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Interview   

Obsidious : nouvelles perspectives


Avril 2020, coup de tonnerre chez Obscura : le guitariste Rafael Trujillo, le bassiste Linus Klausenitzer et le batteur Sebastian Lanser quittent simultanément le groupe. Si Obscura annoncera très rapidement avoir reconstitué son line-up avec d’anciennes connaissances, les trois musiciens ont poursuivi leur route ensemble et mettent en ligne un an après le premier clip de leur nouvelle formation Obsidious. Forcément, avec le déluge de notes introductif du single et morceau éponyme du nouvel album Iconic, la parenté avec leur précédente formation est immédiate, mais très vite, on se rend compte qu’ils ont profité de ce nouveau départ pour élargir leurs horizons, notamment sur le plan vocal avec le très polyvalent Javi Perera qui va du chant clair power metal au growl death metal, en passant par toutes les nuances intermédiaires.

La technique et la virtuosité sont donc au rendez-vous à tous les niveaux, mais pas que, puisque pour Linus et Javi, avec qui nous avons échangé, celles-ci ne sont que des outils et doivent servir la musique. Nous discutons donc de tout ceci avec eux, de la formation d’Obsidious à leur vision de « l’évolution moderne du metal progressif et technique », en passant par les thématiques relevant de l’humain inspirées par l’expérience du chanteur dans son métier d’infirmier dans divers services hospitaliers.

« Je trouve ça assez contre-productif de s’enfermer dans un seul genre musical, car autrement, ma palette créative serait beaucoup plus restreinte. Selon moi, tous les genres musicaux ont leur place, leur moment et leur humeur. »

Radio Metal : Tout d’abord, Linus, revenons sur ton départ d’Obscura, avec Rafel Trujillo et Sevastian Lanser. A ce propos, Steffen Kummerer nous a dit qu’« aucun [de vous] n’écoute du death metal. Or quand on n’a pas envie de jouer du death metal, on ne devrait pas rejoindre un groupe de death metal. » Penses-tu avoir mal compris le genre de groupe qu’était Obscura ?

Linus Klausenitzer (basse) : C’est assez intéressant d’entendre ça. Je n’avais jamais entendu cette accusation avant. C’est très étrange [petits rires]. Pour y répondre de manière politiquement correcte : bien sûr que nous aimons le death metal. J’en joue depuis mes dix-huit ans, donc ce serait assez bizarre si ça n’était pas le cas. Je pense que, peut-être, ce que Steffen voulait dire est que ses racines ont toujours été le death metal plus old school, alors que Sebastian et Rafael, par exemple, sont un peu plus portés sur le metal moderne. Steffen et eux n’avaient pas les mêmes goûts. Mais selon moi, c’était une bonne chose pour Obszcura, c’est ce qui a rendu le groupe aussi varié à ce moment-là, et ça a toujours été comme ça. Chris [Münzner], par exemple, était un guitariste bien plus power metal à l’époque et je ne crois pas que Steffen aime le power metal, donc ce mélange a toujours fait partie d’Obscura. Donc, je ne suis pas d’accord avec lui à ce sujet. Ce n’était pas la raison pour laquelle nous sommes partis. Ce n’étaient pas les goûts musicaux. Comme on peut l’entendre dans le nouvel album d’Obsidious, c’est plein de parties death metal.

Le fait que vous soyez partis d’Obscura était une surprise, surtout dans ton cas, vu à quel point tu étais impliqué avec Steffen dans la composition des deux albums sur lesquels tu apparais. Quel a été le déclencheur de cette décision de quitter un groupe dans lequel tu t’étais autant investi ?

Linus : C’est toujours difficile de décrire ça à quelqu’un qui n’était pas là, car c’est lié à plein de petites choses. Ce n’est pas comme s’il y avait eu un événement à la suite duquel nous aurions pris cette décision. C’était la somme de plusieurs petites choses. Pour moi, la raison principale était vraiment que je ne voyais plus d’avenir. Je ne voyais pas de perspective de développement. Je ne voyais pas de perspective de résolution de certaines tensions entre les membres du groupe dans les deux années qui allaient venir. Je voyais des problèmes émerger et qui, au fil des années, ne faisaient que s’accroître. A un moment donné, j’ai commencé à réaliser que, de jour en jour, ça devenait de moins en moins amusant. Quand on ne s’amuse plus, c’est le moment d’arrêter. Quand on joue dans un groupe de metal underground, comme Obscura, il faut vraiment que ce soit amusant, car il faut tellement travailler et faire d’efforts que si plein de choses ne vont pas, c’est probablement plus facile de quitter le groupe que si on était dans Aerosmith, Metallica ou ce genre de groupe, car dans ce cas, c’est ton gagne-pain. Obscura n’a jamais été le gagne-pain d’aucun membre. Nous gagnions de l’argent quand nous faisions des concerts, mais entre-temps, nous devions organiser et préparer des choses, et ce n’était pas très marrant. Il y avait beaucoup de travail administratif.

Vous êtes maintenant de retour avec un tout nouveau groupe baptisé Obsidious. Aviez-vous en tête au moment de quitter Obscura que vous créeriez un autre groupe ensemble ?

Linus : Bien sûr, nous avons parlé. Nous avons fait une tournée avant de quitter le groupe et nous avons continué à parler des problèmes. J’en ai aussi parlé à Steffen, mais je pense qu’il ne voyait pas quel point c’était problématique pour moi, même si j’ai essayé de lui en faire part. Quand nous avons quitté Obscura, nous avons réalisé que nous voulions continuer à faire de la musique ensemble, car Rafael et Sebastian étaient absolument les meilleurs musiciens que j’avais jamais rencontrés et avec qui j’avais fait de la musique, et je ne voulais pas perdre cette alchimie que nous avions ensemble. Comme je l’ai dit avant, j’étais mécontent dans Obscura et je ne voyais plus de perspectives : c’est exactement ce qui a changé avec Obsidious. Nous avons commencé à travailler sur de la nouvelle musique et c’était genre : « Oh, cool, on peut faire ci maintenant, on peut faire ça. » Tout d’un coup, la flamme s’était rallumée et on pouvait sentir que tout le monde travaillait sur la même chose. Je suis absolument convaincu que, niveau composition et production, et tant d’autres niveaux, nous avons franchi énormément de paliers par rapport à Diluvium. C’était une expérience très satisfaisante pour moi. Et nous avons Javi qui est un chanteur incroyable ! Nous avons beaucoup de chance.

Etait-ce délibéré de choisir un nom de groupe qui commence par les mêmes lettres qu’Obscura afin de créer un lien subliminal avec votre ancien groupe ?

Linus : Au tout début, nous avons même songé à faire un second Obscura, à la manière de Rhapsody Of Fire. Pour diverses raisons, nous ne l’avons pas fait et j’en suis très content, car soyons honnêtes, Obsidious n’a pas grand-chose à voir avec Obscura. C’est quelque chose de nouveau et c’est ainsi que ce doit être, même si soixante-quinze pour cent des membres du groupe viennent d’Obscura. Nous avons fait une liste d’une centaine de noms de groupe. Nous avons voté et, au final, c’est le nom qui est resté. Nous aimions l’image de l’obsidienne, qui est une pierre créée lorsque la lave touche l’eau. Cette réaction énorme et iconique qui donne naissance à l’obsidienne, une pierre super dure et lourde, était une image que nous avions en tête et que nous aimions beaucoup. Ensuite, nous nous sommes rendu compte : « Attends une minute, on a les trois premières lettres d’Obscura. Est-ce que ça pose problème ? » Nous avons dit : « Quelle importance ? » Peut-être même que c’est cool de réaliser que c’est toujours nous. Mais ce n’était pas fait exprès. C’était une simple coïncidence.

« Je ne veux pas avoir l’air arrogant, mais je crois profondément qu’avec cet album, nous avons créé quelque chose qui n’existait pas avant, et j’en suis sacrément fier, car c’est très dur d’accomplir ça de nos jours. »

Pour Obsidious, ils t’ont recruté pour être leur chanteur, Javi. Comment ça s’est passé ?

Javi Perera (chant) : C’était grâce à Rafael. Il m’a contacté sur Instagram, je crois, durant l’été 2020, car un ami commun lui a parlé de moi. Il m’a demandé si ça m’intéressait d’auditionner pour eux. Evidemment, je ne savais pas qui était Rafael. Je ne connaissais même pas Obscura. Le seul contact que j’avais eu avec le tech death était lorsque j’ai écouté une chanson de Beyond Creation, c’est tout. En dehors de ça, j’étais là : « Je ne sais pas quoi faire. Bon, tentons le coup. » J’étais en vacances à Rome à ce moment-là et une semaine plus tard je suis revenu dans mon studio ici. En n’ayant aucune idée de ce que ce style de musique était censé impliquer, j’ai fait mon propre truc, et il semblerait que j’ai réussi l’audition !

Penses-tu que le fait ne pas avoir d’idée préconçue sur ce type de musique a joué en ta faveur ?

Javi : Absolument, car autrement, j’aurais probablement eu une autre approche vocale. Rien que le fait d’avoir une toile vierge, en termes de créativité, a beaucoup joué en ma faveur, car je n’étais pas brimé dans le sens de : « Ils viennent de ce groupe, ils ont normalement du chant comme ça. » A la place, j’ai dit : « Je vais faire ce que mon instinct me dicte. »

Linus : J’adore ça, car typiquement, quand on recherche des musiciens qui officient dans le même genre musical, ils optent pour des parties stéréotypées et se reposent sur les influences de ce style. Javi n’a pas fait ça et c’était très rafraîchissant. D’un autre côté, il comprend parfaitement. Il est capable de parler le même langage musical. Il comprend ce qu’est la polyrythmie. Il a une très bonne oreille et il saisit ce que nous faisons harmoniquement. Ça a beaucoup aidé.

Javi : En effet. Le fait de parler le même langage est toujours un gros plus.

Quel était ton background avant de rejoindre Obsidious ?

Javi : Bonne question, car ma rencontre avec le rock et le metal – comme vous pouvez le deviner avec mon chant clair – a commencé avec le power metal, surtout quand j’étais adolescent. C’était le type de musique que j’aimais le plus en termes de chant, surtout Symphony X, Dream Theater et Rhapsody Of Fire. Evidemment, ça a laissé des traces en moi, comme vous pouvez le remarquer dans cet album. En dehors de ça, j’ai joué du piano en école de musique il y a des années de ça. J’ai donc touché à différents types de musique. Je trouve ça assez contre-productif de s’enfermer dans un seul genre musical, car autrement, ma palette créative serait beaucoup plus restreinte. Par exemple, l’une des chansons de l’album, « Delusion », possède une partie très jazzy. Si je n’avais pas du tout appris le jazz, je l’aurais abordée avec des textures ou des harmonies vocales très différentes. Je peux écouter aussi bien du metal extrême que du deathcore, du heavy metal, du prog, du jazz, du funk, de la pop, plein de musique classique… Selon moi, tous les genres musicaux ont leur place, leur moment et leur humeur.

Vous avez déclaré vous considérer « comme étant l’évolution moderne du metal progressif et technique », ce qui peut paraître prétentieux. Mais pensez-vous que la prétention fait partie de l’art ?

Linus : Je ne veux pas avoir l’air arrogant, mais je crois profondément qu’avec cet album, nous avons créé quelque chose qui n’existait pas avant, et j’en suis sacrément fier, car c’est très dur d’accomplir ça de nos jours. On peut l’aimer, on peut le détester, tout ce qu’on veut, mais je pense vraiment que cette combinaison de chant clair, de growl et de toutes les nuances entre les deux, tous les éléments power metal mélangés à des éléments de fusion, tout en sonnant quand même comme un groupe de death metal, ça n’existait pas avant.

Javi : Je suis absolument d’accord et ça rejoint ce que je disais juste avant : chaque genre musical a sa place, son moment et son humeur. Ce n’est donc pas nécessaire d’être extrêmement technique ou de faire ce que le monde nous sait capables de faire. Pourquoi ne pas étendre notre palette, notre périmètre ou le nombre de genres musicaux parmi lesquels nous pouvons piocher, en mélangeant le tout ? Tant que nous sommes contents du résultat, je n’y vois aucun mal. Bien sûr, comme l’a dit Linus, on peut aimer ou détester. C’est comme la nourriture. Tout le monde n’aime pas les sushis ou la nourriture indienne, mais ça ne veut pas dire que c’est mauvais. Peut-être que ce n’est pas pour vous, mais peut-être que quelqu’un d’autre adorera. Pas de problème. Mais pour revenir à la question, pour être un artiste et se démarquer, il faut avoir un certain égo, même au risque d’avoir l’air prétentieux. Au bout du compte, c’est comme la publicité : qu’ils en disent du bien ou du mal, l’important est qu’ils en parlent.

« Quand on pense au terme ‘progressif’, on pense tout de suite à Dream Theater, Symphony X et Opeth, or quand j’écoute tous ces groupes – que j’aime toujours –, soyons honnêtes, ils changent des choses dans leur univers préexistant, mais ils ne font pas vraiment progresser la scène et ce style musical. »

Linus : Peut-être que c’est mon niveau d’anglais qui me joue un peu des tours, mais comme je l’ai dit, il ne s’agit pas d’être arrogant. Il est clair qu’on veut faire passer une idée quand on fait un communiqué de presse et qu’on veut montrer ce que l’album représente. Pour moi, dans la scène progressive – qui n’a pas été très progressive depuis vingt ans – c’est vraiment quelque chose de très progressif. Je le crois profondément. Je ne pense pas que ce soit nécessaire de constamment dire aux gens : « Ceci est le meilleur album que j’ai jamais fait » et ensuite, l’album suivant est automatiquement toujours le meilleur qu’on a fait. Mais je crois vraiment qu’il faut montrer la chose en particulier qui fait que cet album est différent et dans notre cas, selon moi, c’est ça.

Tu penses que le metal progressif a perdu son sens de la progression au fil des années ?

Linus : Absolument. Il y a plein de groupes qui émergent qui sont dix ou vingt ans plus jeunes que nous, comme Polyphia, et qui font vraiment des trucs différents, mais quand on pense au terme « progressif », on pense tout de suite à Dream Theater, Symphony X et Opeth, or quand j’écoute tous ces groupes – que j’aime toujours –, soyons honnêtes, ils n’essayent plus de créer un nouvel univers musical à chaque album – je ne sais même pas s’ils revendiquent encore l’étiquette metal progressif. Ils changent des choses dans leur univers préexistant, mais ils ne font pas vraiment progresser la scène et ce style musical. Je ne leur en veux absolument pas, mais je trouve que, si on prend par exemple le genre qui nous correspond, la scène death metal technique stagne vraiment du point de vue musical. J’aime quand il y a du progrès et du changement. C’est un facteur très important en musique.

D’un autre côté, les groupes les plus révolutionnaires dans l’histoire n’ont pas particulièrement cherché à être révolutionnaires et novateurs. Pensez-vous qu’on puisse délibérément se donner comme objectif d’être « l’évolution moderne du metal progressif et technique » ?

Linus : Je ne dirais pas que nous avons fait quelque chose de révolutionnaire, pour le coup ce serait un peu trop prétentieux [petits rires], mais je crois vraiment que nous avons créé quelque chose de nouveau. Je ne dis pas que nous sommes meilleurs. Je dis juste que nous avons fait quelque chose de différent.

Javi : En fait, ce que j’assume, c’est les moments où nous faisons du death metal technique et où tout d’un coup, boum, du chant clair, et les gens sont là : « Bordel, mais qu’est-ce qu’il se passe ? » Mais grâce à Obsidious, j’ai découvert des groupes dont je n’avais jamais entendu parler avant. Par exemple, Ne Obliviscaris, à cause des comparaisons que les gens ont faites : « Il met du chant clair dans du tech death, ça sonne comme Ne Obliviscaris. » J’étais là : « C’est qui ? » Comme je l’ai mentionné tout à l’heure, je n’avais aucun background dans le tech death quand j’ai intégré le groupe. Je découvrais les choses les unes après les autres. Ne Obliviscaris a fait ça avant nous, donc je suis d’accord avec Linus, nous ne sommes pas révolutionnaires, mais nous sommes différents. Voilà comment on doit le voir : ceci est qui nous sommes, ceci est ce que nous pouvons offrir, profitez. Si vous aimez, vous êtes les bienvenus. Sinon, vous avez une version instrumentale de l’album [rires]. Mais quand j’étais en train de composer les lignes vocales ou d’écrire les textes, je n’ai fait que suivre mon instinct. Je ne me suis pas dit : « Il faut que je fasse quelque chose de novateur ou que je montre ce que je sais faire sur cette partie. » Ce n’est pas ainsi que ça marche. En tant que musicien, je suis convaincu que mon devoir est de servir la musique, pas l’inverse.

Linus : Quand nous avons commencé à composer les toutes premières chansons et que Javi n’était pas encore dans le groupe, évidemment, nous nous sommes posé la question : « Que va-t-on faire musicalement ? » Je me souviens qu’à certains moments, nous nous sommes dit : « Ce pourrait être le bon moment pour faire quelque chose de plus commercial » ou « Ce pourrait être le bon moment d’être encore plus virtuose ». Nous avons passé presque une journée entière assis à essayer différentes approches. Puis nous avons dit que ça ne marchait pas comme ça. On ne peut pas forcer les choses à aller dans une direction. Nous étions posés dans une pièce un été quand les restrictions s’étaient allégées et qu’il n’y avait plus de confinement, on pouvait ressentir que nous ne nous étions pas autant éclatés depuis longtemps. Il n’y avait plus de limites. Nous pouvions faire tout ce que nous voulions. Nous avons maintenant un chanteur qui n’est pas obligé de chanter tout en jouant de la guitare. Tu n’as pas besoin de te concentrer sur deux choses. De même, Rafael et Sebastian sont capables de toucher à énormément de styles et ils pouvaient utiliser toutes leurs compétences. J’ai officié dans Obscura pendant presque dix ans et pour nous, la virtuosité et la complexité ont toujours été des outils pour composer et pour sonner différent, pas pour frimer. C’est pareil avec Obsidious. Nous avons réalisé que c’était ce que nous aimions le plus et ce que nous faisions le mieux. C’est pourquoi l’album sonne comme il sonne, je suppose.

« En tant que musicien, je suis convaincu que mon devoir est de servir la musique, pas l’inverse. […] Pour nous, la virtuosité et la complexité ont toujours été des outils pour composer et pour sonner différent, pas pour frimer. »

Javi, malgré la technicité de la musique, tu as dit être convaincu que « [t]on devoir est de servir la musique, pas l’inverse ». Avez-vous l’impression que ça a trop souvent été l’inverse dans le metal technique ou progressif ?

Javi : Oui, surtout au début de la carrière des groupes. Normalement, quand ils débutent, les groupes de death metal technique ou progressifs ont cette envie irrépressible d’exceller. Quand on est jeune, on veut tout le temps exceller et mettre en valeur ce qu’on a à offrir. Mais au fil du temps, on réalise que ce n’est pas nécessaire de tout le temps se mettre en avant, qu’il faut parfois ralentir, rester en retrait et partager la musique avec le reste. Je pense que ce point de vue vient avec la maturité d’un musicien ou d’un artiste. Au bout du compte, c’est un groupe, et ça n’a aucun intérêt quand tout le monde se met en avant en même temps, parce que ça peut être surchargé au point de devenir vraiment mauvais. Tout le monde a sa place et son moment. Je ne peux pas chanter ultra aigu ou faire un tas de fioritures vocales si la chanson n’en a pas besoin. Autrement, je ne ferais que la gâcher. Si c’est le moment pour un autre des membres de briller, je resterai en retrait en faisant quelque chose de simple voire rien du tout, et vice versa. Il y a une grande synergie entre les membres du groupe. C’est genre : « C’est ton moment. »

Linus : Je suis simplement fan de virtuosité, donc si les gens aiment y aller à fond… Parfois, on tombe sur un album qui n’est pas très bon parce que c’est non-stop comme ça, mais il existe aussi de bons albums avec de la virtuosité. Soyons honnêtes, c’est aussi quelque chose auquel nous avons dû faire attention avec cet album. Nous avons fait exprès d’avoir des chansons qui sont très simples, juste pour donner de la dynamique à l’album, mais je trouve ça bien que des gens essayent de dépasser leurs limites. Ça n’apporte pas toujours de la bonne musique, mais ça fait avancer la scène, je pense. De même, avec Obscura, prendre un guitariste médiocre n’a jamais été une option, car il devait toujours jouer les parties que son prédécesseur jouait. Donc on se retrouve tout d’un coup avec un gars qui a un niveau de dingue et des compétences incroyables à la guitare, et bien sûr, on a envie de les utiliser musicalement [petits rires]. C’est ce qui est arrivé avec Obscura, c’est ce qui est arrivé avec Obsidious et c’est ce qui est arrivé avec mon autre groupe Alkaloid. Nous disons toujours : « C’est vraiment dur d’apprendre ces parties pour les jouer en live. S’il vous plaît, pour le prochain album, faisons en sorte que ce soit un peu plus facile » et ça n’arrive jamais ! [Rires] Ecoute le nouvel album d’Obscura, il est aussi très complexe. Je me souviens que pour Steffen, c’était très important de faire un album plus facile à jouer, mais encore une fois, ça n’a pas fonctionné.

Javi : En gros, tu es d’accord avec moi. On peut repousser ses limites, c’est toujours bien, ça nous permet d’évoluer en tant que musicien et artiste, mais ça ne veut pas dire qu’il faut tout le temps essayer de se dépasser sur chaque album, car autrement, arrivera le moment où, en forçant trop, on atteindra un point de rupture. Si tu y vas à fond tout le temps, tu auras peur de te foirer et tu te stresseras inutilement parce que la chanson était peut-être un peu trop difficile, alors que la musique, c’est fait pour être agréable. C’est bien de se surpasser un peu, mais c’est aussi bien de définir quels sont les moments faits pour se mettre en avant et ceux pour être plus tranquille.

Où placez-vous la limite entre une musique qui nécessite une oreille entraînée et une musique accrocheuse ? Est-ce même forcément incompatible ?

Javi : De mon point de vue, l’une des choses qui font la différence, c’est l’harmonie. Si on fait quelque chose de plus cyclique avec une série d’accords, si on entre dans une sorte de boucle, pour ainsi dire, le cerveau s’y habitue naturellement et plus rapidement que si on joue quelque chose de plus complexe ou polyrythmique. Le cerveau va compter : « Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept – un, deux, trois, quatre, cinq – un, deux – un, deux, trois. » Ça le met en stress à essayer de comprendre ce qui se passe, au lieu de simplement ressentir le groove ou l’atmosphère de la chanson. Mais si on fait des parties qui font : « Un, deux, trois, quatre – un, deux, trois, quatre », il est là : « D’accord, j’ai un motif. Maintenant c’est le moment d’headbanger. » C’est la nature humaine. On a tendance à s’adapter très vite à des motifs récurrents. Selon moi, le tempo et l’harmonie sont ce qui fait la différence entre quelque chose de plus technique et quelque chose de plus accrocheur.

« Je trouve ça bien que des gens essayent de dépasser leurs limites. Ça n’apporte pas toujours de la bonne musique, mais ça fait avancer la scène. »

Linus : C’est très bien dit. Nous aimons aussi les mélodies faciles et on peut en trouver plein dans l’album. De même, certaines métriques apportent un feeling particulier, par exemple si c’est en trois ou en quatre temps, mais ce que les groupes font rarement, c’est écrire en cinq temps, car notre oreille n’y est pas tellement habituée. Quand on utilise beaucoup les mesures en cinq temps, on retrouve un feeling proche du trois temps, mais chaque signature rythmique apporte son propre truc. Il n’est pas nécessaire que ce soit vraiment évident. Parfois, on peut entendre qu’un morceau est écrit en cinq temps et ça sonne un peu forcé, mais si on le fait de manière naturelle, sans qu’on ait besoin de posséder des connaissances musicales ou de bien écouter pour comprendre, on entend juste l’atmosphère que ça crée. C’est l’effet que nous essayons d’obtenir et ce que Sebastian, en particulier, nous a beaucoup poussés à faire.

L’album s’intitule Iconic (emblématique / iconique, NdT) : encore une fois, ça peut être perçu comme étant prétentieux, mais dans quelle mesure est-ce que ça se veut se rapporter au groupe ou à la musique ?

Javi : Qui a trouvé le titre de travail de cette chanson ? Car, en fait, le titre du morceau éponyme est son titre de travail et j’ai écrit les paroles de façon à ce qu’elles soient adaptées à celui-ci.

Linus : Ça vient de Rafael ou de Sebastian, je n’en suis pas sûr, mais nous n’avons pas choisi le mot « Iconic » pour dire que nous sommes des icônes. Ce n’est pas l’idée. Encore une fois, la façon dont Obsidious s’est formé, c’était un moment très iconique, mais c’est à peu près tout. C’est plus un feeling. Je comprends maintenant ce que tu veux dire, tu as un communiqué de presse où Linus dit : « On est le plus grand groupe progressif et on est iconique », je m’en rends compte [rires]. Je ne suis vraiment pas quelqu’un d’arrogant, et pour nous, c’était un moment iconique quand nous avons écrit cette chanson, parce que c’était vraiment une révolution pour nous de comprendre ce que ce groupe pouvait être et tout ce que nous pouvions exprimer.

Comme vous en avez parlé, on retrouve dans Iconic un grand mélange de styles. C’est assez inclassifiable. Trouvez-vous que les étiquettes ou les catégories sont un piège pour les groupes ?

Javi : Les gens éprouvent le besoin de coller des étiquettes sur tout simplement pour classifier. Ça fait partie de notre nature. Pour être honnête, certaines personnes nous qualifient de tech death metal progressif ou simplement de tech death, progressif, post-metal, peu importe, et ça ne me pose pas de problème, ça ne change rien. Personnellement, je ne nous mettrais pas d’étiquette. Nous pouvons être plus progressifs, nous pouvons être plus techniques, nous pouvons être plus groovy sur une partie, nous pouvons être plus jazzy sur une autre, etc. Nous sommes Obsidious et c’est tout. Nous sommes une entité en soi.

Linus : Je suis d’accord. C’est dur de nous coller une étiquette. A cause du chant clair, nous ne faisons pas vraiment partie du genre tech death, mais les noms de styles de musique et les gens qui catégorisent ne me posent aucun problème.

Javi, ton chant suit cette diversité. C’est assez impressionnant comme tu changes de style vocal en un clin d’œil. Comment as-tu façonné cette flexibilité avec ta voix ?

Javi : La diversité vocale vient de la diversité musicale. Plus j’ai de ressources, mieux c’est, parce que ça apporte plus de couleurs à mon chant. Parfois, je peux être plus noir et parfois plus bleu, et parfois d’autres couleurs entre les deux. Tout dépend de ce que me dit la chanson. Evidemment, plus j’écoute de musique, plus je fais l’idiot avec ma voix pour apprendre de nouvelles techniques, car tout vient en tâtonnant. Je me dis que telle partie dans une chanson me demande, par exemple, de faire du falsetto, une voix RnB ou des growls graves, et alors je trouve les ressources en moi pour le faire. Plus on a de techniques, mieux c’est, mais bien sûr, je dois écouter différents types de musique pour développer – par curiosité, la plupart du temps – ces techniques. Ça ne veut pas dire que je les fais particulièrement bien, mais au moins, ça me donne des ressources supplémentaires.

« Nous disons toujours : ‘C’est vraiment dur d’apprendre ces parties pour les jouer en live. S’il vous plaît, pour le prochain album, faisons en sorte que ce soit un peu plus facile’ et ça n’arrive jamais ! [Rires] »

Je suppose que le fait d’avoir une vaste palette vocale te permet de donner corps aux histoires dans les chansons et d’incarner différents personnages. Je pense par exemple à un morceau comme « Devotion » où on retrouve plusieurs voix différentes. Y a-t-il une part de jeu d’acteur ?

Javi : Absolument. Ça vient de ma passion pour les comédies musicales de Broadway. Je sais que Linus déteste ça, mais je m’en fiche [rires], ça me sert bien. Dans cette chanson, il y a trois types de voix différentes, qui représentent trois personnages différents. La voix claire représente la personne qui est embrigadée dans une secte. Les growls, c’est-à-dire le chant complètement saturé, c’est la voix du gourou de la secte. Et les voix dans le refrain représentent les disciples de ce gourou, parce qu’elles sont à moitié saturées, à moitié claires. Ça veut dire qu’ils ont des doutes, mais ils ont subi un lavage de cerveau, d’où la distorsion des voix. Donc tout a un sens. Je ne crie pas juste pour crier. Ça va avec les paroles. Suivant les parties et la technique que j’utilise, j’incarne un personnage ou un autre.

Linus, pourquoi détestes-tu les comédies musicales ?

Linus : Oh mon Dieu [rires]. Je ne dis pas que toutes les comédies musicales sont mauvaises, c’est juste que je n’aime pas celles qui sont très commerciales car c’est surjoué, et puis ce n’est qu’une question de goût. J’aime la musique kitsch, mais pas dans les comédies musicales. C’est trop pour moi. Les gens qui sautent dans des costumes de lion et chantent de manière théâtrale, ce n’est vraiment pas mon truc. Mais j’aime l’opéra.

Javi : Et ce n’est pas un souci ! Personnellement, j’aime les deux, l’opéra et les comédies musicales, pour info.

Tu dis aimer la musique kitsch. Donne-nous des exemples !

Linus : Par exemple, Eclipse, Nordic Union, Journey, Pretty Maids est un excellent groupe… Je trouve ce type de musique super. Tous les fans de death metal vont probablement me critiquer pour ça. En tout cas, dans le cercle des gens avec qui je travaille, je n’oserais même pas montrer ça, car je suis sûr qu’ils n’aimeraient pas [rires].

Javi, malgré tes capacités techniques avec le chant, est-ce que ça a été un défi pour toi de trouver ta place dans cette musique plutôt dense et changeante ?

Javi : Ça l’était au début parce que, comme je l’ai dit, je n’étais pas familier avec ce style de musique avant qu’ils décident de créer Obsidious. Je me souviens quand j’ai commencé à creuser dans le background de chacun des membres, j’étais là : « D’accord, c’est plus vaste que je l’imaginais. Comment puis-je faire en sorte que ça fonctionne ? Ça semble très complexe harmoniquement. Comment puis-je m’intégrer là-dedans et m’y adapter du mieux possible ? » C’est la que mon propre background musical, avec mes connaissances en harmonie et contrepoints, est entré en jeu, car ça m’a beaucoup aidé. Sans ces connaissances, je n’aurais pas réussi à faire ce que j’ai fait dans cet album. J’attribue ça à mes parents. C’est eux qui m’ont forcé, au tout début, à suivre des cours de classique en école de musique pendant dix ans. J’ai plusieurs fois été à deux doigts d’arrêter, mais ils m’ont convaincu de continuer. Dieu merci, j’ai suivi leurs conseils.

Linus, tu as déclaré que « lorsque [vous] av[ez] décidé d’intégrer du chant clair, [vous] savi[ez] que ça ferait polémique ». Penses-tu qu’il faille un peu secouer les fans de metal, qu’ils sont parfois un peu trop conservateurs et traditionalistes ?

Linus : Je n’ai pas envie de changer les gens, mais bien sûr, nous savions que nombre de ceux qui écoutent du death metal old school – c’est-à-dire une musique qui existe depuis presque trente ans maintenant –, que ce soit Obscura et tous les groupes avec qui nous avons tourné, comme Cannibal Corpse, Death DTA, etc., n’aimeraient pas ce que nous faisons. Mais nous n’allions pas dire que nous ne pouvons pas utiliser du chant clair à cause de ça. Nous ne cherchons pas à changer les gens et ça ne me pose pas de problème s’ils détestent notre musique. S’ils continuent d’écouter Obscura, il n’y a vraiment aucun souci. C’est bien qu’il n’y ait pas deux Obscura aujourd’hui, mais qu’il y ait Obsidious et Obscura. Je ne dirais pas que l’album fait polémique maintenant, mais au début, quand nous avons sorti notre premier single, oh que si ! Nous n’avons pas supprimé les commentaires sur YouTube…

Javi : Il y a, genre, cinq cent trente commentaires et la plupart d’entre eux, au tout début, c’était : « C’est quoi ce truc ? »

Linus : Et bien sûr, c’est bien de voir que les gens sont émotifs vis-à-vis de cette musique. C’est mieux que s’ils s’en fichaient.

« Si tu y vas à fond tout le temps, tu auras peur de te foirer et tu te stresseras inutilement parce que la chanson était peut-être un peu trop difficile, alors que la musique, c’est fait pour être agréable. »

Iconic a été fait durant la pandémie. Javi, tu ne pouvais même pas rencontrer tes collègues pendant qu’ils composaient, enregistraient et filmaient les clips à cause de ça. Comment es-tu parvenu à créer une alchimie avec le reste des gars dans ces circonstances ? N’était-ce pas difficile de se sentir faire partie du groupe et du processus créatif ?

Javi : Eh bien, il y a deux choses. Tout d’abord, les réunions hebdomadaires, et ensuite, la magie de la technologie. Nous avons maintenant plein de moyens à notre disposition pour tout faire en ligne et, Dieu merci, ça nous a beaucoup aidés, car avant de rejoindre ces gars, je travaillais moi-même en tant que producteur et ingénieur de mix, et bien sûr, aucune pandémie n’allait m’empêcher de faire mon boulot. Quand on veut, on peut. La façon dont nous sommes parvenus à faire des démos et à participer au processus créatif était de déléguer la plupart des parties instrumentales à Rafael et Sebastian, même si nous avons tous mis de nous-mêmes à un degré plus ou moins important. C’était : « On a eu cette idée. » Puis peut-être Linus disait : « Que pensez-vous de cette partie à cet endroit de la chanson ? » Ou peut-être que j’étais là : « J’ai fait une interprétation de cette partie, dites-moi ce que vous en pensez. » Puis ils piochaient des trucs un peu partout. Nous avons arrangé le puzzle et une fois que nous pensions êtes bons avec la chanson, nous commencions à faire les touches finales. Le plus difficile était de savoir : quand arrête-t-on d’ajouter des choses ? La réponse c’est : quand on ajoute quelque chose et que ça n’apporte rien de spécial à la chanson, c’est le moment d’arrêter. A ce moment-là, on se dit : « D’accord, ça suffit, on passe à une autre chanson. »

Pensez-vous que la technologie peut remplacer le fait d’être face à face ?

Javi : Ça ne le remplacera pas, mais ça aidera beaucoup.

Linus : C’est une autre manière de composer. L’inspiration peut venir de différentes sources, or là, c’était un environnement de travail complètement différent de celui dont nous avions l’habitude par le passé. Ça nous a poussés à composer différemment, j’en suis absolument convaincu, et j’étais content de la façon dont les choses se sont passées, car c’était une période étrange pour fonder un groupe. Nous avons rencontré Javi pour la première fois durant notre session photo, donc l’album était déjà fait. Nous avons même fait les deux premiers clips dans deux studios différents. L’un était en Angleterre et l’autre en Autriche. Nous avons rencontré plein d’obstacles liés au Covid-19. Par exemple, Javi travaille aussi en tant qu’infirmier au département Covid-19 de son hôpital – en tout cas à l’époque –, donc il avait pas mal de boulot, et en même temps, il intégrait un groupe qui devait définir son son. Ensuite, Rafael, notre guitariste, a été testé positif le premier jour d’enregistrement des guitares où nous avions prévu de nous voir en studio…

Javi : Je me souviens que pour filmer le clip de « Sense Of List », je ne pouvais pas aller en Autriche à cause des restrictions. Et seulement quatre jours après avoir filmé ma partie ici en Angleterre, les restrictions ont été levées ! J’étais là : « Oh bordel, pourquoi ?! » C’était frustrant. Juste pour quatre jours, je n’ai pas pu aller voir les gars face à face pour la première fois et enregistrer un clip au même endroit.

Linus : C’est un autre des bénéfices quand on travaille avec des musiciens professionnels. En dehors du fait que le Covid-19 a compliqué les choses, nous sommes tous très occupés avec notre emploi principal, avec notre famille, avec nos autres projets musicaux. Rafael joue dans un théâtre en ce moment, par exemple, et fait des concerts de jazz. Je joue aussi en tant que musicien de session dans un groupe death metal, dans Beyond The Black et d’autres choses comme ça. Sebastian a des tas de boulots de sessions. Le fait que tout le monde travaille à un tel niveau professionnel est d’une grande aide, à bien des égards. Par exemple, nous avons fait notre premier concert il y a un mois. Nous avons joué un samedi et le mardi précédent, c’était la toute première fois que nous répétions la musique tous ensemble, et ça a fonctionné. Tout le monde était parfaitement préparé. Nous avons eu deux jours de répétitions et je me souviens que le second jour, Rafael est allé à une répétition pour le théâtre, est revenu à notre répétition, et est ensuite reparti au théâtre [rires]. Et c’était l’un des meilleurs concerts que nous ayons jamais faits ! Le niveau musical était super. C’est quelque chose que j’aime beaucoup avec ce groupe de personnes.

Javi : J’étais super excité quand nous avons fait notre premier concert. Je n’étais même pas stressé, juste excité, genre : « Je veux y aller ! »

Vu la façon particulière dont cet album a été créé, diriez-vous que la flexibilité est le maître-mot pour ce groupe ?

Javi : Oui, assurément. Le fait que chacun ait la flexibilité d’enregistrer des démos, de composer et de trouver des idées seul était, à terme, bénéfique, car nous n’étions pas contraints à une échéance stricte. L’absence de pression au moment de composer a joué en notre faveur, dans le sens où ce que nous faisions pouvait être bien réfléchi, méticuleusement composé et arrangé, et si quelque chose avait besoin d’être changé, nous pouvions le faire de façon à ce que ça ait du sens. Cette flexibilité était primordiale, en tout cas pour moi.

Linus : Absolument, conjointement avec l’expérience. Ça a eu un énorme impact que tout le monde sache s’enregistrer soi-même. C’est une question de confiance. Je dirais que la flexibilité et l’expérience sont ce qui nous a vraiment aidés.

« Suivant quel type de voix je dois enregistrer, je mange ou bois des choses différentes. Par exemple, si je fais une session où je crie, je vais essayer de manger épicé, parce que ça fait gonfler mes cordes vocales et ça rend les growls encore plus abrasifs. »

Javi : Et aussi le fait d’être ouvert aux changements et aux retours. On peut avoir une idée en tête, mais peut-être que l’un de vous peut trouver autre chose, et dans ce cas, le fait d’être ouvert aux suggestions et aux changements et de vouloir trouver un terrain d’entende, c’est capital. Il y a eu pas mal de fois où j’ai trouvé une ligne vocale et peut-être que toi ou Sebastian avez dit : « Peux-tu essayer de faire quelque chose comme ci ou ça ? » J’étais là : « D’accord, je vais essayer et voir ce que ça donne. » Puis : « Ok, ça me convient. » Ou alors : Bon, ça ne sonne pas aussi bien que je pensais. » Ensuite, nous essayons de prendre différentes choses et de combiner, et si rien ne fonctionne, nous reprenons du début.

Linus : C’est très vrai. Et la musique est quelque chose de très émotionnel, donc ce n’est pas facile pour tout le monde de gérer les remarques. Ça aussi, c’est une question d’expérience, je pense.

Javi : Et le fait de parler le même langage musical.

Javi, comment as-tu vécu l’enregistrement de tes voix seul, loin du reste du groupe ?

Javi : De mon point de vue, ça m’a beaucoup aidé car mon studio est chez moi. J’ai ma propre pièce avec une cabine de contrôle, et tout le chant a été enregistré ici avec ce microphone. J’ai l’avantage de pouvoir enregistrer à n’importe quel moment, car malheureusement, avec le chant, il ne suffit pas simplement de changer une paire de cordes comme sur une guitare ou une basse, ou de changer des peaux comme sur une batterie. Tout dépend si j’ai bien dormi ou mangé les bons aliments. Certains jours, mon chant n’est pas au top, et d’autres jours j’ai l’impression qu’il est à cent pour cent de ses capacités, et c’est seulement ces jours-là que je vais dans la cabine pour enregistrer.

Linus : Sais-tu quels aliments détruisent ta voix et lesquels sont bons pour elle ? Manges-tu exprès certains aliments avant d’enregistrer ta voix ?

Javi : Oui ! D’ailleurs, suivant quel type de voix je dois enregistrer, je mange ou bois des choses différentes. Par exemple, si je fais une session où je crie, je vais essayer de manger épicé. C’est ce qui fonctionne pour moi, parce que ça fait gonfler mes cordes vocales et ça rend les growls encore plus abrasifs. Ça crée une couche de salive ou de mucus qui rend le son plus méchant et mes graves encore plus graves.

Et que manges-tu ou bois-tu pour les voix claires ?

Javi : Je bois des infusions et, plus important encore, je mange beaucoup de gingembre – genre, une énorme quantité de gingembre. J’ai même des bonbons au gingembre avec moi. C’est une racine anti-inflammatoire et c’est un antibiotique naturel, donc ça évite les infections quand on sollicite trop les cordes vocales, sans avoir à dépendre des antibiotiques naturels qui ne sont pas bons pour soi. Linus peut te le dire, quand nous avons fait notre premier concert, j’ai amené avec moi un sac de bonbons au gingembre que je mangeais de temps en temps, juste pour que mes cordes vocales gardent la forme. Je bois aussi énormément d’eau. Pas de l’eau froide, mais tiède, car des chanteurs – surtout d’opéra – m’ont dit qu’ils buvaient de l’eau glacée pour éviter le gonflement des cordes vocales. J’ai moi-même essayé et j’ai découvert ça ne m’allait pas, malheureusement, car les changements extrêmes de température provoquent chez moi des laryngites et ce genre de chose, et quand mes cordes vocales ou ma gorge sont malades, ça peut durer des mois avant que je me rétablisse. Je ne vais donc pas prendre le risque ! J’essaye aussi de reposer ma voix, donc quand j’ai fini de m’échauffer la voix ou de répéter, j’essaye de parler le moins possible, et je bois beaucoup d’eau et je mange beaucoup de gingembre.

Niveau textes, tu abordes des sujets relevant de l’humain, qui vont de la démence au BDSM. Il se trouve que tu travailles dans le domaine de la santé : dans quelle mesure t’inspires-tu de ton expérience dans ton travail ?

Javi : Après avoir travaillé seize ans dans un environnement hospitalier, tu vis des tas d’expériences dont tu peux ensuite parler. La démence en est une qui, malheureusement, est incontournable dans l’environnement hospitalier, car ça fait partie du processus dégénératif du cerveau humain. Ça ne veut pas dire que ça arrivera tout le temps, mais c’est probable, car tout vieillit et l’âge s’accompagne de la détérioration de nos organes et du corps. Donc l’un des effets secondaires de la détérioration du cerveau peut être la démence. Quand on travaille dans des services avec beaucoup de patients âgés, on peut tout voir. Donc oui, il y a pas mal d’histoires qui m’ont marqué et qui, je pense, valent la peine d’être mentionnées ou racontées.

« Une chose qui est commune à tout ce spectre de démence est que parfois, il y a des moments de lucidité où les gens retrouvent la raison et ils sont là : ‘S’il vous plaît, libérez-moi de cette prison.’ Ça peut être déchirant, car on peut voir le désespoir dans leurs yeux. »

Quel est ton boulot à l’hôpital ?

Javi : J’ai travaillé les seize dernières années en tant qu’infirmer diplômé, et j’ai travaillé dans différents services et spécialités. J’ai travaillé dans l’orthopédie, la cardiologie, l’urologie, la neurologie, le Covid-19, la psychiatrie, l’unité de dépendance aux drogues… Il suffit d’en choisir un et j’aurais probablement des histoires à raconter.

On dirait qu’on parle de plus en plus des problèmes de santé mentale. Penses-tu qu’on vit dans un monde qui rend les gens « fous », pour ainsi dire, ou est-ce plutôt qu’on est de mieux en mieux informés ?

Javi : Oui, absolument. La démence peut nous frapper d’une multitude de façons, si elle nous frappe. Ça peut être un passif médical, un facteur génétique, un facteur environnemental, la consommation d’alcool ou même le fait de fumer. Fumer peut nous prédisposer à la démence, car ça peut provoquer des accidents vasculaires cérébraux et ce genre de choses. Chaque cerveau fonctionne différemment. On peut voir la même pathologie chez trois personnes différentes et chacun y répondra différemment. Certaines personnes peuvent devenir plus agressives, d’autres peuvent pleurer, d’autres oublieront qui elles sont mais seront adorables, et d’autres peuvent regarder dans le vide, sans parler, en étant complètement absentes. Une chose qui est commune à tout ce spectre de démence est que parfois, il y a des moments de lucidité où les gens retrouvent la raison. Quand ils réalisent la situation dans laquelle ils se trouvent, car ils le réalisent, je peux te le dire… C’est de ça que j’ai voulu parler dans la chanson « Iconic ». Lors de ces moments de lucidité, ils sont là : « S’il vous plaît, libérez-moi de cette prison. » La plupart des patients atteints de démence que j’ai eus, quand ils sont dans cet état, disaient : « Libérez-moi. Je ne veux pas être comme ça. Je suis enfermé dans mon propre corps et mon propre esprit, ce n’est pas une vie. » Ça peut être déchirant, car on peut voir le désespoir dans leurs yeux. Crois-moi, j’espère que vous n’aurez pas affaire à ce genre de situation avec un ami ou un proche, mais c’est dur à voir. Comme je l’ai dit, beaucoup de facteurs peuvent amener à la démence, mais il y a des choses très simples qu’on peut faire et qui peuvent vraiment faire la différence, comme faire des sudokus pendant trente minutes tous les jours.

J’ai mentionné la thématique du BDSM. Qu’as-tu voulu dire à ce sujet ?

Javi : J’ai voulu traiter la chanson « Sense Of Lust » comme une ballade, mais je ne voulais pas faire une histoire d’amour typique, un peu nunuche, mais on peut considérer que c’en est une tordue, car tout le monde n’est pas fait pour le BDSM. Tout le monde n’aime pas, tout le monde n’est pas d’accord avec ces pratiques, mais je dois dire que c’est quelque chose de différent. Ce n’est pas mieux, ce n’est pas moins bien, c’est juste différent. Tant que les gens sont consentants, qu’ils s’accordent pour établir cette relation, alors qui est-on pour juger ?

Si on regarde l’artwork, est-ce une métaphore visuelle représentant l’ouverture d’esprit de ce groupe ?

Javi : Je crois que c’est Adrien Bousson, qui s’est occupé de l’artwork, qui a eu l’idée de la tête sortant de terre. Je ne sais pas s’il avait mentionné quelque chose sur le fait que la tête soit ouverte…

Linus : Ça renvoie à la conscience et au fait que pas mal de sujets traitent de l’être humain, de la démence et de psychologie. C’est pour ça que la tête est ouverte. Je me souviens que nous avons eu une session de brainstorming à ce propos et j’ai dit : « J’espère que les gens ne l’interprèteront pas mal en pensant qu’on veut que la musique leur fasse exploser la tête » [rires]. Ce n’était pas l’idée. Si vous suivez tout le visuel à l’intérieur du livret, c’est très lié à la personnalité et aux luttes de l’âme humaine. On peut voir aussi que nous voulions quelque chose de cubiste et sombre pour coller à l’image de l’obsidienne. On trouve toujours l’eau et le feu, le bleu et le rouge, etc. Nous avons envoyé à Adrien les paroles de l’album et des mots clés qui, selon nous, définissent bien la musique. C’est à partir de ça qu’il a commencé à travailler et voilà le résultat.

Linus, tu as déclaré que « soixante-quinze pour cent des membres du groupe faisaient partie d’Obscura, donc [tu] savais ce que la plupart de [v]os fans aiment et n’aiment pas ». Était-ce important de ne pas totalement laisser tomber les fans qui vous connaissaient d’Obscura et d’avoir un peu une continuité avec Obsidious ?

Linus : Oui. Enfin, je n’avais pas en tête le fait que je voulais écrire pour les fans d’Obscura, mais j’ai été dans ce groupe pendant dix ans. J’ai écrit des lignes de basse pour différents types de musique avant, mais j’ai composé professionnellement pour la première fois avec Obscura. J’ai connu deux fois la situation où tout le line-up autour de Steffen a quitté le groupe. La première fois, j’étais tout nouveau dans le groupe, je n’avais pas encore enregistré d’album. Je suis resté et je me suis soudainement retrouvé dans le rôle d’un des compositeurs principaux pour l’album suivant, car il fallait que nous fassions quelque chose et ça m’a vraiment poussé à me donner à fond. C’est ainsi que ma personnalité musicale a pris forme. Je suis un bassiste qui joue sur six-cordes fretless et je suis connu pour ce style de jeu grâce à Obscura. Ce n’est pas quelque chose que j’ai inventé comme ça. Ces dix années au sein d’Obscura m’ont défini et c’est ainsi que je compose maintenant. De même, je suis actuellement en train de travailler sur un album solo et on peut clairement y voir mes influences. Ça fait simplement partie de mon identité musicale et de ce que j’aime.

« Je suis un bassiste qui joue sur six-cordes fretless et je suis connu pour ce style de jeu grâce à Obscura. Ce n’est pas quelque chose que j’ai inventé comme ça. Ces dix années au sein d’Obscura m’ont défini. »

Y a-t-il même dans cet album des chansons que vous aviez prévues à l’origine pour Obscura ?

Linus : Oui. Avec Obscura, nous venions de terminer un concept de quatre albums et nous voulions un peu redéfinir notre son. Comme je l’ai dit, c’était très important pour nous que la musique devienne un peu moins stressante. En conséquence, j’ai commencé à composer, par exemple, certaines musiques qui sortiront sur mon album solo, mais il y a aussi des choses qu’on retrouve dans Obsidious et que j’avais écrites pour Obscura, certains riffs plus bruts notamment. J’ai montré à Steffen certaines de ces idées. Je me souviens du morceau « Nowhere ». Il est en trois temps, c’est un genre de shuffle metal, ce qui est un peu différent, et j’ai commencé à écrire ça pour Obscura. Encore une fois, nous cherchions de nouvelles directions musicales, donc j’ai essayé différentes approches. Je ne sais pas si ça aurait finalement collé à Obscura, mais soixante pour cent de la chanson était faite. Je l’avais montrée à Steffen et nous en avions déjà discuté en groupe. Il y a aussi des choses venant de Sebastian et Rafael. Nous avons rassemblé énormément de matière pour cet album. C’est aussi quelque chose que j’apprécie. Dans Obscura, nous avions toujours des problématiques de temps et nous étions toujours contents quand nous avions juste assez de chansons pour faire un album. Cette fois, nous avions un serveur sur lequel nous partagions tous nos fichiers. Je crois que nous avions une vingtaine d’idées de chansons parmi lesquelles choisir, et il y en a plein sur lesquelles nous avons arrêté de travailler. Mais oui, il y a quand même quelques idées de chansons qui viennent de l’époque Obscura. Je trouve que c’est évident quand on écoute le dernier album d’Obscura que nous avons fait, Diluvium, ce qui venait de nous et ce qui venait de Steffen. Je me souviens aussi que sur Diluvium, nous avons composé tous les trois ensemble et Steffen a composé seul. C’était déjà le signe qu’une division commençait un peu à se créer. Il y a un lien évident entre l’album Diluvium et Obsidious.

A quoi peut-on s’attendre pour le futur d’Obsidious ?

Linus : C’est une bonne question. Nous sommes un groupe relativement nouveau. Nous espérons obtenir plus d’attention qu’actuellement et une bonne tournée. Ce serait génial. Nous avons un super management derrière nous, un super label pour qui nous sommes une priorité et nous avons un tourneur. Maintenant que la période du Covid-19 est passée, tous les groupes partent jouer…

Javi : Exactement. Ça complique vraiment les choses, car tout le monde veut jouer. Après deux ans de confinement, maintenant, tous ceux qui devaient faire des festivals, des concerts, des tournées entre autres veulent partir sur les routes en même temps. Il se peut donc que ça prenne du temps avant que tout revienne à peu près à la normale, mais oui, c’est difficile. Pas à cause de notre agence de promotion ou quoi que ce soit de ce genre, mais parce que tout le monde veut jouer alors qu’il n’y a pas la place pour tout le monde. Je suis complètement d’accord avec ce que dit Linus. Nous devons trouver une bonne tournée, car nous avons pour les concerts un management et un tourneur qui sont extraordinaires. Nous sommes donc confrontés au défi de trouver une bonne place pour jouer ou faire une tournée.

Interview réalisée par téléphone le 7 novembre 2022 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Axel Winkler.

Site officiel d’Obsidious : obsidious-band.com

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