Pour faire du stoner, c’est simple : il faut une cargaison de riffs, une brouettée de groove, avoir au moins les quatre premiers albums de Black Sabbath dans son top 10 des meilleurs disques de tous les temps et pouf ! Tout le monde peut faire du stoner comme ça (soit dit en passant, il faut aussi être un peu musicien) ! Mais voilà, c’est ce qu’ont fait une multitude de groupes ces dernières années sans toujours vraiment apporter de sang neuf au genre. Par conséquent, pour s’y retrouver, séparer le bon gras de l’ivraie, dans le doute, il vaut parfois mieux se réfugier auprès de valeurs sûres et se concentrer sur des groupes qui en faisaient déjà il y a vingt ans, à une époque où ce n’était pas si cool, où le stoner faisait surtout figure de frère jumeau du grunge, enfermé dans sa cave ou sa cabane au fond du jardin (aussi appelé désert selon les régions) à jouer à D&D ou Call Of Cthulhu avec ses potes. A cette époque, Orange Goblin était déjà là et est toujours dans le paysage, toujours le même (à peu de choses près) et sa musique aussi quand il ressurgit des flots avec un nouvel opus : Back From The Abyss.
Néanmoins, faire partie des pontes bien installés du genre ne permet pas toujours d’échapper à certains écueils. Ainsi, avec un titre d’ouverture comme « Sabbath Hex », il y a comme un aveu de souffrir d’une « malédiction Sabbath », faisant toujours sonner quelques morceaux comme quelque chose que les pères du metal ou quelques uns de leurs contemporains dans les 70’s auraient pu écrire. « Into The Arms Of Morpheus » est si sabbathien que, même quand il vous roule dans le fuzz pour mieux vous câliner dans un groove lourd, c’est à se demander si on ne serait pas en train de faire une infidélité aux pères fondateurs. Dans « Demon Blues », Ben Ward fait aussi une très bonne imitation d’Ozzy enroué… Mais le fait est que, après deux décennies, Orange Goblin sonne surtout comme Orange Goblin : dès les premières secondes, les Anglais reprennent là où on les avait laissés sur Eulogy For The Damned (« Mythical Knives » ne dépareille guère à côté d’un « Red Tide Rising »), avec toujours, à la base, ce rock’n’roll épais, rugueux et groovy (« Ubermensch ») et avec sa couche de solos, points d’orgue réguliers de leurs morceaux. En outre, les Londoniens ont aussi habitué leur public depuis une douzaine d’années à quelques incartades punk, ici représentées par des « Bloodzilla » (avec pour mot d’ordre « Action !« , avant le décollage stoner de la seconde moitié) et « The Devil’s Whip » tellement motörheadien que ça frôle la copie (pour ne pas dire le plagiat).
Enfin, vingt années ont surtout affermi le goût de liberté d’Orange Goblin. Parfois synonyme d’absence risquée de barrières : quand après un énergique « The Abyss » et son solo final idéal pour clôturer avec chaleur cette aventure viennent des « Titan » (interlude ou ébauche de morceau probablement casé là pour ne pas le mettre à la corbeille) ou le plan-plan « Blood Of Them » qui aurait aussi bien pu finir en B-side, au moins « The Shadow Over Innsmouth », solo de guitare servi sur un lit de doom, laisse partir l’auditeur avec une ultime caresse musicale bétonnée. Mais liberté qui apporte aussi un vent frais à l’œuvre du groupe, comme sur un « Heavy Lies The Crown » démarrant avec une guitare électrique comme résonnant du fin fond d’une boîte de blues sur une rythmique funky, pour finir dans une direction plus power/heavy au dernier tiers, notamment avec ses chœurs épiques (à noter dans cette veine les « hooohohooo » dignes de Hammerfall ou Grand Magus sur « Mythical Knives »). Funky encore pour le final de « Into The Arms Of Morpheus » rompant ainsi à la dernière minute le classicisme d’un énième titre de pur stoner. Et c’est ainsi qu’Orange Goblin peut encore être là au bout de tout ce temps.
Ci-dessous le clip de « Sabbath Hex » :
Album Back From The Abyss, sortie le 6 octobre 2014 chez Candlelight Records.