Le Nembutal est un barbiturique utilisé pour les exécutions aux États-Unis, les suicides assistés là où c’est légal, et piquer les animaux domestiques dans le reste du monde. C’est aussi le nom du cinquième album d’Opium Warlords, ce qui n’est pas allé sans ennuis puisque Facebook a décidé d’en censurer toute mention pour promotion d’une drogue illégale. Derrière ce vocabulaire psychotrope, on ne trouve nul autre que l’inénarrable Sami Albert Hynninen, qu’on connaît mieux sous le nom d’Albert Witchfinder pour son implication dans Reverend Bizarre. Musicien prolifique, un temps artiste, il est et a été impliqué dans une palanquée de projets, d’Azrael Rising à Lord Vicar en passant par Spiritus Mortis, The Puritan et Pussies. Si c’est dans le doom qu’il s’est illustré avec le plus de succès, il tâte aussi de la musique expérimentale et électronique, du drone et du minimalisme, notamment dans Opium Warlords, justement, projet solo dans lequel il effectue tout de A à Z. Jusqu’à maintenant, il y explorait à grand renfort de chansons infinies et de vidéos bizarroïdes une gamme unique de sonorités et de concepts sombres et angoissants, mais cette fois-ci, on nous annonce un retour à « du heavy metal teinté de doom ». En terrain familier, donc ? Ce serait sans compter la créativité débordante du Finlandais.
Cela dit, le bien nommé « Heavy Heart » ouvre en effet l’opus sur une note résolument Reverend Bizarre avec dix-huit minutes de riffs plombants dans la plus pure tradition de Black Sabbath ou de Cathedral, associés à des incantations où l’on reconnaît immédiatement le style inimitable du musicien. De quoi renouer avec l’esprit de feu pour le trio finlandais, de quoi aussi headbanguer (lentement) avant de plonger dans l’anxiété et le désespoir. Car si on retrouve dans le dernier titre du disque, « Xanadu », le même doom élégiaque et épique avec lequel Reverend Bizarre refermait ses albums, entre-temps, les choses se corsent. « Early In The Morning The Body Of The Girl Was Found », aussi triste et poignant que son titre l’annonce, propose une structure similaire à « Xanadu » sur un mode allégé et mélancolique. À l’inverse, sur « Threshold Of Your Womb », un riff grésille durant de longues minutes en fond de paroles sentencieuses avant un final qui fait à peine redescendre la pression. À nouveau un riff angoissant et hypnotique sur « Destroyer Of Filth », un tintement métallique qui marque le pas, et des voix qui n’augurent rien de bon. On respire avec la guitare acoustique de « Perspiring Princess », mais les chansons minimalistes « Sarah Was Nineteen Years Old » et « Solar Anus » se font particulièrement éprouvantes. La production, claire et léchée, met en valeur la simplicité comme la complexité de l’ensemble ; ce dernier en revanche reste franchement sombre.
Car en dépit de ce que suggère un dossier de presse étrangement optimiste qui parle d’existence « pure comme le cristal » et de « point de vue joyeux sur la mort et l’apocalypse », l’auditeur finit l’album complètement lessivé. Comme le Nembutal, en une heure quinze, le disque assomme et la sédation a le temps de tourner au cauchemar. À l’image de sa pochette hyper naturaliste, Hynninen y débarrasse le doom de tout son côté fantasy et métaphorique. La tristesse n’est plus celle des chasseurs de sorcières et des guerriers aux portes du Mordor, c’est celle de la dépression et des faits divers sordides : adieu Tolkien et bonjour Georges Bataille, à qui il emprunte le concept de « Solar Anus ». « C’est peut-être le meilleur album que j’aie produit jusqu’à maintenant… mais cela dit, mon idée de la musique est complètement pétée », déclare Hynninen lui-même. Vu les chefs-d’œuvre qui émaillent sa carrière, on ne s’avancera peut-être pas autant, mais Nembutal reste un bijou de noirceur et de singularité, la peinture à la fois réaliste et rêveuse d’un esprit tourmenté, et une exploration de toutes les potentialités d’un doom poussé dans ses retranchements.
Chanson « A Heavy Heart » :
Album Nembutal, sortie le 4 décembre 2020 via Svart Records. Disponible à l’achat ici