Mine de rien, comme des jeunes de vingt ans, les membres de Nostromo reprennent innocemment la route du studio, des salles obscures et des festivals. Pourtant vingt ans, c’est ce qui sépare précisément l’album culte Ecce Lex et le petit nouveau Bucéphale qui, à l’exception de l’expérience acoustique Hysteron-Proteron, est le troisième opus des Suisses. Après une certaine stature, grâce à l’influence majeure du groupe dans le microcosme de ce que nous pourrions grossièrement appeler la scène mathcore, puisque rappelons que le premier opus Argue sort un an avant Calculating Infinity de The Dillinger Escape Plan et Ecce Lex la même année que Jane Doe de Converge, on pourrait imaginer une certaine pression à dévoiler ce disque du grand retour de Nostromo. A en croire le bassiste Ladislav Agabekov, pas vraiment. La raison est simple, il ne sait ni si son public est encore là, ni si l’album est assez bankable pour être bien reçu à l’heure où Spotify règne en maître et où les algorithmes conseillent plus que les disquaires. Une seule certitude peut-être, la majorité de son audience d’aujourd’hui n’a certainement plus vingt ans.
Si Nostromo est bien peu soucieux de tout cela, c’est parce qu’il reste incontestablement punk dans l’âme. L’histoire du groupe est aujourd’hui intimement liée à un concours de circonstances : de sa reformation à sa participation au Hellfest jusqu’à ses invités sur l’album qui vont de Dehn Sora à Monkey3. A l’écoute du surprenant panaché Bucéphale, aussi méthodique qu’hétérogène, difficile de croire que ce sont des simples coups de chance qui ont piloté le projet ces dernières années. Pourtant, une autre démonstration de cette aura punk qui subsiste dans le groupe, c’est tout simplement les conditions de réalisation de cet entretien avec Lad : sur Zoom, avec des écouteurs de téléphone, dans les rues de Lausanne puis dans le train… L’environnement n’était pas idéal pour un entretien complet, mais la discussion reste suffisamment claire pour connaître l’état d’esprit du groupe avec son nouveau cheval de bataille.
« Nous ne sommes pas dans un plan de carrière où nous nous disons que nous faisons Nostromo pour devenir des stars. Nostromo, c’est devenu un monstre de kiff. »
Radio Metal : Vous aviez cet album en tête dès 2019, il a été repoussé à cause du Covid-19, vous avez dû faire une campagne de financement participatif pour achever l’enregistrement, il était prévu pour 2021, il sort fin octobre 2022. Est-ce qu’on peut parler d’un accouchement un peu dans la souffrance pour Bucéphale ?
Lad Agabekov (basse) : Dans la souffrance, non, mais dans l’attente, oui. Comme tu l’as dit, nous planifions depuis un moment de sortir un album. Avant de changer de formation, nous étions déjà en train d’essayer de pondre au moins un EP ou quelque chose de plus long. Avant Narrenschiff, nous étions déjà un peu dans cette dynamique. Après, nous avons eu un changement, puis il y a eu pas mal de choses qui ont changé au sein du groupe. En ayant ce nouveau line-up et en terminant Narrenschiff, nous nous sommes dit qu’il fallait maintenant que nous nous lancions dans la composition d’un album. Avec Max [Hänsenberger], notre nouveau batteur, les choses se sont mises rapidement en place. Nous sommes allés beaucoup plus vite dans le processus de composition et de mise en place des morceaux. Nous nous sommes dit : « Super ! On va sortir un album rapidement ! » Grande erreur, parce que la vie en a décidé autrement. Nous sommes rentrés en studio en 2019 et puis il y a eu le Covid-19, etc. On sait toutes les difficultés qu’il y a eu. Comme nous sommes un groupe de scène, il n’y a aucun intérêt de sortir un disque s’il n’y a pas de tournée ou de scène derrière pour le défendre. Nous nous sommes dit que nous allions attendre un peu. Il est donc maintenant sorti et surtout, nous avons un label, ce qui était aussi une nouveauté pour nous, puisque le dernier label que nous avons eu était Overcome. Hummus Records sont des Suisses aussi et c’est super, nous sommes contents !
Comment avez-vous rencontré ce label ?
Ce sont des gens que nous respectons. C’est un peu les derniers underground suisses qui ont cette dynamique, genre : « On est undeground, mais on soutient la scène. » Ils sont très actifs. Jona [Nido] est quelqu’un de très professionnel, il sait de quoi il parle, ça fait plaisir. Et puis j’adore Coilguns. Donc nous nous sommes tournés vers eux et il se trouve qu’ils adorent Nostromo. C’est un peu un rêve d’enfance pour lui de sortir Nostromo sur son label. Ça s’est fait plus que naturellement. Ce n’était pas compliqué. Nous sommes super contents.
Vous vous êtes reformés en 2017, on peut penser que ça vous a un peu freinés dans votre élan : trois ans dans la musique, aujourd’hui, c’est très long. Est-ce que vous appréhendez ça ?
Honnêtement, nous ne sommes pas dans un plan de carrière où nous nous disons que nous faisons Nostromo pour devenir des stars. Nostromo, c’est devenu un monstre de kiff. Nous nous rendons compte de la chance que nous avons de jouer et de faire de belles scènes devant du monde, et nous prenons ça comme un énorme cadeau. Nous sommes plus qu’heureux. Nous prenons cette chance. Maintenant, c’est clair que ces trois ans, sans news, sans rien, dans la conjoncture et la dynamique actuelle où tout va très vite, où il y a une surmédiatisation de tout, nous ne savons pas comment l’album va être accueilli, nous ne savons rien. En tout cas, les salles sont toujours partantes pour nous faire jouer. Nous sommes actuellement en train de préparer une petite tournée pour l’année prochaine. Pour l’instant, ça se passe plutôt bien. Après, on verra, nous n’en savons rien. Nous avons fait quelques dates en Suisse qui se sont très bien passés. Maintenant, nous allons rejouer en France et commencer un peu à jouer en Allemagne. Nous avons de gros festivals qui tombent en Hollande et en Allemagne où nous ne sommes vraiment pas connus, donc nous ne nous attendons pas à grand-chose. On verra en France où nous avons quand même un petit public, j’espère que les gens ne nous auront pas oubliés.
Vous n’avez pas une notoriété à l’international ?
Il y a des aficionados du metal qui doivent sûrement connaître. Oui, il y a quelques personnes qui nous connaissent, mais le grand public metal ne nous connaît pas. Surtout dans la nouvelle génération, nous sommes inconnus au bataillon. Pour ça, merci Gojira, ça nous a redonné un coup de boost, mais maintenant, quelque part, nous avons tout à faire, tout à prouver. Il faut prouver des choses. Le public jeune ne nous connaît malheureusement pas. D’ailleurs, notre metal n’est pas très stéréotypé actuel. Aujourd’hui, il y a un son, une attitude, des choses qui se font dans le metal de la nouvelle génération, je ne me retrouve pas là-dedans, mais c’est très bien.
« Notre metal n’est pas très stéréotypé actuel. Aujourd’hui, il y a un son, une attitude, des choses qui se font dans le metal de la nouvelle génération, je ne me retrouve pas là-dedans, mais c’est très bien. »
Si on met à part vos EP, splits et l’album acoustique de 2004 qui est différent dans votre discographie, on peut dire que c’est le premier album depuis Ecce Lex qui a fait sensation en 2002. Est-ce que vous avez une attente particulière sur les retours des fans ?
Oui, évidemment, nous sommes un petit peu dans l’expectative. Honnêtement, nous sommes très fiers de cet album. C’est le principal. Maintenant, je te dirai que s’il est apprécié, tant mieux, s’il n’est pas apprécié, tant pis. Nous ne sommes plus dans cette dynamique que nous avions à vingt ans, où nous voulions à tout prix… enfin, je ne sais pas si nous voulions plaire à l’époque, mais nous sommes dans une autre dynamique. Nous faisons, nous kiffons, et je pense que les gens vont le ressentir à travers l’album. Si les gens aiment, c’est tant mieux, et s’ils n’aiment pas… je n’en sais rien, je n’ai pas sorti de disque depuis 2004, donc finalement je suis un peu dans des eaux troubles, je ne sais pas à quoi m’attendre. Je parle personnellement, je ne sais pas à quoi les autres s’attendent. Je pense que nous n’y pensons pas trop. Nous avons lâché le truc et nous sommes trop heureux que les gens puissent entendre finalement que Nostromo a évolué. C’est clair qu’au niveau du son, ça n’a rien à voir avec ce que nous faisions à l’époque. Ce que nous faisons aujourd’hui est beaucoup plus brutal. Je pense que techniquement aussi, il y a un sacré pas en avant, c’est vachement plus balaise. Après, nous n’en savons rien.
Comme tu l’as dit, c’est plus balaise, mais il y a toujours des riffs implacables qui sont associés à une batterie super efficace, et il y a une continuité directe avec l’EP que vous avez sorti, parce que le premier titre fait écho au dernier de Narrenschiff. A part l’aspect technique et production, qu’est-ce qui a fait que vous avez franchi de nouveaux paliers dans votre évolution ?
Je ne sais pas si nous avons mûri, mais nous avons tous pris un peu d’expérience d’un point de vue musical. Personne n’a arrêté la musique. Moi, j’ai continué de mon côté. Jérôme [Pellegrini] a continué Mumakil. Nous avons tous pris de la bouteille. Nous avons aussi un autre batteur qui nous a permis de faire d’autres choses, c’est super important. Il nous a permis d’aller beaucoup plus loin, et aujourd’hui, nous faisons des choses que nous ne pouvions pas faire il y a dix ans. C’est différent. Nous ne cherchons pas forcément la technique. Jérôme écrit quatre-vingt-dix pour cent de la musique et ensuite, nous l’arrangeons. Jérôme est vraiment super doué. Il fait des trucs vraiment barrés. Nous sommes là pour freiner un peu ses ardeurs et nous essayons de trouver une espèce de compromis entre des trucs super brutaux et des choses, pas groove, mais un peu plus simples – sans être péjoratif.
Vous avez conçu l’album avec Raphaël Bovey et Pedro Tomé. Tu t’es occupé du mastering. Vous aviez encore un haut niveau d’exigence ? Dirais-tu que vous êtes très minutieux à ce niveau-là ?
Oui, sur cet album, Raph nous a vraiment poussés par-delà nos limites. Ce n’était pas un album facile à enregistrer. Nous avons pris du temps. Il y a des moments où c’était vraiment dur, nous avons souffert. Raph est super exigeant. Il a vraiment poussé dans l’enregistrement, dans notre performance, et tu peux l’entendre dans le mix. C’est quand même du home made, nous avons tout fait chez nous, nous en sommes très fiers. Raph est un excellent ingénieur, et producteur aussi. Sans être officiellement producteur, il nous a quand même aidés à mettre en place des choses, il était très impliqué dans le processus. Pedro est celui qui a assisté Raph dans le travail, il a aussi fait des edits de batterie. Moi, ça me tenait à cœur de mastériser cet album.
Ce qui caractérise ce nouvel album, ce sont les quelques surprises et expérimentations, notamment sur des titres plus mi-tempo, mais aussi sur des collaborations surprenantes avec Treha Sektori et Dehn Sora qui a réalisé l’artwork et Monkey3, qui évolue plutôt dans le stoner et avec qui vous avez façonné le dernier morceau. La surprise est quelque chose qui doit rester fondamental pour Nostromo ?
C’est ce que je disais un peu avant, par rapport aux compos : cette ouverture, c’est la force de Nostromo. Nous ne sommes pas le pur groupe de death ou de grind. Nous avons toujours fait des choses un peu différentes, que ce soit Hysteron-Proteron ou quand, dans Ecce Lex, nous avons mis des petits interludes. Ce que nous faisons n’est pas non plus révolutionnaire, car d’autres le font aussi très bien, mais c’est un peu notre marque de fabrique de toujours essayer de surprendre, et surtout, de nous surprendre. Ce sont des rencontres, une idée, ça se fait, puis c’est génial…
« Ce sont les concours de circonstances qui font Nostromo. Nous sommes un groupe de bol, nous devrions jouer au loto ! »
Vous dites-vous que si vous, vous ne vous ennuyez pas, forcément l’auditeur ne s’ennuiera pas, ou bien y a-t-il une sorte de nécessité de se démarquer pour ne pas être noyé dans toutes les sorties ?
Je te jure que non. Nous n’y pensons pas. C’est naturel. Nous ne nous disons pas que nous voulons arriver à tel résultat. Nous sommes très égocentriques, finalement, nous pensons à nous. Nous faisons de la musique parce que c’est un moyen d’expression relativement primitif, c’est-à-dire que nous envoyons la dose et puis voilà. Après, si ça provoque des sensations ou des émotions auprès du public, putain, mission accomplie ! Mais nous ne nous disons jamais : « Il faut faire ça parce qu’à ce moment-là, ça va faire ci ou ça. » Ce n’est pas quelque chose de réfléchi d’un point de vue positionnement. Je pense que c’est plutôt une démarche qui est purement liée à l’évolution du groupe et que c’est pour simplement ne pas nous ennuyer nous et, indirectement ou directement, ne pas ennuyer le public, mais nous n’y pensons pas. Nous ne disons pas qu’il faut faire tel truc pour ne pas gonfler les gens. Ça passe plutôt par une espèce de réflexion naturelle qui a lieu au sein du groupe, par notre fonctionnement. Ça se passe par hasard. Tout d’un coup, Jérôme vient chez moi, un soir, dans le studio, et nous parlons de musique, il me fait écouter un truc de Ravi Shankar, et je me dis : « Putain, mais fous-moi ça en riff ! » De là est né le morceau « Asato Ma ». Après, nous avons rencontré Boris de Monkey3, nous avons fait une fête avec eux, et nous avons dit : « Ce serait génial qu’ils fassent ce morceau avec nous ! » Ce sont des espèces de concours de circonstances qui, tout à coup, découlent sur des projets et des idées, et c’est génial. J’adore ça en musique, mais si c’est calculé d’un point de vue positionnement, jamais de la vie !
La collaboration avec Dehn Sora, c’était suite à un concert organisé par Førtifem. Celle avec Monkey3, c’est suite à une rencontre en concert. Votre reformation, c’est parce que Gojira vous avait invités alors que vous étiez séparés à ce moment-là. Vous êtes un groupe qui fonctionne aux coïncidences et aux rencontres…
Exactement. C’est un peu ça. La reformation, c’était pour le mariage de notre batteur où nous avons joué en acoustique. Javier [Varela] a posté une photo, elle a fait un buzz, le Hellfest nous a contactés, du coup Gojira derrière, etc. Ce sont les concours de circonstances qui font Nostromo. Nous sommes un groupe de bol, nous devrions jouer au loto !
Tu mentionnes le Hellfest : vous aviez chauffé le public en disant que vous aviez fait dix heures de route pour venir jouer juste pour cette date, donc ce n’était pas pour rien. Résultat, c’était assez furieux dans le public…
Carrément ! Imagine, tu passes de rien à une date au Hellfest, c’est quand même énorme. Enfin, il n’y avait pas rien, mais nous avons recommencé en 2016, nous avons fait même pas dix dates et tout d’un coup, nous nous retrouvons au Hellfest. Nous n’aurions jamais pu imaginer faire ça, c’était monstrueux, le public, tout. C’était une expérience que je me rappellerai toute la vie. C’était Génial.
Vous vous êtes formés en 96, vous avez connu la fin des années 90 et le début des années 2000. Vous êtes revenus à la fin des années 2010 et là, on est dans une époque où tout le monde peut sortir un album plus facilement. Il y a un flux permanent de sorties, y compris dans cette scène qui est un peu une niche. Dirais-tu qu’aujourd’hui, c’est plus difficile de sortir un album malgré le fait que les conditions d’enregistrement soient plus favorables ?
Je pense qu’on vit une période complètement paradoxale, aussi bien dans la sortie de disques que dans la dévaluation d’un artiste. Nous avons été propulsés dans une période où il y avait l’émergence de MySpace et où la vie d’un groupe est maintenant indépendamment liée aux réseaux sociaux. C’est-à-dire qu’on estime la « bankabilité » d’un groupe par son nombre de likes ou de vues. Des fois, les vues sur Instagram ou Spotify ne sont pas forcément les indices d’un bon groupe. Je trouve que c’est complètement barge. Je suis un peu sidéré. Je fais beaucoup de musique électronique, et on voit des DJ aujourd’hui qui ne savent pas mixer mais qui ont trois cent mille likes. Ils jouent partout, alors que ce sont des gens qui ont zéro culture musicale, qui ne savent pas caller des disques, parce qu’aujourd’hui, avec les machines, on peut tout faire. Oui, il y a une grande accessibilité à la musique, c’est beaucoup plus facile aujourd’hui de faire de la musique, et en même temps, c’est plus dur parce qu’on est beaucoup plus nombreux. C’est un peu schizophrénique aujourd’hui, un peu paradoxal.
Sans entrer dans la rivalité entre l’électro et le metal, ne trouves-tu pas que dans le metal, il faut quand même connaître la musique, qu’il y a quand même une exigence supplémentaire, que c’est plus compliqué ?
Bien sûr, c’est clair. C’est plus compliqué, mais les réseaux sociaux font beaucoup. Un groupe qui se positionne sur les réseaux sociaux, par rapport à un autre qui ne se positionne pas… Tu as ma réponse ! Il y a des gens qui sont bons là-dedans, qui savent se vendre. L’image est très importante aujourd’hui. Il n’y a pas forcément que la technique, savoir jouer. On est obligé aujourd’hui. Nous le faisons aussi, mais ce n’est pas notre passe-temps favori. Nous nous occupons un peu de notre Instagram, de notre visibilité, parce que si tu n’es pas visible sur les réseaux, tu es mal, enfin je pense, c’est l’analyse que j’en tire.
« La vie d’un groupe est maintenant indépendamment liée aux réseaux sociaux. C’est-à-dire qu’on estime la ‘bankabilité’ d’un groupe par son nombre de likes ou de vues. Des fois, les vues sur Instagram ou Spotify ne sont pas forcément les indices d’un bon groupe. Je trouve que c’est complètement barge. »
Pour revenir à l’album, celui-ci s’intitule Bucéphale. Il s’agit du cheval d’Alexandre le Grand que lui seul est parvenu à dresser. Qu’est-ce que ce titre renferme conceptuellement sur cet album ?
Tu viens de le dire : lui seul a réussi à le dresser parce qu’il s’est posé les bonnes questions. Il a cherché la cause : pourquoi cet animal est-il si effrayé ? Il avait compris que ce cheval, qui paraissait indomptable, avait finalement peur de son ombre. Il a tourné la tête du cheval dans l’autre direction par rapport au soleil pour qu’il ne puisse plus voir son ombre. Il a réussi à le dompter. Cette idée de chercher la causalité, de ne pas forcément juger par les attitudes que les gens peuvent avoir, ça nous a plu. Il s’agit de chercher la cause des choses. Puis Bucéphale, le nom nous plaisait, et nous avons trouvé géniale l’imagerie qui pouvait découler de cette espèce de puissance représentée par ce magnifique cheval. Ce sont des choses dont nous discutons généralement et c’est vrai que nous nous retrouvions bien dans cette symbolique, ça nous correspondait bien. Dehn Sora nous a fait un visuel de tueur. Au niveau imagination et créativité, il capte très vite et il a un univers très particulier, c’est ce qui nous a fait kiffer. Nous lui avons parlé de Bucéphale et il a immédiatement saisit l’essence de ce que nous voulions et nous lui avons laissé carte blanche. Ceci étant dit, le concept reste assez basique. Les paroles ne sont pas forcément liées au titre Bucéphale. Nous arrangeons un petit peu les thématiques en fonction des idées et puis ça donne quelque chose de relativement cohérent, sans avoir forcément le fil conducteur.
Tu disais que sur le précédent il y avait un rapport à la psychologie des gens. Quand on lit un petit peu les textes de Bucéphale, on a l’impression qu’il y a un propos plus misanthrope, plus dans le rejet et la colère. Pour toi, ça reste dans une continuité logique ?
Oui, parce que c’est toujours par rapport à la psychologie humaine et individuelle. C’est Jérôme qui écrit la plupart des textes et il est très monomaniaque par rapport aux thématiques. Il y a juste un texte où nous avons participé, j’ai un peu donné des idées, c’est le « Κατάϐασις », qui raconte une déchirure sentimentale, avec cette idée de rejet. C’est le thème de la catabase, qui est le mouvement de descente aux enfers. Mais ce sont souvent des thèmes un peu psychologiques. Nous ne nous engageons pas dans de la politique aux considérations morales. C’est souvent sur l’individu et des choses qu’on ressent.
Est-ce que ces paroles ne sont pas plus rudes parce qu’elles sont en lien avec votre musique qui paraît aussi un peu plus noire que ce que vous faisiez avant ? Ça va de pair, non ?
Oui, je pense. Je pense que notre musique est plus dark aujourd’hui. La voix de Javier est aussi beaucoup plus grave et il y a un côté un peu plus torturé, j’ai l’impression. Il y a un truc un peu plus pesant.
As-tu toujours des projets en tête pour fusionner l’univers de Nostromo avec la musique électro ? C’est ce que tu nous avais mentionné la dernière fois…
Disons que c’est un peu mon rêve, de pouvoir intégrer la musique électronique à Nostromo, mais ça demande énormément de travail et pour l’instant, nous avons tous des emplois du temps chargés. Mais oui, j’aimerais à un moment donné intégrer ça. Peut-être que pour la prochaine tournée, nous allons un peu commencer à travailler sur des interludes. Je vais peut-être amener un instrument électronique sur scène et travailler sur des interludes entre les morceaux. C’est vraiment quelque chose qui m’intéresse à fond, les drones, les trucs un peu bizarres comme ça… sans rentrer dans du metal industriel. Ça ne va pas faire un élément de la composition. Ça va plutôt créer des textures au niveau des basses, etc., c’est ce qui m’intéresse. C’est excellent. Nous l’avons un peu fait sur « Κατάϐασις ». Avec Dehn Sora, nous avons amené d’autres textures et je trouve ça génial. Sur « Asato Ma » aussi. Nous nous sommes permis de mettre des surprises ; je ne vais pas les dévoiler maintenant, je vais laisser les gens découvrir. Je ne pense pas que nous aurions fait ça il y a dix ans.
Tu as déjà évoqué quelques pistes, mais est-ce que vous pensez déjà la suite de cet album et de ce nouveau cycle qui s’est ouvert depuis la reformation ?
Oui, c’est clair. Jérôme a déjà commencé à composer, je crois que nous avons cinq ou six morceaux maquettés. Je pense que la dynamique est là. Maintenant, l’objectif est quand même de défendre ce disque au mieux. La priorité est vraiment de travailler cet album pour que ça défonce sur scène. Personnellement, c’est mon plus grand kiff : tout ce travail de studio, ce brainstorming, tout cet accomplissement, c’est quand même destiné à la scène et à ce plaisir ultime de partager avec le public. Il y a une dizaine de dates qui sont tombées en France et je pense qu’il y a des festivals aussi qui risquent de tomber.
Interview réalisée par téléphone le 12 octobre 2022 par Jean-Florian Garel.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Photos : Mehdi Benkler (2, 4, 5).
Facebook officiel de Nostromo : www.facebook.com/nostromogva
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