Comme une majorité de groupes, Orden Ogan a commencé en tant que groupe de garage et a suivi son petit bonhomme de chemin pour finir par se professionnaliser. La sortie du nouvel album du groupe, Ravenhead, était l’occasion pour nous de revenir avec le guitariste-chanteur Sebastian « Seeb » Levermann sur sa manière de concevoir la musique, le visuel et le concept d’un album et, plus largement, sur la carrière du combo. Des débuts en amateur à la récente tournée aux Etats-Unis.
Une carrière marquée par l’inévitable étape de la comparaison aux aînés du style, qui peut s’avérer tout aussi flatteuse qu’agaçante. Tout aussi inévitable pour chaque artiste dont la carrière s’installe, ce moment où l’on se pose la question de ce qui fait l’essence de notre art. Et à ce titre, vous verrez que Seeb assume totalement le fait d’avoir pris en compte les retours des auditeurs de sa musique.
« Ce sont vraiment les deux points forts des chansons d’Orden Ogan : les riffs et les refrains. Forcément, c’est là-dessus que nous devons nous concentrer. »
Radio Metal : Cette année, vous avez joué vos premiers concerts aux États-Unis. Comment ça s’est passé ?
Sebastian « Seeb » Levermann (chant/guitare) : C’était absolument incroyable. Nous ne savions pas trop à quoi nous attendre des États-Unis et nous avons vendu tout notre merchandising en seulement quelques heures à la fin des concerts [rires]. Oui, c’était vraiment incroyable !
Est-ce que le public américain réagit bien à ce style musical particulier, avant tout joué et écouté en Europe ?
Complètement. Je ne crois même pas que c’était au style en général qu’ils étaient réceptifs, mais vraiment au groupe lui-même. Il y avait des centaines de gens qui reprenaient nos paroles, donc ils connaissaient clairement le groupe et étaient venus pour nous. Ça a vraiment été une super expérience pour le groupe.
Est-ce que tu penses que jouer aux États-Unis c’est une étape importante pour un groupe de metal ou de rock ? Est-ce que c’est l’Eldorado musical que les gens s’imaginent ?
Tu sais, dans l’industrie, j’entends pas mal de gens dire qu’ils se foutent des États-Unis parce que c’est un très grand pays mais un petit marché pour les groupes de metal. J’y suis allé pour la première fois en 2009 lorsque j’étais en tournée avec un groupe qui s’appelle Suidakra en temps que guitariste de scène, et déjà à l’époque, j’avais eu l’impression qu’il y avait beaucoup de fans de musique européenne. Suidakra est plus proche du death mélodique, mais en dehors de la voix, ce n’est pas très éloigné de ce que fait Orden Ogan, tu sais… J’ai eu l’impression qu’il y avait vraiment un gros marché pour cette musique. En général, il me semble que la plupart des gens disent que les USA ne sont pas si importants que ça, mais je ne suis pas d’accord. Je pense que c’est un gros marché, avec des fans très dévoués. J’ai eu des conversations très intéressantes à propos de paroles ou d’accords de guitare, bien plus profondes que le genre de discussion que je peux avoir avec des fans en Europe. Ça a donc été très intéressant à mes yeux, surtout vu que beaucoup de gens ont tendance à dire que les Américains n’ont pas une réflexion très poussée, si tu vois ce que je veux dire…
Tu décris ce nouvel album comme plus metal et avec plus de refrains. Est-ce que tu penses que c’est ce qui défini Orden Ogan, le metal et les refrains accrocheurs ? Est-ce que tu penses que c’est ça l’essence du groupe ?
En tant que groupe, nous essayons d’être le plus proche de nos fans possible, et nous allons au stand du merchandising dès que nous avons fini notre show pour discuter avec les gens. Nous avons donc discuté avec beaucoup de monde ces deux dernières années, et ce que nous en avons conclu, c’est qu’il y a deux points qui, pour les fans, définissent Orden Ogan : le premier, c’est les refrains solides, et le deuxième, c’est les gros riffs, et le fait que nous soyons plus heavy que la plupart des autres groupes de power metal. Cette fois-ci, j’ai aussi appréhendé le processus d’écriture différemment. Normalement, je commence avec un riff et je vois où ça me mène. Cette fois-ci, j’ai commencé par les refrains, et ensuite je suis passé aux riffs, et à mon avis, c’est pour ça que le nouvel album est le plus solide au niveau des refrains qu’on n’ait jamais fait. Je pense que ce sont vraiment les deux points forts des chansons d’Orden Ogan : les riffs et les refrains. Forcément, c’est là-dessus que nous devons nous concentrer.
L’album commence sur une intro orchestrale où on entend des hommes qui fredonnent. Pour une raison ou pour une autre – dis-moi si je me trompe – elle me fait penser au premier volet de Pirates Des Caraïbes, la scène de l’exécution des pirates. Vous avez déjà fait une chanson intitulée « We Are Pirates » [NDT : « Nous sommes des pirates »] sur un album précédent. Est-ce que c’est une référence à cette chanson, à ce film, ou est-ce que je fais complètement fausse route [rires] ?
Non, pas du tout mais tu n’es pas le premier à y avoir vu ça… La chanson est intitulée « Orden Ogan », comme le groupe. Sa signification vient de « orden » qui signifie « ordre » en allemand, dans le sens d’un ordre de moines, et de « ogan », qui veut dire « peur » en vieux celtique. Donc c’est l’ordre de la peur, et nous nous sommes dit qu’il commençait à être temps d’établir vraiment cet ordre de moines. La chanson « Ravenhead », la deuxième piste de l’album, parle aussi de l’abbaye Ravenhead où vivent les moines de l’Orden Ogan, et cette mélodie se retrouve aussi au milieu de « Ravenhead », pendant la partie solo. En gros, en fredonnant la mélodie dans « Orden Ogan », nous voulons créer une atmosphère horrifique, et une impression grégorienne de moines. Mais je suis complètement d’accord, on pourrait relier ça à une thématique de pirates. Pas de problème, peu importe où te mène ton imagination ! [Petits rires]
Tu viens de dire qu’ « orden » veut dire ordre en allemand et qu’« ogan » veut dire peur en celte. Pourquoi avoir associé ces deux langues ?
Je ne crois pas que nous l’ayons fait de manière intentionnelle. Nous faisons commencer l’histoire d’Orden Ogan en 2008 avec la sortie de l’album Vale. C’est le moment où nous avons vraiment commencé à être un groupe professionnel, avec des gens qui travaillent pour nous… Le nom en lui-même est beaucoup plus ancien. Ça a commencé en 1996, quand j’ai commencé à faire, disons, de la musique, même si pas mal de monde appellerait ça du bruit, avec notre ancien batteur Ghnu. Nous étions un groupe qui jouait dans des garages, à l’époque. Il y a aussi eu des périodes où le groupe s’est séparé, etc., donc nous le faisons démarrer en 2008, mais à l’époque, nous avons choisi de garder le nom comme une référence ou un hommage au bon vieux temps, à l’époque où nous avons commencé à apprendre à faire de la musique ensemble.
D’ailleurs, le premier nom du groupe était Tanzende Aingewaide. Qu’est-ce qu’il signifie ? Pourquoi est-ce que vous en avez changé ?
« Tanzende Aingewaide » veut dire « entrailles qui danse », et c’est la raison pour laquelle nous avons changé de nom [rires]. Franchement, nous n’avons même pas sorti de démo, de cassette ou quoi que ce soit sous ce nom, donc il n’y a pas de raison de le prendre en compte. C’était au tout début, en 1996, nous l’avons gardé quelques mois et ça nous faisait tordre de rire, donc nous en avons changé très rapidement.
« Quand je suis de très bonne humeur, j’écris des chansons très tristes, et quand je suis triste, j’écris des chansons très optimistes [rires]. »
Le groupe est souvent comparé à Blind Guardian et Grave Digger, et ce genre de comparaison t’a toujours déplu. Tu as déclaré à plusieurs reprises que tu n’étais pas d’accord avec ça. Pourquoi ?
Ce n’est pas que je n’aime pas ces comparaisons. Avant tout, il faut que je précise que c’est un honneur d’être comparé à Blind Guardian parce que c’est un super groupe. C’était l’une de nos influences lorsque nous étions plus jeunes. Mon souci, c’est juste que je ne trouve pas que notre musique ait tant de choses à voir que ça avec la leur. D’ailleurs Blind Guardian eux-mêmes pensent comme moi. J’ai eu l’occasion de les rencontrer il y a un an et demi, tout du moins Marcus (Siepen), le guitariste, et il m’a dit qu’il aimait beaucoup l’album To the End mais qu’il ne trouvait pas que ça ressemble vraiment à Blind Guardian. Je trouve que nous avons une approche totalement différente de la composition et de la manière dont nous abordons les mélodies. Les derniers albums de Blind Guardian sont beaucoup plus prog alors que nous, nous sommes de plus en plus heavy et nous nous concentrons de plus en plus sur les riffs. Blind Guardian a, à mon goût, une approche un peu plus rock progressif des années 70, maintenant. En gros, la seule chose que nous avons en commun, ce sont les refrains grandiloquents avec des chœurs et ce genre de trucs. Ce serait un peu comme comparer de la techno à de la darkwave ou de l’EBM. Ce sont des musiques électroniques, mais les approches sont totalement différentes.
L’album se termine sur une ballade très sombre intitulée « Too Soon ». Cette chanson semble très personnelle. Est-ce que tu peux nous en parler ?
Ouais. Ce qui est intéressant, c’est que quand je suis de très bonne humeur, j’écris des chansons très tristes, et quand je suis triste, j’écris des chansons très optimistes [rires]. Lorsque j’ai écrit « Too Soon », je crois que c’était une belle journée, je me sentais bien, le soleil brillait et les oiseaux chantaient. Je me suis dit : « Allez, je vais m’y mettre et écrire la chanson la plus triste que nous ayons jamais écrite ! » Et voilà, c’est devenu « Too Soon ». L’autre chose que je peux ajouter au sujet de cette chanson, c’est que nous l’avons placée à la toute fin de l’album, après l’outro, parce qu’elle n’a rien à voir avec le, disons, vague concept commun aux autres chansons, et elle est très différente des autres.
Donc ne serais-tu pas d’accord avec les gens qui disent que les plus belles chansons sont composées dans les périodes ou les humeurs les plus sombres ?
Ça dépend. Évidemment, c’est quelque chose de personnel. Tout le monde est différent et j’ai écrit de bonnes chansons, à mes yeux en tout cas, lorsque j’étais déprimé, mais ce que je voulais dire, c’est que me concernant, c’est toujours l’opposé complet de ce que je ressens : lorsque je suis déprimé, j’écris des chansons optimistes.
Tu as déclaré que vous êtes fans des pochettes réalisées à partir de vraies peintures et que c’était important pour vous d’avoir une telle pochette sur vos disques. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
Nous investissons beaucoup d’efforts pour faire notre musique, tout est fait main, c’est de la vraie batterie, pas des boîtes à rythme, les guitares, les voix, tout est vrai. Pour moi, c’est ça la vraie musique, alors que certains groupes utilisent des boîtes à rythme par exemple. C’est comme ça que nous travaillons, donc il était logique que nous voulions un vrai artwork, et pas de ces trucs digitaux que les gens font avec Photoshop. Je trouve aussi qu’Andreas Marschall qui travaille avec nous depuis notre premier album, Vale, sorti en 2008, a un style vraiment unique qui colle parfaitement à notre musique. Évidemment, il y a aussi le fait qu’il ait travaillé avec tous ces groupes allemands traditionnels qui nous ont influencés, comme Running Wild, Blind Guardian et les trucs de ce genre. Donc ça colle parfaitement. J’espère que notre collaboration est partie pour durer !
Quels sont tes artistes favoris pour ce qui est de la peinture d’ailleurs ?
Les plus évidents. Andreas évidemment, ou H. R. Giger, c’était un mec génial, c’est lui qui a dessiné Alien et tout… Je crois qu’il y a un musée qui lui est dédié en Suisse, j’y suis allé il y a quelques années, c’est un endroit très intéressant où tu peux voir un mur fait de têtes de bébés qui pleurent… Tu devrais vraiment aller y faire un tour !
Comme tu l’as dit, Andreas s’occupe de vos pochettes depuis l’album Vale. C’est presque un membre du groupe ! Est-ce que tu peux nous dire comment fonctionne cette collaboration ? Est-ce que tu lui dis ce que tu veux qu’il peigne, ou est-ce qu’il est complètement libre ?
Normalement, nous avons une idée à l’avance, soit c’est basé sur l’une de nos chansons soit le concept de l’album ou peu importe. En gros, je monte dans ma voiture et je roule jusqu’à Berlin où il vit – c’est à quatre-cents kilomètres de chez nous – et nous nous posons, nous mangeons ensemble et nous discutons de ceci et de cela. C’est un mec très sympa. J’ai aussi fait la musique de son film « Masks » qui est sorti en 2012. Nous sommes de très bons amis et c’est toujours chouette de le voir. Je lui parle de mon idée et nous nous mettons à gribouiller un peu sur un papier. Dès qu’une idée forte se dégage, il sait ce qu’il a à faire. Nous pouvons parler de certains détails, mais il fait le plus gros dans son coin, puis il nous montre le résultat final. Je trouve que c’est super, on ne devrait pas trop dire à un artiste comme Andreas ce qu’il doit faire parce qu’il faut qu’il se sente libre de faire ce qu’il veut. Il est bon quand il a une ligne directrice, une idée et qu’il sait où aller, comment doivent être les différents éléments, etc., mais c’est vraiment génial de le laisser travailler de son côté et apporter ses propres idées. C’est pour ça que nous travaillons avec lui : pour son propre style et ses propres idées.
Interview réalisée par téléphone le 18 décembre 2014 par Philippe Sliwa.
Retranscription et traduction : Chloé Perrin.
Site officiel d’Orden Ogan : www.ordenogan.de.
Pourquoi le lien de leur site envoie juste sur un dessin de tête de corbeau ?
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Effectivement…
Pas de questions sur le concept de l’album ?
Dommage, cela aurait été intéressant !
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