Daniel Gildenlöw fait partie de ces artistes avec qui on pourrait discuter des heures durant. Alors, lors de notre dernière rencontre téléphonique, à l’occasion de la sortie du nouvel album de Pain Of Salvation, In The Passing Light Of Day, lorsqu’après quarante-cinq minutes d’échanges passionnants nous avons dû raccrocher, il nous restait encore tant de choses sur lesquelles le questionner, d’autant plus avec un album offrant tant de matière à analyser, discuter, etc.
De passage dans la capitale des Gaules pour la tournée en soutien de l’album, une paire d’heures avant qu’il ne monte sur scène, nous en avons donc profité pour poursuivre nos échanges dans les loges du Ninkasi Kao, en guise de seconde partie à l’interview publiée en janvier. Au programme : sa relation à la mort après l’avoir frôlée, la symbolique de la pochette d’album, le « recyclage » dont a fait l’objet le single « Meaningless », son rapport singulier aux solos de guitare, les péripéties de son alter ego Mr. M dans les couloirs hospitaliers et son expérience à chanter du Dream Theater aux côtés de Mike Portnoy.
Mais en préambule, il nous fait part d’un regret, celui de n’avoir jamais le temps de visiter les villes dans lesquelles il se rend en tournée : « Lorsque tu es en tournée ton emploi du temps quotidien devient vraiment le bordel. Hier nous avons commencé à jouer à dix heures, ce qui veut dire que tu as fini après minuit et ensuite nous rencontrons les fans, et ça a pris quelques heures, et puis tu charges le bus, tu montes dans le bus, ça prend quelques heures avant que le bus ne parte, et puis tu commences à regarder un film… Tout d’un coup, il est neuf heures du matin et tu vas te coucher [petits rires]. Tu te réveilles à trois heures de l’après midi [rires]. Et à trois heures trente, c’est l’heure de faire les balances ! Voilà comment la journée se passe. Tu vas dans une autre ville et tu dis ‘eh bien, ça aurait été une ville sympa à découvrir, mais nous avons les balances, et ensuite on doit manger, et puis des interviews, et puis le concert…' »
« Toute l’expérience que j’ai est basée sur le fait d’être en vie. Je n’ai strictement aucune expérience de moi étant mort [petits rires]. En conséquence, je dois être immortel ! »
Radio Metal : Après tout ce que tu as traversé et qui est documenté dans le nouvel album, In The Passing Light Of Day, quelle est ta relation à la mort aujourd’hui ? Tu as dit que ta maladie n’avait pas changé ta façon de voir la vie mais que ça l’avait intensifiée, mais est-ce que ça a changé ta façon de voir la mort ? Conserves-tu ce sentiment d’acceptation, même maintenant que tu es complètement rétabli ?
Daniel Gildenlöw (chant & guitare) : Non [rires]. Cette acceptation est très dépendante de… Je suppose que c’est pareil lorsque tu as un rhume et… Car je pense que tout le monde, au fond de lui-même, pense : « Si j’avais le cancer, je me battrais ! Je n’abandonnerais pas ! » Et puis tu attrapes un très mauvais rhume et là, tu es prêt à mourir. Genre, le troisième jour d’un très mauvais rhume, tu es là : « C’est bon achève-moi maintenant, achève-moi ! » Donc je pense que c’est très lié à l’état émotionnel dans lequel tu entres lorsque tu subis une violente douleur ou une situation désespérée. Je me souviens une fois, j’étais dans un avion et il s’est passé ce truc où tu as toujours peur, à un certain niveau, que tout d’un coup, le système d’avertissement s’allume et dit que tu dois mettre ton masque, et « ceci n’est pas un exercice, je répète, ceci n’est pas un exercice. Nous perdons de la pression dans la cabine. » Et une partie de toi se dit : « Ça doit être une blague. Je veux dire, ça ne peut pas être vrai. C’est forcément une plaisanterie. » Et puis tu te dis : « Attends une seconde, ils ne plaisanteraient pas avec ça. Ce serait vraiment, vraiment mal ! Ils ne peuvent pas plaisanter, car ils font fonctionner une compagnie aérienne ! Ce sont des pilotes et stewards, ils ne plaisanteraient pas ! Pas à propos de ça ! Donc ça doit être vrai, ce qui est bizarre… » Et tu es très haut dans le ciel [rires], tu es là : « Si on perd de la pression, soit on va tomber vraiment très vite, soit on va manquer d’air. » [Petits rires] Et les masques ne sont pas tombés ! Et tu pouvais voir des gens paniquer, et pour une raison, lorsque les choses sont très proches de… J’ai connu plusieurs situations où j’étais à deux doigts de crasher et j’ai même crashé ma voiture à un moment, je suis toujours très calme et je fais toujours exactement ce qu’il faut. Et j’avais un sentiment lorsque ceci s’est produit dans l’avion, je me disais : « Bon, il n’y a rien que je puisse faire. Si on s’écrase et qu’on meure, alors c’est ce qu’il se passera, je ne peux rien y faire. » Et il y avait de la sérénité là-dedans. Et cette sérénité, tu ne l’as pas lorsque tu penses à cette situation, tu l’as seulement quand tu es dans la situation.
Donc non, je pense que je ne vais jamais accepter à un niveau émotionnel que nous allons mourir, que je vais mourir ou que quiconque m’est cher va mourir. Intellectuellement, je l’ai accepté lorsque j’étais enfant, car j’y pensais beaucoup, car nous avons cette chose rare en tant qu’espèce, qui est que nous arrivons dans ce monde et à un très jeune âge, nous comprenons que nous allons mourir. Je pense que très peu d’animaux ont ça [petits rires], le fait de savoir, chaque jour où on se lève, que « ok, c’est un jour de plus à être en vie, après tous ces jours, il y aura plein, plein, plein de jours où je serai mort. » C’est donc un truc étrange. Comme je ne crois pas en une quelconque vie après la mort ou un quelconque dieu, tout du moins pas sous une perspective religieuse humaine, je n’ai pas le luxe de penser que quoi qu’il se passera après ma mort sera autre chose. Je suis douloureusement convaincu que lorsque je vais mourir, je ne vais simplement plus exister et je vais oublier avoir jamais existé, et c’est une idée qui est très dure à porter chaque jour de ta vie, et émotionnellement, tu n’arrives pas à accepter ce concept. Intellectuellement, tu peux, ce n’est pas un problème ; émotionnellement non, c’est comme si une autre partie de toi continuait à croire fermement que nous sommes immortels, car nous basons toute notre vie sur l’expérience, n’est-ce pas ? Et toute l’expérience que j’ai est basée sur le fait d’être en vie. Je n’ai strictement aucune expérience de moi étant mort [petits rires]. En conséquence, je dois être immortel ! Toute mon expérience dit que je suis en vie et que je vais continuer à l’être, donc… [Rires] Je n’ai aucune autre expérience ! Si ce n’est des expériences de seconde-main, et on ne les juge pas aussi fortement émotionnellement. Donc, non, mon acceptation n’est pas du tout plus grande. Ou plutôt, mon acceptation est probablement là mais ma tolérance pour elle ne l’est pas. Je ne sais pas, c’est juste que je vais continuer à lutter contre cette notion aussi longtemps que je vis, je pense.
Comme The Perfect Element se focalisait sur la formation de l’individu, remontant jusqu’à des événements de l’enfance, dirais-tu qu’In The Passing Light Of Day explore l’autre bout du spectre de la vie, en réfléchissant sous la perspective de la mort ?
C’est le cas, d’une certaine façon. En fait, je pense qu’ils sont toujours dans une certaine communication. Le début de la vie et la fin de la vie sont toujours en lien, d’une manière ou d’une autre. Tu sors de la non-existence au début et tu retournes à la non-existence à la fin. Donc, c’est sûr, dans n’importe quelle histoire d’adolescence sur The Perfect Element, la présence de la mort est toujours là, d’une certaine façon ; c’est un peu une sous-couche. Pour cet album, même s’il est écrit pour être vu comme ce premier jour à l’hôpital, combattant toutes ces pensées à propos de la mort et la vie, il renvoie jusqu’à la formation de l’individu. Comme dans la chanson « In The Passing Light Of Day », tu peux voir que l’adolescence et la formation de l’individu, en gros, le fait de mettre tout ça… Par exemple, lorsque tu fais face à la possibilité de ta propre mort, toutes les choses que tu as vues dans ta vie, toutes les choses que tu as vécues représentent l’autre côté de l’échelle ; c’est tout ce que tu as à perdre, c’est tout ce que tu as, c’est tout ce que tu es, et c’est ce qui est dans l’autre partie de l’échelle, et ici c’est la mort. Donc regarder la mort revient toujours à regarder la vie, et regarder la vie revient toujours à regarder la mort, comme deux faces d’une même pièce, ce qui rend la chose un peu plus belle et un peu plus putain de pénible [rires].
L’illustration d’In The Passing Light Of Day est assez intriguante. Elle montre ton fils en train de dessiner un soleil sur ton dos. Qu’est-ce que ça symbolise, quelle est l’idée derrière cette image ?
Je voulais avoir quelque chose d’intime et qui représente ce qu’est l’album, car l’album est très fort et aussi très fragile, c’est un mélange d’une grande fragilité et d’une grande force, ce qui est, je pense, l’une des marques de fabrique de Pain Of Salvation. D’abord, rien que le fait que ce soit moi et mon fils rend ça plus fort, je trouve, que si ça a avait juste été n’importe qui sur l’illustration, c’est plus authentique ainsi. Et le soleil est l’un des thèmes les plus proéminents de tout le concept de l’album. Il représente le soleil un peu à la façon d’Icare, les choses qu’on veut accomplir et celles pour lesquelles on se battra pour les atteindre, et parfois en allant trop loin dans cette quête de connaissance ou peu importe ce que l’on met en si haute estime que l’on acceptera de se blesser et blesser les autres. Mais aussi, pour moi, le soleil a toujours été un symbole très fort de la vie. Si j’avais une quelconque sorte de Dieu, ce serait le soleil [rires]. J’adore le soleil ! Il est parfait ! Pour nous il est parfait ! Et aussi, c’est un symbole de lumière et ça devient un symbole de… Car c’est ça l’histoire, c’est le titre de l’album dans son ensemble, In The Passing Light Of Day. C’est la lumière du jour, d’une certaine façon. Je veux dire que le soleil, c’est lui qui produit la lumière du jour. Et comme la vie, dans cette histoire, est une sorte de parabole d’un jour, de bien des façons, tu prends vie, ça c’est le jour, et plus tu vis, plus tu vieillis, plus le soleil va commencer à baisser, tu as ton coucher de soleil de vie, et parfois il se produit plus tôt que prévu, tu ne sais jamais quand il se produira. Mais à partir du moment où l’on comprend que l’on est mortel, ce qui arrive assez tôt pour les humains, chaque jour à partir de là vivra sous l’ombre… [Il hésite] l’ombre de la vallée de la mort, ou peu importe. On sait que le soleil va partir, qu’il va se coucher. Donc à partir de ce moment-là, on commence à regarder le soleil et se dire : « Est-ce qu’il a baissé aujourd’hui ? » Chaque année qui passe, tu te rapproches du coucher. Donc le soleil est un symbole très fort, mais bien sûr, c’est aussi un symbole très fort de la lumière, simplement, quelque chose qui repousse l’obscurité.
« Regarder la mort revient toujours à regarder la vie, et regarder la vie revient toujours à regarder la mort, comme deux faces d’une même pièce, ce qui rend la chose un peu plus belle et un peu plus putain de pénible [rires]. »
Donc toutes ces choses, je pense, sont combinées, et c’est une moitié de soleil. C’est possiblement un soleil en cours de réalisation, qui deviendra un soleil complet ou peut-être qu’il ne sera jamais entier, peut-être est-ce l’idée avec le soleil, c’est qu’il n’est pas achevé, comme la vie elle-même, rien n’est jamais achevé. Et aussi, il y a cette notion de famille et de tribu que j’ai dans « Full Throttle Tribe ». C’est une peinture de guerre paisible. En allant sous cette pluie, en affrontant ce jour rugueux et glacial, apporte le soleil, je vais peindre un soleil sur toi, le soleil sera avec toi, mon soleil que j’aurais peint sur toi. Il y a une symbolique forte là-dedans, qui exprime à quel point tu peux être fort dans des situations difficiles grâce à l’amour des gens qui sont proches de toi. Ceci dit, je pense qu’il était important pour moi de donner l’air, sur l’image, que j’étais conscient de ce qu’on me faisait. Genre, je n’y prêtais pas trop attention mais tout comme un guerrier qui s’apprêterait à partir au combat et étant conscient de l’importance du rituel, comme quelque chose que l’on fait ensemble, qui va m’aider, à laquelle j’attacherai de l’importance lorsque je partirai. C’est ce que j’ai pensé lorsque j’étais là-debout, ce qui était assez curieux en soi [rires]. Donc ouais, c’est un mélange de toutes ces choses.
Et puis c’était quelque chose de très amusant à faire, qu’il peigne sur mon dos ! [Rires] Ca faisait longtemps que je cherchais un symbole ; j’ai fait toutes sortes de symboles sur papier, a essayer de trouver le bon, et puis j’ai eu l’idée de cette moitié de soleil, « essayons ça ». Pour l’essayer, je l’ai d’abord peint sur le dos du photographe, Lars, et nous avons pris des photos juste pour voir, « ah, ça va marcher ! » Donc, ensuite, ma femme a dû le copier de son dos sur le mien, elle regardait comment je l’avais fait sur son dos et l’a reproduit aussi fidèlement que possible sur le mien, sans le remplir complètement pour que Nimh, mon fils cadet, fasse le reste. Je lui ai donné de la peinture noire et j’ai dit : « Continue à remplir ces formes. » Il l’a fait et après quelques heures, j’ai dit : « Je crois qu’on a assez de photos de ce soleil. Vas-y lâche toi, fais ce que tu veux ! » Et il a continué, il a fait le soleil entier, il a fait un visage dans le soleil et il a continué, il a fait plein de trucs différents, et puis vers la fin il y a quelques photos où il se tourne vers l’appareil photo avec ses mains toutes noires et un énorme sourire sur son visage, genre « yeah ! » [Rires]. C’était vraiment marrant et une chouette après-midi que nous avons passée à faire cette illustration.
La chanson « Meaningless » est en fait une version retravaillée de la chanson « Rockers Don’t Bath » de l’autre groupe de Ragnar, Sign. Comment vous êtes-vous retrouvés à « recycler » cette chanson ?
[Petits rires] Il a dit qu’il avait une chanson dont il trouvait qu’elle pouvait coller à l’album. Il l’a jouée, j’avais le sentiment qu’elle avait peut-être besoin d’une autre fin, mais elle semblait être une bonne chanson sur laquelle travailler, surtout compte tenu du refrain. Et il a dit qu’elle n’avait pas été officiellement sortie. Donc c’était plus sa chanson que celle de Sign à ce moment-là. Elle est sortie en tant que Sign mais c’est lui qui l’a écrite et c’était sa chanson. Elle ne m’a pas vraiment été présentée comme une chanson de Sign mais comme une chanson de Ragnar. Donc ouais, c’était du recyclage mais, en fait, peut-être sans avoir conscience que nous recyclions une chanson que les gens avaient vraiment déjà entendue [petits rires]. Mais ouais, ça semblait être une bonne chanson à mettre dans l’album, c’est sûr, et elle semblait coller au concept.
Et comment avez-vous retravaillé cette chanson ? Le chant agressif a disparu, par exemple, mais vous avez conservé le refrain et le thème principal intacts…
Il était ouvert pour faire n’importe quel changement que nous voulions. Nous l’avons désassemblée pour ensuite la réassembler, partie par partie, pour voir quelles parties nous voulions garder et celles que nous voulions retravailler. Pour moi, il était nécessaire d’avoir un autre type de fin. Et je voulais aussi qu’elle se concentre bien plus sur l’accroche ; j’avais le sentiment que c’était une accroche, le [il chante la ligne mélodique], qui n’était pas beaucoup jouée dans l’original, et je me disais : « C’est une accroche, mec ! Il faut qu’on utilise ça ! Cette accroche devrait être un thème récurrent, elle devrait revenir à la fin, on devrait travailler là-dessus. » Mais en ayant une fin un peu différente, avec une montée typique à la Pain Of Salvation où on commence à additionner des couches. Donc c’est ce que nous avons fait et nous avons enregistré une démo où j’ai joué la batterie. Et j’ai aussi retravaillé les paroles parce que les paroles d’origines ne collaient pas au concept global ; il y a eu beaucoup de changements dans les paroles. Car maintenant ça parle de sexe et de tentation, ce qui n’était pas ce qu’elle était supposée être dans la version originale. Par exemple, toute la fin est nouvelle de ce point de vue. Mais il y a quelques phrases que j’aimais beaucoup, donc j’ai voulu les garder. C’était quelque chose de difficile parce que comme souvent, une fois que tu as entendu la chanson… Normalement, tu écris une chanson et tu n’as pas entendu les parties avant, mais lorsque tu as entendu les parties avant, alors ça fait bizarre de les changer, parce qu’elles sont restées dans ta tête. J’ai parfois rencontré ce problème aussi avec les démos. Par exemple, tu fais des démos de tes propres chansons, tu mets de fausses lignes de chant avec une ou deux phrases et puis, au final, tu te dis « oh, je sais de quoi ça doit parler, » et puis tu dois changer ces phrases et ça te semble vraiment étrange, parce que tu as entendu ces phrases, elles sont liées aux chansons. Parfois, tu essaies de les retravailler de façon à ce que ce soit aussi proche que possible, au niveau sonore, de la version démo originale. Mais ouais, voilà comment nous l’avons faite.
A l’inverse de nombreux groupes, les solos de guitare sont loin d’être systématiques dans vos chansons. Et le nouvel album n’a qu’un solo de guitare, qui termine la chanson « Angels Of Broken Things », mais c’est un très long et émouvant solo. Qu’est-ce qui, selon toi, justifie de mettre ou ne pas mettre de solo de guitare dans une chanson ?
Pour moi, c’est très simple. Tu ne mets un solo de guitare dans la chanson que si la chanson en a vraiment besoin. Parce que je ne sais pas ce qui s’est passé, à quel moment dans l’histoire de la musique est-ce que les solos sont devenus un truc à mettre par défaut dans une chanson [de rock] ? Pour moi, c’est aussi maladroit que d’avoir un solo de batterie dans chaque chanson, ou un solo de basse dans chaque chanson, ou un solo de chant dans chaque chanson. C’est juste… Je ne sais pas pourquoi on devrait avoir un solo de guitare dans chaque chanson ! Surtout dans l’industrie du metal, ce n’est qu’une recette, pourquoi est-ce qu’on suit une recette, surtout si elle n’a aucun sens ? Donc pour moi, c’est très simple : si la chanson réclame un solo de guitare, mets le absolument ; si elle réclame un solo de basse, mets le absolument ; si elle réclame un solo de batterie, mets le absolument ; sinon, laisse la chanson telle quelle. Parce que la chanson, c’est la chanson [petits rires], le solo, c’est une pause dans la chanson. Il faut qu’il apporte quelque chose. Il faut que ce soit quelque chose de nécessaire. Autrement, tu devrais avoir le couplet, refrain, couplet, refrain, solo, pont, couplet, double refrain et peut-être un solo de fin. Je ne comprends pas la musique là-dedans. C’est du Lego [petits rires]. Je n’ai rien contre les Lego, ce n’est juste pas comme ça que je compose de la musique.
« Je ne sais pas ce qui s’est passé, à quel moment dans l’histoire de la musique est-ce que les solos sont devenus un truc à mettre par défaut dans une chanson [de rock] ? »
Et donc, qu’est-ce qui t’a fait dire que cette chanson avait besoin d’un solo ?
C’était tout simplement impossible de passer à côté ! Dès que tu arrives à cette partie et que tu as fait monter la pression sur cette fin, et ça fait comme [il chante le rythme de batterie qui monte en puissance] et tout ce que tu veux faire, c’est [il imite quelqu’un qui crie], c’est juste… Il n’y avait pas moyen, la chanson disait : « Si tu ne me mets pas un solo de guitare, autant me tuer » [rires]. Il faut donc écouter la chanson et ce que la chanson veut, et la chanson voulait vraiment un solo de guitare. Et c’était l’éclate ! Je veux dire que, en gros, j’évite les solos de guitare quand je peux parce que c’est juste… Je pense qu’historiquement, par rapport à ma propre façon de voir la musique et ma propre expérience de la musique, il n’y a que très peu de solos de guitare qui vraiment apportent quelque chose à la chanson. Il y a plein d’exemples où c’est le cas mais il y en a tellement plus où ce n’est pas le cas [petits rires]. J’ai même… [Petits rires] A quelques occasions, lorsque je faisais mes compils sur cassette, quand j’étais adolescent et dans ma vingtaine, je coupais le solo sur certaines chansons, parce ce que je trouvais qu’ils ruinaient toute la chanson. Je me souviens de « Can You Take Me High Enough » (NDLR : « High Enough » de Damn Yankees), le solo de guitare est l’une des choses les plus épouvantables que j’aie jamais entendues ! Ils auraient tout aussi bien pu mettre un vase bleu néon ou un flamant rose en plastique là-dedans, peu importe, et dire « ça va bien ! » « Non, ça ne va pas ! C’était un mauvais choix ! » [Petits rires] Donc je l’ai viré, et je l’ai fait avec quelques chansons pour mes compils, genre : « Je ne vais pas mettre ça, je ne vais pas écouter ça, je vais le retirer, je vais faire comme si ça n’était jamais arrivé et, je pense, en tant que compositeurs, vous devriez faire de même » [rires]. Voilà ma position par rapport aux solos de guitare, c’est comme ça que j’ai grandi. J’adorais les bons solos de guitare, j’adorais faire semblant de jouer les bons solos de guitare, j’avais mes guitar heros, mais même avec mes guitar heros, il y a environ vingt pour cent des solos que j’adorais et le reste, je ne comprenais pas pourquoi ils les avaient mis là-dedans. C’est comme : « Donc tu devais en avoir un aussi dans cette chanson parce que tu en avais un dans toutes les autres chansons. Mais celui-ci n’est pas bon, donc pourquoi tu ne le fous pas à la poubelle ? La chanson aurait été meilleure ! »
Quels sont tes solos de guitare préférés ?
Bon sang, c’est dur ! C’est comme demander quelle est ma chanson préférée ! Tout dépend de l’humeur et tout… Je dois dire que certains de mes solos préférés se trouvent sur l’album Eye In The Sky de The Alan Parson’s Project, parce qu’ils sont tellement de bon goût et ils ne contredisent jamais la chanson. Tu ne te dis jamais : « Oh, non, voilà le solo de guitare, » il fait tout ce qu’un solo de guitare est supposé faire, il enrichit la chanson et il fait décoller et voler la chanson. Pink Floyd a certains des meilleurs solos de guitare et beaucoup des pires solos de guitare jamais faits. Pareil avec Dire Straits, quelques très bons solos de guitare, et plein d’autres qui sont vraiment inutiles. Il y a de très bons solos de guitare d’Ace Frehley sur quelques-uns des albums, genre un peu après ses débuts, que je peux vraiment apprécier. Le solo de « Shock Me » est probablement l’un de mes solos de guitare préférés de Kiss ! Ce en raison du timing. Pour moi, c’est une question de message, d’une certaine façon, la communication du solo. Genre, est-ce que le solo communique avec moi en tant qu’auditeur ou est-ce juste quelque chose que le guitariste fait pour lui-même ? Et ensuite, il y a, bien sûr, la sonorité, c’est-à-dire la façon dont tu produis les sons. Mais ensuite, une chose qui est vraiment, vraiment importante, c’est le timing. Par exemple, si tu as la bonne accroche ou le bon type de phrasé, ça peut sauver le solo le plus nul qui soit. Donc c’est très important.
Pendant ton séjour à l’hôpital, tu as créé un alter ego sous la forme d’une guitare qui s’appelait Mr. M. comment as-tu eu l’idée de faire ça ? Et les gens qui travaillaient à l’hôpital n’était-ils pas agacés de te voir faire l’idiot avec une guitare dans les couloirs ?
Je pense qu’ils trouvaient ça marrant. J’avais une guitare avec moi, car j’ai demandé à mon père d’apporter une guitare parce que j’avais toujours en tête que j’allais partir en tournée avec Transatlantic, ce qui était une idée absurde. Je ne comprenais pas l’étendue de ce que j’avais en face de moi, et je pense que les médecins probablement ne voulaient pas… [Rires] Ils pensaient sans doute « c’est mieux s’il a des rêves » [rires]. Car c’est la première chose que j’ai demandé. Lorsque je suis sorti de l’opération originelle, lorsqu’ils ont retiré tous les tissus infectés dans mon dos, j’avais un trou jusqu’à ma colonne vertébrale, la première chose que j’ai dit était quelque chose comme : « Bon, s’ils mettent une de ces pompes à vide sur ma plaie et qu’on recouvre mon dos de plastique, et forme quelqu’un dans notre équipe pour qu’il puisse changer et régler ça, peut-être que je pourrais me rendre à cette croisière et jouer du metal dans les Caraïbes pendant une semaine ? » Et ils étaient là : « Prenons ça un jour à la fois… » [Rires] Evidemment, c’était l’idée la plus dingue qui soit ; quatre mois plus tard je sortais de l’hôpital en boitant et en pouvant à peine monter des escaliers ou quoi, et ils qualifient encore ça de rétablissement miraculeux. Donc ils devaient complètement avoir su que c’était l’idée la plus dingue qui ait jamais été produite dans cet hôpital, probablement. Mais ils se sont aussi peut-être dit : « Tu sais, ne lui retirons pas ses rêves pendant un moment, à ce stade, il pourrait en avoir besoin pour se rétablir » [rires].
Donc j’avais la guitare mais tous les efforts à essayer de jouer étaient vains parce que c’était difficile rien que de tenir la guitare, je ne pouvais pas m’asseoir, je ne pouvais pas m’allonger sur le dos, avec beaucoup d’efforts, je pouvais me mettre debout mais j’avais une pompe à vide dans mon dos avec de grosses machineries et autres, et j’avais toutes ces intraveineuses. Donc à un moment donné, j’ai mis la guitare sur le lit, me disant que ça ne servait à rien d’essayer de jouer, car je ne pouvais pas. Donc la voyant allongée sur le lit, elle avait l’air d’être un patient et je me disais : « C’est marrant, une guitare comme patient… » Et j’ai pris mes lunettes et je les ai mises sur la guitare, disant : « Hmm… » [Petits rires] Lorsque je ne peux rien faire d’autre, ma créativité part ailleurs, et tout d’un coup, j’ai commencé à faire cette série de photos avec la guitare jouant le rôle d’un patient dans un hôpital. C’était sans doute l’un de mes moments préférés dans un hôpital, car j’avais cette idée… [Petits rires] Car je me suis rendu compte : « Si je mets mon stand – car j’avais un stand de guitare avec moi – et je mets mes chaussons… » Recouvrant le bas du stand, on aurait dit qu’elle avait des pieds, et j’ai pris un t-shirt et je l’ai mis dessus et j’ai trouvé ça drôle. Et à partir d’un des gants de chirurgie, j’ai fait un genre de bonnet de bain pour la tête, et j’ai eu cette idée : « Je vais prendre une photo de lui juste à côté de la douche. Mais je ne peux pas le faire maintenant parce que les gens vont penser que je suis fou, donc je vais attendre. » Donc j’ai attendu jusqu’à ce que tout monde dorme et puis, « ok, on y va maintenant ! » Et c’était dur, parce que j’avais du mal à me mettre debout. Donc tant bien que mal, je me suis mis debout, j’ai habillé la guitare, j’ai mis une serviette autour de son cou, et j’ai accroché la machinerie de la pompe à vide sur le stand d’intraveineuse, le stand de perfusion – évidemment il fallait que j’amène aussi ça avec moi parce que j’avais l’intraveineuse -, et ensuite je devais porter la guitare avec tous les habits et tout d’une seule main et tituber et boitant doucement vers les douches, que je devais atteindre en passant par le couloir. Et juste en face des douches, il y avait les ascenseurs. Et évidemment, un médecin d’un autre service était passé par notre service pour une raison ou une autre… J’y étais presque, je voyais les douches, donc ce médecin apparemment très important se précipite très efficacement vers moi en se dirigeant vers les ascenseurs pour quitter le service, et il me regarde de façon confuse, je titube avec tous ces bouts de machinerie et une guitare habillée dans mon autre main [rires]. Il ne s’arrête pas, il continue à marcher, mais il ralentit ses pas confusément, jetant un coup d’œil vers moi, sans savoir quoi dire ou faire, et je le regarde et je dis : « Ceci est parfaitement normal ! » [Rires] Et il poursuit son chemin et rentre dans l’ascenseur et moi je prends ma photo. Il a dû se dire : « Ce gars ne serait-il pas dans le mauvais service ? » [Rires] « Il a dû s’échapper du service psychiatrique. » Ça doit être l’un des trucs les plus bizarres qu’il ait jamais vu dans l’hôpital. Un patient avec une guitare électrique habillée avec des lunettes et un bonnet de bain rudimentaire [rires] fait à partir de gants, et des chaussons en dessous, genre : « Bordel, mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? » C’était drôle, ceci dit.
« Ça doit être l’un des trucs les plus bizarres qu’il ait jamais vu dans l’hôpital. Un patient avec une guitare électrique habillée avec des lunettes et un bonnet de bain rudimentaire [rires]. »
Et en fait, j’ai réussi à apporter la guitare en chirurgie à un moment donné. Une fois j’ai essayé et je n’ai pas eu le droit, car c’était interdit. Et la seconde fois, on a essayé, et ils étaient là [chuchotant] : « Ouais, ok, on le fait. » [Rires] Et ils m’ont beaucoup aidé aussi, ils étaient là : « Du coup, est-ce qu’on doit rajouter des machines ? » « Ouais, s’il vous plait, c’est cool ! » [Rires] J’attendais qu’ils m’installent, pour me faire une opération chirurgicale, et d’abord ils ont pris les photos de la guitare allongée là, c’était bizarre. Mais je pense qu’ils trouvaient ça marrant. D’abord quelqu’un commençait à aider et disait : « Ouais, je peux tenir la guitare… » Et quelqu’un d’autre disait : « Eh bien, peut-être que je pourrais… » Je me souviens qu’il y avait une des vieilles infirmières dans le service qui a suggéré de se servir d’un gant de chirurgie comme bonnet de bain, parce que j’étais là : « Ce serait tellement marrant de mettre un bonnet de bain sur la guitare. » Et elle était là : « Eh bien, peut-être qu’on pourrait essayer un gant de chirurgie, si tu mets ça là-dessus et laisse les doigts retomber en arrière, ça aura l’air d’un bonnet de bain. » [Rires] Donc les gens étaient d’un grand soutien ! Et j’ai appris après coup, vers la fin de mon séjour, que prendre des photos dans le service était interdit ! [Rires] J’étais là : « Oh mon Dieu ! Pourquoi vous ne me l’avez pas dit ? J’ai pris des photos pendant tout mon séjour ! » Et ils étaient là : « Oh, ça ne paraissait pas méchant… » Et c’était marrant [rires].
Et comment va Mr. M maintenant ?
Eh bien, voyons voir, c’est celle avec laquelle je joue ce soir, n’est-ce pas ? Je ne m’en souviens plus maintenant. Est-ce que c’était la guitare Roast Salt ou est-ce que c’était la guitare Earth ? Je l’ai avec moi, c’est certain. J’ai deux guitares et c’est l’une d’elle. Mais il va bien. Et je trouve que c’était marrant que, lorsque les autres gars sont partis pour jouer sur la croisière, je leur ai demandé : « Hey, vous devriez amener la guitare. Il faut que ce soit cette guitare. » Genre, quelqu’un a réussi à sortir de l’hôpital pour le concert sur la croisière, ce n’était pas moi mais ma guitare.
Il y a quelques mois, tu as chanté sur la chanson de Dream Theater « This Dying Soul » durant le show du Shattered Fortress de Mike Portnoy, pendant la croisière Cruise To The Edge. Peux-tu nous parler de cette expérience ?
Il m’a demandé si je pouvais faire ça et… Pour être tout à fait honnête, j’étais là : « Je pense que c’est mieux si quelqu’un d’autre le fait ! » Parce que c’est tellement de paroles et à ce moment-là, j’étais en train d’essayer d’apprendre mes propres paroles, car ça fait beaucoup de… Tu enregistres les paroles et ensuite, une année se passe. Surtout de la façon dont j’écris les paroles, je les change constamment, je me retrouve avec tant de versions différentes de chaque couplet, de chaque phrase, que généralement, je décide presque le jour même de l’enregistrement quelle version je vais garder, ce qui veut dire qu’après six mois ou même une année, je ne suis plus très sûr de quelle version s’est retrouvée sur l’album, et je ne me souviens plus de certaines paroles… Il faut que je me les rentre dans la tête, car je ne veux pas me retrouver sur scène à essayer de réfléchir à ce que je dois chanter. Je veux juste chanter, les paroles doivent faire partie de moi. Donc il faut que je me les ancre fermement dans la tête, et il y avait déjà trop de paroles rien que là, rien qu’avec mes propres paroles, et tout d’un coup, pendant que je fais ça, je reçois les paroles de quelqu’un d’autre. C’est une chanson que je n’avais jamais entendue, je ne la connaissais pas. Mais il voulait vraiment que je la fasse parce qu’il a dit qu’il avait entendu ma voix en train de la chanter, déjà, lorsqu’ils ont écrit cette chanson. Donc je me suis dit : « Ouais, c’est un truc sympa à faire… » Mais j’étais… [Rires] Je ne me sentais pas à l’aise pour la faire. J’avais les paroles sur scène, ce qui est étrange pour moi car, normalement, je n’ai jamais de papier d’antisèche ou quoi. Mais c’était nécessaire, ça faisait trop de mots, car c’est un genre de truc rappé à la « Scarsick », ce qui est plus facile à faire lorsque c’est toi qui a écrit les paroles. Lorsque tu as écrit les paroles toi-même, ça fait partie de ta façon de penser, mais lorsque ce sont les paroles de quelqu’un d’autre, ce n’est pas dans ta chair de la même façon. Mais c’était un truc très marrant à faire et nous nous sommes beaucoup amusés à le faire. Mais ça a… J’aurais peut-être un peu mieux profité du soleil sur la croisière si je n’avais pas su que j’avais ce dernier concert [rires] ; genre, le dernier jour de la croisière, ça pesait constamment sur mes épaules, à être là, me remémorant ces paroles et puis me remémorant les paroles de In The Passing Light Of Day, étant là [fait une expression désespérée]… Donc j’étais là à marcher sous le soleil, ayant l’air d’en profiter et ayant constamment ces paroles qui tournaient dans ma tête. Mais c’était un truc sympa à faire, c’était amusant.
Quelle est ta relation à la musique de Dream Theater ?
Ma relation à Dream Theater se limite grosso-modo au second et troisième album, Images And Words et Awake, qui correspondent à ma période Dream Theater. Donc à peu près tout.
Interview réalisée en face à face le 7 avril 2017 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Lars Ardarve.
Site officiel de Pain Of Salvation : www.painofsalvation.com
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