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Interview   

Opeth crache son venin


S’il y a un soir à ne pas mettre un artiste étranger dehors en plein Paris, c’est bien un 14 juillet doublé d’une victoire de l’Algérie en Coupe d’Afrique des nations… C’est pourtant la mésaventure qui est arrivée à Mikael Åkerfeldt, déposé au mauvais hôtel par son taxi la veille de notre entrevue, et qui a donc pu profiter d’un bain de foule comme seuls la Fête nationale et le foot savent en engendrer.

En professionnel consommé, le maître à penser d’Opeth ne laissera pas cet incident tempérer son enthousiasme envers son nouveau bébé, In Cauda Venenum, un album pas tout à fait conceptuel proposé en version bilingue anglais/suédois – mais avec un titre latin, pour une raison parfaitement valable expliquée ci-après. Genèse du disque, bilinguisme, Ivanhoé, studios à l’ancienne, amitiés musicales… Autant de sujets que nous avons pu évoquer avec le compositeur/chanteur/guitariste suédois sur une terrasse parisienne ensoleillée, bien loin de l’ambiance sombre et inquiétante de son treizième album.

Oh, un conseil avant de cliquer sur le lien ci-dessous : quand Mikael Åkerfeldt vous suggère de faire preuve de prudence lors de vos recherches sur un certain groupe, il est préférable de l’écouter. Vraiment…

« J’aime les grandes structures complexes de chansons, mais elles ne doivent pas forcément être difficiles à jouer. Mais si tu analyses ces chansons, tu vois comment elles se déroulent et tu finiras par te rendre compte de la complexité. J’ai quand même envie que les gens les écoutent presque comme si c’était des chansons pop, alors que ce n’en est pas. »

Radio Metal : Tu as déclaré que, par rapport à Sorceress, « la pression était différente [pour ce nouvel album]. [Tu] devais écrire de la musique que [tu estimais] importante. » Que voulais-tu dire par là ? Qu’est-ce qui rend cet album plus important ?

Mikael Åkerfeldt (chant & guitare) : Je ne me souviens pas avoir dit que c’était plus important, mais il se peut que je l’ai dit ! Tous les albums que nous avons faits sont très importants pour moi, mais je pense que durant les dix dernières années environ, j’ai commencé à traiter chaque album comme étant potentiellement le dernier, car on ne sait jamais. Je suis d’humeur assez changeante, en ce sens : parfois je crois vouloir continuer éternellement, et parfois j’ai envie de quitter l’interview et rentrer à la maison ! J’ai un énorme respect pour la musique – toutes les musiques, je suppose. Enfin, pas toutes les musiques, mais la plupart. Et surtout, si je dois participer à la scène musicale, je veux que ça compte. Ça explique pourquoi je traite chaque album comme si c’était le dernier. Mais je ne dirais pas que cet album est plus important que les autres. C’est juste que c’est le plus récent, donc évidemment, là tout de suite, c’est le plus important pour moi. Mais j’ai aussi commencé à écrire sur une base différente d’avant. Il y a généralement quelqu’un – comme un manageur – qui me demande : « Comment ça se passe avec les nouvelles chansons ? Quand pourra-t-on enregistrer ? » Cette fois, je devais prendre une année sabbatique et ne rien faire, mais je me suis finalement retrouvé en studio bien plus tôt que je ne l’avais prévu pour commencer à écrire des chansons. La plupart des chansons ont été écrites sans que personne le sache. Personne ne savait avant que j’en sois à la moitié. Ensuite, j’ai dit à tout le monde : « Il se trouve que j’ai quelques chansons. » Puis toute la machine s’est remise en branle. L’album a donc été écrit sans plan précis. Il y a toujours des plans ! Mais pas cette fois. J’ai juste écrit par plaisir. C’est spécial, je trouve, après trente ans, quand on se pose et écrit parce qu’on adore écrire de la musique.

Musicalement parlant, tu as dit que tu « voulais quelque chose de très élaboré, complexe, sans que ça sonne complexe ». Est-ce le plus gros challenge quand on fait de la musique progressive, faire en sorte que l’auditeur ne ressente pas la complexité ?

Dans le rock et le metal progressifs, surtout dans le metal progressif moderne, c’est courant d’avoir des mesures asymétriques, des rythmes de batterie en contretemps – un peu comme de la démonstration technique. Ça ne m’a jamais tellement intéressé. J’aime les grandes structures complexes de chansons, mais elles ne doivent pas forcément être difficiles à jouer. Mais si tu analyses ces chansons, tu vois comment elles se déroulent et tu finiras par te rendre compte de la complexité. J’ai quand même envie que les gens les écoutent presque comme si c’était des chansons pop, alors que ce n’en est pas. Je veux que ça soit de la musique que les gens peuvent apprécier, sans avoir à réfléchir en termes techniques ou aux gammes. Il s’agit juste de se faire plaisir en écoutant la musique, mais quand on la décortique, on peut voir qu’il y a pas mal de boulot derrière, si tu vois ce que je veux dire. C’est ça que je veux. Je veux de la musique mélodique, des chansons mélodiques – des chansons qui font vibrer votre corde sensible, pour ainsi dire. De la musique émotionnelle, en gros ; c’est ça que je recherche. Mais je suis un tel fan de musique que c’est inévitable que j’écrive des morceaux élaborés.

In Cauda Venenum est d’ailleurs un album arrangé de façon très riche, très grandiloquente, avec même des cordes sur une chanson comme « De Närmast Sörjande / Next Of Kin », et finissant de façon très glorieuse avec « Allting Tar Slut / All Things Will Pass », ce qui en fait un album très évocateur et cinématographique. Etait-ce ton but de faire de cet album une sorte de BO d’un film imaginaire ?

Non, il n’a pas été conçu comme ça, mais on m’a déjà posé la question avant. Et la question suivante était : « Aimerais-tu faire une BO de film ? » J’adore ces trucs ! J’adorerais travailler là-dessus. Je peux comprendre d’où vient cette remarque, car il y a beaucoup de cordes et d’ambiances cinématographiques. Plein de gens croient que c’est album conceptuel – ce qu’il peut être, je suppose, mais il n’a jamais été envisagé comme tel. Je pense que c’est beaucoup lié à l’ensemble de cordes présent sur cet album. J’ai beaucoup plus travaillé là-dessus que par le passé, et ça fait partie des choses que j’ai trouvées très amusantes à faire. J’ai un peu plus d’assurance pour faire ça aujourd’hui. Car quand on écrit pour des cordes… Je ne connais pas la théorie musicale ; j’écris ce qui, selon moi, sonne sympa. Et ensuite, si je veux que ce soit enregistré par de vrais musiciens, il faut que j’arrange tout et que j’envoie ça à quelqu’un capable d’écrire les partitions et d’arranger encore un peu plus, et que je délègue les parties à ceux qui vont les jouer et les enregistrer. Et ça a parfaitement fonctionné. J’étais là : « Wah, je suis capable de faire ces trucs ! » J’ai presque l’impression d’être chanceux, à bien des égards. J’ai de la chance avec la musique – surtout avec les arrangements de cordes – de pouvoir travailler avec quelqu’un qui sait comment ça doit être fait.

« Je n’ai rien à dire ! Je ne ressens pas de besoin de dire quoi que ce soit. C’est juste que j’ai besoin de mots à mettre dans les chansons. »

L’album est en deux versions : suédoise et anglaise. Mais la version principale est la suédoise, et même dans la version anglaise on peut entendre des samples en suédois. Pourquoi avoir spécifiquement ancré l’album dans la langue et la culture suédoises ? C’était juste pour te renouveler ou bien y a-t-il un concept plus profond là-derrière ?

Il n’y a pas de concept profond. Je suis constamment… Si je suis en train d’écrire de la nouvelle musique, surtout si je suis en train d’écrire ce qui sera supposément un album d’Opeth, je veux une idée qui englobe l’album. « Qu’est-ce que je devrais faire ? » Ça peut être une idée toute simple, comme : « Je veux faire un album heavy, ou un album lent, ou un album calme. » Cette fois, j’emmenais mes enfants à l’école en voiture, et ils écoutaient du hip-hop sur la banquette arrière. J’étais en train de réfléchir, car j’allais les déposer à huit heures à l’école, puis me rendre au studio, et je me demandais : « Peut-être que je devrais faire un album en suédois ! Pourquoi pas ? » Et quand je suis descendu au studio, j’ai commencé à écrire de la musique – pas des textes. Donc la langue, en tant que telle, m’a poussé à écrire de la musique. Ce n’était donc pas forcément une idée narrative ou que je voulais dire quelque chose dans ma langue maternelle. Ça m’a poussé à écrire de la musique. Et la musique en soi ne sonne pas plus suédoise que n’importe lequel des autres albums que nous avons faits. Mais l’idée m’a motivé à démarrer. Et pour je ne sais quelle raison, c’était très inspirant. Je ne pouvais pas arrêter de composer – je devais me forcer à arrêter. Et nous nous sommes retrouvés avec l’album le plus long de notre carrière, et trois titres bonus, ce qui fait en réalité six bonus, car ils sont dans les deux langues. Et je me disais : « Merde, il faut que j’arrête maintenant, car autrement, je vais avoir du mal à faire le tri et obtenir un album. » Ou alors ça aurait été un tripe album ! Ce sera déjà un double album [si on compte les deux versions, suédoise et anglaise], mais là ça aurait fait un tripe album. Un double CD, c’est déjà un peu trop, même selon mes standards !

Dans quelle langue te sens-tu le plus à l’aise de chanter ? Y a-t-il une différence en termes d’interprétation et de feeling quand tu chantes ?

C’est la première fois que j’écris vraiment sérieusement, pour ainsi dire, des paroles en suédois. C’était sympa. Il y a moins de synonymes dans ma langue, tandis que dans la langue anglaise, il y a un paquet de manières de dire la même chose. En suédois, il n’y en a pas tant que ça, donc ça a présenté un petit problème pour moi, par rapport aux rimes et ce genre de choses. Mais le fait de le chanter et donner de l’émotion, pour moi, ça n’a pas fait beaucoup de différence d’une langue à l’autre. Peut-être que c’était un peu plus facile dans ma langue maternelle, car je savais ce que tout voulait dire. Et en anglais, tu sais… J’adore la langue anglaise ; je suis ce que j’appellerais un anglophile. Nombre de mes textes passés ont été embellis par et basés sur le joli vocabulaire anglais. Je n’avais pas en suédois ces mots qu’offre l’anglais. Je trouve qu’un mot suédois n’a pas la même beauté. Du coup, les textes se sont trouvés être bien plus contemporains, plus actuels, que les trucs subtils que j’ai faits auparavant. C’était intéressant, et c’est à cause de la langue suédoise. C’était probablement plus facile pour moi de m’exprimer – d’un autre côté, je n’ai rien à dire ! Je ne ressens pas le besoin de dire quoi que ce soit. C’est juste que j’ai besoin de mots à mettre dans les chansons.

Vu que la version suédoise est la version principale et que c’était l’idée depuis le départ, pourquoi t’être embêté à enregistrer une version anglaise ? Avais-tu peur que ça décourage les fans ne parlant pas le suédois ou que ça fasse du tort au groupe commercialement parlant ?

Oui à la première suggestion. J’étais inquiet, en fait. J’avais moi-même ce type de barrière avec la musique avec des groupes qui chantaient dans leur langue maternelle – en l’occurrence, la scène progressive italienne qui est aujourd’hui l’une de mes scènes préférées dans le monde. Quand j’étais plus jeune, je trouvais difficile d’écouter de la musique dans laquelle je ne comprenais pas ce qu’ils disaient. J’aurais pu faire le fier et en rester sur la version suédoise. C’était ce qui était prévu à la base. Mais au milieu du processus d’écriture, je me suis dit : « Cette musique est sympa. Je n’ai pas envie que les gens aient cette barrière. » C’est ce qui fait la différence entre se procurer un album et l’apprécier et passer à côté d’un album à cause de la langue. Je trouve que ça aurait été triste si les gens ignoraient cet album parce qu’ils ne comprenaient pas la langue. C’était donc un peu une décision nerveuse, le fait de faire la version anglaise en plus. Et puis ce n’était pas non plus une grosse prise de tête. C’était assez facile pour moi de réécrire ces textes et enregistrer en plus la version anglaise ; ce n’était pas la pire chose que j’ai faite dans ma vie. Mais maintenant, avec le recul, c’est presque comme si… Les gens me demandent pourquoi j’ai fait une version anglaise ; ils trouvent que la version suédoise se suffit à elle-même. Et je suis là : « C’est chouette ! » Mais il y a plein de gens qui vont écouter cet album, et certains pourront ne pas être d’accord. Donc ceci est une version pour eux, au moins, ou pour quiconque a envie d’écouter les deux versions ! Car il y a des différences entre les versions. Mais ouais, la principale est la suédoise.

« On peut dire que les guitares sous-accordées et le chant crié, ce n’est pas ça être heavy. Je veux dire que ça l’est mais ça a été tellement fait que la frontière entre ce qui est heavy et ce qui est encore plus heavy a été gommée. Je n’écoute pas un album de death metal en pensant : « Wow, c’est putain de heavy ! » Ça sonne juste comme du death metal. C’est presque du mainstream pour moi. »

Tu as déclaré que « depuis l’époque death metal d’Opeth, [tu as] toujours voulu un titre en latin. Rien n’a jamais marché. » Pourquoi as-tu toujours voulu un titre en latin ? Qu’est-ce que cette langue représente pour toi ?

Je n’ai aucun lien avec le latin, si ce n’est celui du metal ! J’ai toujours trouvé que ça sonnait cool ! La Suède est un pays très porté sur les traditions, à bien des égards. Peut-être pas dans les domaines vraiment importants [petits rires], mais pour ce qui est de… Par exemple, à chaque jour de l’an, le classique du cinéma Ivanhoe, datant des années 80, passe à la télé, et je me souviens que, quand j’étais enfant, j’étais tous les ans devant la télé pour le regarder. Je me souviens qu’il y a un moine qui se balade en disant : « Pax vobiscum. » Et j’étais là : « Ça sonne cool ! Qu’est-ce que ça veut dire ?! » Et évidemment, dans les scènes death metal et black metal, certains groupes ont utilisé des titres latins, et j’ai toujours trouvé ça sympa. C’est l’une des raisons : je trouve que ça sonne cool ! Une autre raison est que je voulais le même titre pour les versions suédoise et anglaise. Je ne voulais pas avoir un titre suédois et un titre anglais, donc j’en ai trouvé un qui connectait les deux disques. J’ai trouvé la phrase « In Cauda Venenum ». J’étais là : « Ça sonne bien. Ça sonne comme Ivanhoe. Qu’est-ce que ça veut dire ? » Nous avions même un scorpion dans les illustrations. Encore une fois, c’est un peu un coup chance, en ce sens.

C’est drôle parce que Sabaton a fait exactement la même chose : un album en suédois et en anglais, avec un titre latin, Carolus Rex…

C’est exact. Ouais, nous marchons sur leurs traces ! Ils ont du succès ! En fait, je n’ai aucun lien musical avec Sabaton. Je ne les écoute presque pas. J’ai rencontré les gars à quelques reprises ; c’est un groupe très sympa de gros bosseurs. Mais je ne me suis pas inspiré d’eux et je ne les ai pas copiés ! Histoire que ce soit bien clair. C’est une coïncidence. Mais je me suis inspiré de vieux groupes suédois qui ont fait ce truc bilingue, avec une version en anglais et une en suédois, ce qui était très peu commun au début des années 70. C’était l’inspiration. Mais le principal, comme je l’ai dit avant, c’est surtout que ça m’a lancé dans la composition.

Le titre signifie « du poison dans la queue » et fait référence, comme tu l’as dit, au scorpion. Comment relies-tu ceci aux thèmes de l’album, à la pochette, etc. ?

Ce n’est pas tellement lié au thème… Je veux dire que c’est un thème tellement vaste, on peut y trouver des références à tout ce qu’on veut si on cherche bien. Comme je l’ai dit, les paroles sont bien plus contemporaines que ce que j’ai fait par le passé. Ce sont même presque des angles d’attaque semi-politiques. Ce sont plus des observations, je ne prends pas position pour ou contre quoi que ce soit. Nous vivons dans une époque inspirante quand on veut écrire des paroles un peu subversives, surtout en Suède. J’étais inspiré par l’élection en Suède, qui a été un grand foutoir. J’ai voté pour les sociaux-démocrates, et les voilà qui se sont associés avec un parti penchant à droite. Ce n’est pas pour ça que j’ai voté ! On a l’impression d’être des pions dans un jeu d’échecs, d’une certaine façon. Pour une raison, j’ai écrit au sujet de certaines de ces choses – de très mauvaises intentions déguisées en bonnes intentions, des doubles jeux, etc. Tout ceci on peut le relier au titre. Mais la raison principale est que nous avions un scorpion dans les visuels, et je trouvais que c’était une étrange coïncidence. Et aussi parce que, comme je l’ai dit, je traite chaque album comme le dernier. Si ceci est le dernier album, je trouve que c’est bonne œuvre musicale. Il y a aussi la pochette, la maison se tenant sur la langue d’un démon – une belle maison prête à se faire engloutir par un démon monumental. J’y trouve donc des références. Mais la raison principale est que ça sonne cool !

Tu as déclaré que pour toi, « à ce stade, le côté heavy ne provient pas des guitares accordées grave avec du chant crié par-dessus ». Ça me rappelle une conversation qu’on a eue par le passé avec Steven Wilson, où il disait avoir réalisé qu’une « grande partie de la musique vraiment sombre, maléfique et tordue n’était pas créée à partir de guitares heavy désaccordées ». Du coup, j’aimerais avoir ton avis : ça veut dire quoi « heavy » ?

On peut dire que les guitares sous-accordées et le chant crié, ce n’est pas ça être heavy. Je veux dire que ça l’est mais ça a été tellement fait que la frontière entre ce qui est heavy et ce qui est encore plus heavy a été gommée. Je n’écoute pas un album de death metal en pensant : « Wow, c’est putain de heavy ! » Ça sonne juste comme du death metal. C’est presque du mainstream pour moi. Ce qui veut dire que la musique mainstream n’est pas vraiment heavy ; elle n’a pas un gros impact sur mon âme. Steve et moi en avons discuté. J’étais chez lui, et je parlais du groupe suédois Bathory, j’ai dit : « C’est un truc bien malfaisant. » Et il était là : « Oh, vraiment ? » J’ai dit : « Oui, The Return est un album effrayant. » Il était là : « Est-ce que tu as entendu Throbbing Gristle ? » J’étais là : « Non, c’est qui ? » Il m’a fait écouter, et c’est la musique la plus dégueulasse que j’ai jamais entendue de toute ma vie. Ce n’est pas du metal. Je ne sais pas ce que c’est ! C’était juste horrible. Et c’est heavy à un niveau que les groupes de metal ayant un quelconque type de contrôle ne pourraient jamais atteindre. Être heavy à ce point, c’est une question de lâcher tout contrôle et partir dans un truc complètement nauséeux, si tu vois ce que je veux dire. Je n’ai entendu aucune musique dans le monde du death metal qui… Les groupes de death metal ont une intention cachée – le succès, tous ces trucs. Quand on fait de la musique comme Throbbing Gristle, on ne peut pas avoir comme arrière-pensée qu’on va devenir une rock star, car c’est putain de dégueulasse. Donc j’étais là : « Hmmm, c’est intéressant. » Et puis on trouve des choses comme les derniers albums de Scott Walker, qui sont vraiment, vraiment malades, et heavy dans un sens qu’un groupe de metal ne pourrait jamais atteindre. Et puis il y a le joli heavy, si tu veux. Tout dépend ce que l’on ressent, je pense. Le heavy metal reste heavy, mais ça ne se résume pas à ça. Ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la musique heavy. Je pense qu’on peut créer une atmosphère heavy sans distorsion.

« Je préfère les studios dans lesquels les gens ont fumé pendant cinquante ans, où des classiques ont été réalisés, où des labels ont dépensé de l’argent pour leurs groupes, où il y a eu des soirées cocaïne, de grosses beuveries et toutes sortes de débauches, mais avant tout, où de la musique fantastique a été créée. »

C’est intéressant ; je vais aller écouter ça.

Avec prudence !

Dans la même interview – c’était en 2011 –, Steven a aussi dit que « le metal se trouve dans une phase où il doit se réinventer avant de revenir ». Vu ton évolution avec Opeth, je suis sûre que tu serais d’accord avec lui, mais penses-tu que le metal a commencé ce processus de réinvention depuis ?

Non, et je ne crois pas qu’il ait raison. Je comprends ce qu’il veut dire, et dans une certaine mesure, je peux être d’accord, mais le heavy metal est vivant et se porte bien, comme on dit. Metallica n’a pas besoin de se réinventer. C’est quelque chose que les snobs de la musique comme Steven Wilson et moi adoreraient, c’est-à-dire voir ces groupes de metal traditionnel surprendre en sortant un album étrange.

Metallica l’a un peu fait, ceci dit…

Effectivement, mais si on a de l’étrange à la sauce Metallica et si on compare ça à quelque chose de vraiment étrange, ils ont une énorme marge. Metallica a fait de la musique extraordinaire ; pas seulement de la musique pionnière, mais de la musique extraordinaire qui a passé l’épreuve du temps. Et ils sont en mesure de pouvoir faire tout ce qu’ils veulent. Mais je pense qu’ils sont probablement dans une position dans laquelle ils aiment être : ils aiment jouer du thrash face à soixante mille personnes. Je veux dire qu’ils n’ont pas à se plaindre ! Prends Judas Priest, par exemple, un groupe que j’adore : ils jouent du heavy metal. Ça n’a plus rien de révolutionnaire ou de progressif. A un moment donné, ils l’ont été, mais plus vraiment maintenant. Pour autant, ce n’est pas de la merde, c’est super qu’ils continuent ! Mais comme je l’ai dit, le snob en moi a envie de voir toute la scène évoluer. Je suppose que j’ai envie de retrouver ce que je ressentais quand j’étais enfant et que j’écoutais ces groupes, quand c’était encore nouveau. Aujourd’hui, quand Judas Priest sort un nouvel album, je sais que ce sera super, mais ça ne me donnera pas l’impression d’être nouveau, même si c’est un tout nouvel album. C’est ce que je recherche, mais je ne le trouve plus dans le metal. Donc je me tourne vers d’autres styles de musique, tout comme Steve, je le sais. Mais qui en a quelque chose à faire de ce que nous pensons ? Les fans de metal s’attroupent devant Judas Priest et Metallica. Moi aussi ! Je vais les voir et j’apprécie, pas de problème ! Mais ouais, ça stagne depuis le début des années 90.

Vous avez enregistré au Park Studio cette fois, ce qui t’a été suggéré par Tobias Forge, qui a dit que c’était « un studio moderne avec de vieux merdiers ». Penses-tu que ça en fait le studio parfait pour Opeth, un groupe qui fait de la musique moderne avec de vieux… bon, je ne vais pas dire merdiers, mais…

[Rires] Ouais, c’était parfait. Enfin, je ne sais pas ce qui est parfait… Le matériel n’est pas vraiment le plus important pour nous. C’est important qu’il y ait des choses qui fonctionnent, mais le plus important c’est l’environnement. Et Park Studio possède un super environnement. Ça m’a rappelé l’Atlantis Studio, où nous avons fait Heritage, et aussi le Rockfield Studio, où nous avons fait les deux derniers albums. Ils sont un peu vieux, miteux et moisis. Il y a une histoire entre ces murs, si tu vois ce que je veux dire. Dans certains studios, c’est presque comme si on était dans une salle d’opération. C’est aseptisé et parfait, avec des lignes droites, des machines qui bipent et tout ; on dirait qu’ils vont nous soigner avec des décharges électriques ou quelque chose comme ça. Personnellement, je préfère les studios dans lesquels les gens ont fumé pendant cinquante ans, où des classiques ont été réalisés, où des labels ont dépensé de l’argent pour leurs groupes, où il y a eu des soirées cocaïne, de grosses beuveries et toutes sortes de débauches, mais avant tout, où de la musique fantastique a été créée. C’est ce que je recherche, en gros. Et le Park Studio est un petit peu comme ça.

En parlant de Tobias Forge, tout comme lui, il a une passion pour le heavy, la pop et la musique progressive vintage, et il a également été dans une direction plus arrangée et pompeuse avec son dernier album, Prequelle. Te sens-tu en phase avec lui et sa vision de la musique ?

Nous traînons souvent ensemble. C’est aussi un collectionneur de vinyles. Quand lui et sa famille viennent chez moi, je lui verse du vin dans son verre, il devient éméché, et ensuite je le pousse vers les doublons de ma collection de vinyle. J’ai plein d’exemplaires de plein d’albums, donc je l’amène dans cette direction, et il est là : « Celui-ci… Celui-là… » En fait, il m’a acheté des albums, et je lui ai donné un paquet de trucs aussi. Il y a un lien entre nous. C’est un businessman bien plus intelligent que moi. Il a un plan sur les cinq ans à venir, et il réfléchit beaucoup à tout l’aspect visuel, évidemment. Il m’a invité à jouer sur Prequelle ; j’ai joué un petit peu sur cet album. C’est un homme qui a un plan, alors que moi non. Je suis vraiment dans le feu de l’action. Je me contente d’écrire de la musique, et ensuite, je croise les doigts ! Je me fiche un peu de la promotion et ce genre de trucs. Ce sont les autres qui me disent : « Tu devrais faire ça, c’est bon pour ta musique. » Mais lui maîtrise déjà tout ça. C’est une rare exception à la règle, où un gars musical est également un intelligent businessman. Il est complet – ce qui explique pourquoi ils rencontrent un succès aussi incroyable. Je suis très content pour lui. Mais je ne suis pas comme lui. Je suis content d’être simplement qui je suis ! [Rires]

Interview réalisée en face à face le 15 juillet 2019 par Tiphaine Lombardelli.
Fiche de questions : Nicolas Gricourt.
Retranscription : Tiphaine Lombardelli.
Traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel d’Opeth : www.opeth.com.

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