sa vie et qui a décidé de se produire seul avec pour dessein de panser en partie ses blessures et de s’exposer de manière plus personnelle. Les multiples influences musicales, de Led Zeppelin à Jeff Buckley en passant par le blues énergique d’un Bjørn Berge par exemple permettent d’apprécier l’aisance de Myles Kennedy à leur rendre hommage. Si l’attente permet d’aboutir à un résultat qui vous laisse à fleur de peau au terme de l’écoute, alors elle en valait amplement la peine.
Avec la contribution de Thibaud Bétencourt.
Lyric video de la chanson « Love Can Only Heal » :
Lyric vidéo de la chanson « Devil On The Wall » :
Lyric vidéo de la chanson « Haunted By Design » :
Clip vidéo de la chanson « Year Of The Tiger » :
Album Year Of The Tiger, sortie le 9 mars 2018 via Napalm Records. Disponible à l’achat ici