L’histoire d’Overkill, c’est celle de travailleurs acharnés, confectionnant avec une régularité quasi-ouvrière leur son thrash depuis plus de trente ans et un savoir-faire qui, à chaque année qui passe, s’approfondit. Pas étonnant que pour ce dix-huitième album, The Grinding Wheel, ils aient choisi la symbolique du meunier, qui inlassablement, avec le sens du dévouement à sa tâche, tourne sa meule pour broyer le blé et le transformer en fine farine. D’ailleurs, son travail au sein d’Overkill, le chanteur Bobby « Blitz » Ellsworth le rapproche d’une démarche plus artisanale qu’artistique.
A l’occasion de la sortie de The Grinding Wheel, certainement l’un des albums les plus aboutis du combo, mais aussi l’un des plus diversifiés, allant chercher autant dans les influences punk de la première heure que dans la New Wave Of British Heavy Metal, en passant par un certain sens du groove ou des élans épiques, nous avons longuement discuté avec le frontman afin d’examiner en long et en large ce qu’était, dans le fond, aujourd’hui, Overkill. Celui-ci nous a répondu en toute humilité ; une humilité qui semble d’ailleurs ne pas être étrangère à la longévité mais aussi l’alchimie qui règne au sein du combo.
« Un artiste – et c’est mon opinion – a de la douleur dans sa création. Alors que nous, nous avons des obstacles. C’est un regard différent sur la chose. Il y a des moyens de contourner les obstacles. »
Radio Metal : Le titre de l’album The Grinding Wheel renvoie à un côté « travailleur acharné ». Est-ce que vous vous voyez comme des genres d’ouvriers ?
Bobby « Blitz » Ellsworth (chant) : Lorsque je pense à Overkill, je pense beaucoup à ce que sont notre background, notre éthique et nos valeurs. Ce sont les principes que nous ont inculqué nos parents. Je veux dire que c’est un environnement ouvrier qu’on trouve dans le New Jersey, d’où nous venons, et certaines parties de New York non loin d’ici. C’est donc là-dedans que nous avons grandi et tels sont les principes que nous ont légué nos familles, nos oncles, nos grands-parents, nos parents, et nous sommes tous relativement du même coin, nous avons tous vraiment la même éducation, la même éthique de travail. Donc comme nous appliquons ceci à tout ce que nous faisons dans la vie, ça se retrouve dans Overkill. Si tu regardes le titre, « grind » (un boulot pénible, NDT), ça signifie faire le boulot et bien sûr, s’assurer qu’il est fait, disons, au mieux de nos capacités. Donc ça nous va bien, si on se base sur d’où nous venons et notre éducation.
Est-ce que ça veut dire aussi qu’être dans un groupe comme Overkill n’est pas que de l’amusement et de l’excitation mais c’est aussi travailler dur et parfois même du travail ennuyeux ?
Je pense qu’il y a des deux. D.D. [Verni] et moi manageons le groupe depuis 1994. Tout ce que tu vois en rapport avec Overkill passe par l’un de nos bureaux et nous sommes tous les deux au courant de ce qu’il se passe. Donc c’est une coopération pour tout ce qui est amusant et excitant, pour les enregistrements, les tournées mais aussi d’autres types de boulot qui ne sont pas forcément ce qu’il y a de plus palpitant mais qui quand même, dans une certaine mesure, finissent par faire partie de toi et font que tu contrôles tous les aspects de comment les gens perçoivent le groupe. Donc c’est quand même très plaisant, c’est certain. Mais je ne crois pas [qu’avec ce titre] nous parlions nécessairement d’à quel point c’est dur de travailler dans le groupe. Je pense que nous parlions plus d’une éthique de travail. Et ça fait plus de trois décennies que nous travaillons essentiellement avec la même éthique. Tu sais, je ne m’étais pas rendu compte que nous avions une bonne éthique de travail, je ne dirais pas avant récemment, mais avant à peu près les dix dernières années, car je pense que tu regardes ce que tu as fait et tu dis : « Oh, ce n’était pas facile mais ça valait le coup ! »
Quelle est la partie la plus épuisante dans la vie de tous les jours d’un groupe ?
La partie épuisante… Généralement les interviews françaises ! [Rires] Je ne sais pas. Je veux dire que tout dépend. Bien sûr, c’est pénible d’organiser les emplois du temps, mais je pense que, probablement, pour ce qui est de l’épuisement, simplement parce que tant d’années sont passées, et à mesure que les tournées se rallongent, les périodes de pause deviennent plus courtes, les gens se fatiguent beaucoup plus. Nous essayons de rendre nos tournées plus concises maintenant, les compacter pour que ce soit dix-sept à vingt concerts, et non pas à être six semaines sur la route mais plutôt un mois, ce qui est suffisant. Et je pense que c’est lorsque nous dépassons cette période d’un mois que nous commençons à user le groupe, mais jusqu’à trente jours, nous sommes généralement à fond.
Tu as déclaré que vous ne vous voyiez pas comme des artistes mais plutôt comme des artisans. Quelle est la différence ?
Ca a beaucoup à voir avec ce dont nous avons parlé par rapport à l’éthique de travail et l’éducation. Je pense que ce que nous essayons de faire, c’est que nous avons un métier et nous essayons toujours de l’améliorer. Je pense qu’un artiste – et c’est mon opinion – a de la douleur dans sa création. Alors que nous, nous avons des obstacles. C’est un regard différent sur la chose. Il y a des moyens de contourner les obstacles. Il y a des manières d’améliorer les choses. Je pense qu’un artiste peut facilement être incompris. Je pense qu’avec un artisan, tu peux apprécier son travail d’année en année parce que plus longtemps il y travaille, meilleur il devient. Une autre chose est que nous travaillons en fonction de l’horloge. Je crois qu’aucun artiste ne travaille en fonction de l’horloge. Il travaille en fonction de l’inspiration. Lorsqu’un artiste est inspiré, il crée, que ce soit de la musique, de l’art ou de la littérature. Ce n’est pas : « Oh, je dois faire un livre pour la boite parce que je suis sous contrat. » Alors que nous, nous sommes sous contrat et nous fonctionnons à l’horloge. Tous les ans et demi ou deux ans, tu vois un album d’Overkill parce que nous comprenons cette horloge. Et je pense que ce que nous faisons, c’est que nous voyons ça comme un dur labeur, plutôt qu’une création, en l’occurrence, de quelque chose de sombre ou de beau. Nous le voyons plus comme un projet. Donc lorsque nous le prenons ainsi, je pense que nous avons l’opportunité d’améliorer notre artisanat d’album en album. Par rapport à il y a trente ans, nous sommes en position de pouvoir nous améliorer, d’avoir une nouvelle compréhension de notre artisanat qui consiste à sortir des albums comme Ironbound, The Grinding Wheel ou The Electric Age, et faire en sorte qu’ils aient de la valeur aujourd’hui. Ce n’est pas une question de ce qu’était Overkill, c’est une question de ce qu’est Overkill. Et je trouve que cet album est un super exemple parce qu’il montre que nous parvenons encore à injecter de la diversité après tant d’années de carrière. Et c’est ainsi parce que nous l’avons confectionné comme tel et nous avons apposé la marque d’Overkill sur quelque chose qui fait preuve de diversité après avoir fait preuve de moins de diversité. Donc, à mon avis, ça ressemble plus à de l’artisanat que de l’art.
Est-ce que ça signifie aussi que vous ne considérez pas votre musique comme de l’art ?
Non, pas vraiment. J’aime la penser comme une émotion, une émotion transmise, de l’expressionisme et un sentiment général. Je pense que c’est davantage une représentation de comment nous nous sentons plutôt que comment je me sens. Je la considère comme une extension de moi-même. Je me suis toujours considéré comme faisant partie d’une équipe. Je ne sais pas si tu as vu le groupe en concert mais même en live, nous ne nous disposons pas de façon à ce que je sois au centre. Nous nous disposons comme quatre parts égales sur le devant de scène. Visuellement, ou de façon subliminale, c’est une façon bien plus forte de percevoir un groupe, à mon avis. La distance est la même entre moi et le mec à ma droite qu’entre moi et le mec à ma gauche et ainsi de suite. Voilà comment nous envisageons le groupe, et ça donne une force. Peut-être que c’est une combine psychologique que nous nous imposons, mais je pense que ça fonctionne, étant donné que nous existons depuis trente-cinq ans.
« Dépendre les uns des autres est une très bonne source d’humilité, dire : ‘Aide-moi, mec !’ [Rires] ‘J’ai un peu de mal, là !’ Ça signifie que tu n’es pas le numéro un, tu as besoin de l’aide d’une équipe pour faire que l’équipe soit numéro un. »
Dirais-tu que le succès d’Overkill ou de n’importe quel autre groupe vient de la capacité de ses membres d’être humble et de mettre leurs égos de côté ?
Je ne peux pas parler pour les autres groupes parce que je n’ai pas été dans d’autres groupes. J’ai joué avec d’autres musiciens, mais je ne peux que parler d’Overkill, et je préfère être dans un tour bus avec quatre autres gars avec qui j’aime vraiment être que quatre musiciens qui sont des génies virtuoses mais que je ne peux pas supporter. Je pense que j’obtiens des résultats plus positifs en étant avec un gars avec qui je joue aux cartes et sirote un cognac après le concert plutôt que quelqu’un qui me dit « je peux faire mieux, je peux faire mieux. » Nous connaissons nos faiblesses, donc nous y travaillons en groupe et nous y travaillons individuellement. Je ne dirais pas que l’humilité a toujours fait partie de nos principes mais je pense que beaucoup d’humilité a été instillée dans ce groupe, que nous dépendons les uns des autres. Je pense que dépendre les uns des autres est une très bonne source d’humilité, dire : « Aide-moi, mec ! » [Rires] « J’ai un peu de mal, là ! » Ça signifie que tu n’es pas le numéro un, tu as besoin de l’aide d’une équipe pour faire que l’équipe soit numéro un. Donc je pense que, c’est certain, il y a de l’humilité dans ce groupe. Mais je pense que l’idée est que, pour pouvoir apprécier, il faut être avec des gens dont on apprécie la compagnie. Donc pour notre groupe, le fait de mettre cet égo de côté est nécessaire pour faire perdurer n’importe quel type de succès et continuer à aller de l’avant.
N’y a-t-il jamais eu de problème d’égo dans le groupe ?
Ne me parle pas comme ça ! [Rires] Bien sûr qu’il y en a eu. La seule raison qui me permette de te donner ce type d’analogie ou principe, c’est parce que je me base sur mes expériences en ayant vu les deux aspects de la question. Mais je pense que c’était il y a longtemps, lorsque nous essayions de savoir qui nous étions, ce que nous faisions. Lorsque j’ai fait pour la première fois partie de ce groupe, je ne crois pas qu’il y avait de plan, je pense que c’était juste chaotique, nous suivions ce que nous pensions devoir faire, au lieu de savoir ce que nous devions faire, donc je pense qu’à mesure que le temps passait, les égos ont été mis de côté. Et je ne suis jamais rentré dans un groupe parce que je voulais dire au monde ce que je pensais, je suis rentré dans un groupe parce que c’était putain de cool et les nanas adoraient ça ! [Petits rires] C’est au fond la raison principale qui m’a poussé à commencer et, putain, c’était l’éclate ! C’était vraiment marrant ! Et à un moment ça devient autre chose. J’ai un sentiment étrange lorsque je vois un groupe sortir un album et cet album devient très populaire, et puis trois albums plus tard, ces gens font mine d’être plus intelligents parce qu’ils sont populaires. A mon avis, ce n’est pas le cas, c’est juste qu’ils ont de plus gros égos à cause de leur popularité, mais ce sont exactement les mêmes trous du cul que lorsqu’ils ont sorti leur premier album. Je pense que dans le cas d’Overkill, nous avons essayé de tirer un trait là-dessus très tôt dans notre histoire, en décidant de jouer dans un groupe avec des gens avec qui nous apprécions de jouer, et à partir de là, voyons quels résultats nous obtenons avec ça. Donc ça fonctionne pour nous et c’est tout ce que je peux dire.
Overkill est le genre de groupe qui a construit son succès sur la durée. Est-ce que c’est ça qui vous a permis de garder les pieds sur terre ?
Je le crois, et je pense que ça signifie que le travail est plus important que l’individu. Le nom du groupe est plus important que qui est dedans. Evidemment, je suis là depuis le début, je comprends que les gens m’approuvent, je comprends qu’ils approuvent D.D. Verni mais je pense que D.D. Verni et Bobby Blitz approuvent Dave Linsk, Ron Lipnicki et Derek Tailer, et je crois que si c’est le cas, alors nous obtenons de bons résultats. Pourquoi faire foirer quelque chose qui n’est pas cassé ? C’est très simple pour nous. Je pense que nous sommes des gars simples avec des vies simples ! Alors ceci devrait être tout aussi simple. Overkill doit être simple ! Il ne faut pas que ce soit quelque chose de difficile. Nous devons simplement travailler dur pour l’améliorer.
La chanson « Our Finest Hour » parle du fait d’être plus fort en groupe qu’individuellement. Est-ce l’un des principes les plus importants pour le groupe ?
J’aime effectivement chanter à propos de principes et je pense que tu as bien mis le doigt dessus, c’est une bonne compréhension de la chanson. Mais si tu la prends de façon littérale, cette chanson est presque une conversation privée entre deux individus. Ce sont deux personnes qui parlent et l’une dit « j’ai de l’expérience » et l’autre dit « je n’ai pas d’expérience », et l’une dit « je n’ai aucune peur » et l’autre dit « j’ai des peurs », et ensuite l’une dit « pas de problème, je vais t’aider à traverser ça » et l’autre dit « d’accord ! » L’un est en train d’essayer de vendre sa philosophie à l’autre, genre : « Si tu ouvres ton esprit à cette autre philosophie, alors tu auras moins de poids à porter, et si as peur de le faire, je peux te montrer comment faire. » Donc, bien sûr, il y a ce principe sur toute la chanson mais je pense que l’idée de sortir cette chanson en tant que premier single de l’album était nécessaire, car je pense que ça fait le lien entre White Devil Armory et The Grinding Wheel, elle montre que nous n’avons pas abandonné les réussites, quelles qu’elles soient, des trois derniers albums, Ironbound, The Electric Age et White Devil Armory. Et je pense que « Our Finest Hour » aurait pu se retrouver sur l’un de ces trois albums, c’est le même type de gabarit.
Ça fait des décennies que D.D. Verni et toi êtes crédités comme compositeurs, mais j’ai lu lorsque tu parlais pour la première fois de cet album que vous aviez reçu des idées de la part de tout le monde. Comment fonctionne la dynamique du groupe en termes de contribution ?
L’idée commence toujours avec D.D. et se termine avec moi, et entre ce début et cette fin, ça passe par une série de changements. D.D. est l’initiateur du riff et, généralement, ce que nous recevons tous à ce stade est un genre de démo enfantine ou non-professionnelle avec une boite à rythme et une guitare qui joue des riffs. Les chansons, évidemment, ne sont pas faites à ce stade, elles sont jeunes et pas développées. Le développement et les changements passent par le reste du groupe. Donc je suis exposé à ces riffs et boites à rythmes en même temps que Dave, Ron ou Derek. Et ensuite c’est enregistré en démo, disons, de façon plus professionnelle pendant que nous échangeons des informations, que nous répétons, etc. et les chansons deviennent des chansons complètes. Donc tout le monde apporte sa contribution à la suite de ce riff d’origine. Mais au cours de ces changements, le seconde personne la plus importante par rapport à ça, si ce n’est la plus importante, est Dave Linsk car il commence à mettre les chansons en pièces, il commence à ajouter des riffs, il commence à ajouter des breaks, il commence à changer les arrangements, jusqu’au chant. Je me souviens que lui et moi nous étions assis en Ecosse pendant une tournée en avril, pendant trois jours, à travailler sur une chanson qui s’appelle « Come Heavy » où nous pouvions enfin nous expliquer, et il m’expliquait : « Non mec, il ne faut pas chercher à mettre un refrain ici, il faut que tout soit aussi important qu’un refrain, tout ce que tu chanteras sera l’accroche. Il faut nous faire voyager d’un bout à l’autre, sans jamais revenir au refrain, fait-le simplement avec quelque chose de différent. » Donc lorsque Dave arrive, il commence à mettre son grain de sel, ses idées, ses sentiments sur les chansons, montrant ce qui fonctionne avec celles-ci, et c’est là que les chansons prennent vie. Et je pense que ceci devient vraiment la partie la plus importante du travail pour ce qui est d’obtenir un album d’Overkill complet. Mais D.D. a quand même le dernier mot par rapport à la musique.
« Le travail est plus important que l’individu. Le nom du groupe est plus important que qui est dedans. »
Ensuite, lorsque tout ceci est fait, lorsque tout semble correct, je commence à mettre mes mains dessus et à tripatouiller la phonétique. Car je pense qu’il est toujours plus important de poser les lignes de chant en premier avant les paroles. Donc ce n’est que de la phonétique de façon à ce que je puisse faire une contre-mélodie sur ce que fait la guitare et ensuite développer ça dans des paroles. Dans le même temps, les chansons n’arrêtent pas de se développer, nous changeons leurs tempos, nous les ralentissons sur les démos, nous les accélérons, je ne chante que les refrains pour voir l’espace que j’ai, etc. Donc c’est un processus d’assemblage à ce stade. Et lorsque nous sommes tous d’accord sur l’assemblage, bam ! Nous allons enregistrer. Et si autre chose a besoin d’être réenregistré, nous le refaisons. Nous avons le luxe d’avoir des gars qui ont désormais des studios, depuis le début des années 2000 ; nous enregistrons chez D.D., Dave possède un studio identique, donc nous avons ce luxe qui fait que si nous voulons changer quelque chose, nous le pouvons. Et je pense que ça ressort dans l’album. Nous prenons notre temps avec les chansons et nous nous assurons qu’elles soient correctes avant d’aller les enregistrer pour de bon.
Tu l’as toi-même mentionné, The Grinding Wheel est album plutôt varié dans le sens où il y a un peu de punk, un peu de New Wave Of British Heavy Metal, même un peu de groove. Est-ce que vous vous êtes rendus compte avec cet album que c’était ce genre de mélange qui rendait le son d’Overkill si unique et efficace ?
Je pense que j’ai remarqué ça pendant que les chansons se développaient. Comme je l’ai dit, D.D. initie ces chansons et elles commencent avec un seul riff qui devient deux ou trois riffs pendant que la chanson se développe, et il commence à les faire passer à Dave Linsk. Et j’avais conscience des riffs individuels mais je n’arrivais pas à me rendre compte qu’ils allaient tous dans des directions différentes ou qu’ils avaient de la diversité ou de l’individualité en eux. Mais je pense qu’à mesure que les morceaux se développaient, j’ai fini par m’en rendre compte, tout comme les autres, je pense. Et probablement que la tâche ou le processus consistait à les pousser de plus en plus loin les uns des autres mais toujours en y apposant, disons, la marque d’Overkill lorsqu’ils étaient terminés. Donc je pense que c’était un accomplissement vraiment plaisant, le fait d’avoir le thrash de “Our Finest Hour”, le groove de “Shine On” et “Come Heavy” qui rencontre le New Wave Of British Heavy Metal de “The Long Road” et le côté épique de “The Grinding Wheel” ou le hardcore “Red White And Blue” ou le punk rock dans “Goddam Trouble” et “Let’s All Go To Hades”… Donc c’était assez cool que l‘album montre qu’il ne sait pas faire qu’un seul truc, qu’il est multidimensionnel, et non, en l’occurrence, à deux dimensions, rapide et lent ou thrash et pas thrash. Ouais, l’énergie qu’il y a par-dessus toutes ces dimensions différentes, je pense que c’est par là que la marque d’Overkill arrive pour que ça devienne reconnaissable comme étant à nous.
Plus spécifiquement, D.D. Verni a dit que « le punk, c’est assez énorme » pour vous. Peux-tu nous en dire plus sur votre relation à la musique punk et comment ça a fini par influencer la musique d’Overkill ?
Je peux te dire à titre personnel. Lorsque j’étais gamin, mon père travaillait très dur pour que je puisse aller dans une grande université et j’avais quelques choix. J’ai choisis d’aller à l’université à New York et c’était à quelques minutes en train de Greenwich Village, et on était dans les années 70. La raison pour laquelle j’ai choisi ça, c’était en partie pour la scène musicale qui était en train d’exploser là-bas au village, et cette scène, c’était la scène punk. Je veux dire que tu pouvais voir Debbie Harry de Blondie en train de se balader dans la rue ou au CBGB, ou les Ramones, en l’occurrence, à St. Mark’s Place, et tu pouvais aller voir des concerts. Donc il y avait les New York Dolls, et après ça les Heartbreakers avec Johnny Thunders, Iggy Pop vivait à New York, The Dead Boys venaient de Cleveland… C’était une scène putain d’incroyable pour un jeune homme qui aimait pogotter sur les premières musiques punk. Mais, tu sais, l’une des choses que je n’aimais pas à ce propos, c’était la [piètre] qualité de jeu, et je crois que quelque part après ça, genre au début des années 80, j’ai été exposé à la New Wave Of British Heavy Metal et peu de temps après, j’ai rencontré D.D. Verni.
Overkill s’est formé quelques années après ça, et je pense que ce qui était intéressant, c’est que nous jouions de la New Wave Of British Heavy Metal mais nous faisions aussi des reprises de punk, que ce soit des chansons de la seconde invasion britannique, comme The Damned ou les Sex Pistols, nous faisions des reprises des Ramones, nous faisions des chansons des Dead Boys, etc. Ce qui était plaisant pour nous, c’était l’énergie du punk contre la maestria musicale et la composition de TANK, Angel Witch, les premiers Iron Maiden et Tygers Of Pan Tang, ajoutant une énergie punk par-dessus tout ça. C’est devenu notre version du thrash. Donc si tu prends les deux, je pense que c’est ainsi que tu obtiens Overkill. Nous essayons toujours de nous raccrocher à cette énergie. Je ne nous ai jamais vus comme un groupe de thrash, je nous ai toujours vus comme un groupe qui possédait une énergie thrash mais nous composons des chansons de façon très différente de la plupart des autres groupes de thrash. Nous composons dans un sens plus heavy metal traditionnel mais avec de gros riffs épais, et puis nous ajoutons cette énergie punk, et c’est là qu’Overkill devient un groupe thrash. Donc je pense que quelque part là-dedans, l’énergie est vraiment ce qui est resté. Cette scène punk était notre première expérience musicale révolutionnaire lorsque nous étions de jeunes hommes, et je pense que c’est quelque chose que nous avons mis dans notre sac et que nous ressortons de temps en temps.
Vous avez d’ailleurs commencé à revenir à cette influence à partir de l’album Ironbound. Penses-tu que cet élément manquait à votre musique à un moment donné ?
Ce n’est rien qui soit réfléchi. Je pense que c’était juste quelque chose qui commençait à disparaître, et ce qui s’est passé avant l’album Ironbound était que notre dernier membre nous a rejoint à cette époque, c’était Ron Lipnicki, et ce qu’il a apporté à la fête, ce n’était pas un pack de bière, il a apporté une énergie incomparable. Et je crois que lorsqu’il a repris les anciennes chansons, des chansons de Taking Over, The Years Of Decay ou Horrorscope, nous nous sommes rendus compte que ces chansons avaient une toute nouvelle énergie, grâce à son interprétation. Il est arrivé et il a foncé ! Et nous autres disions : « Bordel de merde ! Regarde comme il va vite ! » Et la beauté de la chose était de le laisser foncer et essayer de le suivre. C’est devenu très inspirant d’avoir cette énergie exubérante dans notre façon de nous présenter, car un nouveau mec était arrivé dans le groupe et il jouait au top, et toi, tu ne veux pas jouer en dessous de ça, tu veux te mettre à son niveau, tu veux exceller. Donc j’attribue une grande partie du succès de ces albums à l’apport de Ron et au fait que nous lui disions « hey, voici le couplet et le refrain, » mais sans lui dire forcément comment les jouer, disant : « Ce que nous avons là est quelque chose de spécial, laissons-le l’interpréter et voyons où il va avec ça. » Nous n’allions pas lui dire : « Hey, joue comme ça ! » Nous disions : « C’est toi le capitaine du navire ! » « Ce n’est pas un groupe qui veut que tu changes ton style. » Et lorsque son style a changé les chansons, nous avons réalisé que c’était l’énergie que nous avions sur les premier, second et troisième albums. Je pense que Ron nous a rouvert les yeux sur le fait que ce qui nous caractérisait, c’était ce type d’énergie punk. Et je pense que ça a très bien fonctionné, je veux dire que sur l’ensemble des cinq albums qu’il a fait, je peux voir les changements de l’album qui s’appelle Immortalis à Ironbound, The Electric Age, et maintenant The Grinding Wheel. Je pense que tout ceci, c’est grâce à cette énergie qui a été ravivée. Tu sais, je n’ai jamais considéré ça comme une renaissance mais il est certain que je le considère comme un réajustement de ce que nous faisions.
« Je ne nous ai jamais vus comme un groupe de thrash […]. Nous composons dans un sens plus heavy metal traditionnel mais avec de gros riffs épais, et puis nous ajoutons cette énergie punk, et c’est là qu’Overkill devient un groupe thrash. »
Penses-tu que ceci a donné une nouvelle jeunesse au groupe ?
Je pense que, dans une certaine mesure, ça collait à ce que la scène était, car la scène en soi voyait un afflux de jeunesse à ce moment particulier. Il y avait des metalleux de dix-huit à vingt-cinq ans qui s’intéressaient aux premiers albums de Slayer et Exodus, ce qui signifie qu’ils s’intéressaient également aux premiers albums d’Overkill. Donc je pense que tout ce que ça a fait, c’est nous permettre à nouveau de nous rendre compte que ceci était basé sur l’énergie. Donc je ne sais pas si c’est une renaissance ou quoi ce soit de ce genre mais, c’est sûr, ça nous a donné l’occasion de nous regarder nous-même et dire que cette énergie est l’un des aspects dont nous pouvions toujours plus profiter.
Vous avez écrit ce nouvel album en partie quand vous étiez en tournée. Comment le fait d’écrire en tournée a-t-il impacté le feeling de l’album ?
Je l’ai fait exprès. Tu sais, j’ai obtenu de bons résultats en faisant ça sur The Electric Age et White Devil Armory. J’avais un genre d’enregistreur avec moi et un microphone de qualité. J’ai les autres gars avec moi, si j’ai un truc à demander, Dave Linsk est le premier disponible avec la guitare et un petit amplificateur, et nous jouons ça dans le petit salon à l’arrière du bus, pendant que nous écrivons la chanson. Et je pense que ce que ça fait, c’est que ça injecte l’énergie du concert, de la scène, dans ces démos, dans la composition. Tu sais, j’étais super en forme un soir sur la tournée avec Kreator, je tuais, et avant d’aller prendre quelques bières avec les gars, quelque chose m’est venu et j’ai accouru à l’arrière et je l’ai balancé dans mon téléphone et ensuite transféré en démo. Toute l’idée était que parce que je venais tout juste de sortir de scène, ça donnait le sentiment d’être comme il fallait. J’aime composer, ou tout du moins composer des bouts de nouvel album ou de nouveau projet pendant que le concert est encore frais dans mon esprit.
La chanson éponyme n’est pas tout à fait la plus longue que vous ayez faite mais c’est clairement l’une des plus épiques, surtout avec son final. Peux-tu nous en parler ?
C’était la chanson la plus difficile pour moi à m’impliquer dedans. Elle me paraissait être un enchainement de riffs. La première fois que je l’ai entendue, elle semblait décousue. Et je pense qu’à mesure qu’elle se développait, mon apport s’est fait jusqu’au dernier jour de mixage. C’était la chanson sur laquelle j’ai personnellement le plus travaillé. L’idée qu’elle était à l’origine décousue signifie qu’au final nous avons réussi à l’unifier. Et je trouve qu’elle forme une sorte de voyage, par rapport à ces riffs heavy metal traditionnels qui vont vers un centre plus rapide et thrashy, vers un refrain complètement mélodique et vers un chœur de fin épique. Du coup, elle renferme nombre des éléments différents qui font qu’Overkill est Overkill. Lorsque qu’elle s’est finalement mise en place, elle m’a conféré un grand sentiment de satisfaction, en ayant pu surmonter les obstacles qui venaient avec le sentiment qu’elle était décousue.
Au niveau des paroles, c’est une conversation. C’est le même personnage qui est impliqué dans la chanson précédente, « The Wheel ». J’aime utiliser des personnages, je ne les nomme pas mais je pense à une personne, en l’occurrence, qui tourne cette meule (« grinding wheel » en anglais, NDT). J’identifie cette personne à nous, genre plus vieux, je l’imagine avec des mains flétries, des mains cornées et avec des cicatrices. Dans « The Wheel », il a une conversation avec quelqu’un à qui il dit : « J’aimerais faire une pause, j’aimerais me poser, j’aimerais prendre un verre, mais je ne peux pas, je dois retourner au travail. » Et ensuite la chanson suivante commence. La seconde chanson, « The Grinding Wheel », devient le travail, et ça parle de la roue [de la meule] qui s’use. Je pense que ça parle d’être réaliste par rapport à la situation, je pense que c’est une question de voir ça de façon très humaine pour dire : « Nous essayons de [mener ça] du mieux que nous pouvons tant que nous sommes debout. » Je ne sais pas encore combien de temps nous pourrons encore rester debout [petits rires] car ça fait trente-cinq ans, donc il faut profiter du moment tant qu’il est là parce que nous ne pouvons pas vous dire combien de temps ça va durer. Tout s’use, que ce soit cette meule, un moteur ou les gens. Je pense que c’est une représentation honnête de la compréhension de notre mortalité. Donc, au fond, ça parle de qui nous sommes, que tout ceci est super, mais soyons réalistes.
Tu viens de dire que tu aimais utiliser des personnages. Est-ce parce que ça permet à l’auditeur de plus facilement s’identifier à ce que tu dis ?
Je pense qu’à l’origine, c’est plus facile pour moi de m’identifier à ce que je dis [petits rires], car si je pense à un individu, quelqu’un qui a une personnalité, quelqu’un qui est un personnage, je peux lui mettre des mots dans la bouche et alors ça devient réel pour moi. Et je pense que, plus tard, lorsque quelqu’un se fait plaisir à écouter l’album, je crois qu’il est plus facile de dire « oh, il dit ça ! » Ca ne signifie pas moi, mais plutôt le personnage.
Tu as déclaré que tu « aimes écrire davantage sous un angle abstrait, assemblant un tas de pensées pour créer une idée, comme un puzzle plus qu’un tableau spécifique en noir et blanc. » Comment assembles-tu ce puzzle à partir de ces bouts d’idées abstraites ?
Pour moi, c’est une question de phrase et de ce qu’elle signifie pour moi, et je collectionne ces phrases au cours des tournées, me préparant à écrire, et puis j’aime écrire de façon abstraite, simplement parce que ça m’intéresse de le faire. Donc White Devil Armory est sorti et parfois je prenais mon téléphone pour m’enregistrer en train de réciter des idées, des paragraphes et des choses – comme une déclaration, un dicton ou une rime – que j’écrirais de façon littéraire sur mon ordinateur une fois rentré chez moi, et de ça ressort une idée. Par exemple, je suis là à New York, j’ai du mal à croire ce que je vois à un moment donné, ils arrêtent le métro, quelque chose se passe… Ça devient la motivation pour écrire des paroles. Mais ensuite, lorsque je me retrouve assis là où je les écris, là où je te parle en ce moment, je me base sur comment ça m’a affecté, et pas nécessairement sur l’événement lui-même ou ce que j’ai pensé lorsque cet événement s’est produit. Donc ça devient un peu une purification, c’est comme confesser ses péchés, c’est comme aller à l’église tous les ans et dire : « Bénissez-moi mon père car j’ai péché. » [Rires] Et tu balances tout sur la table et puis tu essaies de les ramasser et d’en faire des chansons qui ont du sens. Donc je pense qu’à partir de ces idées viennent des principes, qui en fait soutiennent la simplicité de l’idée. « Mean, Green, Killing Machine » dit que cinq doigts forment un poing, mais ça fait six entités. Donc si j’en parle simplement, je comprends qu’il faut que nous soyons nous cinq pour former le groupe, mais je comprends aussi qu’il faut un public pour faire un poing, et je comprends qu’un poing est plus fort que cinq doigts individuels. Donc c’est un principe qui est ressorti d’une expression que j’ai conservé dans mon téléphone, l’appelant « Green Killing Machine », et puis ça s’est transformé en toute cette idée. Donc l’idée vient d’une phrase, et le côté abstrait est dans le fait de la peindre de différentes couleurs.
« Par rapport à l’élection américaine, il y a eu plein de rock stars, de metal stars, d’actrices, d’acteurs qui ont dit en public : ‘Si ceci venait à se produire, je quitte ce pays !’ Eh bien, putain, ce n’est pas très américain ! N’est-ce pas ? [Rires] Les choses tournent mal et toi, tu pars ? Peut-être qu’ils devraient se rendre compte qu’on n’a pas tous ce luxe ! »
Est-ce que tu aimes l’art abstrait ?
Pas spécifiquement. J’aime les mots et les idées abstraits. J’aime lire. L’un de mes auteurs préférés est Kurt Vonnegut, en l’occurrence. C’est un écrivain américain qui aborde les choses sous un angle très abstrait. Il a écrit un livre qui s’appelle Mother Night et le postulat de base du livre est « prétend être ceci et au final, tu deviendras ceci. » Il y a un livre qui s’appelle Slaughterhouse-Five, qui est un long voyage à travers différentes choses, ça va de la Seconde Guerre Mondiale jusqu’à la culture moderne. Ce sont donc des idées très abstraites, et j’aime qu’elles soient représentées de manière abstraite d’un point de vue littéraire.
De façon plus générale, quelle est ta source principale t’inspiration au niveau des paroles ?
Je ne rentre pas dans la politique ; Je ne rentre pas trop dans les sujets sociaux… Je veux dire que bien évidemment, je parle de ce qui se passe autour de moi mais pas forcément d’un point vue « bien » ou « mal », c’est plus de l’illustration pour en faire une narration, plutôt que de donner une opinion sur la politique. Donc je pense que, pour ce qui est de l’inspiration, c’est très simplement une question de garder les yeux ouverts, et ensuite appliquer ce qu’on voit aux principes, ou à l’éthique, ou aux valeurs du parolier. « Quel est ton sentiment sur cette situation ? » « Est-ce que je suis prêt à me battre ? » « Red, White And Blue », c’est la perspective d’un homme dans une tranchée, regardant au bout du canon de son fusil, et ce qu’il se dit dans sa tête à ce moment précis. Est-ce que le monde est multidimensionnel ou est-il unidimensionnel lorsque tu es dans cette situation ? Donc je pense que l’inspiration vient de choses qui m’emballent ou des choses corrélées à mes propres valeurs.
Pourquoi ne parles-tu pas de politique ? Car nous vivons une époque où il y a beaucoup à dire en termes de politique, et de nombreux groupes utilisent leur musique pour s’exprimer à ce sujet…
Tout d’abord, je pense que ça date la musique. Dès que tu parles spécifiquement de cette époque, je pense que ça enferme la chanson dans une boite estampillée 2017 et ça ne vaut pas forcément pour 2019, ce qui atténue sa valeur, ça ne la rend pas, en l’occurrence, éternelle. Et j’aime penser que chaque fois que je suis impliqué dans l’écriture, c’est pour toujours. Donc je n’aime pas être enfermé dans une boite, ça c’est une raison. Je crois que la seconde raison est que je ne suis pas forcément qualifié pour dire comment les gens doivent réagir par rapport à quelque chose qui est personnel, et la politique affecte les gens à un niveau personnel. Moi-même vivant ici et toi vivant en France, bien sûr, la politique internationale et la mondialisation, je comprends. Mais le truc, c’est que la politique sera différente suivant notre religion et comment nous comprenons où nous vivons. Je ne suis pas qualifié pour parler de telles choses, et je me considère toujours comme le même mec qui, après le premier album, devait apprendre, je suis toujours le même trou du cul qui a fait ce premier album ! Ça ne me qualifie pas pour parler de politique [petits rires] et pour influencer avec mes opinions quiconque aime bien ce groupe ; je pense que c’est à cent pour cent la mauvaise chose à faire. Je veux dire que les premières personnes que je n’écoute pas pour ce qui est de la politique, ce sont les artistes.
Donc tu n’aimes pas quand d’autres groupes chantent à propos de politique…
Eh bien, ce n’est pas tant une question de chanter à ce sujet que lorsque ça vient à influencer directement d’autres gens concernant leurs opinions. Par rapport à l’élection américaine, il y a eu plein de rock stars, de metal stars, d’actrices, d’acteurs qui ont dit en public : « Si ceci venait à se produire, je quitte ce pays ! » Eh bien, putain, ce n’est pas très américain ! N’est-ce pas ? [Rires] Les choses tournent mal et toi, tu pars ? Peut-être qu’ils devraient se rendre compte qu’on n’a pas tous ce luxe ! Il y a donc une grande différence entre ce que, en l’occurrence, George Clooney dit et comment je dois réagir à ça, car nous n’avons pas les mêmes options. Ça n’a donc aucun sens d’y aller aussi fort par rapport à la politique lorsque nos situations individuelles, déjà, sont si différentes. Voilà ce que je pense, je pense que c’est personnel et les gens devraient réagir de la façon qu’ils estiment nécessaire ou qui leur convient en tant qu’individu.
Mis à part ça, t’intéresses-tu personnellement à la politique ?
Lorsque j’ai été à l’université, une partie de mes deux premières années avait à voir avec l’histoire américaine, et il y avait ça parce qu’il y avait la possibilité de s’orienter vers ce qu’on appelait la préparation au droit. Pour connaître la politique, il faut connaître l’histoire, tu dois mettre les deux en corrélation. Donc j’ai toujours suivi la politique. Je vote depuis que je peux voter en Amérique. Je la respecte et je respecte le processus démocratique. Abraham Lincoln l’a très bien dit : la démocratie est fragile et elle ne marchera que si les gens acceptent le résultat de l’élection. J’ai toujours vécu ma vie selon ce principe, que je sois d’accord avec le politicien qui a été élu ou pas, mais je suis d’accord pour dire que si cette personne a été élue, c’est que la majorité le veut, alors je suis loyal.
Les cinq derniers albums ont été entièrement produits par vous-même. Du coup, pourquoi faire appel à Andy Sneap cette fois-ci ? Qu’est-ce qu’il a apporté à la production que vous ne pouviez pas apporter ?
Tout d’abord, de l’objectivité. Nous aimons toujours que quelqu’un d’autre fasse le mixage. Même sur les cinq derniers albums, quelqu’un d’autre s’est chargé du mixage, sauf pour l’album Immortalis. Mais nous avons l’objectivité, nous aimons avoir quelqu’un qui fasse preuve d’objectivité sur ce que nous avons fait. C’est très dur de se regarder dans le miroir et dire : « Quel visage hideux ! » A chaque fois que je me regarde dans le miroir, je dis : « Ma maman avait raison, je suis un beau gamin ! » [Rires] N’est-ce pas vrai ? Tu ne te regardes pas dans le miroir en disant : « Oh mon Dieu ! Qu’est-ce qu’il est moche ! » Tu ne dis jamais ça ! Tu dis toujours : « Oh, elle avait raison ! Je suis spécial ! » Mais quelqu’un d’autre peut regarder dans ce miroir et dire : « Non, tu dois te raser, tu dois te faire couper les cheveux, et peut-être que tu devrais te laver ce sale visage… » Je pense que l’idée est qu’Andy a de supers oreilles. Une fois que nous lui avons présenté verbalement ce que nous voulions faire avec cet album, et qui était d’avoir un son de guitare plus épais, nous voulions que ses oreilles corrigent notre vision de ce son, sans le calquer sur un modèle qu’il utilise pour certaines batteries, certaines guitares, certains groupes. Il a dit : « Je peux faire en sorte qu’Overkill sonne comme un meilleur Overkill. » Et ça, pour nous, c’est un excellent argument de vente. Donc je pense qu’avec ça, nous avons l’objectivité, nous avons quelqu’un qui peut nous regarder objectivement et puis il parvient à établir une super relation entre les guitares et la batterie. Après avoir entendu les premiers mix et pris les bonnes décisions, je savais que nous prenions dans la bonne direction ; je suis certain que les autres gars seront d’accord avec moi.
« C’est très dur de se regarder dans le miroir et dire : ‘Quel visage hideux !’ A chaque fois que je me regarde dans le miroir, je dis : ‘Ma maman avait raison, je suis un beau gamin !’ [Rires] […] Mais quelqu’un d’autre peut regarder dans ce miroir et dire : ‘Non, tu dois te raser, tu dois te faire couper les cheveux, et peut-être que tu devrais te laver ce sale visage…' »
Lorsque vous avez commencé à travailler sur cet album avec Andy, vous aviez une idée précise de ce que vous vouliez en termes de son, surtout au niveau de la modernité. Comment avez-vous trouvé un terrain d’entente avec lui, étant donné qu’il a aussi son propre style de production ?
Andy a son propre style de production mais si tu écoutes les albums d’Andy, chacun est différent. Il n’a pas un seul gabarit, il en a plusieurs. Et je pense que c’est intéressant, car il va regarder les choses sous des perspectives différentes, sur la base de la personnalité de la composition, des qualités et approches des groupes. Les albums d’Accept ne sonnent pas forcément comme les albums d’Exodus, en l’occurrence ; ce sont deux valeurs de production distinctes. Il y a des similarités mais je pense qu’au final, lorsque la production complète est terminée, tu te dis vraiment que tu es en train d’écouter quelque chose de totalement différent. Donc ça, pour nous, ça voulait dire que le gars pouvait changer de position suivant le groupe. Il peut aussi sortir différents types de sons et il est prêt à prendre des risques. Donc nous pouvions faire ce que nous voulions, c’est-à-dire un son de guitare plus épais, nous ne voulions pas du son de guitare standard qui est mixé dans la majorité des albums de metal aujourd’hui, c’est-à-dire une guitare avec plus d’aigus, qui sonne plus comme une boite de conserve quand on passe au-delà de la cinquième frette, ça sonne presque comme si ça venait du nez au lieu de venir du torse ou de l’estomac. Il comprenait ce que nous voulions, et nous avons commencé à mixer ces guitares… A mon avis, c’est l’un des sons de guitare les plus heavy qui soit sorti de son studio ! Et c’est Andy qui l’a fait, pas nous. Tout ce que nous avons fait, c’était lui expliquer ce que nous voulions entendre. Et le résultat est The Grinding Wheel, qui est quelque chose dont nous sommes honnêtement très satisfaits.
Nous avons eu la chance de parler à Andy Sneap il y a quelques temps et ce qui était frappant chez lui était que c’est, évidemment, un musicien et producteur très talentueux, mais c’est aussi quelqu’un de très humble. Tu penses que c’est sa plus grande qualité ?
Je ne sais pas si c’est sa plus grande qualité mais je vais te dire ceci : je pense que nous, en tant que personnes, devons être à l’aise avec qui nous travaillons. Tu sais, ça fait un petit moment maintenant que nous parlons, et je pense que tu as probablement une bonne idée d’où nous venons et ce que nous aimons faire. Nous aimons nous présenter en tant qu’Overkill, pas Overkill par Bobby Blitz, pas Overkill par Dave Linsk ou Overkill par D.D. Verni’s. Je pense que si nous évitons les égos, si nous pouvons nous présenter comme une équipe, alors nous savons que nous sommes plus forts. Nous le savons. Nous en avons obtenu des résultats. Dès que quelqu’un comme nous… Dès que quelqu’un comme ça entre dans une pièce, nous reconnaissons cette personne [petits rires]. Donc avec tout le truc, il était question d’être authentique, pour ce qui est de dire « simplement dis-le ou fais-le. » Et je pense que c’était quelque chose de facile à reconnaitre en Andy. Il avait un sens de l’humour, nous voulions nous amuser à faire ça, il ne voulait pas dire : « Je suis Andy Sneap, pas vous. » Il disait : « Travaillons ensemble, faisons que ce projet aboutisse. » Donc tu peux voir que probablement ça collait pas mal pour travailler avec nous sur des albums.
Ton chant est plus corrosif que jamais mais des chansons comme « Mean, Green, Killing Machine » et « The Grinding Wheel » contiennent aussi du chant plus mélodique et clair. Donc, plus généralement, comment tu sens par rapport à ta voix à ce stade de ta carrière ?
Eh bien, ça a toujours été une bonne amie ! [Rires] Elle ne semble jamais…Tu sais, quand je dis que c’est une amie, c’est qu’elle semble toujours être là ! On a commencé à parler de lorsque Ron a apporté cette énergie au groupe, et lorsque Ron a fait ça, je crois que celui qui l’a remarqué en premier était D.D. Verni. D.D. a dit : « Oh, mec, ça va être tellement putain de marrant de composer de la musique par-dessus le jeu de Ron ! » Et lorsque D.D. a commencé à composer des chansons en ayant Ron impliqué dans ces sessions d’écriture et à les enregistrer en démo et puis à mettre Dave à contribution, et ensuite je suis allé écouter ça, je pouvais me rendre compte de la différence. L’énergie était de retour et D.D. a commencé à écrire des riffs heavy metal plus traditionnels, il a commencé à écrire des riffs basés sur la guitare, sur des mouvements de jeu de main droite qui étaient souvent complètement ouverts. Ce que ça a fait pour moi, c’est ouvrir mes horizons pour les quatre derniers albums, environ. Ça m’a offert énormément d’espace pour pouvoir chanter. La seconde chose qu’ils ont faite était de revenir à un accordage en ce qu’on appelle l’accordage en 440 standard, qui correspond à là où ma voix rentre parfaitement, ils n’ont pas à mixer ma voix sur l’album, tout ce qu’ils ont à faire, c’est ajouter de la reverb et la lâcher par-dessus et elle trouve naturellement sa place dans le mix. Donc ça m’a offert plus d’endroits et d’espace pour chanter. J’en ai donc profité et ai considéré ça comme une opportunité, et j’ai commencé à tenter des choses que je n’avais pas jamais tentées et que je pouvais maintenant faire. Donc peut-être que si ceci peut t’apprendre de nouveaux tours, alors c’est ça la beauté de la chose. Même après trente-cinq ans dans ce business j’apprends encore de nouvelles choses.
J’aime continuellement apprendre de nouvelles choses. Je trouve que c’est naturel. J’aime travailler. J’aime travailler lorsque je ne fais pas Overkill, j’aide à manager Overkill, je fais toujours quelque chose. Et si tu fais quelque chose, alors tu progresses. Et je n’aime pas qu’on pense à nous pour ce que nous étions. J’aime qu’on pense à nous pour ce que nous sommes. Mais pour obtenir ce résultat, ça implique que de nouvelles choses doivent être apprises. Et si je me voyais comme un professeur, je n’apprendrais jamais rien de nouveau, donc je ne me mets pas dans une telle situation. Donc essayer de faire quelque chose de mélancolique, essayer de faire quelque chose de plus calme, essayer de faire quelque chose de plus mélodique est nouveau pour moi, ou en tout cas ça m’apparaît comme tel, et je pense que ça élargit ma voix ou ma contribution au groupe. Et si tout le monde se pousse dans la même direction, les résultats peuvent donner quelque chose comme The Grinding Wheel. Ce n’est pas une question de qui nous étions, c’est une question d’être vital, vif et valable en 2017. Donc je pense que ma voix n’en est qu’une simple représentation. Je n’y fais pas extrêmement attention. Je veux dire que je monte sur une moto quand il fait quatre degrés Celsius dehors sans écharpe, ce n’est pas comme : « Oh, je vais bousiller ma voix ! » Je ne pense pas à ce genre de chose. Je pense que ça fait partie de moi, un muscle, et je dois l’améliorer en apprenant de nouvelles choses, mais je n’y réfléchis pas trop. J’essaie juste d’apprendre. Et je pense qu’elle m’a bien servi ! Je pense que c’est un bel exemple d’un instrument bien servi, quelque chose qui colle parfaitement à la musique et qui n’a rien perdu en trente ans.
« Je n’aime pas qu’on pense à nous pour ce que nous étions. J’aime qu’on pense à nous pour ce que nous sommes. »
D.D. Verni a déclaré à propos de son son de basse : « Beaucoup de bassistes disent : ‘Je veux ressentir la basse.’ Et genre, je n’en ai rien a foutre de ressentir la basse. Pour moi, ça, ce sont les graves. Les guitares ont des graves, la grosse caisse a des graves, la basse a des graves – je veux entendre la basse, pas la ressentir. » Penses-tu que ce soit le fait qu’il joue beaucoup de guitare qui fait de lui un bassiste pas très conventionnel ?
D.D. compose à la guitare, et lorsqu’il compose des riffs, c’est évidement basé sur la guitare, mais c’est un bassiste de cœur et lorsque ce groupe a débuté, sont attitude était que tout doit sonner plus fort que tout le reste, il était aussi fort que les guitares, et ce qu’il a développé est un son qui possède plus de haut médiums que de graves sur sa basse. Donc ça fait de lui pas nécessairement un instrument de soutien mais un instrument lead. C’est quelque chose que j’ai toujours apprécié. Il y a très peu d’albums où la basse de D.D. est un soutien, il y a davantage d’albums où elle est devant dans le mix.
Le thrash semble être en bonne santé en ce moment, avec votre nouvel album mais aussi ceux de Testament, Kreator, Megadeth et aussi de groupes plus jeunes comme Havok ou Lost Society. Quel est ton point de vue sur la scène aujourd’hui ?
Je trouve qu’elle est en très bonne santé ! Je trouve que le fait qu’Havok et Lost Society représentent plus son éclat juvénile est super parce que ça lui donne des ailes, ça lui donne de la validité, ça lui donne des jambes. Et d’un autre côté, il y a aussi l’expérience des groupes plus anciens. Et je trouve que nous obtenons en ce moment certains des meilleurs albums qui contribuent à la santé de la scène. Kreator peut sortir Gods Of Violence et faire en sorte que ça sonne contemporain en 2017 pendant que Lost Society est 2017. Donc je pense que c’est une période vraiment sympa où le vieux rencontre le neuf et il est certain que ça rend la musique tout à fait valable. Et je prends ça comme des compétiteurs et ça fait partie de la motivation. Evidemment, c’est une compétition amicale. Ce n’est pas une compétition féroce mais tu ne fais pas ça pour perdre ou être mélancolique ou juste pour s’amuser, tu y vas pour gagner ! Je veux dire que c’est ce que tu veux faire, tu veux entrer en lice avec des groupes qui valent le coup. C’est quand même une question d’essayer d’y aller et gagner, essayer d’être le meilleur d’entre tous. Et je trouve que c’est une grande part de la motivation car dans cette compétition, le gagnant, c’est vraiment le public, pas nécessairement les groupes. Tant que nous sommes en compétition les uns contre les autres, je pense que le public est celui qui en tire les bénéfices.
Il y a quelques années, on t’a dit par erreur à l’hôpital que tu n’avais plus que six mois à vivre. Au final, les médecins t’ont dit de changer tes habitudes ou tu pourrais à nouveau finir à l’hôpital dans six mois. Après cette expérience effrayante, est-ce que tu as changé tes habitudes ?
Eh bien, ouais, j’ai arrêté de fumer ! [Rires] C’est aussi pourquoi ma voix est meilleure ! [Rires] Ouais, je veux dire que bien sûr, je veux continuer à faire ce que j’aime faire. Ce n’était rien d’autre que ça. J’ai eu des problèmes de santé par le passé, j’ai eu un cancer quand j’étais jeune homme. Je n’avais jamais imaginé me retrouver dans la situation dans laquelle j’étais et j’ai très vite réalisé lorsque j’en suis sorti que la vie était fragile et que nous devons en profiter au maximum mais quand même, je me considérais toujours intouchable. C’était un avertissement pour dire : « Hey mec, si je veux faire ce que je fais, je dois changer des trucs. » Donc je l’ai fait et nous voilà cinq ans plus tard. Tu sais, ces problèmes de santé auraient été mes secrets s’ils n’étaient pas survenus sur la route [petits rires]. Mais étant depuis plus de trente-cinq ans au vu et au su de tout le monde ou à tourner et ayant des soucis se produisant lorsque je suis sur la route… Ça n’a été que trois fois ! Donc je me considère un peu comme chanceux ! Mais la santé est bonne et j’ai hâte de retourner sur les routes dans quelques semaines.
Interview réalisée par téléphone les 8 décembre 2016 et 16 janvier 2017 par Philippe Sliwa et Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel d’Overkill : wreckingcrew.com
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