« Amateur », voilà un adjectif qui a pris une connotation très péjorative, synonyme d’incompétence. Pratiquer une activité en tant qu’amateur signifie la pratiquer en tant que loisir, sur son temps libre et donc non professionnellement. Et cela peut être à l’origine d’un choix, sans rapport avec une quelconque compétence. En l’occurrence, personne ne viendrait remettre en question la maîtrise musicale et technique des membres d’Orakle. Mais ils sont et se considèrent amateurs dans la mesure où ils n’essayent pas de faire un métier de cette activité. Avec les avantages, comme la sécurité financière et les inconvénients, comme la frustration du manque de temps, que cela peut impliquer.
Orakle s’est fait attendre avec ce nouvel album Eclats, puisqu’il sort 7 ans après Tourments Et Perdition. Sept années, à l’heure d’internet, c’est bien plus qu’il n’en faut pour se faire oublier. C’est aussi un délai durant lequel on peut changer notablement en tant que musicien. Et évidemment, on a aussi le temps de se décourager.
Nous nous sommes entretenus avec Pierre Pethe pour parler des raisons de cette absence prolongée, de la manière dont le groupe a abordé ce temps et du disque qui en a résulté. Un disque et, plus généralement, un groupe très lié à l’œuvre et à la démarche du sculpteur Robert Le Lagadec.
« On a tous un travail, tout ce qu’on crée en tant que musicien pour Orakle, on le fait sur notre temps libre. On est dans l’amateurisme, mais dans le bon sens du terme, dans le sens de celui qui aime ce qu’il fait. »
Radio Metal : Votre dernier disque commence à dater puisqu’il est sorti il y a sept ans. Fin 2009, vous aviez fait le choix de vous éclipser jusqu’à aujourd’hui. Est-ce que tu peux revenir sur ces années d’absence ? Qu’est-ce que vous en avez fait ? À quoi ont-elles servi ?
Pierre « Clevdh » Pethe (batterie) : Fin 2009, on finissait une série de concerts suite à la sortie de notre album Tourments & Perditions (2008). On a choisi volontairement de faire une petite pause pour composer l’album qui suivait, puis il y a eu quelques changements dans le line-up du groupe. Un de nos guitaristes nous a quittés milieu 2010 ce qui a un peu modifié nos plans. Suite à ça, on s’est remis progressivement à la composition, mais on n’était plus que trois dans le groupe. Il y a aussi le fait qu’on ne voulait pas se relancer dans l’idée de faire un album similaire au précédent. On cherchait une nouvelle direction et ça a pris pas mal de temps. De 2009 à 2012, on s’est principalement mis à recomposer la structure du nouvel album. On a commencé les enregistrements en 2012 avec les prises batterie et les prises guitare qui étaient composées. La basse n’était pas encore composée, le chant non plus. Tout ça s’est fait au fur et à mesure, avec beaucoup de lenteur. Mais c’était la lenteur nécessaire pour nous permettre de composer quelque chose qui nous semblait avoir du sens et qui répondait à nos aspirations du moment, ou du moins de la période. Tout ça a pris du temps. C’était aussi la première fois qu’on ne rentrait pas en studio pour une période donnée avec l’album déjà tout composé. On enregistrait nous-mêmes chez notre chanteur/bassiste qui a produit la totalité de l’album. On avait le privilège d’avoir le studio presque à portée de main et on est un peu tombé dans l’écueil du temps. Le risque est de trop peaufiner quand tu as autant de temps. C’est un risque, mais c’est aussi un gage de qualité pour ce que tu es en train de créer.
Pour la suite, tu penses que vous allez retourner en studio enregistrer ailleurs ou continuer de faire ça chez votre chanteur ?
Étant donné qu’on est relativement satisfait, même très satisfait du résultat qu’on a obtenu sur Éclats en termes de son et de production, je pense que c’est quelque chose qui nous apporte beaucoup de continuer à bosser comme on l’a fait cette fois. Éclats est sorti (le 11 mai 2015), mais je ne peux vraiment pas présumer de ce que vont être les choses, de comment elles vont se dérouler. Ça reste pour nous encore énigmatique, on ne sait jamais quand un album sort si il y aura une suite. Rien n’est écrit. Le principal objectif pour nous c’est de retourner sur scène. L’idée d’un nouvel album n’est pas encore défini dans notre esprit donc on n’a pas encore forcément réfléchi à ce genre de questions.
Dans ces années, il y a eu clairement une envie de vous remettre en question, de ne pas faire la même chose qu’avant. En plus de ça, le line-up a changé. Quel impact a eu le changement de line-up sur le changement du style ?
Le changement de line-up s’est principalement défini pour Éclats avec le départ d’un de nos deux guitaristes, Amaury. Il avait enregistré les deux albums précédents avec nous, c’est à dire Uni Aux Cimes et Tourments & Perditions. Il nous a quittés milieu 2010 et on s’est retrouvé à trois. Ce départ-là nous a dans un sens un peu soulagés parce qu’on est resté un an avec Amaury qui était de moins en moins motivé. Après son départ, on est reparti sur de nouvelles bases, on était tous dans le projet et il n’y avait plus une personne qui éventuellement était un peu moins motivée sur le fait de continuer et de refaire quelque chose. L’intégralité d’Éclats s’est quasiment composée à deux entre moi (la batterie) et Fred qui compose quasiment tous les instruments à cordes sur l’album. On a structuré cet album tous les deux au niveau des arrangements, de la structure des morceaux. On s’est très souvent retrouvé en répèt’ à deux pour composer cet album. C’est ce qui nous a demandé aussi beaucoup de temps. On a expérimenté beaucoup de choses, parfois avec Etienne aussi à la guitare. On a donc composé cet album à deux ou à trois, mais en tout cas avec des gens qui étaient déjà dans le groupe précédemment. Il n’y a pas eu de nouvelle arrivée pendant cette période-là. Après, un nouveau guitariste, Antoine, nous a rejoints, mais c’était en 2013. L’ensemble des morceaux était déjà composé, il a juste enregistré quelques guitares supplémentaires pour la fin de l’album, dans un esprit qui correspondait à ce qu’on avait créé avant son arrivée. Je pense que l’album n’aurait pas été foncièrement différent si Antoine était arrivé plus tôt. On a donc composé cet album à trois, avec les trois qui restaient après le départ d’Amaury du groupe.
Est-ce que tu penses que cette longue pause va rester un épisode isolé dans votre carrière ? Ou est-ce que dans cinq ou dix ans vous aurez à nouveau ce besoin de vous poser pour réfléchir et revoir un petit peu les choses ?
Je pars du principe que quand on n’a pas grand-chose à dire, il vaut mieux se taire, même si on est musicien et qu’on aime bien s’exprimer. Il vaut mieux rester silencieux que de sortir des choses à tout prix. Pour nous, il n’y a aucune obligation de s’exprimer quand on n’a pas de choses pertinentes à dire. Dans cet esprit, si nous n’avons rien à dire dans quelques années ou dans les années suivant la sortie d’Éclats, il n’est pas exclu qu’on refasse une pause, sans forcément que le groupe se taise à jamais. On est en général assez lent dans la composition, on aime prendre notre temps parce qu’on aime expérimenter de nouvelles ambiances, retranscrire nos expériences de vie en musique. Pour retranscrire de nouvelles expériences, il faut aussi avoir le temps d’en vivre un petit peu soi-même dans son existence. Ces nouvelles expériences permettent justement de scruter la vie avec des perspectives différentes. Pour ça, ça demande un peu de temps, ça demande des pauses. Je ne pense pas qu’on soit un groupe capable de sortir un album de façon régulière, de manière totalement périodique. Tout reste ouvert. Ce qui est sûr et que je tiens à préciser, c’est que la période nous a paru un petit peu trop longue, 2009-2015, c’est vrai qu’on aurait peut-être aimé que ça soit long mais pas à ce point-là. À la fin, on est quand même soulagé que l’album ait vu le jour il y a quelques semaines.
Votre musique est globalement très diversifiée en termes d’influences. Pour autant le mélange n’est pas du tout déroutant, ça ne part pas dans tous les sens même si il y a beaucoup de choses qui se passent. On n’a pas l’impression que vous avez collé des trucs qui n’avaient rien à voir gratuitement. Est-ce que c’est ça le plus grand challenge ? D’essayer de faire passer toutes ces différentes saveurs de manière naturelle ?
Tout s’est fait de manière relativement naturelle. Je pense que ce que tu perçois dans l’album comme diverses influences, c’est vraiment le fruit de ce que nous nous écoutons et de ce que nous avons écouté ces dernières années. Dans l’ensemble on a une base metal, mais en l’occurrence ces dernières années on n’a vraiment pas écouté que du metal, bien au contraire. C’est vrai que pour que ça ne fasse pas trop pot pourri, c’est aussi un challenge. Je pense que ce qui a permis à toutes ces influences de pouvoir se dessiner comme ça et prendre part dans la musique de manière assez homogène, assez cohérente, c’est le temps qu’on y a consacré. On ne s’est pas pressé, on s’est laissé le temps d’expérimenter beaucoup, éventuellement de revenir sur nos choix de temps en temps pour sortir quelque chose qui nous paraissait justement cohérent à l’oreille et qui sonnait bien. Ce qui évite de tomber dans cet écueil de la juxtaposition des styles qui partent un peu dans tous les sens, c’est le fait d’avoir le temps d’expérimenter, de prendre un peu de recul sur ce que tu fais. Pour le coup, on a pris sept ans. On a pu s’enregistrer, les prises batterie ont commencé en 2012 et les dernières prises de chant se sont finies en 2014. Tout ça nous a permis d’élaborer quelque chose qui a maturé pendant un bon bout de temps. C’est ce qui explique cette cohérence qui finalement n’est pas si déroutante que ça à l’écoute et à l’oreille.
« J’avais une véritable peur avec cet album, c’est qu’il ne sorte jamais. »
J’ai vu que vous aviez plaisanté un petit peu sur votre page Facebook sur le fait qu’à chaque fois les médias essaient toujours, pour vous définir, de trouver des groupes à comparer avec vous. Ils essaient toujours de trouver une expression du style « Alors c’est un mélange entre Opeth, plus ça, plus ça… », sauf qu’en fait à chaque fois ce sont des groupes différents. Est-ce que c’est quelque chose qui vous agace, ce besoin de comparer en permanence ?
Ça nous agace, sans vraiment nous agacer. Je comprends l’obligation de référencer les définitions d’une musique, histoire d’avoir un cadre rassurant qui permet d’indiquer ce vers quoi tu emmènes l’auditeur. Dans les influences, il y en a qui nous plaisent plus ou moins. On a nous-mêmes été très influencés par Arcturus ou Opeth. Quand on nous compare à des groupes comme ça, c’est plutôt élogieux. Après, toute la difficulté d’une influence, en termes de comparaison, c’est justement de pouvoir s’en écarter un petit peu à un moment donné. On nous a beaucoup reproché à une époque, je n’étais pas forcément d’accord, d’être vraiment dans les pas d’Arcturus. L’influence est bonne si elle aide à définir un groupe, mais elle ne l’est pas si le groupe est identifié comme une espèce de plagiat. C’est un petit peu agaçant à force et avec cet album Éclats, c’est de plus en plus en difficile de nous cadrer en nous définissant à travers des groupes bien précis comme ceux que tu as pu citer. Je pense qu’avec Éclats il y a quand même quelque chose qui est plus difficile à classifier. C’est un peu déroutant pour le coup, les influences sont difficiles à trouver au premier abord , mais je pense qu’il y a quelques chose de plus personnel avec Éclats.
L’album est sorti le 11 mai, quelles ont été les réactions qui vous sont parvenues jusqu’à présent ?
Elles sont assez diverses. Une bonne partie des gens qui connaissaient et appréciaient Orakle ont apprécié le changement, ils l’ont même trouvé relativement logique, comme la suite logique de notre absence depuis six ans. Ils étaient plutôt très élogieux à notre égard. Par contre, je dois avouer qu’il y a aussi quelques échos qu’on a eu suite à des chroniques, où on sent que les gens étaient un peu déstabilisés, désorientés par ce changement de style, par un chant un peu plus clair, par un son peut-être un peu moins metal. Finalement, les avis sont relativement divers et ça ne m’étonne pas. Je pense que c’est un album vis-à-vis duquel on ne peut pas se faire un avis en une seule écoute. C’est un album qui est quand même assez riche, et donc qui demande, comme le temps qu’on a mis à le créer, du temps pour l’explorer. Une écoute ne suffit pas à saisir l’essence de ce qui se trouve dans Éclats.
Je voudrais revenir sur votre pause de six ans. Nous vivons à une époque où les choses vont très vite, surtout avec internet. Vous êtes allés complètement à l’encontre de ça, on vous a attendus pendant six ans. Est-ce que tu penses que vous avez perdu des fans en chemin en vous arrêtant aussi longtemps ?
À l’ère moderne, ou à l’ère d’internet, où tout va très très vite, où tout s’enchaîne avec une rapidité impressionnante, c’est vrai qu’une absence comme ça fait que tu es vite oublié, que les gens pensent même que si tu ne t’exprimes pas, tu as tout quitté, le groupe n’existe plus. Pour le coup, je trouve que nous, on a fait ce choix-là parce qu’on pense que c’est un choix qui nous permet notre manière d’être, notre manière de créer de la musique et de la consommer. On n’est pas trop adepte de la consommation un peu gloutonne de la musique qu’il y a aujourd’hui à l’heure d’internet où tous les morceaux peuvent être acquis de manière gratuite. Aller à l’encontre de ce mouvement-là nous a sûrement fait perdre des fans, mais c’est totalement en adéquation avec notre manière d’être qui aime prendre son temps, qui aime prendre le temps de la maturation pour sortir quelque chose qui nous paraissait pertinent. Finalement, je pense que le jeu en valait vraiment la chandelle. Je préfère sortir un album comme Éclats six ans après notre dernier concert au Hellfest en 2009 plutôt que de sortir un album en 2012 dont on aurait été à moitié satisfait. Si on a perdu des fans pendant cette période, si ils sont pour revenir ils reviendront. C’est une perte qui n’est que temporaire.
Tout l’ensemble du visuel et de l’artwork s’articule autour des sculptures de Robert Le Lagadec. C’est un artiste qui disait vouer un culte artistique dédié aux forces primitives. Est-ce que c’est une affinité que vous partagez avec lui ?
Dans un sens oui. La puissance des éléments, les forces primaires de la nature, c’est quelque chose qui nous influence parce qu’elles sont constitutives de ce qu’est la vie et de ce qu’est l’existence. Dans ces sculptures-là, ce qu’on a surtout trouvé, c’est une vision tragique et tourmentée de l’existence, de la nature humaine. Ces sculptures sont exposées en pleine nature et donc se fondent directement avec les éléments les plus primitifs. On se sent assez proche de cette manière de voir les choses, dans un sens où ce qu’on pourrait définir comme forces primitives ou forces de la nature sont finalement ces forces qui sont à l’origine de notre constitution et à l’origine du mouvement du monde. Nous qui nous intéressons à une espèce de totalité, à des réflexions sur le monde, sur ce qui nous anime, nous affecte, c’est quelque chose qui est en adéquation avec les sculptures de Robert Le Lagadec qui en plus ont un fond tragique en adéquation aussi avec les textes qui se trouvent sur Éclats.
« Quand on n’a pas grand-chose à dire, il vaut mieux se taire, même si on est musicien et qu’on aime bien s’exprimer. »
Comment avez-vous découvert son œuvre ?
C’est un sculpteur qui habite tout près de chez moi, de chez nous en fait, là où le groupe a pris forme. Je connaissais son musée en tant que spectateur, c’est un petit musée en plein air qui se trouve à dix kilomètres de chez moi. J’ai eu l’occasion d’y aller deux ou trois fois, de rencontrer sa famille. Le sculpteur est mort en 2002, mais sa famille m’a expliqué sa démarche, la manière dont il sculptait, la manière dont il avait créé toutes ses sculptures. Sincèrement, à l’époque je n’imaginais pas du tout qu’on utiliserait ça pour notre album. Mais au moment où nous avons réfléchi à l’artwork, tout de suite j’ai pensé à ça et je l’ai proposé au reste du groupe. Ils ont tout de suite adhéré. Je suis ensuite entré en contact avec la famille, on leur a expliqué notre projet et les choses se sont faites d’une manière très naturelle, surtout avec beaucoup d’enthousiasme de la part du fils de Robert Le Lagadec et de la femme de Robert Le Lagadec qui elle est toujours vivante et qui fait vivre ce petit musée en accueillant les gens qui veulent expérimenter cet art visuel. Pour le coup, ils nous ont vraiment laissé carte blanche pour utiliser toutes les sculptures et pour venir autant qu’on le souhaitait pour faire des photos, pour réfléchir à la conception de notre visuel d’album. Pour nous, c’était une très bonne expérience.
Robert Le Lagadec faisait de la peinture au départ et du jour au lendemain a décidé de faire des sculptures. Il avait l’air d’être quelqu’un de porté par l’inspiration. En tant que musiciens qui avez tendance à passer d’une influence à une autre, mais d’une manière toujours cohérente, est-ce que vous vous sentez proches d’une démarche comme la sienne ?
Dans un sens oui, on se sent proche. Localement aussi, car on est des artistes évoluant dans le même environnement local, on se sent déjà proche à ce niveau-là. Ça s’est fait un peu par hasard, mais ça avait pour nous beaucoup de signification de pouvoir utiliser un artiste local pour cet album. Il y a aussi le fait que Robert Le Lagadec était un amateur, même si il touchait à beaucoup d’arts, il a fait de la peinture, il écrivait aussi de la poésie et il a fait de la sculpture, tout ça dans son temps libre. Comme l’explique si bien sa femme, il passait toutes ses heures de temps libre, dès qu’il rentrait du travail, à sculpter, à écrire, à créer. C’est aussi un petit peu notre démarche. On a tous un travail, tout ce qu’on crée en tant que musicien pour Orakle, on le fait sur notre temps libre. On est dans l’amateurisme, mais dans le bon sens du terme, dans le sens de celui qui aime ce qu’il fait. C’est dans cette démarche d’amateur qu’il y a une espèce de connivence entre nos deux démarches qui nous relient beaucoup plus à lui, bien que nous ne l’ayons pas connu de son vivant.
Sa plus grande peur, comme le confiait sa femme, était de ne jamais réussir à finir sa dernière œuvre « La solitude du poète ». Est-ce que c’est une peur que vous pourriez vivre, d’ici une vingtaine d’années quand vous serez déjà des musiciens plus âgés et que vous commencerez à vous poser un peu plus de questions sur la suite et sur la fin ?
Je dois t’avouer que j’avais une véritable peur avec cet album, c’est qu’il ne sorte jamais. Quand t’es sur une œuvre comme ça, beaucoup de gens te demandent : « Alors, ça en est où l’album ? ». Vu qu’on ne sortait pas grand-chose et qu’on se produisait très peu, beaucoup de gens avaient l’impression que le groupe n’avançait pas des masses. Nous, à l’intérieur, on savait que le travail avançait et que c’était long. C’est vrai que j’avais une crainte, c’était que cet album ne voie pas le jour de notre vivant. L’un de mes soulagements avec cet album, c’est de me dire : « ça y est, c’est fait ! C’est une chose qui est bien faite et au moins cette œuvre sera immortalisée dans ce qui est sorti . » Si on a déjà eu cette espèce de crainte, d’angoisse pour les années qui viennent de passer, t’imagines bien que si par la suite on continue à créer, on l’aura d’autant plus parce que la logique des choses fait qu’on sera de plus en plus proche du terme de notre activité d’être vivant tout simplement. Je pense que c’est une angoisse qui nous poursuivra de toute façon très longtemps si on continue à faire des disciplines artistiques.
Vous avez monté le groupe quand vous étiez très jeunes puisque vous aviez quatorze ans. Comment ont évolué les rêves et les exigences que vous aviez au début de ce projet ? Est-ce qu’il y a encore quelque chose en commun entre l’ado que vous étiez à quatorze ans et maintenant ?
Je pense que quelque chose à persister à l’évidence. J’ai fondé ce groupe avec Frédéric qui est le chanteur/bassiste du groupe. À la base on avait quatorze ans, on était déjà ensemble et pour le coup le duo qui a fondé le groupe est toujours présent. Je dirai que les choses ont certainement bien changé, on a pris du recul, on a évolué. Mais, dans un sens, il y a quelque chose qui a perduré. Ce duo qui est toujours là aujourd’hui en témoigne. Avec Fred, on a des manières différentes d’aborder la musique, la composition, mais il y a quelque chose d’originel qui persiste. Au début, on essayait de mettre en forme quelques petites inspirations, de réussir à persévérer sur nos instruments. Je pense qu’aujourd’hui on a réussi à atteindre une certaine maîtrise de nos instruments bien qu’il nous reste encore du taf. Mais les choses se sont faites assez naturellement. La magie de départ a tendance parfois, avec les années, à s’effilocher, mais il reste encore la flamme. Si il n’y avait pas cette petite flamme qui a fait qu’au départ nous nous sommes retrouvés l’un et l’autre avec des instruments entre les mains pour justement sortir nos premières notes, on ne se prendrait plus la tête comme pendant ces six dernières années. La magie de la création perdure, c’était la base, c’était ce qu’on voulait faire au départ. C’est parfois un peu lourd à porter, c’est très exigeant, ça nous demande beaucoup de travail dans nos vies quotidiennes qui sont, aujourd’hui, de plus en plus remplies mine de rien. Ce n’est pas toujours facile à organiser, mais il y a toujours un réel plaisir à se retrouver en répèt’. Avec le groupe tout entier, c’est toujours un plaisir d’expérimenter ces instants musicaux, ces instants créatifs.
Interview réalisée en face à face le 21 mai 2015 par Philippe Sliwa.
Retranscription : Gabriel Jung.
Site officiel d’Orakle : orakle.fr.