C’est une règle universelle : plus on vieillit, plus la vie nous paraît courte, ce qui peut mener à des prises de conscience comme celle à l’origine du groupe One Life All-In. Créé sous l’impulsion du bassiste Franco, One Life All-In porte son leitmotiv dans son nom : « On n’a qu’une seule vie, on y va à fond, on le fait maintenant et tout de suite. » Pour poursuivre cette noble ambition, Franco a su s’entourer, que ce soit avec Clément à la guitare ou Kévin Foley à la batterie, dont l’impressionnant CV parle pour son talent et qui revient grâce à ce groupe à ses premières amours punk hardcore, mais aussi en allant chercher le chanteur Don Foose de l’autre côté de l’Atlantique.
Si le premier EP, The A7 Session, avait plus des allures de projet solo pour Franco, le second EP, Letter Of Forgiveness, fraîchement sorti, est véritablement celui d’un groupe qui commence à découvrir son potentiel collectif. Un potentiel qui devrait, on l’espère, pleinement se réaliser sur leur premier album à venir. En attendant, Letter Of Forgiveness est une belle mise en bouche, à savourer sans modération.
« Le temps passe, la vie défile… Quand tu as vingt ans, tu ne te poses pas la question, tu as toute la vie devant toi et tu ne réfléchis pas. C’est à l’approche de la quarantaine que j’ai eu une prise de conscience. Je me suis dit : ‘Merde, j’approche des quarante, combien de temps il me reste devant moi pour faire de la musique ?' »
Radio Metal ! Dans le nom du groupe, One Life All-In, il y a vraiment cette idée de tout tenter, de prendre tous les risques. C’est aussi en cohérence avec les titres de vos morceaux. Je pense notamment à un morceau, qui n’est pas sur cet EP-là, mais qui est sur celui d’avant, qui s’appelle « Won’t Die With Regrets ». On a vraiment l’impression que le nom du groupe correspond à votre état d’esprit…
Franco (basse) : Exactement, c’est précisément ça. Ça n’a pas été choisi par hasard. Au départ, c’était un nom de travail, One Life One Chance, qui est une chanson du groupe H2O, un groupe de hardcore new-yorkais que j’aime beaucoup. Il y avait justement cette idée : « Tu n’as qu’une seule chance et tu la saisis, c’est là que ça se passe et pas ailleurs. » Donc nous avions ce nom de travail, au départ, mais nous ne pouvions pas l’utiliser, parce qu’il avait déjà été utilisé précédemment, et puis il y avait même Toby, le chanteur de H2O, qui l’utilisait pour son podcast. Donc c’était déjà utilisé. Mais malgré ça, nous voulions garder l’idée, le concept. Et c’est Don Foose, notre chanteur, qui a remplacé la fin. Il a remplacé « One Chance » par « All-In », pour dire qu’on n’a qu’une seule vie, qu’on y va à fond et qu’on le fait maintenant et tout de suite.
Dirais-tu que c’est un état d’esprit qui t’a défini dans tous tes choix de vie, dans tous tes choix de carrière ?
C’est venu assez tard. Je suis à l’origine du groupe, c’est moi qui ai eu l’envie de créer le groupe. Ce n’était pas la dernière chance, mais je me suis dit : « Allez, je le monte, celui-là… » Parce que dans les précédents groupes auxquels j’ai participé, j’étais un membre, mais pas à l’origine. Là, c’est vraiment moi qui ai lancé l’impulsion, qui ai démarré. Je me suis dit : « Ce coup-ci, c’est vraiment moi. » Je n’ai pas fait ça tout seul, mais il y avait cette motivation, cette détermination de faire ça maintenant et tout de suite. Le temps passe, la vie défile… Quand tu as vingt ans, tu ne te poses pas la question, tu as toute la vie devant toi et tu ne réfléchis pas ; en tout cas, pour moi, ça s’est passé comme ça. C’est à l’approche de la quarantaine que j’ai eu une prise de conscience. Je me suis dit : « Merde, j’approche des quarante, combien de temps il me reste devant moi pour faire de la musique ? » Je me suis posé des questions à ce niveau-là. Donc le nom vient de là aussi : « Je ne sais pas combien de temps il me reste mais j’y vais à fond et je vais me faire plaisir. Je vais aller brancher Clément Ménart le guitariste, ensuite je vais aller taper à la porte de Don Foose, ensuite de Kevin Foley… » Il y avait une part d’ambition et d’urgence en même temps. Mais c’est venu sur le tard, effectivement.
Ce groupe était apparemment au départ conçu comme un side project, mais il est devenu un projet à part entière. Saurais-tu identifier le moment précis qui a fait basculer la dimension du groupe ?
Oui. Au début, comme tu dis, c’était un projet studio. J’avais composé plusieurs morceaux et j’avais besoin de personnes pour m’aider à mettre en forme tout ça. Pour l’enregistrer, ensuite, nous avons fait venir Don sur Lyon, pour enregistrer avec nous et pour tourner un clip. Donc il est venu une semaine, début janvier 2017, de mémoire. Nous avons passé une semaine tous ensemble, Don a enregistré le premier EP, The A7 Session à ce moment-là. Nous avons tourné le clip en fin de semaine, et avec le fait d’avoir passé toute la semaine ensemble, ça s’est vraiment bien passé entre nous. Il y a eu comme un début d’amitié, ce n’était pas juste de la musique, juste du travail de studio, c’était un peu plus, il y avait cette notion d’amitié qui commençait à naître. Nous passions du bon temps ensemble, nous rigolions, ça se passait bien. Et les liens se sont vraiment créés à ce moment-là, précisément au moment de l’enregistrement. Pas au moment du travail de composition avant, mais vraiment au moment de l’enregistrement, avec le fait de passer du temps ensemble, tous à Lyon, pendant une semaine. C’est ça qui a donné l’envie de continuer à composer des morceaux ensemble, d’évoluer, de grandir en tant que groupe, finalement.
« J’ai moi-même posé la question à Don, pour savoir si dans la musique que nous lui proposions, il ressentait une vibration européenne, un feeling européen différent de ce qu’il peut connaître chez lui aux États-Unis, […] mais a priori, non. La musique dépasse les cultures et les frontières, finalement ! »
Tu viens de l’évoquer, le groupe est franco-américain. On parle beaucoup de la différence d’état d’esprit et de fonctionnement entre les Américains et les Français, notamment en termes d’entertainment, de musique, et de business de la musique. Est-ce que tu ressens ce choc de cultures quand vous travaillez ensemble, que ce soit d’un point de vue purement artistique ou plus sur des aspects comme la manière de bosser ou le business ?
Non, pas du tout justement. Je n’ai pas ressenti de différence dans la manière de vouloir promouvoir la musique, se mettre en avant de telle manière plutôt que de telle autre, écrire les chansons dans ce sens-là et pas dans un autre… Ça s’est fait naturellement, je n’ai pas ressenti de différence. J’ai moi-même posé la question à Don, pour savoir si dans la musique que nous lui proposions, il ressentait une vibration européenne, un feeling européen différent de ce qu’il peut connaître chez lui aux États-Unis, parce que je m’interrogeais là-dessus. Et il m’a dit que non, justement. Ça m’a surpris, je pensais qu’il y avait une différence, qui va dans le sens de ta question. Mais a priori, non. La musique dépasse les cultures et les frontières, finalement ! Parce que j’entends des différences entre les groupes européens et les groupes américains, de mon point de vue il y a une différence. Mais finalement, une fois que tu es dedans, il n’y en a pas tant que ça. Un musicien reste un musicien, au final. Alors certes, son parcours et sa culture sont différents, mais nous nous rejoignons sur le but et sur les chansons, sans vraiment noter de différence.
Ce nouvel EP s’appelle Letter Of Forgiveness. Quel est ce pardon qui est évoqué dans le titre ?
C’est quelque chose que Don t’expliquera bien mieux que moi. C’est lui qui est à l’origine des textes et des thèmes abordés. Et là, précisément, Letter Of Forgiveness, la « lettre de pardon », c’est quelque chose qui lui est très personnel. Pour résumer, dans ses jeunes années, il a fait des erreurs, des mauvais choix qui ont créé quelques soucis, par rapport à ses études, puis quand il est passé par l’armée et ensuite avec les filles, avec l’alcool… À un moment donné, il a pris conscience de tout ça, il s’est fixé des règles, un cadre. Et aujourd’hui, quand il repense à tout ça, il éprouve des remords, des regrets. C’est quelqu’un qui est très porté sur la spiritualité. J’allais dire « croyant », il y a de ça aussi mais il ne croit pas en un dieu précisément, c’est une forme de spiritualité. Donc dans cette chanson, le texte de « Letter Of Forgiveness », c’est une lettre ouverte au concept qui pour lui est Dieu, et il demande pardon à Dieu, et il espère que Dieu lui a pardonné. J’en profite aussi pour dire que c’est le seul dans le groupe à avoir ce côté religieux, alors que nous trois autres, pas du tout. Et malgré ça, nous arrivons quand même à avancer tous dans la même direction.
Justement, y a-t-il un échange intellectuel entre vous sur ces questions-là ?
Oui, nous en parlons entre nous. Il y a une forme de respect. Nous avons tous conscience que Don est porté sur la spiritualité, sur les choses comme ça, et lui a conscience que nous, pas du tout, que nous sommes plutôt terre à terre. Mais malgré ça, chacun respecte l’autre. Est-ce que c’est du fait de notre âge, justement, du fait que nous avancions tous un peu dans l’âge ? Nous acceptons ces choses-là, ces différences, donc au final, ça ne gêne personne.
Apparemment, ce nouvel EP a été beaucoup plus collaboratif que le premier, pour lequel tu étais arrivé avec une base très ficelée de morceaux. Est-ce que tu dirais que sur ce nouvel EP, vous vous êtes un peu plus « sentis » comme un groupe ?
Absolument, c’est exactement ce qui s’est passé. Comme je te disais, au départ, c’était une forme de projet solo. J’avais composé les morceaux moi-même, en demandant de l’aide à Clem, le guitariste, pour mettre en forme, parce que tout seul, je n’aurais pas pu faire grand-chose. Ensuite, nous avions besoin d’un chanteur et de textes, donc c’est là que nous sommes allés chercher Don. Mais la musique était déjà écrite. Comme ça s’était bien passé lors de l’enregistrement, nous avons voulu continuer à aller un peu plus loin. Du coup, nous nous sommes mis à échanger des idées. Ce n’était plus moi qui apportais des morceaux ficelés de A à Z, en tout cas pour la musique. C’était plus un échange entre Clem et moi. Don, ensuite, nous faisait des remarques sur la structure, quelle partie arranger, quelle partie raccourcir, on met le refrain à tel endroit, on met le couplet ici… Kevin également, le batteur, a proposé de plus en plus des idées d’arrangements. Il y avait donc cette idée d’avancer, d’évoluer par rapport au premier EP. Notre relation entre nous, l’amitié qui est née à ce moment-là aussi et le respect ont fait que nous avions plus envie d’échanger, de nous comporter comme ça, plutôt que ce soit moi qui fasse encore mon petit chef et que je leur dise quoi faire. Il y a une ouverture, une évolution qui s’est passée à ce moment-là.
« [Kevin Folley] peut placer un blast, évidemment, tout comme il peut groover à la manière d’un Madball ou d’un Biohazard. Il brasse très large, il est très versatile et super complet. C’est vrai que les gens le connaissent pour le metal extrême, pour le blast et tout ça, mais Kevin, c’est beaucoup plus que ça. »
Du coup le processus est peut-être moins lourd à assumer pour toi ?
Il y a plusieurs choses. Ce n’est pas que c’est moins lourd, mais oui, j’ai de moins à me soucier de tout ça et en même temps, ça ouvre des portes et ça enrichit la musique. D’avoir d’autres idées plutôt que simplement les miennes, c’est beaucoup plus riche, beaucoup plus divers, beaucoup plus varié, et ça apporte des choses vraiment intéressantes, des choses que je n’aurais pas pu apporter moi-même. Une bonne idée reste une bonne idée, peu importe de qui elle vient. Ça va vers l’ouverture et l’évolution. Il y a ces notions-là aussi qui sont importantes pour moi. Il faut laisser de la place aux autres et s’ils y trouvent leur compte, ils le feront avec le sourire et ils apporteront de plus en plus d’idées. Il faut laisser s’exprimer les gens également, ce n’est pas « Franco et son orchestre ».
Sur cet EP, il y a un morceau qui s’appelle « Sacred Heart ». Pour le coup, c’est un morceau un peu plus aventureux en ce qui vous concerne, avec une atmosphère plus doom. Est-ce que tu dirais que ce morceau est l’illustration parfaite de cette diversité qui s’est imposée à vous, avec le fait que tout le monde collabore un peu plus à l’EP ?
Complètement. C’est un morceau qui me tient vraiment à cœur sur cet EP. C’est mon préféré, parce que justement, comme tu viens de le dire toi-même, c’est le morceau le plus aventureux que nous ayons enregistré à ce jour. Ça démarre avec une ambiance quasi doom, très lente, et ensuite ça s’enflamme un peu, ça s’énerve, tout en restant mélodique. Et justement, sur ce morceau, il y a des parties que j’ai composées moi à cent pour cent, d’autres qui sont à cent pour cent de Clément, Don a rajouté des ambiances et des chants, Kevin a rajouté sa patte aussi… C’est vraiment une collaboration et je pousse le groupe dans ce sens-là, j’avoue, d’expérimenter, de tenter des choses. Parfois avec réussite, parfois un peu moins. Il y a, du coup, parfois des morceaux qui partent à la poubelle, mais parfois nous en sommes vraiment contents. « Sacred Heart », c’est vraiment l’illustration de quelque chose dont nous ne nous serions jamais doutés d’être capables, d’aller dans cette direction… Nous n’hésitons pas à tenter des choses et ce morceau en est le parfait exemple.
Avec ces perspectives qui s’ouvrent, pourquoi n’êtes-vous pas partis carrément sur un album, qui vous aurait laissé plus de place pour vous balader ?
À un moment donné – on en revient à la notion du temps qui passe [rires] –, nous nous sommes rendu compte que ça faisait plus de deux ans que nous avions sorti le premier EP. Nous avons fait le bilan, nous avons regardé les morceaux que nous avions à disposition, nous avons écarté ceux que nous trouvions un peu trop convenus, un peu trop classiques, nous avons réuni ceux qui nous semblaient les plus pertinents et intéressants. Au départ, nous étions partis sur un album et au bout d’un moment, nous nous sommes dit : « Allez, on entre studio, on a assez traîné. Ça sera un EP, ça suffira pour l’instant. » De toute façon, il n’y avait pas de pression, nous n’avons pas de label pour l’instant, nous faisons ce que nous voulons, comme nous le voulons. Nous sommes déjà en train de travailler sur de nouveaux morceaux. Le prochain, ça sera un album, ce coup-ci c’est défini, c’est planifié. Mais pour le deuxième EP, nous avions envie d’entrer en studio et d’enregistrer, mais nous ne voulions pas non plus faire de remplissage. Il y a des morceaux que nous avons mis de côté, pas parce que nous les trouvions mauvais, mais un peu trop prévisibles, un peu trop faciles. Du coup, nous avons regroupé tout ce qui nous semblait pertinent, nous sommes partis en studio et nous sommes partis sur un EP. Nous nous sommes dit que ça suffirait pour avoir de l’actualité, pour continuer à avancer, à exister, et à construire notre histoire. Mais le prochain enregistrement sera un album.
Sur cet EP, c’est Kevin Foley qui est à la batterie. Ça faisait quelques années qu’il exprimait son envie dans son jeu d’aller sur des styles qui nécessitent moins de vélocité et moins de technique, d’être plus sur le groove. J’imagine que vous vous êtes vraiment bien trouvés, c’était vraiment la bonne rencontre au bon moment…
C’est précisément ça. Après, Kevin est connu pour être un batteur de metal extrême, il est même très connu pour ça, mais peu de gens savent – et moi-même je n’en savais rien avant de le rencontrer – qu’il a commencé par le punk hardcore. Avant Benighted, lorsqu’il s’est fait connaître, il jouait dans des groupes de punk hardcore, donc c’est quelque chose qui était en lui, qui faisait partie de sa culture. Au moment où nous avons eu besoin d’un batteur, pour le premier EP, The A7 Session, nous avons un copain en commun avec Kevin qui nous a mis en contact. J’avais déjà repéré Kevin, je l’avais déjà vu jouer avec Benighted et je connaissais son impressionnant CV. Le mec a joué avec tellement de grands ! Je n’étais pas sûr que ça colle. Nous nous rencontrons, il m’explique qu’il vient du punk hardcore, ce que je ne savais pas du tout, et qu’à ce moment-là, comme tu le disais, il avait envie de revenir à des choses plus punk ou hardcore. Il a écouté les démos, le projet lui a plu et il a pris part à l’aventure. Il est capable de jouer tellement de choses différentes… Il peut placer un blast, évidemment, tout comme il peut groover à la manière d’un Madball ou d’un Biohazard. Il brasse très large, il est très versatile et super complet. C’est vrai que les gens le connaissent pour le metal extrême, pour le blast et tout ça, mais Kevin, c’est beaucoup plus que ça. Ça montre l’étendue du talent du bonhomme.
Interview réalisée par téléphone le 24 avril 2020 par Philippe Sliwa.
Retranscription : Robin Collas.
Facebook officiel d’One Life All-In : www.facebook.com/onelifeallin.
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