Depuis leurs débuts en 2010, les Américains de Pallbearer avancent en funambule sur les cimes du doom metal avec une maestria vivifiante et presque insolente : en quelques années d’une carrière éclatante, ils sont parvenus à proposer un doom traditionnel très mélodique et référencé – on pense aux premiers Black Sabbath, à Warning ou à une version épurée de Candlemass –, et à développer dans le même temps un son unique et immédiatement reconnaissable, lumineux et mélancolique, caractérisé par un duo de guitares virtuoses et un chant clair élégiaque, susceptible de séduire autant les gardiens du temple du metal extrême que les amateurs de rock morose et sophistiqué. Après deux albums remarqués et un parcours sans faute, dire que le troisième effort du groupe, Heartless, est attendu est un euphémisme. Qu’on anticipe un nouveau chef d’œuvre ou leur premier faux pas : en sept titres ambitieux, riches et ne cédant jamais à la facilité, le quatuor risque bien une fois de plus de mettre tout le monde d’accord.
Comme son nom ne l’indique pas, Heartless (sans cœur) est un disque sensible, dans lequel les musiciens évoquent et inspirent des sentiments toujours plus subtils et contrastés : là où Sorrow And Extinction (2012) proposait un doom funéraire somptueux mais monolithique, Pallbearer poursuit sur la voie ouverte avec Foundations Of Burden (2014) et développe un spectre d’émotions beaucoup plus large, qui au désespoir et à la déréliction suggérés par la pochette associe des nuances d’espoir et d’élévation. Plus direct, plus ancré dans la réalité, moins métaphysique que les albums précédents et résolument inquiet, il laisse cependant entrevoir une lumière au bout du tunnel, on pense par exemple aux guitares vaporeuses et au solo enflammé du dernier morceau « Plea For Understanding ». À cette complexité du contenu répond la sophistication de la forme, où les prouesses du quatuor sont servies par une production très claire et dynamique : ainsi, le long et presque lunatique « Dancing In Madness » juxtapose solos épiques et mélancoliques, claviers très Pink Floyd, doom écrasant, passages sombres et colériques à la Neurosis, éclaircies acoustiques et envolées progressives. Depuis leurs débuts, la progression des musiciens est régulière et ne semble pas près de ralentir, à l’image de celle de Brett Campbell au chant qui semble de plus en plus assurée, évoquant de moins en moins l’Ozzy des années 70 pour se parer d’intonations plus personnelles, presque grunge, presque emo, très années 90.
Pour autant et malgré le sens de la mélodie du groupe, la séduction n’est pas aussi immédiate qu’avec le fulgurant Foundations Of Burden, qui était peut-être plus à fleur de peau : la complexité de l’édifice qu’est Heartless – on y trouve très peu de refrains ou de structures récurrentes, par exemple – et sa virtuosité technique peuvent dans un premier temps faire écran et plusieurs écoutes attentives seront nécessaires pour appréhender le chatoiement de ses nuances et la richesse de ses replis qui petit à petit se révèlent infinis. À l’image de « Lie Of Survival », à l’ouverture typiquement Pallbearer, très lente, grandiose et mélancolique, qui se finit de manière très claire et dépouillée, le groupe donne dans un premier temps une grande impression de familiarité pour peu à peu emmener l’auditeur dans des contrées nouvelles et pousser ainsi subtilement sa musique dans de nouvelles directions. En commençant Heartless, on pense écouter un album de doom et les dernières notes de « A Plea For Understanding » terminées, on se retrouve à avoir écouté un album de rock classique et atemporel – le communiqué de presse parle de « rock monumental » – sans s’en être rendu compte, pour le meilleur : en effet, le doom apollinien de Pallbearer trouve ainsi toute l’ampleur qu’il mérite et transcende les styles et les décennies.
Clip vidéo de la chanson « I Saw The End » :
Chanson « Thorns » en écoute :
Album Heartless, sortie le 24 mars 2017 via Nuclear Blast. Disponible à l’achat ici