Dévoilant fièrement son quatrième album avec Exul, Ne Obliviscaris semble poursuivre une voie qui lui a été toute tracée, à la conquête de nouveaux fans sur le globe. Onze ans après le premier album Portal Of I, la formation australienne – ou franco-italo-australienne devrait-on dire aujourd’hui – continue de séduire avec son metal extrême progressif qui mène une danse mélancolique avec ses guitares, son violon et sa dualité de chant clair/growl qui dessinent les contours de l’identité du groupe. Mais derrière cette illusion de parcours sans trop d’embûches, la vérité est bien plus complexe et ce quatrième album a failli ne pas voir le jour. Rattrapé par le contexte de pandémie, la réalité sociale et une industrie de la musique parfois cruelle, Ne Obliviscaris ne sort pas indemne des épreuves des dernières années et c’est aussi ce qui peut expliquer les couleurs plus sombres de cet opus.
Le guitariste et compositeur originaire de Bordeaux Benjamin Baret raconte sans langue de bois les difficultés qu’un groupe avec une notoriété comme celle de Ne Obliviscaris peut connaître, évoquant les déceptions et l’amertume à l’égard des différents interlocuteurs rencontrés depuis ses débuts dans le groupe en 2009. Loin de n’y voir que du noir dans cette expérience, il évoque aussi comment le projet a pu tourner quasi uniquement grâce aux fans qui ont soutenu la formation en y participant directement. Il revient également sur sa rencontre avec les membres fondateurs lors de son exil personnel en Australie et sur ce que le pays lui a rapporté, tout en évoquant aussi son rapport à la France et plus globalement à l’Europe. Naturellement, il revient avec nous sur l’écriture et la composition d’Exul et des thématiques que le lettré Xen développe dans ce nouveau disque.
« Je me plais à me voir plus comme un compositeur qu’autre chose. Je suis tout le temps en train d’écrire de la musique, alors que les autres écrivent de la musique plus par nécessité, quand il faut le faire. »
Radio Metal : Ce nouvel album, Exul, qui succède à Urn sorti en 2017, était annoncé pour 2020 sur les réseaux de Season Of Mist. Evidement, la pandémie est passée par là, mais y a-t-il eu d’autres facteurs qui ont contribué à repousser cette sortie ?
Benjamin Baret (guitare) : Oui, bien sûr. Pour être honnête, le Covid-19 et tout ça ont presque cassé le groupe. Comme beaucoup de monde dans le metal, nous arrivons à gagner un peu d’argent grâce à Patreon et aux tournées – ce qui est déjà super comparé à plein d’autres groupes –, mais je suis un des plus jeunes du groupe, j’ai trente-sept ans, or presque tous les autres membres du groupe ont plus de quarante ans, des enfants, une femme et compagnie, donc aller perdre de l’argent pour faire le con autour du monde avec ses copains, généralement ça ne passe plus passé quarante ans. Nous nous sommes tous enfermés dans des modes de vie comme nous le pouvions ; nous étions tous en mode survie, à travailler comme nous le pouvions, et ça a été dur de décrocher du boulot et du train-train que nous avions. Il y a eu pas mal de drames familiaux pour un peu tout le monde, de parents décédés, de divorces et compagnie. Ça a mis tout le monde à plat et ça a créé une grosse perte de motivation générale. Nous avons réussi à nous rebouger, mais pas sans mal, car nous avons quand même perdu Dan [Presland] dans l’opération après quinze ans de service, ce qui n’était pas facile. C’est la vie d’un groupe. Depuis 2008, il y a eu à peine deux changements de membres, ce qui est très peu pour un groupe, au final.
Effectivement, ça aurait dû être fait en 2020. Les batteries ont été enregistrées en 2020, puis plus rien. Heureusement, on est à une époque où il est plutôt facile de s’enregistrer depuis chez soi – en tout cas, ça n’a jamais été aussi facile. C’est ce que j’ai fait. Là, je vous parle depuis la chaise sur laquelle j’étais assis pour enregistrer et écrire l’album. Voilà ce qu’il s’est passé, c’est pour cela que nous avons perdu autant de temps. J’aurais aimé que l’album sorte l’année dernière, mais ce n’était pas possible. Même s’il était prêt, nous ne l’avions pas donné suffisamment en avance à Season Of Mist. Ensuite, il y a eu l’embouteillage de toutes les sorties de tous les groupes qui avaient enregistré un album pendant la pandémie. Il y a eu pas mal de problèmes à ce niveau-là également. Mais ça y est, c’est enfin là, c’est enfin sorti !
Qu’est-ce qui a fait que vous vous êtes relevés ? Qu’est-ce qui a ravivé la flamme ?
Nous réécoutions la musique, nous étions là : « Oh là là, ce n’est pas possible, on ne va quand même pas rien faire avec ça. Allez, on y va ! Allez les amis, on fait comme avant ! On va dans un bus et on va s’amuser autour du monde à rendre les gens heureux avec notre musique et ça va être super. » Nous avions un peu tous oublié ce que ça faisait, en tout cas à ce niveau-là. Je fais toujours de la musique, j’ai d’autres formations à côté, pas forcément metal, mais nous ne jouons pas sur des scènes du monde entier avec des gens qui viennent écouter la musique que j’ai en grande partie écrite. C’est quand même un autre délire. Les autres groupes, c’est sympa, mais il n’y a rien de mieux que de voyager et de voir les gens aux quatre coins du monde qui connaissent et apprécient ta musique, celle que tu as écrite sur ta chaise à Bordeaux.
Des parties ont été réécrites après le temps du confinement. Qu’est-ce qui a provoqué ces changements et qu’avez-vous véritablement changé, de ton point de vue ?
Il y a pas mal de choses. Le premier single qui est sorti, « Equus », n’a absolument rien à voir – c’est assez incroyable – avec la première version que nous avons écrite, qui faisait déjà dix minutes. Depuis quelques années, nous fonctionnons souvent comme ça, le bassiste Martino [Garattoni] et moi : nous écrivons beaucoup. Nous sommes tout le temps en train d’écrire. Je me plais à me voir plus comme un compositeur qu’autre chose. Je suis tout le temps en train d’écrire de la musique, alors que les autres écrivent de la musique plus par nécessité, quand il faut le faire. Du coup, nous avons envoyé énormément de matériel en disant : « On a tout ça. » C’était à l’époque où les autres ne faisaient pas grand-chose, nous avons un peu imposé le truc, et ensuite, ils sont revenus dessus plus tard en disant : « On va plutôt faire comme ça parce que ça sonne comme Benji et Martino, et pas comme NeO. » Ce qui était tout à fait vrai. C’est pour cela qu’ils ont pris le temps de retravailler pas mal de trucs pour rendre les chansons un peu plus à la mode de NeO et pas juste à la mode de Benji et Martino. Avec Tim [Charles], nous écrivons aussi pas mal, mais à l’époque c’était plus facile car nous vivions tous en Australie, et nous nous voyions, mais là, ce n’était pas le cas. Nous étions loin, ça faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus, il y a le décalage horaire, etc. Nous apprenions également à travailler différemment.
« Nous ne cherchons pas à impressionner qui que ce soit ou à faire mieux que tout le monde. Il ne s’agit pas d’être le premier de la classe. Des fois, j’ai l’impression qu’on nous accuse un peu de ça, or ce n’est vraiment pas comme cela que nous fonctionnons. »
Puisque tu parles de ça, peux-tu nous expliquer le fonctionnement dans Ne Obliviscaris ? Qui compose à la base, de quel instrument ou de quelle vision vous partez ? Est-ce que Exul a changé un petit peu par rapport à tout ça ou pas du tout ?
Ma manière de travailler n’a pas forcément changé. Je travaille tout seul. C’est-à-dire que je suis un grand geek de la guitare, je n’ai pas de télé chez moi, j’ai cinq guitares, je ne fais que ça, sur mon temps libre évidemment. Je fais beaucoup de guitare acoustique et ça part souvent de là. J’aime bien jouer avec l’harmonie. Ce qu’il se passe généralement, c’est que je trouve une progression d’accords qui me plaisent. J’essaie d’y ajouter une mélodie qui joue sur ces accords et ensuite, je le transforme en riff, j’en fais du metal. Au lieu de faire du strumming avec des accords, je vais plutôt prendre les notes qui me plaisent dedans et je vais en faire des riffs de metal, etc. Ensuite, je les écris, et tout de suite, quand j’écris de la guitare, j’ai le rythme qui va derrière. Nous avons tous les outils pour. J’aime bien programmer la batterie, je fais comme beaucoup de guitaristes, ça fait longtemps que je fais ça. Je programme la batterie qui va derrière. Je mets une ligne de basse très basique, qui sera retravaillée évidemment par Martino. Puis j’envoie ça à Martino et nous nous faisons du ping-pong. Généralement, ça lui déclenche d’autres idées. Il va enchaîner sur ce que j’ai fait. Il va me le renvoyer. Ça va me réinspirer. Nous nous inspirons l’un l’autre, en fait.
Je suis tout à fait capable d’écrire des choses en entier, mais ça sonne trop comme moi et pas assez comme le groupe, et quand nous faisons des échanges avec Martino, ça sonne trop comme juste Martino et moi. Donc nous avons besoin de Tim et de Matt [Klavins] pour que ça devienne plus du NeO. Généralement, nous ne laissons pas beaucoup de place pour le chant, par exemple, parce que nous nous en foutons. Nous sommes des guitaristes, donc nous ne pensons pas forcément à faire de la répétition pour laisser de la place au chant, etc. C’est un peu plus droit au but. Mais c’est toujours Martino et moi qui démarrons toutes les chansons. Sur Citadel, c’est moi qui ai fait tous les squelettes des chansons, sur Urn également. Depuis que Martino est arrivé, il est très bon niveau harmonie également, donc nous travaillons très bien lui et moi ensemble à ce niveau-là. Mais ça peut mettre très longtemps. Le record de rapidité, c’est « Intra Venus », le single d’Urn que j’ai fait en trois jours. J’ai accouché du truc comme ça et nous n’y avons pas touché, mais c’est vraiment l’exception. Sinon, ça peut mettre trois à six semaines, et trois mois plus tard, nous revenons dessus et nous faisons des modifications. Il y a toujours quelque chose qui change. Je pense que c’est franchement important de faire ça.
Ce que tu décris, c’est beaucoup de cycles de travail et de re-travail. Dirais-tu qu’il y a un sens du perfectionnisme chez vous ?
Oui et non. C’est quoi l’expression ? Le mieux est l’ennemi du bien. Ça fait maintenant plus de vingt ans que je compose des chansons, donc je suis passé par tous les stades possibles et imaginables. J’ai fait toutes les erreurs possibles et imaginables. Je sais très bien qu’à un moment il faut s’arrêter. Il faut arrêter de revenir un million de fois sur ses chansons et de dire qu’on va encore changer ça. Par contre, c’est quelque chose que je fais quand je m’enregistre : je reviens un million de fois sur le truc jusqu’à ce que ce soit comme je veux que ce soit, que ce soit parfait pour moi. Même si « parfait » veut dire qu’ici, il faut qu’il y ait cette imperfection, que là, il y ait ce squish de corde qui est un peu dégueulasse mais que j’adore. C’est sûr que nous avons envie de faire quelque chose de mieux, mais nous ne cherchons pas à impressionner qui que ce soit ou à faire mieux que tout le monde. Il ne s’agit pas d’être le premier de la classe. Des fois, j’ai l’impression qu’on nous accuse un peu de ça, or ce n’est vraiment pas comme cela que nous fonctionnons.
Exul semble être plus froid et accentuer le côté plus sombre de la musique. Les côtés chaleureux apportés par les passages folk ou flamenco ont un peu disparu. Même le pont un peu jazz sur « Misericorde II » dépeint quelque chose d’assez lancinant et mélancolique. Est-ce que ça faisait partie de votre intention de base pour cet album ?
Je suis d’accord avec cette analyse, mais ça n’a pas été nécessairement une intention. C’est juste une évolution des inspirations. Il y a eu une époque où je jouais pas mal de guitare classique et j’étais à fond dans le délire musique d’Amérique du Sud. Je le suis toujours, j’en écoute toujours beaucoup mais je joue beaucoup moins de ce style-là, tout simplement. Il y en a donc moins. Il y a moins de vrai picking au doigt. Je suis plus dans un délire de jazz moderne – enfin, qu’on s’entende, plutôt jazz swing ou jazz bop, early bop, ce genre de truc – en ce moment. Et effectivement, je pense que le côté plus sombre est ressorti naturellement parce que j’étais comme tout le monde, enfermé chez moi pendant des années contre mon gré, à avoir tout perdu. J’étais à Paris un dimanche soir et le lundi matin, je prenais l’avion pour partir en Australie pour enregistrer l’album et ils ont fermé les frontières dans la nuit. Je n’avais plus de revenus, je n’avais plus rien. Nous sommes donc rentrés, nous avons rebossé sur l’album comme des fous, puis nous avons enregistré et tout s’est un peu délité. Oui, c’est plus sombre. Je pense que ça reflétait un peu plus l’état d’esprit du moment. Et c’est vrai qu’il y a moins de passages flamenco, c’est plus du strumming un peu à la Opeth que tout le monde connaît. Ce n’était pas volontaire, c’est arrivé comme ça, c’est tout. Mais vous avez raison.
« [Tim Charles] est quelqu’un de très extraverti et qui parle beaucoup. Je sais que si ça ne tenait qu’à Xen, nous ne dirions rien. Xen, ce qu’il aime, ce sont les groupes qui viennent sur scène, qui explosent tout sans dire un mot et qui s’en vont en faisant un fuck, mais ça ne collerait pas avec NeO. »
Il y a peut-être aussi l’aspect technique qui a un peu évolué. Plus que sur les précédents NeO – ou peut-être Citadel –, on peut faire le rapprochement avec Vipassi, ton autre projet instrumental monté à l’époque avec des membres de NeO. Comment perçois-tu cette évolution technique sur ce quatrième album ?
Je ne m’en suis pas trop rendu compte sur le moment, mais depuis que je rebosse le set à fond pour préparer la tournée, je réalise que c’est un peu plus compliqué que d’habitude à jouer. Est-ce que c’est technique ? Je ne sais pas si c’est le mot, mais il y a plus de notes, il y a plus de choses à se souvenir, les mélodies ne fonctionnent pas tout à fait de la même manière. Je suis content que vous connaissiez Vipassi et j’en profite pour dire que nous avons également enregistré un deuxième album qui va sortir cette année, mais nous ne cherchons pas forcément le truc technique dans ce groupe, c’est plus aérien. C’est un peu comme le côté perte de flamenco, je ne l’ai pas vraiment vu venir. Il faut que d’autres personnes me le disent, comme vous, pour que je fasse : « Ah oui, c’est vrai. » Je ne m’en étais pas franchement rendu compte. Est-ce que ça a un rapport avec Vipassi ? Je ne sais pas. Est-ce que ça a un rapport avec le fait que j’ai vraiment mis la dose au niveau écriture avec Martino ? Je pense plus. Comme je le disais, avant, nous étions tous en Australie, nous écrivions beaucoup en répète. Enfin, nous prenions toujours une demi-heure ou trois quarts d’heure en répète pour que je montre qu’en ce moment je fais ci, je fais ça, et tout de suite, j’avais un retour qui disait : « Ah, fais moins de notes, mets moins de trucs. » Là, c’est autre chose. J’enregistre tout, je balance des démos et je suis là : « Bam, j’ai ça. » Et puis, plutôt que de m’envoyer un pavé d’e-mail en disant… Enfin, la manière de bosser n’est plus la même. Peut-être qu’on m’a mis moins de limitations que par le passé à ce niveau-là. Il y a peut-être ça. Généralement, si vous entendiez les premières démos des chansons de NeO, ça n’a rien à voir avec ce qui sort sur l’album.
Il y a un petit côté presque paradoxal dans ce focus que tu présentes sur les guitares, parce que globalement, on a l’impression qu’elles sont un peu plus en retrait que par le passé sur Exul, notamment au niveau du mix et du mastering. Le violon de Tim a toujours eu une importance majeure au sein du groupe, mais il semble d’autant plus prépondérant, presque le fil rouge de la mélodie. Ça peut aussi être le cas pour le violoncelle et l’alto. Comment avez-vous visualisé la place des guitares sur cet album ?
Nous travaillons avec Mark Lewis qui a également fait le mix sur Urn. Sur mes enceintes chez moi, je n’ai pas trouvé que les guitares étaient en retrait. C’est vrai que la voix et le violon sont parfois trop… Ce n’est pas qu’ils sont forts, mais ils sont vraiment sur leurs propres fréquences et il n’y a rien autour. Du coup, parfois, on a l’impression qu’ils sont un peu tout seuls, voire à côté du mix. J’ai également fait cette remarque, mais je n’ai pas été suffisamment appuyé, donc c’est comme c’est. C’est sûr que les guitares ne sont pas tout le temps dans ta face, comme du Cannibal Corpse ou je ne sais quoi. Je trouve qu’elles le sont quand elles ont besoin de l’être. C’est vrai que des fois, ça pourrait être un petit peu plus fort. Nous avons choisi de mettre un peu l’accent sur la basse parce que Martino est là pour la première fois et que j’aime toujours quand on entend très bien la basse ; je n’ai pas de problème à avoir la basse aussi forte voire plus forte que les guitares. Et puis il n’y avait pas de place tout le temps pour tout le monde.
C’est vrai que j’ai lu ça à droite à gauche, les gens trouvaient que les guitares étaient un peu en retrait, mais je trouve qu’elles sont là où elles doivent être. C’est sûr, il y a deux-trois passages où j’aurais aimé qu’elles soient un peu plus fortes, et c’est vrai que le violon prend souvent le fil conducteur, mais c’est mieux comme ça, je pense, parce que ça rend des passages un peu tech, pas forcément catchy, plus catchy. Soit on peut se concentrer sur le côté riff, soit on peut se concentrer sur un élément simple comme la mélodie de violon qu’il y a par-dessus, car Tim ne fait jamais quelque chose d’incroyablement compliqué. Ça me rappelle un peu Archspire qui font des riffs absolument imbitables à trois mille à l’heure : ou on choisit de n’écouter que ça, ou on se concentre sur la petite mélodie qui flotte par-dessus et qui est toujours un peu la bouée de sauvetage si on se perd dans la musique. Après, autant j’adore composer, autant tout ce qui est ingénierie du son, ça me saoule ! Ecouter un million de fois les mixes pour dire : « Oh non, l’automation à la neuvième minute trente… Si on pouvait avoir un petit peu moins de charley sur le côté gauche… » Je dis oui ou non une fois par semaine et c’est tout. J’adore écrire, mais alors mixer, non merci.
« J’ai pas mal d’amis russes qui sont eux aussi dans l’exil, qui sont en train de se casser comme ils peuvent à droite à gauche en espérant ne pas se faire enrôler de force pour faire de la merde, qui en ont marre de subir Poutine depuis qu’ils ont cinq ans, de ne rien pouvoir faire. »
Vous combinez aussi quelques éléments de la musique classique, comme on le voit encore sur cet album. Penses-tu que vous ayez gagné en fluidité en y mettant des petites touches qui se perçoivent peut-être un peu moins mais qui sont plus évidentes avec le reste de la mélodie, c’est-à-dire que ça fait partie intégrante de l’univers de NeO ?
Peut-être. Une fois de plus, je pense que je suis assez mauvais juge pour parler de ça moi-même. Comme je le disais tout à l’heure, je pense beaucoup à l’harmonie. Si c’est le cas, c’est parce que j’ai beaucoup étudié l’harmonie classique. Ça m’a toujours plu, donc peut-être qu’inconsciemment, il y a toujours ça, et puis ça fait vingt ans que je le fais, donc c’est sûrement plus fluide que ça ne l’était avant. Tim vient également du classique, il a beaucoup bossé tout ça. Martino, il ne vient pas exactement du classique, mais il a beaucoup bossé l’harmonie en Italie, parce que de toute manière, dans les vieux pays latins comme nous, on bouffe généralement du solfège et de l’harmonie, et si tu n’es pas dégoûté, tu continues. Personnellement, ça ne m’a jamais dégoûté. Peut-être que nous sommes effectivement devenus un peu plus fluides à ce niveau-là. C’est quelque chose sur lequel je travaille tout le temps, j’essaie toujours de changer, et quand nous changeons de tonalité, de clé, etc., j’ai toujours envie que ça se fasse le plus simplement et naturellement possible. Je déteste les riffs qui passent de l’un à l’autre sans queue ni tête et qui font juste patchwork, donc j’évite.
Depuis le début, Ne Obliviscaris est un groupe qui a beaucoup joué sur la dualité, l’ambivalence, que ce soit sur le chant clair de Tim et les growl de Xen, ou sur des mélodies parfois très joyeuses contrebalancées par des titres plus brutaux. Si on se place du point de vue du résultat final, est-ce qu’Exul joue autant sur cette bipolarité ou, au contraire, penses-tu que vous ayez réussi à réunir ces deux univers pour faire quelque chose de plus homogène ?
Non, je pense qu’il y a toujours beaucoup de dualité. Ce n’est pas mon domaine, mais Marc [Campbell alias Xenoyr] écrit tout le temps des paroles très sombres et il faut toujours que Tim le tance pour écrire des trucs un peu moins sombres et un peu plus en rapport avec ce que lui-même représente dans le groupe pour qu’il puisse chanter. Je pense que la dualité est toujours là. D’ailleurs, ils ont joué là-dessus pour le clip d’« Equus » et si vous nous voyez en live, c’est assez clair que les deux zigotos n’ont rien à voir l’un avec l’autre.
Justement, lorsque l’on vous voit en live, on voit un Xen complètement introverti et mystérieux qui chante derrière ses longs cheveux noirs. Tim, à l’inverse, est complètement extraverti, hyper expressif. Penses-tu que ce soit aussi ce noyau entre les deux vocalistes qui fait l’identité du groupe ?
Oui, bien sûr. Et puis, maintenant, ce sont les deux plus vieux membres du groupe. C’est Xen qui a démarré le groupe il y a vingt ans. Tim est arrivé quelques semaines après. Matt est arrivé, je crois, un an après. C’est sûr que ça a toujours tourné autour des deux chanteurs, et ils ont toujours été comme ça. A aucun moment ça n’a changé. Depuis que je le connais en 2008, Xen a toujours été la même personne à tous les niveaux. Tim, au début, était un peu timide sur scène, puis il a appris à ne plus l’être, parce que ce n’était pas du tout quelqu’un de timide à côté. Il est un peu comme il est sur scène. C’est quelqu’un de très extraverti et qui parle beaucoup. Je sais que si ça ne tenait qu’à Xen, nous ne dirions rien. Xen, ce qu’il aime, ce sont les groupes qui viennent sur scène, qui explosent tout sans dire un mot et qui s’en vont en faisant un fuck, mais ça ne collerait pas avec NeO. Tim, sûrement qu’il parle trop, mais des fois, nous lui disons : « Tim, tu parles trop. C’est bon, les guitares sont accordées, let’s go ! » et le concert d’après, il parle moins. Nous avons laissé Xen parler deux ou trois fois, mais c’était une catastrophe, alors nous lui avons dit : « Non, mais ferme-la, en fait c’est nul. C’est mieux quand tu ne parles pas » [rires]. Du coup, nous laissons Tim faire et ça passe comme ça. Au final, c’est comme les jeux de scène et tout, je m’en fiche un peu, je laisse la musique parler. Les gens sont contents, c’est ce qu’ils veulent voir. Je ne mise pas trop sur le côté jeu de scène et compagnie, d’autant que je suis nul. Je n’ai pas de cheveux, je suis toujours en train de faire des trucs un peu durs à la guitare, je ne suis pas une bête de scène, donc je ne vais pas en faire des caisses. Mais c’est sûr que la dualité des deux chanteurs reste importante et nous avons besoin de ça. Je ne pense pas que ça changera de sitôt.
« C’était assez dur à encaisser, de voir qu’en tant qu’immigré en Australie, j’avais plus d’opportunités qu’en étant citoyen de France. La vie est facile là-bas, vraiment. Il suffit de travailler et ça va bien se passer. »
Le cœur thématique de l’album semble axé sur l’exil. On parle ici d’un exil subi. Ça rend l’album d’autant plus d’actualité, puisque la triste coïncidence fait qu’il sort un an après le début de la guerre en Ukraine. On peut faire le rapprochement plus général avec l’exil des populations à causes des guerres, des dictatures ou du changement climatique, mais aussi l’exil animal puisque « Equus » parle des incendies qui ont ravagé l’Australie. Le concept et les paroles viennent de Xen, mais qu’est-ce que ça t’évoque personnellement ?
J’ai toujours bien aimé ce que Xen veut faire. C’est un grand lettré de la langue anglaise, donc j’ai beaucoup appris de l’anglais avec lui. Il ne fait pas juste semblant. Si un jour vous lui parlez, vous voyez que c’est quelqu’un de très éloquent. C’est quelqu’un de très sympa et tout à fait abordable. N’importe qui peut aller lui parler et il est content de parler avec des gens. Ce n’est peut-être pas l’image qu’il renvoie, mais c’est le cas. Il pourra vous en dire bien plus que moi à ce niveau-là. C’est sûr qu’en ce moment, comme tout le monde… En plus, le 24 février 2022, c’était mon anniversaire, donc j’ai eu droit à la guerre en Europe, c’était sympa… Dan a aussi annoncé son départ du groupe le même jour. C’était une sacrée journée !
Evidemment, je vais plutôt le rapprocher de la guerre en Ukraine, parce que, déjà, j’ai pas mal d’amis russes qui sont eux aussi dans l’exil, qui sont en train de se casser comme ils peuvent à droite à gauche en espérant ne pas se faire enrôler de force pour faire de la merde, qui en ont marre de subir Poutine depuis qu’ils ont cinq ans, de ne rien pouvoir faire. J’ai des amis qui accueillent pas mal d’ukrainiens, donc j’en croise régulièrement. C’est fou de voir des gens comme ça qui sont complètement paumés, qui avaient tous des vies à peu près normales avant. Ce ne sont que les femmes et les enfants qui viennent, puisque les hommes n’ont pas le droit de quitter le pays, pour le meilleur ou pour le pire. Ça fait bizarre, c’est tellement de vies brisées. On a l’habitude de la misère en France. Je ne sais pas dans quelle ville vous êtes, mais si vous allez à Paris, toute la misère du monde est partout, mais là, on en prend encore un peu plus que d’habitude. C’est une drôle d’époque qu’on vit et ce n’est pas près de s’arrêter. Je vais donc rattacher ce thème de l’exil à ce qu’on connaît surtout en Europe. Tous les migrants qui viennent des pays du Sud, qui essaient de remonter comme ils peuvent et qui se noient la moitié du temps en Méditerranée. Tous les gens de l’Est qui avaient une vie à peu près correcte et qui sont obligés de partir parce qu’il pleut des bombes, parce qu’un mec a dit : « La Russie est le plus grand des pays du monde » mais ça ne lui suffit pas, il faut que ce soit encore plus grand.
Penses-tu que l’intérêt d’avoir un concept autour de l’exil, c’est aussi que les messages sont multiples et que chacun peut l’interpréter un petit peu comme il veut ?
Oui, bien sûr. Xen a toujours mis l’accent là-dessus. Il veut toujours laisser un peu d’ambiguïté dans les paroles en sorte que chacun puisse voir midi à sa porte. C’est sûr qu’il a toujours voulu ça et c’est très bien ainsi. De toute manière, la musique, c’est pour tout le monde, chacun en fait ce qu’il veut. Quand je lis les critiques, j’ai l’impression parfois qu’on n’écoute pas le même CD. J’ai l’impression que personne n’aime la même chose dans la musique et les paroles. Il y en a qui disent : « Ça, c’est ma chanson préférée, celle-là je la déteste, je déteste ça » et l’autre dit : « Ah bah, c’est exactement pour ça que j’aime le groupe. » Je pense qu’il en est de même pour les paroles. Tout le monde les interprète comme il veut et prendra ce qu’il veut dedans.
A côté de ça, l’exil que toi tu as eu en Australie, c’était une bonne chose finalement ?
Oui, j’ai adoré. J’ai passé neuf ans de ma vie là-bas. C’était génial. J’adore ce pays. Melbourne est la meilleure ville du monde, surtout pour la musique. C’est absolument incroyable. On n’a rien qui se rapproche de Melbourne et c’est bien dommage. C’était une expérience géniale. Après, j’ai voulu rentrer parce que lorsque je suis parti, j’avais vingt-deux ans, et que je n’avais jamais eu l’opportunité d’être un adulte en Europe. Je ne voulais pas forcément rentrer en France. La France ne me faisait ni chaud ni froid, mais j’adore l’Europe. Je m’y sens partout chez moi. J’adore ce continent et ça me manquait vraiment d’avoir différentes langues et différentes cultures à quelques heures d’avion, parce qu’en Australie, tu fais quatre heures d’avion, tu es toujours en Australie. Il y a toujours des blancs qui parlent anglais et qui bouffent du McDo. Je l’ai fait pendant neuf ans et j’ai adoré, il n’y a pas de problème, mais à un moment, je voulais autre chose. Je suis rentré peu de temps avant le Covid-19, donc ça ne s’est vraiment pas du tout passé comme prévu. Je me suis retrouvé un peu coincé ici, mais au final, je suis plutôt content d’avoir passé toutes ces années horribles de Covid-19 en France plutôt qu’en Australie qui, pour le coup, a été encore plus dure que nous sur les règles. C’est Melbourne qui a le record du monde d’isolement, de confinement. Ils ont réussi à faire pire que nous. Après, ce n’est pas du tout le même délire parce que nous, ici, on vit dans des apparts les uns sur les autres. Eux ont tous des baraques, donc c’est peut-être plus supportable. Mais déjà que je le vivais mal ici, là-bas, ça aurait été pire, surtout qu’on n’en voyait vraiment pas le bout.
« J’ai été très déçu quand nous avons sorti Portal Of I. Tout le monde trouvait ça super, ça avait fait son petit effet dans le milieu et j’étais là : ‘Allez, on va enfin être dans le circuit, des tourneurs vont s’intéresser à nous, on va nous faire des propositions, etc.’ Que dalle ! Nous avons eu que dalle. »
J’imagine que tu as déjà répondu à cette question par le passé, mais comment se retrouve-t-on à l’autre bout du monde à jouer dans un groupe australien ?
C’est assez marrant. Je connaissais la démo The Aurora Veil, qui était sortie en 2007. Je ne sais plus du tout comment j’étais tombé dessus, mais j’avais trouvé ça super. Ensuite, j’étais passé à autre chose et un ami m’envoie une vidéo de Brendan [Brown], le bassiste de l’époque, qui fait une reprise de Cynic, un de mes groupes préférés. Je regarde et je me dis : « C’est vachement bien ! » Et je vois : « Ah mais c’est le mec de NeO ! » A l’époque, je suis allé voir sur Myspace et je vois qu’ils cherchaient un guitariste. J’avais terminé mes études. J’avais déjà des petits groupes, mais je voulais absolument avoir mon groupe sérieux, avec des super musiciens, et à Bordeaux je savais que c’était complètement mort. J’essayais depuis que j’avais seize ans. Tous les trucs que je faisais tombaient à l’eau, je ne trouvais pas les bonnes personnes, nous n’avions pas les mêmes visions, ce n’était pas du tout au niveau que je voulais, y compris en termes d’éthique de travail, etc. J’ai donc postulé, comme ça. Je ne pensais pas du tout qu’ils allaient me prendre. Au final, ils m’ont pris. J’ai pris mes cliques et mes claques, et j’y suis allé. Ça s’est très bien passé. Je me suis dit qu’au pire, ça allait mal se passer, que j’allais rester un an en back packing comme énormément de jeunes et que j’allais rentrer. Je suis finalement resté neuf ans parce que ça s’est très bien passé. Nous étions complètement sur la même longueur d’onde. Nous sommes très vite devenus potes et l’Australie m’a très vite offert énormément d’opportunités que la France ne m’offrait pas du tout. C’était assez dur à encaisser, de voir qu’en tant qu’immigré en Australie, j’avais plus d’opportunités qu’en étant citoyen de France. La vie est facile là-bas, vraiment. Il suffit de travailler et ça va bien se passer.
Ne Obliviscaris est un groupe qui a un lien particulier avec son public. Vous avez une communauté qui vous soutient beaucoup, les Ne Obluminatis. Vous avez été un des premiers groupes de cette taille à faire réellement appel au financement participatif pour tourner un peu partout dans le monde. Est-ce que cet engouement vous a surpris ?
Oui, vraiment. Je me souviens quand nous avons fait un premier crowdfunding, avant le Patreon, en même pas vingt-quatre heures, nous avions atteint l’objectif. J’étais complètement fou, je me disais que ce n’était pas possible, c’est incroyable. C’était en 2012 ou 2013, mais en fait, le groupe avait déjà presque dix ans, et il y avait énormément de monde qui voulait nous voir. Il y a aussi que j’ai été très déçu quand nous avons sorti Portal Of I. Tout le monde trouvait ça super, ça avait fait son petit effet dans le milieu et j’étais là : « Allez, on va enfin être dans le circuit, des tourneurs vont s’intéresser à nous, on va nous faire des propositions, etc. » Que dalle ! Nous avons eu que dalle. J’étais vraiment choqué. Je me demandais : « Mais qu’est-ce qu’il faut faire nom de Dieu pour tourner ?! » Nous nous sommes alors dit : « On va le faire nous-mêmes, bordel ! Il faut des thunes, on n’en a pas, tant pis, on va faire un crowdfunding et on va essayer de faire un max de trucs. »
Après, nous nous étions bien fait chier pour le crowdfunding. Nous avions enregistré des EP de vieilles démos. Nous avions pas mal investi, mais ça a été carrément rentabilisé. Du coup, sur la base de ce succès, nous avons pu commencer à tourner, en perdant de l’argent sur les tournées comme tout le monde. Nous avons surtout pas mal tourné en Asie à l’époque. Quand on est en Australie, les pays les plus proches, c’est la Nouvelle-Zélande, le Japon, la Thaïlande. Ce n’est pas comme si c’était un groupe français, genre tu prends ton van, tu vas en Espagne, au Portugal, en Italie, c’est jouable. Là-bas, le moins cher et le plus rapide, c’est d’aller en Thaïlande. Du coup, nous allons jouer en Thaïlande, nous allons jouer à Hong Kong, nous allons jouer à Taïwan, nous allons jouer en Chine. Et ça se passe bien, il y a du monde partout, nous sommes étonnés. Du coup, nous nous disons qu’il faut que nous continuions là-dessus. Après, c’était l’époque de Citadel et gros coup de chance – il ne faut pas se leurrer –, les mecs de Cradle Of Filth avaient beaucoup aimé l’album, ils nous ont pris sous leur aile et nous ont emmenés en tournée avec eux aux Etats-Unis et en Europe. Nous avons pu faire des belles salles et les gens se sont intéressés à nous. Ça a commencé à faire effet boule de neige.
C’était vraiment compliqué, mais nous nous sommes rendu compte que ça marchait. Nous avons pu rencontrer énormément de gens qui nous soutenaient depuis longtemps et nous nous sommes dit que nous pouvions faire un Patreon. C’est moi qui ai suggéré l’idée à l’époque, parce qu’il y avait déjà deux-trois jazzmans que j’aime beaucoup, des artistes solos, qui se servaient de Patreon. Nous ne connaissions pas encore vraiment de groupes qui le faisaient, mais j’ai dit que nous devrions essayer, que même si ça ne marchait pas, il y aurait toujours quelque chose, qu’au moins nous aurions essayé. Ma foi, ça a bien marché. C’est sûr que c’est beaucoup de boulot, mais ça vaut largement le coup. L’album est sorti depuis une dizaine de jours, je n’ai toujours pas de copie de l’album. On est en 2023, j’ai écrit la musique, et je n’ai même pas encore de copie de la musique ! Par contre, il y a plein de gens qui l’ont, il est disponible gratuitement sur YouTube, tout est piraté dans tous les sens. Spotify s’en fout plein les fouilles, c’est reparti. Moi, j’ai toujours que dalle. Donc on fait comment ? Tu essaies de tourner, un bus coûte deux mille euros par jour. Tu les trouves où tes deux mille euros ? Ensuite, tu arrives dans une salle et le mec se dit : « Tiens, tu vends des t-shirts ? Bah je vais te prendre vingt-cinq pour cent sur tes t-shirts. » « Ok. Et on fait quoi ? Qu’est-ce qu’il nous reste ? » « Bah, rien, vous faites ça pour le plaisir, non ? » « Ouais, ok… » Donc pour moi, c’est plus que légitime et au final, il y a plein de gens qui sont tout à fait d’accord avec ça et qui préfèrent nous filer cinq euros par mois pour le plaisir. Ça leur coûte deux cafés, ils s’en foutent.
« Le business de la musique est probablement le pire business du monde. Il y a beaucoup d’appelés, très peu d’élus, et il faut spammer tout le monde jusqu’à ce qu’on te connaisse. »
La signature sur un plus gros label dès Citadel et la popularité grandissante n’ont pas vraiment changé les choses par rapport à ça ?
Par rapport à ça, non, mais un label, c’est une banque à prêt zéro et des publicistes. C’est tout. J’aime beaucoup Season Of Mist parce qu’ils n’ont que des groupes que je kiffe. Tu vois qu’ils font ça pour l’amour. C’est un truc de passion, le boss est français, etc. J’ai des copains qui y travaillent également. Donc j’aime beaucoup, mais un label, c’est quelqu’un qui va te prêter de l’argent à taux zéro, il va te prêter X euros, et tu vas lui rendre X euros, qu’il va se refaire sur les ventes. Ce ne sera pas X plus dix pour cent, comme une banque. Surtout, ils apportent tout un réseau de publicistes et de gens qui envoient plein d’e-mails, et qui font tous ces trucs super chiants que je n’ai aucune envie de faire. C’est surtout ça que nous payons. Au final, ça reste le monde de la musique. Le business de la musique est probablement le pire business du monde. Il y a beaucoup d’appelés, très peu d’élus, et il faut spammer tout le monde jusqu’à ce qu’on te connaisse. Il n’y a que ça qui marche : la pub, encore et encore. Je l’ai compris dès Portal Of I. Tout le monde est là : « Ah ouais, c’est cool gars votre truc. Allez, tchao ! » Il faut faire de la pub, il faut gaver tout le monde avec ton truc jusqu’à ce que les promoteurs et compagnie n’entendent parler que de toi et se disent : « Tiens, on devrait mettre un billet sur ces gens-là » et puis bam ! Ils le font et là, c’est bon. Ils se rendent compte que les gens viennent et qu’ils gagnent de l’argent. Après, ils te rebookent, etc.
NeO a forcément un peu une histoire d’amour avec la France et le public français. Dirais-tu que le public français est l’un des premiers qui ont pu vous entendre, voire vous soutenir ? On a un peu cette impression depuis Portal Of I.
En Europe, oui. Ce qu’il y a, c’est que je n’étais pas là pendant tout ce temps parce que je vivais en Australie, donc je n’ai pas trop fait gaffe. Je me souviens très bien du premier concert de NeO en Europe, c’était au Hellfest, le 21 juin, jour de la fête de la musique – le meilleur jour de l’année où être en France. Tout s’alignait. C’était génial. Absolument fantastique. J’ai bafouillé trois mots au micro comme un débile, c’était assez pathétique et rigolo. La France, c’est plein de métalleux, mais il n’y a pas beaucoup de promoteurs. J’habite à Bordeaux, c’est le désert complet niveau concert metal. Ça se résume à Toulouse, Nantes et Paris. Nantes parce que le Hellfest est tellement une institution que tout le monde est là. Paris parce que c’est la seule véritable mégalopole en France. Toulouse, je ne sais pas trop pourquoi, mais ça bouge énormément. Je vais littéralement voir plus de concerts à Toulouse qu’à Bordeaux. Lyon aussi, ça se passe bien. C’est la deuxième plus grosse ville, il s’y passe plein de bonnes choses. Je pense que nous avons un très bon feeling en France, c’est sûr, mais nous n’avons pas l’opportunité de faire des dates incroyables. C’est plutôt un pays de festivals. Nous avons des super festoch de metal, mais le reste de l’année, ce n’est pas fou et je sais que plein de groupes pensent pareil. De toute manière, on préfère jouer là où les gens ont de la thune. C’est la Suisse, les Pays-Bas, les pays du Nord, là où les gens se ramènent : « Vous avez la monnaie sur un billet de cent euros ? » Il n’y pas ce problème en France [petits rires].
Nous vous avons vus sur la dernière date de votre tournée européenne avec Allegaeon à Nancy. Vous aviez complètement craqué ! Il y a eu une bière-pong sur scène, il y a eu des danses un peu improbables en même temps que vous jouiez… C’était le grand n’importe quoi !
A tous les coups ! La dernière date d’une tournée, c’est la tradition de toujours faire une petite blague aux groupes avec lesquels tu joues, évidemment. Je suis sûr que nous avons fait une connerie pour Allegaeon. Je crois que c’est aux Etats-Unis qu’ils étaient tous déguisés en Crocodile Dundee. A Nancy, ils n’avaient pas mis un matelas sur la scène, un truc comme ça ? Il faut toujours faire ça, c’est obligé. Quand tu es un mois dans un bus avec des gens à travers une vingtaine de pays, il se passe toujours des choses plus ou moins géniales. Après, avec Allegaeon, en tout, nous avons tourné aux Etats-Unis, en Europe, en Australie. Ce sont nos grands amis. Nous nous adorons, donc nous faisons toujours des blagues. C’était pareil avec Cradle Of Filth. Deux mecs de Cradle étaient venus avec des tutus danser sur scène. C’est le tourneur Garmonbozia qui nous avait fait jouer à Nancy. J’étais là : « Nancy, vous êtes sûrs ? » Finalement, il y avait un petit peu de monde. Je me souviens que c’était une super salle.
Est-ce que ça a aussi fait marrer Xen ? On a l’impression qu’il était un petit peu plus réservé…
C’est sûr qu’il n’est pas trop expressif, mais il se plie volontiers à l’exercice. Il reste dans son personnage de méchant, mais je sais que c’est du flan. Comme je le disais tout à l’heure, si nous pouvions juste être dans le noir avec des lumières rouges, rien dire, à part cracher du sang et faire des fuck, il aimerait bien, mais ce n’est pas ce que nous allons faire. Du coup, si des gens pouvaient éviter de faire des blagues sur scène… Mais moi, je m’en fous, j’adore ça. Je suis un petit blagueur ! C’est plus un humour de situation. C’est plus dans ce délire, ce truc un peu américain où c’est dans la vanne et la situation plutôt que dans des actions et des jeux de mots.
Interview réalisée par téléphone le 30 mars 2023 par Jean-Florian Garel & Erik Melkhian.
Retranscription : Julie Dubreuil.
Photos : Charles Magrin (1) & Matteo Ermeti (2, 4, 6, 8).
Site officiel de Ne Obliviscaris : neobliviscaris.com.au
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