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Interview   

Overkill : le thrash donne des ailes !


Bientôt quarante ans d’activité ininterrompue, dix-neuf albums, Overkill n’est pas là pour enfiler des perles ! La bande à Bobby Blitz et D.D. Verni, ce sont des bosseurs qui savent qui ils sont et où ils vont. Pas le genre de gars à qui on explique le métier. Le pur état d’esprit du New Jersey, où ils ont été élevés. La crise d’identité, c’est pour les autres, pas pour eux.

Ce qui n’empêche pas le groupe, de temps en temps, de faire évoluer ou ajuster sa formule, comme sur le nouvel album The Wings Of War, qui par ailleurs accueille du sang neuf derrière les fûts : Jason Bittner. Certes, le résultat ne dépaysera pas les habitués, mais il pourra agréablement surprendre par quelques détails et par la variété des propos, allant de chansons progressives aux atmosphères travaillées à des brûlots punk-thrash.

On en parle avec un Bobby Blitz qui, s’il a participé à l’âge d’or du thrash, se refuse à tomber dans le piège du passéisme.

« Quand je fais mes parties pour Overkill, j’aspire à être meilleur. Et quand je pense à ce qui est meilleur, pour ce qui est du chant, en l’occurrence, je pense à Halford. Je le vois comme une référence. »

Radio Metal : The Wings Of War inaugure un nouveau line-up pour Overkill, en accueillant le nouveau batteur Jason Bittner. Tout d’abord, peux-tu nous parler de ce changement ? Je veux dire que Ron Lipnicki semblait être bien installé dans le groupe après cinq albums…

Bobby « Blitz » Ellsworth (chant) : Bien sûr, et évidemment il collait parfaitement, et c’était avant tout un bon ami. Ça n’a rien à voir avec quelque chose qui se serait passé en interne. C’est lié à quelque chose de personnel qu’il a dû gérer. Nous lui avons laissé la porte ouverte pendant un an. Encore aujourd’hui, je ne sais pas quel était le problème ; il ne s’est jamais posé pour nous expliquer quel était le souci, mais ça allait être impossible pour lui de tourner à cause de quelque chose chez lui. Nous l’avions remplacé par Eddy Garcia, notre sonorisateur qui a fait l’album live, mais Eddy n’était pas totalement dévoué à Overkill. Ainsi, Jason est arrivé, et avec lui, je suppose, d’excellents résultats sur The Wings Of War.

Le fait est que Ron Lipnicki a eu un grand impact sur le son du groupe sur les quatre ou cinq derniers albums. Tu nous as toi-même expliqué par le passé qu’il avait apporté une nouvelle énergie, y compris sur les anciennes chansons, et que c’était « devenu très inspirant d’avoir cette énergie exubérante ». N’aviez-vous pas peur de perdre ceci après son départ ? Penses-tu que Jason a su maintenir cette énergie ou qu’il en a amené une nouvelle ?

Je peux te dire ceci : après trente-cinq ans à faire ça, je n’ai pas peur [rires]. Ça, c’est sûr, ce n’est pas le bon mot à placer dans la question ! [Rires] Evidemment, voulions-nous que Ron parte ? Certainement pas. Nous sommes du genre à dire : « D’accord, c’est une opportunité, on ne peut pas faire un pas de côté, on doit faire un pas en avant. » Et je pense que le pas en avant, c’est Jason Bittner. C’est l’un des meilleurs batteurs dans ce type de musique, il a toujours été un metalleux, et pas forcément un metalleux moderne mais un metalleux thrasheur traditionnel, un vieil ami. Tout s’est bien goupillé. Pour nous, c’était logique de faire venir quelqu’un avec ce type d’énergie sur scène et hors scène, et c’est un putain de casse-couilles, comme le reste d’entre nous, toujours en train de se moquer de quelqu’un dans le groupe. Ça ne pouvait être qu’un changement positif. Je pense que ce qu’on entend dans l’album est le fait que nous l’avons laissé faire tout ce qu’il voulait, et nous avons embrassé ce changement. Donc, c’est sûr, il y a une différence dans cet album d’Overkill, si on compare aux albums avec Ron Lipnicki. Mais ça ne veut pas dire que celui-ci est mieux ou moins bien que l’autre, mais différent, et ça reste Overkill. Nous avons le sentiment que notre choix et les résultats obtenus sur cet album sont un vrai succès. Mais il clair que nous n’avons pas peur !

Musicalement, à certains égards, on dirait que la carrière d’Overkill fonctionne par époques, la dernière allant de Ironbound à White Devil Armory, tandis que The Grinding Wheel était un genre de transition, et désormais The Wings Of War serait le début de la nouvelle ère, avec plus de diversité et de changements de tempos. Et tu as toi-même mentionné le fait qu’un modèle avait été cassé sur ce nouvel album. Mais, de façon, générale, qu’est-ce qui déclenche ces changements d’époque et crée ces modèles sur lesquels vous travaillez sur plusieurs albums ?

Si tu regardes notre histoire, tu vois ces modèles qui se créent quand de nouveaux membres intègrent le groupe. Je pense qu’une des idées fausses au sujet d’Overkill est que D.D. et moi faisons tourner ce groupe avec une main de fer. Il est clair que c’est faux. Si de nouveaux membres arrivent, ils jouent un rôle important dans la création de ce modèle. Si tu écoutes The Grinding Wheel, et tu as dit que c’était une période de transition pour nous, Ron a enregistré cet album, mais c’était après avoir quitté la section du groupe qui part en tournée. Donc le changement était déjà en place. Je pense que quand Jason est arrivé, notre attitude est que si on accepte quelqu’un dans ce groupe, on l’accepte pour ses capacités, ses talents, ses idées. Ça montre que la différence entre, en l’occurrence, White Devil Armory, The Grinding Wheel et The Wings Of War, ce n’est pas une main de fer. C’est de dire : « Hey, on t’a fait monter à bord pour voir ce que tu pouvais faire, pour voir ce que tu pouvais nous apporter, autant qu’on peut t’apporter. » Donc je pense que c’est là que le nouveau modèle commence à prendre forme, c’est avec les nouveaux membres.

Enfin, il n’y a pas que les changements de line-up, mais il est certain que ça y contribue. En l’occurrence, ce qui se passe quand le changement est établi, c’est qu’on peut voir ça de deux façons: j’embrasse le changement ou bien je force les choses pour qu’il ne m’atteigne pas. Je regarde le changement comme ayant le potentiel d’être positif. Je n’ai jamais regardé ça de cette façon à la vieille époque – au début, j’avais peur du changement. Plus tard dans ma carrière, et dans ma vie en général, j’ai commencé à regarder le changement comme pouvant être positif. Donc si j’embrasse le changement, si les autres gars embrassent également le changement, ça nous ouvre l’esprit à différentes choses. Si tu écoutes The Wings Of War, c’est brutal et chirurgicalement précis, tout comme le jeu de batterie. A la fois, il ouvre plein d’espace pour la mélodie, si bien qu’il est devenu différent de ce qui l’a précédé. C’est en fait devenu plus heavy, mais avec plus de mélodie. C’est parce que le changement a été embrassé, pas parce que ça a été forcé dans ce qu’avait pu être notre modèle.

Même si The Wings Of War est un pur album de thrash, il possède pas mal de variations. Je pense à l’intro industrielle ou la partie ambiante, un peu horrifique à la King Diamond, dans « Bad Shit Crazy ». Est-ce votre façon, après toutes ces années, de pimenter votre musique, avec de petits ingrédients inattendus, afin que ça reste intéressant autant pour vous que pour le public ?

Il faut en premier lieu que ça soit intéressant pour nous, ou sinon on n’obtient pas une représentation pure et honnête de ce que nous avons en tête. En parlant de modèle, je pense que j’ai commencé à voir ce genre de chose apparaître dans Ironbound, où nous avons pris des riffs heavy metal traditionnels et avons mis notre marque de fabrique par-dessus afin de créer un album cohérent, et nous avons conservé le modèle de cet album pendant un peu de temps. Il y avait donc aussi des changements à l’époque. Mais là, c’est sûr que ça m’a intéressé en raison de sa diversité. Il y a « Bat Shit Crazy », évidemment, avec une section centrale ambiante, avec quelque chose possédant une atmosphère mystérieuse à côté d’un bon vieux riff thrash des années 90 mais tel que présenté en 2019, avec du chant mélodique. « Head Of A Pin », aussi, qui donne l’impression d’être du Black Sabbath sous méthamphétamines, avec de super accroches vocales. Donc je pense que l’idée est bel et bien de pimenter la musique. C’est une opportunité ; nous l’amenons chez nous et nous envoyons nos pistes en fichiers wav par mail, et on obtient la même vieille sauce, mais un album d’Overkill se transforme toujours dans une direction ou une autre. Nous pouvons être dans un modèle, nous essayons toujours de nous forcer à aller dans une autre direction, et là c’est un bon exemple.

« Le secret est de ne pas penser que ça durera quarante ans. C’est ça l’idée. Je veux dire que je ne crois toujours pas que ça durera quarante et un ans ! C’est comme ça que tu profites de chaque opportunité. »

Dirais-tu que c’est ce genre de détails et de surprises qui fait qu’Overkill sort du lot ?

C’est sûr que ça aide. Comme avec l’intro de « Distortion », quand D.D. a commencé à jouer cette basse, j’étais là : « Où va-t-il placer ça ? C’est unique. » Ensuite Dave a commencé à jouer de la guitare par-dessus la basse de D.D. Je me suis dit : « Putain, c’est majestueux ! » Ça sonne comme un roi qui descend l’avenue [petits rires], et ça c’est l’annonce du roi qui arrive. J’ai décrit ça à D.D. comme étant son moment de gloire façon Queen, car il a pu placer sa basse sous un lead à la Brian May. Et j’ai pensé que c’était si différent qu’il fallait que ça soit là-dedans. Donc je pense vraiment que ces choses sont celles qui maintiennent notre intérêt dans les opportunités qui se présentent à nous, surtout en studio.

L’album contient des titres plus progressifs, tels que « Distortion » et « Where Few Dare To Walk », mêlés à des morceaux plus directs et punk dans l’esprit, tels que « Welcome To The Garden State » ou « Believe In The Fight ». Dirais-tu que cette dynamique et variété est quelque chose que les gens ne devraient pas négliger dans un album de thrash, car autrement on pourrait facilement devenir trop homogène et donc ennuyeux ?

C’est une bonne question, mais je ne peux que parler pour moi, pas pour d’autres gens. La formule fonctionne pour moi parce que je suis égoïste. J’aime travailler avec d’autres gars qui sont égoïstes, qui voient les choses comme moi : on peut rendre ça différent, on peut rendre ça meilleur. Ça n’a rien à voir avec ce que les autres gens font. Ceci est un groupe qui a toujours fait attention à balayer devant sa porte, et à ne pas commenter pour faire remarquer à quel point c’est sale chez les autres ! [Rires] C’est la meilleure voie à prendre dans la vie, en ce qui me concerne. Je dis la vérité, car on n’entend pas beaucoup de ragots à notre sujet, on ne nous entend pas faire de commentaire sur d’autres gens – ou même nous-mêmes. Il n’y a aucun conflit interne. Nous avons de la chance d’avoir pu faire ceci pendant aussi longtemps. Mais la diversité, pour nous, émane de notre intérêt. Je suis en train de regarder quelques CD que j’ai ici, et que j’emmène dans mon garage. J’ai Reign In Blood là-dedans, mais j’ai aussi le Live At Leeds des Who, j’ai Sticky Fingers des Rolling Stones et du Napalm Death [rires]. Donc si tu regardes ce genre de diversité, ça paraît complètement logique que nous empruntions différentes directions, y compris dans un moule d’Overkill vieux, disons, de trente-cinq ans.

En parlant d’influence, « Where Few Dare To Walk » a un côté qui peut rappeler « The Thing That Should Not Be » de Metallica. Etait-ce conscient ?

Non, car cette chanson a été écrite en 1984… Nah ! [Eclate de rire] Je suis désolé ! Je pense que quand cette chanson a été faite, avant même qu’elle ait un titre, j’avais un certain sentiment quand je l’écoutais. Ce n’était pas forcément que je l’avais déjà entendue mais il y avait des nuances qui me rappelaient quelque chose. Je m’en suis même amusé, sur la feuille où j’avais écrit les paroles, en l’intitulant « Metal » [petits rires]. Donc, c’est sûr qu’elle fait penser à quelque chose de plus vieux, même si je ne crois pas qu’elle ait été directement inspirée par ça.

Tu as mentionné plus tôt « Head Of A Pin », « qui donne l’impression d’être du Black Sabbath sous méthamphétamines », et on peut aussi clairement entendre une influence de Judas Priest sur le refrain. On peut facilement considérer ces deux groupes comme étant les créateurs du heavy metal tel qu’on le connaît aujourd’hui. Etait-ce donc délibérément une forme d’hommage de votre part ?

Je ne crois pas forcément que ce soit un hommage, mais je pense que certainement, quand je fais mes parties pour Overkill, j’aspire à être meilleur. Et quand je pense à ce qui est meilleur, pour ce qui est du chant, en l’occurrence, je pense à Halford. Je le vois comme une référence. Quand je commence à me mettre sur quelque chose, quand D.D. et Dave mettent quelque chose en place pour que je le complète, et je suis impliqué dedans et je commence à avoir ces… C’est un signal. Ça me rend heureux intérieurement, ça libère de l’endorphine. C’est parce que, quelque part, j’ai déjà connu ça auparavant, que ça venait de moi ou bien de quelque chose que j’aimais. Je ne dirais pas que c’était conscient, mais je sais qu’au fond, quand cette chanson était finie, la raison pour laquelle je me sentais satisfait était que j’avais l’impression d’avoir déjà ressenti ça avant, vocalement. Je pense que tu as mis le doigt sur quelque chose en ce qui concerne Halford, c’est sûr. Pour ce qui est de l’histoire du Black Sabbath sous méthamphétamines, n’importe quel groupe qui joue une guitare en disto et un riff basé sur une seule note, qui se suffit à lui-même, et nie être fan de Black Sabbath, il se renie lui-même. Il est clair que quand j’ai entendu ce riff pour la première fois, je me suis dit : « Mec, là tout de suite, je suis quelque part à Birmingham, en Angleterre, en 1972, et putain, c’est génial ! »

Par ailleurs, j’ai lu que cette chanson est celle qui s’est le plus transformée…

Ouais, elle a traversé un certain nombre de changements. Nous aimons nous concentrer sur dix chansons. Je me souviens avoir adoré le riff. Je me souviens des gars disant qu’elle allait être différente, mais que ça allait dépendre de ce que j’allais en faire : si en l’occurrence je commence à chanter note à note ce que le riff joue, ça n’allait pas être une si grande réussite. Donc je suppose que c’est devenu la chanson qui me mettait le plus la pression. Nous n’arrêtions pas de faire des allers-retours sur cette chanson, nous étions en studio, constamment à changer des petits bouts. Chaque changement ouvrait une nouvelle porte, et je pense qu’après probablement trois mois de changements sur cette chanson, elle nous a enfin montré, assez simplement, ce que nous devions en faire. Donc je pense que les trois mois de changements, et les changements mêmes qui ont été engagés dedans musicalement, ont fait que le chant est venu naturellement. C’est donc devenu le parfait mariage. C’était un peu comme un processus de liaison amoureuse qui s’est étalé sur trois mois avant d’en venir au sexe !

« Quand tu ne te pose pas la question de ce que tu es, ça te laisse plus de temps pour faire ce que tu aimes ! »

« Welcome To The Garden State » est une chanson très punk et qui est voulue comme un résumé de l’état d’esprit du New Jersey. Mais quel est l’état d’esprit du New Jersey ?

Il faudrait que tu sois là pour comprendre ! [Rires] Disons que nous allons dans mon garage, et je travaille sur une de mes voitures. Tu es là avec moi, nous buvons une bière, et nous écoutons Reign In Blood. Tu demandes : « Tu fais quoi ? » Et je dis : « J’essaye de pousser sur le moteur parce que le démarreur déconne. » Et tu me dirais : « Eh bien, ce n’est pas comme ça qu’on ferait en France. » Et je dirais : « Putain, tu n’es plus en France, n’est-ce pas ? » Voilà comment je résumerais ça [rires]. Mais c’est plus qu’un état d’esprit. Il faut comprendre que ceci est le cœur de l’immigration américaine au vingtième siècle, et principalement de l’immigration européenne, avec des Allemands, des Irlandais, des Italiens, des Français, des Belges, des Hollandais et ainsi de suite. C’est là où les travailleurs allaient. Les riches allaient à New York City, les travailleurs au New Jersey. On aime quand les choses sont faites et on préfère les faire nous-mêmes, que ce soit le ramassage des ordures à New York City, ou le fait de conduire leurs voitures, ou construire leurs ponts, ou construire leurs villes. Je pense que cet état d’esprit, ou cette éthique de travail, est encore inculqué parmi ma génération. Mes grands-parents étaient des immigrés, mes oncles étaient la première génération, ils m’ont très simplement dit : « Travaille dur et ferme ta gueule ! » Je pense que c’est quelque chose qu’Overkill a toujours embrassé, et c’est pourquoi nous le revendiquons. Disons que nous pensons localement mais agissons globalement.

La chanson démarre sur un extrait de la série télé The Sopranos, disant : « Franchement, tu as un problème avec l’autorité. » « Avec tout le respect que je te dois, putain tu n’as aucune idée de ce que c’est d’être numéro un. » As-tu toi-même eu un problème avec l’autorité ?

Est-ce que ça ne fait pas partie de toute notre scène musicale ? Notre scène ne repose-t-elle pas sur le fait de dire : « Non, je ne fais pas ça ! » ? « Non, je ne fais pas ça, je fais ça ! » Je veux dire, écoute, plus tard dans la vie, c’est un petit peu différent, je parle avec mon expérience, mais la raison pour laquelle ça a débuté, c’était pour ne pas se soumettre à l’autorité, que ce soit la scène thrash ou celle qui lui a précédé, la scène punk, que nous avons toujours portée en nous, et en particulier sur une chanson comme « Welcome To The Garden State ». Donc je pense que le fait d’utiliser le terme « autorité », suivi d’une chanson thrash-punk, crée un mariage au paradis du chaos. Très simplement, c’était juste une putain de citation amusante pour faire référence aux gens qui ont grandi dans un Etat qui, probablement, a le plus de caractère parmi les cinquante ! [Petits rires]

Vous avez une chanson intitulée « Distortion ». Ça fait presque quarante ans que vous vous basez sur la distorsion pour créer et délivrer votre musique. Mais qu’est-ce que la distorsion représente ?

Je préfère t’expliquer à quel propos j’ai écrit la chanson, peut-être que ce sera un peu plus compréhensible. C’était très simple pour moi. Dave, notre guitariste, est amoureux de son matos, il adore chaque élément qui le constitue ! Il en a construit certains, il an a bidouillé d’autres… Quand nous passons par la sécurité à l’aéroport de New York, ou dès que nous atterrissons à Paris ou à Zurich, ils inspectent son matériel et débranchent tout, ils mettent ça sens dessus dessous, parfois ils cassent des choses, et ça le fout dans une sacrée rogne quand ensuite il regarde l’état de son matos, mais après, il passe toute une journée pour retrouver sa distorsion. C’est une histoire d’amour telle que je n’en ai jamais vu de toute ma vie ! Et toute la chanson est au sujet de lui parlant à son matos : « Tu es la seule en laquelle j’ai confiance et ne t’inquiète pas, je vais arranger les choses. » Ce genre de truc. Mais j’ai toujours trouvé qu’il était une force motrice dans ce groupe avec sa distorsion. Il a peut-être une façon tordue de penser [petits rires] et peut-être une façon tordue de jouer, mais au bout du compte, il est toujours là à neuf heures trente quand la musique d’introduction démarre, peu importe les conneries qui ont pu se passer avant. C’est donc véritablement une chanson sur le dévouement, et en particulier le dévouement envers cette distorsion.

Il se trouve que tu as toi-même une distorsion naturelle dans ta voix. Est-ce que le fait de chanter par-dessus des guitares distordues a façonné cette voix ?

Elle est comme elle est. Ma voix est une voix parlée et chantée qui porte. J’ai été un fumeur de cigarettes pendant trente ans… C’est comme ça que ça sort. C’était une façon de me présenter complètement naturelle. Si ça ne l’avait pas été, ça voudrait dire que je force sur mes cordes vocales. Or si je forçais sur mes cordes vocales, je n’aurais pas pu faire ça sur dix-neuf albums. C’était donc ainsi que ma voix fonctionnait naturellement, pour ce qui est de faire vibrer l’air entre mes cordes vocales. Donc, en faisant ça naturellement, ça a en réalité préservé mes cordes vocales, au lieu de les briser. Mais aussi, comme je l’ai dit plus tôt, en mentionnant Halford : j’aspire à être meilleur. Donc j’essaye toujours de faire des choses différentes avec ma voix. Je pense que de l’extérieur, on pourrait me voir comme quelqu’un de limité, mais quand on connaît le groupe de l’intérieur, ou même quand on écoute les différences entre The Wings Of War et un album des années 90, il y des choses assez différentes que j’essaye de faire. On a parlé de nuances, on a parlé de chant plus doux… Comme je disais, j’ai à la base une voix distordue, et je sais que je sonne comme si j’avais bu trop de whisky ou fumé un cigare avant d’enregistrer une piste de chant, mais j’ai quand même envie d’être un meilleur chanteur. Dans ma tête, je m’en éloigne, mais dans la réalité, je ne fais que m’améliorer dans mon propre modèle.

« Ça ne m’a jamais posé problème de vieillir, ça ne m’a jamais posé problème d’appeler ça “ma vie”, et ça ne m’a jamais posé problème de voir les changements s’appliquer sur celle-ci. Je pense qu’il est bien plus important de valoriser le présent. […] Nous voulons être fiers et qu’on se souvienne et nous célèbre pour ce que nous sommes, pas ce que nous étions. »

Tu délivres de façon tout à fait appropriée l’une de tes prestations vocales les plus folles sur « Bad Shit Crazy ». Est-ce que cette folie est authentique ou bien c’est plus comme un jeu d’acteur ?

Ces notes sont assez simples à atteindre pour moi, ce n’est pas quelque chose qui était, disons, hors de mon domaine de… je ne vais pas employer le terme « talent » mais plutôt « présentation ». L’idée de la chanson, au niveau des paroles, est : « Où est passé le bon sens ? » Et je crois vraiment que quand on s’apprête à présenter quelque chose, il faut se mettre dans l’état d’esprit. On ne peut pas être dans le même état d’esprit pour chaque présentation, et c’est pourquoi l’état d’esprit est différent entre, disons, « Bat Shit Crazy » et « Distortion ». Donc bien sûr, je me suis mis dans cet état d’esprit et l’ai interprété avec la mentalité qui va bien.

Une chanson invite l’auditeur à la responsabilisation : « Believe In The Fight ». Mais toi, en quel combat crois-tu ?

Ceci, dans un certain sens, est une expérience spirituelle pour les gens. Je sais ce que c’est pour moi. Le fait de pouvoir faire partie de quelque chose est… Ce sentiment d’unité est un sentiment de puissance, et c’est ce que cette carrière m’a donné. Et ça a toujours été un combat du point de vue extérieur. Après, ce combat est une métaphore, vraiment, pour une approche unifiée des choses, une approche unifiée pour ce en quoi on croit en tant que groupe, pas forcément Overkill mais la scène en général. C’est une des choses que j’ai apprises au fil des années : quand on n’a notre place presque nulle part, ici, il ne faut pas grand-chose pour trouver sa place, il suffit de croire qu’on est là tous ensemble. C’est probablement l’un des genres musicaux les plus tolérants qui existent sur Terre. Je veux dire, combien de problèmes a-t-on dans le metal ? Aucun ! Il n’y a pas de connerie, on n’est pas là à s’insulter, on ne se fout pas sur la gueule avec nos poings ; on se retrouve au Hellfest, on boit une bière et on headbang ! C’est putain de religieux ! C’est plutôt bon comme combat ! [Rires]

The Wings Of War est votre dix-neuvième album et l’année prochaine marquera les quarante ans d’Overkill ; c’est une longévité impressionnante, surtout que, à l’inverse de beaucoup de groupes, vous ne vous êtes jamais séparés et avez avec constance sorti de nouveaux albums tous les deux ou trois ans. On dirait que rien ne peut vous arrêter. Penses-tu qu’Overkill sera le dernier groupe de votre génération encore debout quand tous les autres auront disparu ?

Le secret est de ne pas penser que ça durera quarante ans. C’est ça l’idée. Je veux dire que je ne crois toujours pas que ça durera quarante et un ans ! C’est comme ça que tu profites de chaque opportunité. Si tu penses avoir plusieurs opportunités, alors tu commences à les prendre pour acquises. Si tu penses que tu n’as que celle que tu as en face de toi et que tu t’investis à fond dedans, alors il y a plus de chances qu’une autre opportunité se présente à toi. Je n’avais pas forcément conscience de ce principe auparavant, mais j’en ai conscience désormais, avec le recul ; je ne savais pas qu’il y aurait un troisième, quatrième ou cinquième album, je savais juste qu’il y aurait « celui-là » et que je devais tout lui donner. Je pense que c’est pareil pour D.D. et les autres gars. « Faisons celui-ci. Concentrons-nous dessus. C’est plus important. » Je ne vais pas changer mes principes aujourd’hui. Je pense que ça m’a bien réussi jusqu’à présent de prendre les opportunités les unes après les autres, c’est comme ça qu’on obtient dix-neuf albums.

C’est ce que je vais continuer à faire tant que les opportunités se présentent à moi, tant que j’apprécie ce que je fais et tant que je suis physiquement capable de le faire. Je veux dire que ce n’est plus une carrière. C’est une vie ! C’est aussi simple que ça. Ceci m’a tout donné. C’est ce que j’ai fait toute ma vie d’adulte. C’est là où je me suis fait tous mes amis et ai connu toutes mes relations en tant qu’adulte. C’est ce qui m’a donné tout mon business. Ça m’a offert une vie convenable. Ça m’a appris des principes. Ça m’a appris la fidélité et le dévouement. J’ai aujourd’hui une relation de quarante ans avec D.D. Verni. C’est dingue ! Les seules personnes que je connais depuis plus longtemps sont mes frères et sœurs et ma mère. Ça a été incroyablement épanouissant. Ça a comblé un vide. Genre : « Quelle a été ta vie ? » « Eh bien, je l’ai vécue avec de bons amis et en portant des bottes de motard et des jeans Levis ! On s’est éclatés ! » Ça atteste d’une vie bien vécue.

Non seulement vous avez sorti vos albums à rythme constant, mais vous avez toujours conservé une cohérence dans votre musique, là où nombre de vos pairs dans le thrash ont, à un moment ou un autre, tenté de changer leur son. N’avez-vous jamais connu ce genre de crise d’identité ?

Non [rires]. Je n’ai jamais connu ça. J’ai su ce que j’étais très tôt dans ma carrière. J’étais juste ce gars du New Jersey avec un super partenaire qui voulait headbanguer partout dans le monde. Ce n’était pas compliqué. J’adore quand les gens se mettent à faire de la politique, quand les musiciens commencent à faire des commentaires politiques : « On devrait faire ci, on devrait faire ça. » Et je me dis : « Bon sang, ce gars a sorti trois albums, il a maintenant du succès et il croit être plus intelligent qu’il l’était sur le premier album ! » [Rires] Pour moi, c’est très simple : je suis le même gars que sur le premier album. C’est juste que l’expérience a modéré mon attitude envers les choses, mais mon regard n’a jamais changé. Quand tu ne te poses pas la question de ce que tu es, ça te laisse plus de temps pour faire ce que tu aimes ! Si tu cherches à savoir qui tu es à la moitié de ta vie… Je détesterais avoir quarante ans et dire : « Oh, je ne suis pas ça ! » Quand j’ai eu quarante ans, je savais ce que j’étais : un metalleux ! Je n’en ai pas fait tout un drame. J’aimais ça ! Je ne ressentais pas le besoin que les gens me glorifient parce que maintenant j’étais un rappeur, en l’occurrence. Je voulais simplement faire ce que je faisais. La glorification était intérieure. Ça n’avait rien à voir avec les louanges extérieures. Ça n’avait rien à voir avec les félicitations : « Hey, écoute mec, putain c’est génial ton truc ! » Si tu n’es pas capable de te sentir bien avec toi-même quand tu appuies sur le bouton « enregistrer » ou si tu as des doutes, alors bordel, t’es au mauvais endroit ! Pour nous, c’était tout simple !

« J’ai envie de croire, et je le crois, quand je suis en train d’enregistrer un album tel que The Wings Of War, que je joue dans le meilleur groupe de heavy metal au monde ! Que les autres aillent au diable ! C’est avec cet état d’esprit qu’il faut enregistrer [rires]. »

Tu as déclaré que quand tu penses à votre premier album Feel The Fire, ça t’évoque le chaos. C’était chaotique, il n’y avait aucun plan. Quarante ans plus tard, y a-t-il un plan désormais ?

Je pense que le plan est de rester dans la course. Quand je parle de plan dans les années 80, c’était parce que les choses étaient créées au jour le jour. Il n’y avait aucun modèle à suivre. C’était l’infusion du punk dans la new wave of British heavy metal, et ça avait lieu simultanément en Allemagne, à Paris, à Londres, sur la côte ouest, dans la Bay Area, à certains endroits en Asie et ailleurs partout dans le monde. Donc personne n’avait de schéma en tête. C’est ce que je voulais dire par « chaos ». Nous ne savions pas ce que nous étions en train de faire, nous savions juste que ça nous faisait du bien. Je pense qu’aujourd’hui, on parle avec l’expérience, sachant, en l’occurrence, quand taper du poing sur la table, quand charger le flingue. Ceci étant dit, je pense vraiment qu’il devrait y avoir une place pour les jeunes. L’expérience en fait partie mais vu que le thrash a été créé basé sur une voix dans l’obscurité, sur l’angoisse existentielle, sur une énergie agressive, c’est quelque chose fait pour les jeunes, et je pense que ça finira par redevenir comme ça, si ce style de musique est autorisé à survivre à une autre génération.

Est-ce que parfois ces années-là, où tout était encore à faire dans ce style de musique qui était tout neuf, te manquent ?

Ça ne me manque pas parce que j’ai fait partie de l’aventure. Je veux dire que je l’ai vécu, donc ça ne me manque pas. Je ne pense pas qu’on soit mal en 2019. Des gars sont déjà venus me voir et m’ont dit : « Oh, c’est bien mais ce n’est pas comme au bon vieux temps. » J’étais là : « Bordel, mais sois attentif, mec ! Il y a de la putain de bonne musique en 2018, 2019 et j’espère qu’il y en aura en 2020 ! » En termes de qualité, on ne manque pas d’argument aujourd’hui non plus. Donc ce n’est pas aussi simple, on ne peut pas juste dire : « Est-ce que ‘ceci’ te manque ? » Il y a tellement d’éléments différents qui ont fait que cette époque était ce qu’elle était, et elle est devenue ce qu’on connaît aujourd’hui, où il y a davantage d’éléments. Donc cette époque ne me manque pas forcément ; ça ne m’a jamais posé problème de vieillir, ça ne m’a jamais posé problème d’appeler ça « ma vie », et ça ne m’a jamais posé problème de voir les changements s’appliquer sur celle-ci. Je pense qu’il est bien plus important de valoriser le présent. Nous sommes des gens fiers. Nous sommes fiers de toujours avoir les ailes de guerre pour partir en tournée, et de dire « non, il ne s’agit pas de 1992 ou 1989, il s’agit d’aujourd’hui ». Être pertinent aujourd’hui est vraiment l’élément vital permettant de continuer, et je crois qu’Overkill a toujours tenu ce principe très près de nos cœurs. Nous ne voulons pas nous sentir embarrassés et qu’on pense à nous pour ce que nous avons été. Nous voulons être fiers et qu’on se souvienne et nous célèbre pour ce que nous sommes, pas ce que nous étions. Evidemment que c’était excitant, le fait que ça n’avait jamais été fait avant, oui. Mais c’est tout aussi excitant aujourd’hui que ça existe depuis aussi longtemps. Je suppose que c’est un compromis. Mais c’est sûr qu’il y a eu des moments spéciaux dans les années 80.

Avec D.D. vous disiez que dans le temps, il y avait une saine compétition entre les groupes de thrash, surtout entre la côte est et la côte ouest. Il y a toujours une compétition entre groupes aujourd’hui, mais penses-tu qu’elle soit toujours saine ?

Je pense que nous venions tous du même moule. Nous avions la même ADN. Ils étaient probablement plus exposés au punk rock de la côte ouest, en l’occurrence, alors que nous étions exposés à la scène qui explosait à New York : les Ramones, les New York Dolls, les Heartbreakers, Television, les Dead Boys ont déménagé ici, Iggy Pop traînait dans les parages, etc. C’est assez cool d’utiliser l’énergie d’une scène quand celle-ci débute. Je pense qu’aujourd’hui, la compétition est… Evidemment, tu as envie d’être meilleur, évidemment tu as envie de gagner sur scène, mais ça n’a jamais été autre chose qu’une compétition saine et amicale. En aucun cas il n’y avait de jalousie ou de « oh, il est nul ! », pas d’après mon expérience. Et je crois que c’est encore vrai aujourd’hui. Bien sûr, par fierté, on a envie d’être meilleurs. J’ai envie de croire, et je le crois, quand je suis en train d’enregistrer un album tel que The Wings Of War, que je joue dans le meilleur groupe de heavy metal au monde ! Que les autres aillent au diable ! C’est avec cet état d’esprit qu’il faut enregistrer [rires]. Tu n’enregistre pas en disant : « Oh, ouais, on est plutôt bons, mais ces gars sont meilleurs. » Car alors pourquoi tu le fais ? Donc je pense que c’est différent, c’est sûr, à cause du côté création versus l’expérience, mais ça reste sain.

On a parlé plus tôt de Black Sabbath et Judas Priest. Le premier a pris sa retraite et l’autre a perdu ses deux guitaristes emblématiques et nombreux sont-ils à penser que le groupe ne va pas tarder a également prendre sa retraite. Puis Motörhead, qui a été également une grande influence pour Overkill, n’existe plus…

Je pense que tout a une fin. Il faut être réaliste et profiter du moment présent. Comme je disais, je veux faire ça tant que j’en suis physiquement capable, tant que j’ai quelque chose à offrir, tant que ça continue de m’exciter et que ça me donne le feu. C’est très simple. Est-ce que la situation actuelle m’attriste ? Non, pas en général, parce que je pense que nous avons tellement de choix que nous sommes pourris gâtés. Est-ce que je pense que la disparition de Slayer sera une chose horrible ? Ça va de toute façon prendre quatre ans à Slayer pour disparaître ! Il pourrait même y avoir un autre album ! [Rires] Soyons honnêtes ! Enfin, j’adore Tom [Araya]. C’est un mec sympa. Je sais que c’est un homme de famille. Je respecte totalement ça, qu’importe ses motivations. C’est son monde. Vis-le, frangin, embrasse-le. Tu as eu un énorme impact sur le monde du metal, et pour ça, on se souviendra toujours de toi et on t’appréciera toujours. C’est aussi simple que ça. D’un autre côté, hey, écoute, j’ai vu je ne sais pas combien de fois les Scorpions sur leur dernière tournée ! [Rires] Et ils n’ont jamais été aussi bons, c’est incroyable !

On a aussi l’exemple des Mötley Crüe qui se sont arrêtés et ont signé un contrat pour ne pas revenir…

Je pense que l’expression « contrat » a été inventée pour être rompue. Ça a même été breveté par Nikki Sixx [rires].

Interview réalisée par téléphone le 18 février 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Julien Morel & Nicolas Gricourt.
Traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel d’Overkill : www.wreckingcrew.com

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