Dans les braillements primaires et la rythmique hardcore d’un « Strenght Beyond Strenght », les riffs comme des coups de perceuse de « Becoming », la marche de combat d’un « 5 Minutes Alone », le 22 mars 1994, le septième album de Pantera sortait et changeait la donne. Certes, cela faisait déjà quelques années que le groupe avait laissé tomber les atours glam à l’entrée de la décennie et, avec l’arrivée de Phil Anselmo, la bande a clairement durci le ton faisant, après quatre albums, de Cowboys From Hell, en 1990, la première vraie œuvre du Pantera classique, et poussant deux ans plus tard, avec Vulgar Display Of Power, plus loin son propos dans la face du public.
En 1992, Pantera avait déjà ses albums fondamentaux ; Entertainment Weekly déclarait d’ailleurs au sujet du second qu’il était sans doute « l’un des albums de heavy metal les plus satisfaisants depuis les premiers jours culte de Metallica dans les années 80 ». Ne lui manquait plus que le succès à la hauteur de cette réussite critique, même si le groupe avait commencé à grignoter des places dans les charts : les Cowboys le placent pour la première fois dans le Billboard 200 aux États-Unis (pendant une seule semaine), et Vulgar Display… aura percé plus tard jusque dans le top 50, pendant ses seize semaines passées dans le classement. Pourtant le sommet n’était pas encore atteint.
Far Beyond Driven un album brutal qui – on peut le dire aujourd’hui – a achevé les fondations du metal moderne, démocratisé les beuglantes bestiales, cette grosse caisse groovy assassine et ces riffs épais, crissants, presque suffocants, empruntant à la fois au thrash et au hardcore, de l’inégalé et profondément regretté Dimebag Darrell. Le power metal à l’américaine de Pantera prenait une autre envergure, jusqu’au-boutiste et extrême. Ah, ce départ sur les chapeaux de roues et sans préavis de « Strengh Beyond Strenght » ! Un uppercut dans la face de l’auditeur qui, malgré le passif du groupe, n’était surement pas préparé (et il s’en prendra un autre à peine deux ans plus tard, tout aussi inattendu, en ouverture de The Great Southern Trendkill). Voilà d’où viennent les Lamb Of God ou Devildriver d’aujourd’hui, disciples d’un metal « burné » désormais banalisé voire parfois caricaturé, là où en 1994 Pantera innovait et surprenait.
Rencontré à Paris le 4 mars dernier à l’occasion de la promotion de Blood For Blood, le nouvel album de Hellyeah, nous avons demandé au légendaire batteur Vinnie Paul (entretien à lire bientôt en intégralité), le contexte qui a amené le groupe à produire un tel album, poussant la rage plus loin qu’aucun autre groupe :
« Nous avons fait cet album assez incroyable appelé Vulgar Display Of Power, il représentait une montagne déjà très haute, et lorsque nous avons terminé de tourner pour cet album, nous savions que la seule chose que nous pouvions faire pour faire plaisir aux fans, c’était de bâtir une montagne encore plus haute. C’était beaucoup de travail. Nous avons trouvé le titre, Far Beyond Driven, avant même de commencer et nous nous sommes tous poussés à un autre niveau, à de totales extrémités sur tous les tableaux. Après le succès de Vulgar et tous les concerts que nous avons donnés, les gens pensaient que nous allions nous diriger dans une direction plus commerciale, peut-être faire quelque chose dans le genre Black Album, comme Metallica l’a fait – c’est un super album mais c’était un sacré écart par rapport à ce qu’ils avaient fait par le passé. Mais nous, nous voulions prendre la direction opposée, nous voulions faire un album pour nos putain de fans, nous ne nous inquiétions pas de savoir si la maison de disques allait vendre dix millions d’albums. Nous voulions simplement faire l’album le plus brutal et ‘dans ta face’ que nous pouvions pour les concerts. Et c’était le premier véritable album de heavy metal a démarrer numéro un dans le classement du Billboard, c’était énorme. C’était 312 dates de concerts en une année, ce qui représente presque une année entière à être sur les routes et à jouer face aux fans les plus enragés du monde. C’était une époque extraordinaire. »
Pantera devient nouveau roi sur la montagne, n’en déplaise aux critiques qui à l’époque ne reconnaissaient pas à cet album la même importance que les deux opus précédents. La postérité, elle, est indéniable et inépuisée depuis. Et si le même mois un Soundgarden et son Superunknown, au sommet de la vague grunge (avant son rapide affaissement quelques semaines après), lui disputera sa place dans les charts, nul n’enlèvera plus aux Texans la couronne de celui étant parvenu à l’exploit de caser un album aussi extrême – sans doute leur plus extrême qui plus est – aussi haut dans le classement de référence qu’est le Billboard. Alors, rétrospectivement, s’attendaient-ils à un tel succès ? Vinnie Paul nous répond :
« Je pense que nous nous attendions à être dans le top 5 mais pour un groupe qui ne passait pas à la radio, ni sur MTV, sans couverture médiatique mainstream, atteindre la première place, c’était un hommage à nos fans. Ils sont sortis pour acheter 200 000 exemplaires dès la première semaine et on mis K.O. Bonnie Raitt, Ace Of Base, tous ces gros groupes pop qu’il y avait à l’époque. Et Billboard débarque en disant : ‘Pantera, un succès du jour au lendemain’. Et nous : ‘Conneries, mec !’ Nous avons joué dans tous les putain d’endroits à la surface de cette planète pendant les quatre dernières années, nous avons bâti la plus démentielle des fan-bases du monde, et c’est comme ça que nous avons classé un album numéro un, pas grâce à votre magazine, ou la télé, ou la radio, mais grâce aux fans. Les fans ont parlé. C’était un accomplissement monumental. »
Une des surprises de l’album est assurément sa désormais fameuse reprise du « Planet Caravan » de Black Sabbath. Une chanson alors peu connue du quatuor de Birmingham mais qui ainsi placée à l’issue de 52 minutes d’agressions diverses offrait l’apaisement ultime, ô combien salvateur pour panser les plaies. Et même si la présence de cette reprise étonnante n’était, en partie, qu’un concours de circonstances, l’effet lui, installe un peu plus l’originalité et le cachet de Far Beyond Driven. Conscient du caractère surprenant, voire provocateur, de la présence même d’une telle chanson à la fin de l’album, Phil Anselmo écrivait dans le livret de l’album : « Ceci est une chanson de Black Sabbath tiré de l’album Paranoid. Donc ne pétez pas un plomb contre nous. Nous avons fait ça parce que nous le voulions. Ça n’a rien à voir avec l’intégrité de notre orientation [musicale]. C’est une chanson pour se relaxer et voyager. Nous pensons que vous allez apprécier. Si ce n’est pas le cas, alors, putain, ne l’écoutez pas. Merci. Au nom du reste de Pantera. Philip Anselmo ’94. » Vinnie Paul nous explique l’origine de cette reprise et de cette note de Phil Anselmo :
« En fait, nous avons enregistré cette chanson pour une compilation intitulée Nativity In Black et c’était en réalité la première chanson que nous avons enregistrée pour Far Beyond Driven. Parce que nous savions que nous allions la faire, nous ne voulions pas être distraits en plein milieu par cette chanson douce. Nous l’avons donc faite en premier pour sortir ça de notre système. Et ensuite, les deux maisons de disques, notre maison de disque et le label qui sortait Nativity In Black, n’ont pas pu se mettre d’accord, alors la chanson s’est retrouvée sur la touche. Nous nous disions : ‘Mec, ça craint !’, car ce choix avait été très réfléchi, nous voulions faire une reprise d’une chanson de Black Sabbath que personne n’aurait jamais rêvé de reprendre. Encore aujourd’hui les gens pensent que c’est une putain de chanson de Pantera ! Je veux dire que tant de personnes ne se rendent pas compte que ce n’est qu’une obscure chanson de Black Sabbath. Je ne trouvais pas que mettre une note dans le livret était nécessaire, mais c’était quelque chose que Phil trouvait qu’il était bon de faire, du point de vue de l’intégrité, car peut-être que des gens se seraient imaginé, dans la mesure ou c’était la dernière chanson, qu’elle représentait une nouvelle direction que nous souhaitions prendre à l’avenir. C’est juste le genre de truc qui dit : ‘Hey, si tout ce qui t’intéresse c’est de botter des culs et te défoncer le crâne contre le mur, eh bien, ne l’écoute pas ! Mais si après avoir écouté tout cet enchaînement de musiques putain de brutales, tu es prêt à te détendre, fumer un joint, alors c’est cool aussi !’ Je pense que c’était vraiment ça le but. »
A noter que finalement le groupe fera figurer deux autres reprises de Black Sabbath sur les deux suites de cette compilation Nativity In Black : « Electric Funeral » en 2000 et « Hole In The Sky » en 2003.
Mais ce qui aurait le plus pu faire jaser (s’il n’y avait pas eu une réaction rapide de la maison de disques), c’est sans doute la pochette d’origine de cet album (cf. ci-dessus). Si le public a depuis intégré cette image noyée dans le bleu d’un crâne transpercé par un foret, Far Beyond Driven devait d’abord atterrir dans les bacs avec un artwork beaucoup plus proche de l’imagerie de groupes de metal extrême underground, ou pouvant rappeler, par son point de vue osé, l’illustration douteuse de The Origin Of Feces de Type O Negative, sorti en 1992 (un album qui, coïncidence, contenait aussi une reprise de Black Sabbath, et dont la pochette d’origine n’aura pas non plus trainé longtemps chez les disquaires). Voici l’histoire de cette pochette d’album racontée par Vinnie Paul :
« C’est très simple, je veux dire, le label avait embauché ce gars dénommé Dean Karr, qui est connu pour ses illustrations et photographies extrêmes, pour faire l’album. Et il nous a ramené son bouquin contenant une partie des travaux qu’il avait déjà réalisé. Nous le parcourions et à la minute où nous avons vu ça, nous avons dit : ‘C’est ça la putain d’illustration de l’album, mec ! Metal up your ass, c’est exactement ce que ça dit !’ Je veux dire, se faire baiser par une foreuse, c’est putain de sérieux ! Le label a trouvé ça cool, ils ont dit : ‘Ouais, c’est putain d’excellent. Ça colle bien avec la musique, une musique parmi les plus extrêmes au monde, etc.’ Et à peu près deux ou trois jours plus tard, ils sont revenus vers nous et ont dit : ‘Nous ne pouvons pas utiliser cette illustration, ça ne fonctionnera pas.’ Nous avons répondu : ‘Comment ça ? Vous l’avez déjà validé ! C’est fait, c’est l’illustration de l’album !’ Et ils étaient là : ‘Nan, on ne peut pas mettre ça chez Wallmart ou dans tous les grands revendeurs, on ne peut rien faire avec ça…’ On était pas mal remontés à cause ça. Ce n’était pas un moment joyeux lorsque c’est arrivé. Et ils ont alors dit : ‘Rappelons Dean et voyons s’il peut trouver autre chose.’ Dean a donc réalisé ce crâne avec la foreuse qui s’enfonce dedans et lorsque nous l’avons vu nous nous sommes dit : ‘Tu sais quoi ? Ça représente toujours exactement ce dont nous parlons. La foreuse dans le crâne c’est tout aussi bien que la foreuse dans les fesses ! [Rires] Du moment qu’on nous laisse utiliser l’illustration alternative, pour la mettre sur le vinyle et quelques autres trucs, nous sommes d’accord pour changer ça contre l’illustration bleue de la foreuse dans la tête.' »
Finalement, s’il fallait s’obstiner à ne pas vouloir voir cet album comme l’un des plus essentiels de la discographie du groupe, Far Beyond Driven ne marque pas moins une étape des plus importantes. D’abord pour Pantera même, s’installant définitivement, par ce succès public monumental, au panthéon des plus grands groupes de metal de tous les temps. Ce sera néanmoins la plus haute place que Pantera aura jamais atteinte et, si les deux opus suivants, The Great Southern Trendkill (1996) et Reinventing The Steel (2000), se hisseront tout deux jusqu’à la 4e place du Billboard à leur sortie, la suite de l’histoire de Pantera sera une lente descente jusqu’à la rupture, principalement en raison des problèmes de drogue et d’alcool, eux-mêmes causés par les problèmes de santé d’Anselmo apparus aux alentours de cette année 1994. Mais là où la montée de Pantera ne se sera jamais interrompue, c’est du point de vue de son influence : combien de jeunes metalleux ont poussé leur premier headbanging avec un « I’m Broken », combien de jeunes gratteux se sont usés les phalanges à vouloir reproduire les solos de Dimebag. Et comment ne pas voir l’influence d’un « Shedding Skin » sur la vague des groupes de « modern metal » américains apparus dès la seconde moitié des années 90, ou le côté séminal d’un « Slaughtered » pour le metalcore.
Tout une histoire honorée vingt ans après par une réédition remasterisée pour son anniversaire qui sortira le 24 mars prochain et qui, à l’instar de la réédition de Vulgar Display Of Power, ne se contente pas d’offrir un simple remastering (même si la précédente apportait, en plus d’un disque live, comme bonus de grande valeur un titre inédit, « Piss », première « nouvelle » chanson de Pantera en douze ans). Cette édition anniversaire s’accompagne là encore d’un live au festival Monsters Of Rock, enregistré le 4 juin 1994, et intitulé Far Beyond Bootleg – Live From Donington ’94. Si le titre de ce dernier ne masque pas son seul défaut, à savoir un son un peu brouillon et brut de décoffrage, cet enregistrement offre l’opportunité de se remettre dans l’ambiance fiévreuse de l’époque et de cette fameuse tournée marathon. Far Beyond Driven n’a pas pris une ride et a encore tous les atouts pour toucher la nouvelle génération de metalheads et vriller les têtes pendant vingt années de plus.
Et pour un point de vue supplémentaire sur cette histoire nos confrères de Hard Rock Mag sortent ce mois-ci, dans leur nouveau numéro, un dossier sur ces vingt ans avec des interviews de Phil Anselmo, Rex Brown et Terry Date (producteur de l’album), parlant de la conception et l’enregistrement de Far Beyond Driven et ce soir (jeudi 13 mars), sur l’Enôrme TV, à 20h45, l’émission Metal XS proposera la première partie d’un sujet sur cet album avec les témoignages de Vinnie Paul et Zakk Wylde.
Hello
Mort de rire l’ histoire la pochette de Far Beyond Driven !
Pompé l’ image originale pour mon itunes 🙂
Merci et longue vie à RADIO METAL !!!
up your ass 😉
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Far Beyond Driven, le seul album de Pantera qui m’a intéressé.
Je me souviens l’époque où j’avais découvert 5 minutes alone, cette putain de chanson (de loin la meilleure de l’album), je l’écoutais non-stop tellement elle est superbe. L’album quant à lui me paraît bon mais pas aussi extraordinaire qu’on le prétend je trouve.
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