Vingt albums. La carrière d’Overkill est remarquable de longévité et de persévérance. Le groupe du New Jersey fondé en 1980, porté à bout de bras par le bassiste-compositeur D.D. Verni et le chanteur-parolier Bobby « Blitz » Ellsworth, n’a jamais failli. Même dans les difficiles années 90, marquées notamment par un I Hear Black (1993) façonné par des influences diverses, ils ont réussi à maintenir le niveau et la cadence grâce à une gestion intelligente de la conjoncture. Plus remarquable encore, en 2023, Overkill parvient toujours à conserver sa vitalité et à apporter un vent de fraîcheur grâce à son nouvel album Scorched.
Scorched est l’album de vieux briscards du thrash qui ont plus d’un tour dans leur sac et se sont vu offrir du temps en raison des circonstances que l’on a connues ces dernières années. L’occasion de sortir les influences heavy, prog, blues, gothiques, et d’enrichir les morceaux de quelques éléments et arrangements bien sentis sans jamais dénaturer l’identité reconnaissable entre mille d’Overkill. La flamme de Feel The Fire (1985) brûle avec toujours autant d’éclat, mais elle est mieux maitrisée, en somme. Nous en parlons ci-après avec Ellsworth.
« Je vivais seul à ce moment-là, mon chien n’était plus là… Tout ce que j’avais, c’était les démos d’Overkill. Pour moi, ça a très bien fonctionné parce que c’était un refuge qui semblait normal, même si tout le reste autour de moi était anormal. »
Radio Metal : Vous avez commencé à enregistrer Scorched en septembre 2020 et l’album devait initialement sortir en avril 2021, mais il a été repoussé à plusieurs reprises. En fait, en mars 2022, tu disais n’avoir pas encore enregistré tes parties. Ce processus rallongé était-il entièrement dû au contexte du Covid-19 ?
Bobby « Blitz » Ellsworth (chant) : Ce n’était pas spécifiquement à cause de la pandémie, mais des circonstances engendrées par cette dernière. Nous avons toujours été un groupe dont la visibilité dépendait de la sortie d’un album, suivie d’une tournée qui rallonge la vie de ce dernier. Si tu sors ton album le 14 avril, comme pour celui-ci, tu dois tourner à ce moment-là pour encourager les gens à s’y intéresser en faisant des concerts. Je ne voulais pas gâcher un album en le sortant en 2021 si nous allions encore être en confinement. Je n’allais pas enregistrer mon chant s’il allait falloir ensuite attendre encore un an. Je voulais que mon chant soit frais. Je voulais qu’il reflète le fait qu’il a été fait récemment, peu de temps avant le mixage et la sortie de l’album. Le bon côté, de l’avoir repoussé de 2021 à 2023, est que ça m’a personnellement donné beaucoup plus de temps pour travailler sur mes parties, les lignes vocales et les paroles. Et maintenant, nous avons la situation idéale : la pandémie est finie, l’album sort et nous tournons le même jour.
Vous avez donc profité de l’absence de pression, mais justement, n’êtes-vous pas le genre de groupe qui s’épanouit sous pression ?
Je crois, oui. Si tu regardes notre carrière et le temps séparant chaque sortie, c’est rarement plus de deux ans, ça oscille entre dix-huit et vingt-six mois. Je crois qu’à ce jour, vingt-six mois est le plus longtemps que nous ayons fait. Ceci étant dit, dans ces circonstances, quelle différence est-ce que ça fait de prendre plus de temps pour voir comment les choses font évoluer ? Si le résultat avait été merdique sans travail sous pression, j’aurais été d’accord avec toi, mais vu le résultat que nous avons obtenu avec Scorched et les différentes dynamiques et caractéristiques de l’album, le fait est que ça a joué en notre faveur, car je pense que c’est un album que nous n’aurions pas pu faire sous pression.
Scorched a été conçu à distance. En mars 2022, D.D. Verni a dit que vous alliez sortir un album pour lequel pas une seule fois ne vous êtes retrouvés pour jouer ensemble. Pour un groupe qui est assez old school et qui mise beaucoup sur l’énergie, n’aviez-vous pas peur de ce qu’allait donner un tel processus ?
Bien sûr. Pendant toutes ces années, pour tous les autres albums, nous nous retrouvions dans une pièce au moins une fois ou deux par semaine. Au début du groupe ou au milieu de notre carrière, nous partions vivre ensemble au studio pendant un mois. C’est ainsi que The Years Of Decay, Horrorscope et From The Underground And Below ont été faits. Quand, plus tard, nous avons pu utiliser la technologie, nous avons fait les deux. Nous nous retrouvions dans une pièce ensemble, nous nous assurions que les pistes de batterie soient faites comme nous le voulions, et ensuite, nous commencions peut-être à travailler à distance. Mais les circonstances cette fois étaient totalement différentes et inconnues. Dans une certaine mesure, étant donné le contexte et le fait qu’on était tous confinés – pas simplement nous, mais le monde entier –, ça nous a donné quelque chose qui avait un semblant de normalité, même si nous n’étions pas dans la même pièce, car nous avions notre musique. Je vivais seul à ce moment-là, mon chien n’était plus là… Tout ce que j’avais, c’était les démos d’Overkill. Pour moi, ça a très bien fonctionné parce que c’était un refuge qui semblait normal, même si tout le reste autour de moi était anormal. Enfin, l’interaction physique et l’énergie me manquaient, mais le résultat parle de lui-même. Ce n’était pas une crainte qui allait dicter l’issue de l’album. Pour moi, le résultat est positif. Il y avait un peu de peur pendant sa conception, surtout lors de mes parties – je me disais : « Punaise, j’aurais aimé avoir quelqu’un avec moi. » Mais ensuite, j’ai utilisé Zoom, le téléphone et Facetime, et nous avons échangé sur toutes sortes de choses. Les gars recevaient tout ce que j’enregistrais en quelques minutes et donnaient leur avis. Même si la période et les circonstances étaient différentes, c’était une expérience positive.
La flexibilité est-elle un élément clé pour un groupe ?
C’est une bonne question. Je n’aurais pas su répondre avant. J’étais inflexible jusqu’à présent. Tu poses la question à un type qui a la soixantaine ! J’avais déjà du mal à m’adapter quand j’avais vingt et un ans ! [Rires] J’ai ma manière de faire, je suis ancré dans mes habitudes. C’est pourquoi il y avait un peu de peur autour de ça, mais ce qui m’a permis de la surmonter, je pense, comme je viens de le dire, c’est le fait que j’avais quelque chose de sain au milieu de la folie. J’étais sur ma moto la majeure partie de l’été, de l’automne et du printemps, et les soirs, j’écoutais la démo d’Overkill. Ça m’a fait beaucoup de bien à ce moment-là, c’était mon refuge.
« Je me souviens du chant de ma mère avant de sa voix parlée. Elle a fait quelques albums et a chanté avec de très gros groupes dans les années 50. La première leçon que ma mère m’a enseignée est que c’était naturel, sans même me le dire parce que je le voyais. Elle chantait pendant qu’elle faisait le repas, pendant qu’elle me donnait un bain ou à ma sœur… C’était normal pour nous. »
Tu as dit que cet album n’aurait pas été ce qu’il est aujourd’hui sans ces circonstances. Il y a d’ailleurs quelques arrangements qui font que ça sonne comme un album très travaillé : les chœurs dramatiques dans « Twist Of The Wick », les cordes dans « Wicked Place » et toute l’atmosphère de « Fever » avec de petites percussions. Tout ça est-il le résultat du fait que vous aviez le temps de réfléchir et de peaufiner les chansons ?
Oui. Ces trois chansons en ont tiré profit. Nous avions tout le temps de penser à ces petites choses. Je me souviens, j’étais dehors sur ma terrasse en train de cuisiner un steak et d’écouter la démo, puis je l’ai arrêté et j’ai commencé à écouter du vieux metal. Je ne me rappelle plus ce que j’ai mis, je crois que c’était Born Again de Black Sabbath, et j’étais là : « Oh, cette cloche d’église est magnifique ! » J’ai appelé D.D. et j’ai dit : « Cloche d’église ! » « Cloche d’église ? » « Et que dis-tu d’un violoncelle ? » « Un violon… celle ? » [Rires] Il y avait plein de petites nuances et caractéristiques que nous avons eu l’opportunité d’essayer parce que nous avions le luxe du temps. Même « Twist Of The Wick », c’est vraiment unique, ce sont juste quelques voix qui sont traitées sur un clavier. C’est drôle parce que c’était la chanson avec laquelle j’avais le plus de mal, ce qui est illogique car c’est le genre de chose que, vocalement, je fais depuis longtemps. Je n’ai entendu cette partie centrale que lorsque j’avais fini la chanson. Quand nous avons réécouté tout le morceau, c’est là que j’ai entendu le chœur au milieu et j’ai appelé D.D. en lui demandant : « C’est quoi ça ? » Il m’a dit : « Ouais, j’étais en train de travailler avec Michael Romeo de Symphony X et il m’a donné quelques idées pendant que nous étions en train de faire du chant, et il m’a proposé ça. » C’était super et il y a tout un tas de petites nuances et caractéristiques comme ça qui se sont rajoutées parce que nous avons eu le temps de les mettre dedans.
Pourquoi travaillait-il avec Michael Romeo ?
Ce sont de bons amis. D.D. possède un studio depuis vingt ans. Nous avions l’habitude de faire tous les albums là-bas. La salle de répétition de Symphony X était juste derrière la salle de contrôle, donc nous connaissions Michael Romeo, Michael Pinnella et Russell Allen, ils étaient toujours dans les parages. C’était ce genre de relation où nous étions différents, mais à la fois très semblables, si ça a du sens. Je crois que nous avons fini par faire une tournée en co-tête d’affiche en 2016 dans tous les Etats-Unis. C’était Overkill et Symphony X, ce qui était bizarre, mais ça a super bien fonctionné.
C’est drôle que tu mentionnes Born Again de Black Sabbath, car peu de gens mentionnent cet album…
Je suis un énorme fan de Ian Gillan. J’adore sa voix et cet album, pour moi, même si ce n’est pas Black Sabbath comme on se l’imagine avec Ozzy, c’est l’un de mes préférés, grâce à la voix de Gillan et la façon dont il se pose sur les riffs de Tony.
As-tu été influencé par Ian Gillan pour ton chant ?
Je ne pense pas avoir été influencé. Je pense que j’aspire à l’être, si ça a du sens. Je comprends qu’il y a une différence très nette entre nos voix, mais je peux quand même apprécier à quel point sa voix est bonne, et j’aspire à être aussi bon que lui. Vais-je y arriver un jour ? Je ne sais pas, mais je vais continuer à me donner à fond. Quand nous étions un groupe de reprises au début, je chantais des morceaux d’Halford. Je n’ai pas du tout sa voix, mais la tessiture de ma voix colle au registre aigu de ses chansons, donc je me suis toujours dit : « Si j’essaye d’aspirer à être comme ça, je ne pourrai que m’améliorer. » Je pense la même chose en ce qui concerne Ian Gillan.
The Grinding Wheel et The Wings Of War ont montré un visage assez varié d’Overkill, mais Scorched est encore un pas de plus dans cette direction avec quelques surprises, « Fever » étant probablement la plus grande. Est-ce parce que vous avez diversifié votre consommation musicale avec le temps ou est-ce parce que, avec l’âge, vous avez tendance à être plus à l’aise quand il s’agit de montrer la diversité de vos affinités musicales ?
Nous ne nous posons pas pour écrire de la musique ensemble. L’idée initiale de ces riffs et de ces chansons vient de D.D., c’est aussi simple que ça. Ils sont ensuite développés avec le reste du groupe et je les finalise. J’écris les lignes mélodiques et les paroles dessus, et je dois écrire quelque chose qui répond aux riffs pour que ça se mélange bien. Nous n’en parlons même pas vraiment, mais la seule chose que je lui ai dite au sujet de l’écriture de cet album, c’était : « Compose-le comme si c’était le dernier que tu allais faire. Si tu gardes ça à l’esprit comme idée principale, tu penseras autrement. » Est-ce que c’est vrai ? Je ne sais pas, mais je ne peux pas non plus prédire l’avenir. Le truc, c’est que, je pense, il l’a écrit comme ça parce qu’il avait plein d’outils dans sa boîte à outils. Il a du groove, il a du rock n’ roll, il a du blues, il a du heavy metal traditionnel, il a du punk rock, il a des parties progressives comme la partie centrale de « Know Her Name » ou même au sortir de « Twist Of The Wick », ça devient progressivement thrashy dans ces passages. Je pense que c’est ce qu’il a fait quand il m’a donné le squelette de la démo, avec juste les riffs. Il tenait quelque chose, je ne savais pas encore ce que c’était, mais ça ne sonnait pas comme le dernier album ou celui encore avant. Je pense que c’est fortuit que ça sonne comme l’étape d’après, mais dans les faits, c’est exactement ça.
« Tous les deux ans, j’ai dix chansons pour confesser mes péchés. Je peux tous les poser sur papier et une fois que ça sort, ce n’a plus d’importance pour moi. »
Mais as-tu l’impression qu’il a diversifié sa création musicale avec le temps ?
Bien sûr, car il fait toutes sortes de musiques à côté de ça. Il a fait The Bronx Casket Co., dans lequel on retrouve un côté gothique. Il a The Cadillac Band, qui a un côté big band de rockabilly. Il fait des concerts avec ça, il a fait des albums avec ces deux groupes, donc je pense qu’il a toujours été polyvalent. Il pense toujours à toutes ces choses différentes dans sa tête. Le duo de travail que nous formons fonctionne parce que, si tu regardes des chansons comme « Wicked Place », nous avons un violoncelle à la fin, ça crée un bon petit final, mais ce riff, c’est du blues rock de 1970. Ça sonne comme du Foghat sous speed. Un truc cool, je trouve, est que j’ai grandi avec tout ça, donc quand j’entends une partie de ce genre que D.D. Verni me présente, il sait que je vais faire des mélodies et des paroles qui sont naturelles. Nous avons une bonne relation sans avoir à nous parler ; nous connaissons nos talents respectifs.
Quand ça fait quarante ans qu’on crée des chansons de thrash metal, est-ce difficile de continuer à faire de la musique qui sonne neuve et pas comme une resucée du passé ?
La clé est probablement – en tout cas pour moi – d’essayer de garder l’esprit ouvert. Quand j’ai entendu pour la première fois les riffs de « Fever » puis les parties calmes, je me suis dit : « Et c’est parti ! Quelqu’un cherche à faire peur. » J’ai commencé à faire des lignes de chant chuchotées, j’essayais d’être ténébreux et sérieux, et je me suis dit : « Ce doit être le truc le plus stupide que j’ai jamais fait », parce que c’est à dix mille lieues de ce qui est normal pour moi. Finalement, en gardant l’esprit ouvert, j’ai fait ce que je fais de mieux et j’ai vraiment ouvert ma voix. Je me suis demandé : « Qu’est-ce que j’aimerais vocalement pour cette partie, en m’inspirant par exemple d’une époque révolue ? » et ceci est ressorti. Je crois que j’étais en train de déambuler autour de ma maison en chantant « Over The Mountain » d’Ozzy et j’étais là : « Oh, je pense que j’ai une idée ! »
« Fever » a l’air d’être un super terrain de jeu pour utiliser les diverses nuances de ta voix…
C’était bien amusant. Quand j’ai présenté les parties calmes à D.D, il m’a demandé : « Qu’est-ce que t’as fait ?! » J’ai dit : « J’ai changé ma voix. De mes lèvres, je l’ai remise au fond de ma gorge et ça l’a clarifiée et lui a donné une énergie qui n’était pas exubérante. » Il a dit : « Ça va parfaitement avec le morceau. Quand j’ai entendu cette chanson pour la première fois et que c’est arrivé aux parties calmes, j’étais assis là, en train d’écouter sur un petit haut-parleur JBL et ma tasse de café a commencé à trembler sur la table. J’ai découvert peu de temps après qu’il avait accordé la première corde en La, de façon à ce que la fréquence remplisse la pièce, qu’une présence se crée. Quand il a dit ça, j’ai enfin compris le rôle que j’allais avoir dans ce morceau. Puis, à partir de là, les parties heavy sont venues naturellement.
Ce n’est pas la première fois que tu fais usage de ton chant clair, mais tu es principalement connu pour ta voix rugueuse intense caractéristique. Comment as-tu travaillé ta voix au fil des années ? Est-ce que le chant clair et mélodique a fait partie de ton entraînement ?
J’ai eu un souci après la première année de tournée entre les albums Feel The Fire et Taking Over. C’était dans les années 80 ; je me souciais plus des bières et des filles que de ma voix. J’ai développé ce qu’on appelle des polypes sur mes cordes vocales. C’était comme deux petites écorchures, une sur chacune, et c’était parce que je ne chantais pas correctement. Megaforce Records m’a mis en contact avec un professeur de chant à New York City, il s’appelle Don Lawrence. Ça a instantanément amélioré ma technique et m’a permis de devenir un genre d’Iron Man lors des concerts. A partir de là, je n’avais plus jamais le moindre problème quand je me préparais aux concerts et ça a déteint sur mon travail en studio. En 2012, le plus grand changement que j’ai opéré est que j’ai arrêté les Marlboro. Avant, je fumais deux paquets de cigarettes Marlboro à chaque concert. Je fumais quand je chantais ; parfois je tenais le microphone avec une cigarette dans la main. Dès que je m’en suis débarrassé, ma voix s’est ouverte. Mieux vaut tard que jamais, j’imagine ! [Rires] ça fait dix ans maintenant, et je pense que si tu compares Scorched à, même, Ironbound, la qualité du chant naturel s’est améliorée, et c’est grâce à la préparation et au fait que j’ai arrêté les cigarettes. Mais le chant clair, c’est juste une question de déplacer sa voix. Je peux la mettre vers ma tête, vers ma bouche ou vers ma poitrine. Je ne suis pas très doué là-dedans mais j’aspire à le faire mieux, comme le reste. Je me souviens du chant de ma mère avant de sa voix parlée. Elle a fait quelques albums et a chanté avec de très gros groupes dans les années 50. Elle chantait au Copacabana et a tourné avec Mitch Miller, qui avait un big band, ce gars était énorme aux Etats-Unis et ma mère était l’une de ses chanteuses. Je n’ai jamais eu peur d’essayer parce qu’il y avait toujours du chant à la maison ; de l’époque où j’étais enfant jusqu’à ce que ma mère nous quitte, elle chantait tout le temps.
« Je ne peux pas dire que je suis exactement le même gars, mais je porte le même genre de jeans Levi’s et de bottes de motard que quand j’avais vingt-deux ans. Ma tête a grandi, il y a eu une croissance, mais je pense que les principes sont relativement les mêmes. »
Es-tu devenu chanteur grâce à ta mère ?
Je pense qu’il y a des personnes qui veulent chanter et en faire leur métier. Et puis il y en a d’autres qui en ont envie mais qui ont peur de le faire. La plupart des gens normaux, tu leur donnes un microphone et, à moins qu’ils soient ivres et fassent du karaoké, ils ne veulent pas chanter parce qu’ils sont gênés. La première leçon que ma mère m’a enseignée est que c’était naturel, sans même me le dire parce que je le voyais. Elle chantait pendant qu’elle faisait le repas, pendant qu’elle me donnait un bain ou à ma sœur… C’était normal pour nous. Il n’y avait aucune peur de chanter, c’était une façon de s’exprimer.
Tu as dit qu’avec la chanson « Goin’ Home », on reconnaissait à peine que c’est du Overkill jusqu’à ce que tu commences à chanter. Penses-tu que le fait que ta voix soit si reconnaissable offre au groupe la liberté d’aller sur d’autres terrains musicaux tout en restant identifiable comme étant Overkill ?
C’est une bonne question. Je n’y ai jamais pensé. D.D. sait avec quoi il travaille, ce qui comprend moi et ma tonalité. Je ne sais pas s’il se met sur une chanson en y pensant. Je sais que lorsqu’il se met sur un morceau comme « Wicked Place » ou « Head Of A Pin » sur The Wings Of War, il sait ce qu’il obtiendra de moi. Il ne m’a jamais dit quoi chanter, il dit juste : « Dès que je fais ce genre de gros riffs, épais et trapus, je sais ce que tu vas faire, avant même de l’entendre. » Je pense qu’il y a toujours deux éléments chez Overkill qui sont identifiables : le son de basse de D.D. Verni et son placement, ainsi que ma voix. Sur cet album, j’ai eu du mal à comprendre « Goin’ Home » et son intro jusqu’à ce que le reste du morceau se mette en place et que ça arrive enfin au couplet, au pont et au refrain. C’est là que j’ai dit : « Là on comprend que c’est nous. » C’est forcément lié à moi et au fait qu’on entende la tonalité de ma voix plutôt que juste la musique, alors que quand tu écoutes « The Surgeon » et que tu entends le son de basse de D.D. Verni avant que je chante, on se dit d’emblée que ça peut être Overkill.
Nous avons parlé de ta voix, mais l’album commence avec la chanson éponyme qui est un vrai festival à la guitare et comprend une section progressive…
Je pense que la clé de cet album et d’une chanson comme « Scorched », c’est le tissage. On dirait que quelque part, à mesure que ces chansons progressent – et je pense que c’est en grande partie dû au fait que ça a mis du temps pour que l’ensemble se développe – un tissage se crée avec cette partie de guitare qui va vers un riff thrashy, puis une section progressive centrale. Après, pour que ça fonctionne, il faut le faire de façon fluide, de façon à ce que ça transitionne naturellement d’un riff à l’autre, sans donner l’impression qu’on essaye de le faire. J’ai parlé à quelqu’un de la chanson « The Surgeon » et il m’a dit : « Il y a six riffs dans ce morceau ! » J’étais là : « Tu sais, je n’y avais jamais pensé, mais le fait est qu’on a l’impression qu’il n’y en a qu’un ou deux. » C’est parce qu’ils sont enchaînés de façon fluide. Je pense que c’est ce qu’on entend dans « Scorched », ça aboutit à un riff thrashy à la fin pour que ça devienne reconnaissable, mais c’est un voyage d’une partie de guitare progressive, à une section progressive centrale, à un refrain un peu rock n’ roll… Et ne parlons même pas de la partie après le refrain, avant d’arriver au second couplet qui sonne presque comme un groupe de hardcore ! Pour moi, ce qui est cool, c’est quand on arrive à faire que toutes ces parties différentes s’enchaînent sans accroc.
Tu as déclaré avoir écrit l’album trois fois et détruit les deux premières versions parce qu’elles étaient influencées par la pandémie. Evidemment, la pandémie a été une part importante de nos vies pendant au moins deux ans, et je suppose que les artistes ont naturellement tendance à écrire sur ce qu’ils vivent pour que ce soit authentique. Alors pourquoi avoir cherché à aller à l’encontre de ça ?
Il est certain que cet album est influencé par la pandémie, car ça m’a affecté sur le plan personnel. Je ne sais pas depuis combien de temps tu suis le groupe, mais je suppose – parce que tu connais les différentes périodes – que tu sais que tout ce que j’écris ou présente, je le fais sous un jour positif. Ça peut paraître sombre, mais c’est généralement une énergie agressive positive, ce n’est pas une énergie dépressive et négative. C’était justement ce qui, pour moi, était le cancer dans ces premiers textes, ça les bouffait. J’avais l’impression que quelqu’un d’autre écrivait l’album et c’est à cause de tout, pas seulement de moi, c’était les réflexions que j’ai eues avec des amis proches que je ne pouvais voir que de temps en temps, avec qui je faisais de la moto, nous nous faisions des signes de la main à distance, nous buvions une bière dans l’allée à trois mètres de distance… C’était stupide ! Bon sang, je voulais prendre mon pote dans les bras. Je le connaissais depuis vingt-cinq ans et je ne pouvais même pas être à côté de lui ! Ma mère est tombée malade, je ne pouvais pas aller la voir à l’hôpital.
« Il y a des choses ridicules qui sont dites parce que des gens se croient permis de les dire. Ce sentiment que tout leur est permis vient de la position qu’ils croient avoir dans la chaîne alimentaire [rires], et pour moi, ce sont des conneries. »
Je suis sûr que d’autres gens ont vécu dix fois pire, ils ont perdu des êtres chers… Je me souviens, je suis allé me faire vacciner pour pouvoir tourner. J’ai cru que j’allais crever ! J’étais allongé par terre dans une flaque de bave, j’étais gelé et je me disais : « Ce n’est pas censé me sauver ?! » [Rires] Bref, je pense que ça a commencé à affecter les paroles. Ceci dit, je n’ai pas tout déchiré pour le mettre à la poubelle. J’ai probablement exagéré parce que j’ai conservé les paroles. Je ne voulais pas qu’elles disparaissent de la surface de la terre. Je voulais qu’un jour je puisse y repenser et me dire : « J’ai fini par transformer cet album en quelque chose de positif. J’ai pris quelque chose de merdique pour dire : ‘On ne va plus tolérer ces conneries. On va s’en sortir. On va se battre. Et on va le faire comme une équipe.’ » C’était l’issue positive de cet album, à mon niveau, et de ce que j’ai vécu en l’écrivant.
De toute évidence, tu avais des choses à extérioriser, un peu comme une thérapie…
Je suppose. Ça fait partie de ce que les textes sont et ont toujours été pour moi. J’écris de façon très abstraite. Je n’essaye pas de dire : « Eh, tu crains et il s’est passé ceci et cela. » C’est ce que j’ai fait sur cet album. Je ne sais pas si on peut appeler ça une thérapie, mais j’ai toujours dit que tous les deux ans, j’ai dix chansons pour confesser mes péchés. Je peux tous les poser sur papier et une fois que ça sort, ce n’a plus d’importance pour moi. Pour celui-ci, j’en ai conservé une bonne partie, mais au lieu d’accepter la négativité, je l’ai repoussée. Je pense que c’est la raison pour laquelle je suis satisfait du résultat, parce que je n’ai pas baissé les bras. Eh, suis-je flexible ? Je suppose que je le suis en fin de compte ! [Rires]
A propos de l’artwork, tu as dit que vous vouliez quelque chose qui disait « conflit ». Penses-tu que ce soit le mot clé qui définit notre époque ou, en tout cas, ces quelques dernières années ?
Je suppose, oui. Il y a des conflits mondiaux, des conflits politiques, des conflits politiques mondiaux, des conflits sociétaux… J’imagine que c’est une bonne représentation de ce qu’on observe. Encore une fois, il s’agit de les repousser, pas forcément de les accepter. L’artwork est né au fur et à mesure que l’album se développait. Nous avons suggéré à Travis Smith l’idée de l’ouroboros, le serpent circulaire qui mange sa propre queue, je crois que ça vient de la mythologie grecque. Il a commencé à utiliser notre chauve-souris à la place du serpent et ça a continuellement évolué. Il a eu l’idée de ces deux démons qui se font face et tout le monde a aimé et a dit : « Ouah, ça a fait du chemin ! » Mais l’idée du conflit n’était pas là avant que nous voyions les deux têtes qui se regardent. D’ailleurs, je ne sais même pas s’il y a un conflit. Est-ce que ce ne serait pas plus : « Eh, foutons le camp de là ! » Ou peut-être : « Eh, on se ressemble beaucoup ! » ? Il y a plein de sens subliminaux dans la façon dont l’artwork a évolué.
Tu as aussi dit que le « feu [sur l’artwork] représente les origines du groupe avec le premier album Feel The Fire ». Penses-tu qu’il soit important, en tant que groupe, de ne jamais oublier d’où on vient ?
Je pense que c’est nécessaire. J’ai toujours vécu de cette façon toute ma vie. En l’occurrence, j’adore l’histoire, c’est l’une des choses que, sur le plan personnel, je brûle d’envie d’apprendre. Pour moi, il est clair qu’il est nécessaire de pas oublier, et je n’ai jamais oublié. Je ne peux pas dire que je suis exactement le même gars, mais je porte le même genre de jeans Levi’s et de bottes de motard que quand j’avais vingt-deux ans. Ma tête a grandi, il y a eu une croissance, mais je pense que les principes sont relativement les mêmes. Et ce n’est pas difficile avec le groupe, parce que je suis resté au même niveau. Je pense que ça aurait été plus facile d’oublier d’où je viens si, en ayant transporté nous-mêmes notre matériel et emprunté de l’argent pour nous rendre aux concerts et acheter du matériel, nous étions devenus tellement riches que nous aurions oublié que nous avons été pauvres. Ceci m’a permis de gagner ma vie grâce à un travail acharné. C’est le même travail acharné que dans le temps. Je ne transporte plus les enceintes, je n’installe plus la scène, mais c’est sûr que ça reste la même mentalité.
« C’était le chaos au début de notre carrière, c’est ce qui stimulait notre énergie. Tout semblait chaotique. Nous étions toujours en retard. Il fallait toujours obtenir la date, si ce n’était pas le cas, c’était la fin du monde. Je pense que tout ça a changé. »
As-tu vu des pairs oublier ça parce que, justement, ils étaient devenus trop riches ou à cause de leur stature ?
C’est un truc sociétal. Je ne pense pas que ça ait forcément à voir avec mes pairs. Je pense que ça a à voir avec la société en général. Nous venons de parler de conflits et la plupart du temps, ceux-ci sont sociaux et politiques. Il y a des choses ridicules qui sont dites parce que des gens se croient permis de les dire. Ce sentiment que tout leur est permis vient de la position qu’ils croient avoir dans la chaîne alimentaire [rires], et pour moi, ce sont des conneries. Il y a eu un grave accident de train à East Palestine dans l’Ohio. Il y avait des produits chimiques, des feux qui ont brûlé pendant des jours, des gens ont dû quitter leur maison, l’eau a été contaminée, etc. Personne du gouvernement ne s’est rendu là-bas et parce que c’était une région favorable à Trump, quelqu’un a dit l’autre jour à la télévision : « Parce que Donald Trump a retiré la règlementation sur les trains et que vous avez voté pour lui, peut-être que vous avez ce que vous méritez. » Je pense que cette personne a oublié qui elle était. C’était aux infos et ça l’est toujours ! [Rires]
Nous parlions du feu sur l’artwork : penses-tu que tu as toujours la même flamme et la même motivation ?
Comment nous en avons parlé avant, ce sont les mêmes principales mais, encore une fois, il y a une croissance et une certaine maturité. Je pense que la maturité ressort sur cet album, d’ailleurs. Je sais que c’est censé être un gros mot quand on parle de rock n’ roll et de metal, mais c’est un album mature, en tout cas pour nous ou selon nos standards. C’était le chaos au début de notre carrière, c’est ce qui stimulait notre énergie. Tout semblait chaotique. Nous étions toujours en retard. Il fallait toujours obtenir la date, si ce n’était pas le cas, c’était la fin du monde. Je pense que tout ça a changé. Nous sommes un peu mieux organisés maintenant, mais nous avons toujours la même volonté en termes d’énergie.
Qu’en est-il des années 90, quand le thrash metal n’était plus à la mode ? Y a-t-il des moments où votre motivation a baissé ?
Non, je ne pense pas. Nous l’avons un peu vu venir. Notre management était basé à Brooklyn, New York. Notre contrat avec Atlantic était terminé. Nous savions que nous allions être lâchés. J’ai commencé à chercher des maisons de disques et je suis tombé sur une entreprise qui s’appelait CMC. C’était en 1995, c’était géré par un gars dénommé Tom Lipsky qui voyait une valeur dans le thrash et le metal des années 80 et du début des années 90, et a créé cette maison de disques. Je crois qu’il a signé Accept en premier. Il a fini par fusionner son entreprise CMC dans Sanctuary Records avec Rod Smallwood. D.D. et moi avons su tout de suite que c’était la bonne personne pour nous. J’avais une démo et j’ai conduit du New Jersey jusqu’en Caroline du Nord, ce qui faisait environ onze heures de route, pour la lui remettre personnellement sur son bureau. Donc nous n’avons pas baissé les bras, nous réfléchissions à de nouvelles façons de faire. Nous savions aussi – et ça s’est avéré – que plus c’était dur pour les autres de sortir de la musique et de tourner, plus il y aurait de place, c’est-à-dire que nous pourrions obtenir plus de dates et avoir des contrats avec des maisons de disques. Pas mal de musiciens sont rentrés chez eux et ont commencé de nouvelles carrières. Certains se sont mis à vivre chez leur mère. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait, mais un jour il y avait cent groupes de thrash et six mois plus tard, il n’y en avait plus que dix. Je pense que ça nous a vraiment ouvert la voie à cette époque. Nous avons vécu certaines de nos meilleures tournées. Il fallait juste le faire intelligemment. Il fallait que nous signions de bons contrats avec les bonnes personnes et nous avons tourné dans la plupart des endroits où nous tournions par le passé.
D’ailleurs, cette année marque les trente ans de l’album I Hear Black, qui opérait un changement de style pour Overkill et était influencé par le groove metal, mais aussi le blues, le doom et le stoner. Penses-tu que c’était une situation où il fallait évoluer, sinon le groupe serait mort à ce moment-là ?
Non, c’était des circonstances différentes. The Years Of Decay est arrivé entre 1989 et 1990, et ensuite, en 1991, nous avons fait Horrorscope. Bobby Gustafson avait quitté le groupe. C’était l’un des compositeurs principaux et, clairement, l’un des riffeurs dans le groupe. Nous l’avons remplacé par deux guitaristes, Rob Cannavino et Merritt Grant. D.D et moi avons écrit l’intégralité d’Horrorscope, nous étions les anciens dans le groupe. Horrorscope était un album de thrash saupoudré d’un peu de groove. Il y a quelques idées qui sont venues des autres gars, mais pas énormément. Nous sommes arrivés à I Hear Black et ils ont voulu composer. Ils ont tous voulu contribuer aux chansons de l’album, donc maintenant, c’était D.D. qui écrivait quatre ou cinq chansons et les deux autres, deux ou trois chacun. Ce qui s’est passé, au final, à ce moment précis est que j’écrivais mes parties avec trois compositeurs différents. Ces gars étaient plus jeunes et apportaient des morceaux plus modernes, inspirés par la côte ouest, surtout le nord-ouest des Etats-Unis et Seattle, ils étaient à fond dans Alice In Chains, les premiers Soundgarden, Temple Of The Dog, etc. Ecoute, certains de ces trucs sont super – ne te méprends pas – mais j’étais un thrasheur, je n’avais rien à foutre sur leur terrain de jeu. Je trouve que c’est un album éclectique pour l’époque, parce que si tu regardes certains morceaux dessus, comme « I Hear Black », c’est du blues, tout comme « Wicked Place » sur le nouvel album, et c’est D.D et moi qui l’avons fait. Donc, je pense que ça vient vraiment du fait que nous avions de nouveaux compositeurs dans le groupe. Après ça, nous sommes revenus à la formule traditionnelle. Nous avons écouté l’album, puis nous avons fait W.F.O. et nous avons dit : « Ecoutez, voilà comment ça va se passer. Nous faisons la composition » [rires].
« Je ne pense pas que ce soit de la colère, je pense que c’est de l’agressivité. Ce n’est pas tant négativement cérébral que positivement athlétique. »
Penses-tu que la musique d’Overkill doit forcément venir de D.D Verni et toi ?
Pas forcément, ça peut être développé au travers des autres gars et, bien sûr, ils ont le droit d’avoir des idées, mais il faut que ça commence avec D.D. et que ça finisse avec moi. C’est probablement la meilleure façon de le dire. L’idée initiale doit venir de son esprit, il pose les fondations de la maison et quand vient le moment de mettre le toit, c’est moi qui le fais. Entre ces deux moments, il peut se passer tout et n’importe quoi, et c’est pourquoi ça devient éclectique, mais si nous agissons comme les serre-livres des compositions, elles auront notre empreinte. Ceci dit, j’aime bien l’album I Hear Black. J’aurais aimé l’entendre avec une autre production. Je pense que s’il avait la production que nous avons sur Scorched, il serait perçu complètement différemment grâce au punch moderne de la batterie. Je trouve que la production sur I Hear Black est plus douce, alors que, selon moi, nous excellons davantage sur les productions plus dures.
Quand tu repenses aux débuts d’Overkill, comment comparerais-tu le groupe que vous étiez sur Feel The Fire et celui que vous êtes maintenant avec Scorched ?
La beauté de Feel The Fire est que nous étions des gamins qui s’éclataient. Nous étions en colère contre tout. Nous ne savions pas pourquoi nous étions en colère. Ça fait partie du charme de ces albums. C’est comme ça que commencent les scènes et les révolutions. Quand Kill ‘Em All de Metallica est sorti, ça a changé toute la donne. Je ne pense pas qu’il y avait la moindre règle jusque-là, et je pense que nous n’avons même jamais suivi leurs règles parce que nous avions déjà écrit notre album à ce moment-là et nous l’avions fait à notre manière. Aujourd’hui, il y a toujours cette flamme, cette envie de faire l’album ; on peut l’entendre. Quelqu’un nous offre une opportunité, nous la prenons et la pressons comme un citron pour en tirer le maximum. C’est le même principe qu’à l’époque, mais sans le chaos. C’est cette idée de tirer le maximum d’une opportunité pour y aller à fond, mais en ajoutant la maturité et l’expérience accumulée en trente-cinq ans.
Sais-tu aujourd’hui pourquoi vous êtes en colère ? D’ailleurs, puisez-vous toujours dans la colère pour faire cette musique ?
Non, et je ne pense pas que ce soit de la colère, je pense que c’est de l’agressivité. Ce n’est pas tant négativement cérébral que positivement athlétique. Les premiers albums étaient plus sombres, surtout le premier, mais avec le temps, l’obscurité était utilisée pour souligner ce qui était plus lumineux, c’était utilisé pour faire du contraste la base de l’album. D’un autre côté, tous les jeunes sont en colère contre quelque chose [rires]. Evidemment, ce n’était jamais si énervé que ça non plus. Je me suis toujours amusé à faire ça. Je me souviens quand j’étais à l’université à New York, au Manhattan College. Mon père a pris la tête de son patron pour me faire rentrer dans cette université. Une maison de disques nous a proposé un contrat en 1984 et j’ai dû lui dire que j’allais le signer. J’ai dit : « Je ne peux pas à la fois aller à l’université et être dans ce groupe si on a un contrat, ça impliquera des responsabilités. » Il m’a dit : « Je suis très déçu, mais je sais que tu veux faire ça. Mais tu dois me demander honnêtement, est-ce que c’est pour les filles et la possibilité de boire des bières gratuitement ? » J’ai dit : « Non, c’est pour l’art. » Vingt-cinq ans plus tard, je l’ai emmené à un événement sportif pour son soixante-quinzième anniversaire. Il a mis ses bras autour de moi et mon frère, et il a dit : « Je savais que cette histoire de groupe allait marcher pour toi. » Je lui ai dit : « Tu sais, en vérité, il y a vingt-cinq ans, c’était pour les filles et la possibilité de boire des bières gratuitement ! » [Rires]
En parlant d’agressivité, à propos de l’album, tu as déclaré que « ce n’est pas agressif pour être agressif ». Penses-tu qu’il y a des moments où ça a été le cas ?
Je ne pense pas. Je pense que c’est une caractéristique qui faisait partie de nous, de notre façon de composer. Nous avons pris cette agressivité et nous l’avons transformée. Nous n’avons pas fait de surplace et sans arrêt réutilisé la même chose. L’agressivité sur « Hammerhead », « Rotten To The Core » ou un autre morceau du premier album n’est pas la même que sur Necroshine, c’est un album totalement différent. C’est un album des années 90 et peut-être que beaucoup de gens l’ont oublié, mais c’est l’un des meilleurs albums que nous ayons jamais fait. La meilleure chanson que nous ayons jamais écrite est d’ailleurs « Necroshine ». Je veux dire que si vous ne pouvez pas headbanguer sur « Necroshine », c’est qu’il y a un truc qui cloche avec votre tête ou votre cou. C’est une autre approche et je pense qu’arrivés à Ironbound, en l’occurrence, nous avons réinventé notre passé. Nous sommes revenus à l’époque où c’était effectivement agressif pour être agressif, sauf que maintenant, nous utilisions l’agressivité de manière un peu plus cérébralement positive, pour faire des chansons mieux écrites. Et désormais, avec Scorched, c’est l’étape d’après, l’agressivité est toujours là, mais couplée à l’expérience et à la maturité qui manque aux cinq ou six premiers albums.
« Quelqu’un doit débarquer et foutre dehors ces vieux chnoques ! Nous ne devrions pas être là, ceci est le terrain de jeu des jeunes. Les règles ont été écrites en ce sens, c’était le point de vue des jeunes dans le temps. »
Au fil des quarante ans de carrière d’Overkill, le metal a progressivement repoussé les limites de la brutalité. Quel est ton sentiment par rapport à cette course à l’armement, pour ainsi dire ?
Je trouve que la musique extrême est nécessaire, y compris la brutalité ou ce qui apparaît comme brutal. Je ne vois pas ce genre de chose comme étant négatif. Je pense que c’est bien, c’est une expression, et en particulier une expression de la jeunesse. Ça fait une décennie voire plus que je dis : « Quelqu’un doit débarquer et foutre dehors ces vieux chnoques ! » Nous ne devrions pas être là, ceci est le terrain de jeu des jeunes. Les règles ont été écrites en ce sens, c’était le point de vue des jeunes dans le temps. Donc, si c’est ainsi que c’est exprimé, que ce soit avec le metalcore ou des trucs plus sombres en provenance de Scandinavie, je pense que c’est nécessaire. C’est juste une progression naturelle et il faut que ce soit là pour représenter ces émotions, en plus des nôtres.
Et j’imagine que ça a toujours été dans l’ADN du metal de repousser les limites…
De toute façon, qu’est-ce qu’on pourrait faire de neuf avec ? Si tu regardes Scorched, je pense que nous ne faisons strictement rien de nouveau sur cet album, mais bon sang, nous lui avons apporté de la fraîcheur. C’est l’idée. Il ne s’agit pas de prendre ce que nous avons fait par le passé et de l’abandonner en disant : « Bon, c’était nul. Il faut maintenant qu’on fasse quelque chose de nouveau parce qu’on a dépassé ça. » Ce n’est pas ça, il s’agit de rafraîchir les choses, de leur donner un son nouveau, un nouveau visage pour repousser ces limites, pour aspirer à être un meilleur guitariste, aspirer à être un meilleur chanteur et aspirer à être de meilleurs compositeurs. Je pense que c’est le résultat que nous avons obtenu et c’est quelque chose qui a toujours de la valeur toutes ces années plus tard, justement parce que les limites ont été repoussées.
Pour finir, Dave Linsk a été contraint de ne pas participer à la tournée US l’année dernière pour des « raisons personnelles » et a été temporairement remplacé par Phil Demmel. Comment avez-vous vécu ça ?
Je suis à l’aise avec Phil. Je le connais de Metal Allegiance. La seule raison pour laquelle j’ai participé à Metal Allegiance, c’est parce que Mark Menghi m’a cassé les couilles pour que j’écrive des chansons avec lui. Mais j’ai joué deux ou trois fois avec ce projet et après avoir écrit le morceau « Mother Of Sin » avec lui, Alex Skolnick et Mike Portnoy – Mike a toujours été un ami – j’ai rencontré Phil. Quand ce truc est arrivé avec Dave, j’y ai réfléchi et j’ai dit à D.D. : « Phil Demmel le fera. On n’est pas obligés d’annuler cette tournée. » C’était vraiment très facile. J’avais fait un album de reprises avec Demmel qui est sorti juste au moment où la pandémie a commencé, un album intitulé BPMD. Ce ne sont que des reprises des années 70, le genre de trucs dont nous avons parlé tout à l’heure et que je connaissais sur le bout des doigts, je n’avais même pas à les apprendre. Ils étaient là : « Ça te dit de faire une chanson de Mountain ? » J’étais là : « Laquelle ? » [rires]. Phil et moi avons de bonnes relations et il s’est très bien entendu avec les gars. C’était un choix naturel pour nous à ce moment-là et ça nous a sauvé les fesses.
Interview réalisée par téléphone le 2 mars 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Nick Fancher.
Site officiel d’Overkill : wreckingcrew.com
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C’est dommage qu’ils n est jamais eu plus de succès important, ils le méritent tellement…
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Leur dernier album est une pépite heavy trash, superbe.
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Super interview sur un de mes groups préférés
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