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Interview   

Papa Roach : double je(u)


Bientôt trente ans que Papa Roach existe. Avec une telle longévité et un tel succès, il y a de quoi prendre le melon. Le titre de leur onzième album, Ego Trip, a d’ailleurs de quoi faire (encore) grincer des dents chez les détracteurs des Californiens. Mais comme souvent chez Papa Roach, il faut regarder derrière les apparences, et la provocation, pour découvrir une forme de fragilité. C’est ce que révèle notamment notre échange ci-dessous avec un Jacoby Shaddix parfois philosophe, notamment sur la notion d’échec, et conscient de son parcours.

Chez Papa Roach, tout est une question d’équilibre, en particulier avec Ego Trip : expérimenter, bousculer un peu les fans, mais ne jamais perdre le sens de l’accroche fédératrice. Le contexte particulier dans lequel l’album a été conçu – un groupe parti s’isoler dans un manoir, sans pression, même pas celle d’une maison de disques puisqu’ils sont désormais indépendants – lui a d’ailleurs permis de pousser le bouchon un peu plus loin, de regarder vers l’avenir, sans oublier d’où ils venaient.

« J’ai besoin d’évoluer et de grandir, et ce qui en partie permet d’évoluer et de grandir, c’est l’échec. Je n’ai pas de problème avec l’échec. »

Radio Metal : Ego Trip est né quand vous avez investi un manoir protégé du Covid-19 à Temecula, en Californie durant l’été 2020. Paradoxalement, est-ce que le fait de vous enfermer dans ce lieu était une échappatoire et une libération pour vous dans ce contexte angoissant ?

Jacoby Shaddix (chant) : Absolument. C’était un lieu sûr où nous pouvions créer de la musique et être ensemble. Le fait de vivre cette expérience a été une superbe évasion après avoir été enfermés chez nous. Nous sommes rentrés de tournée, j’ai passé un peu de temps avec ma famille, je ne pensais pas que ça allait durer aussi longtemps, et au bout d’un moment, je me suis dit : « Il faut qu’on fasse quelque chose. Il faut que j’appelle le groupe et qu’on fasse un album, qu’on fasse du bruit. » Nous avons commencé à faire ça, ce qui a été le point de départ d’un super processus créatif pour nous. C’est une vraie expérience quand on vit, mange et respire pour la musique, et qu’on dort sous le même toit, qu’on mange la même nourriture, tout en créant. Nous étions connectés. Nous étions tous ensemble dans cette aventure à plonger en profondeur dans la créativité. Le groupe était là ainsi que nos producteurs, donc tous ces esprits créatifs réunis œuvraient dans un but commun, c’est-à-dire faire la meilleure musique possible, de la musique qui nous inspirait. Nous nous sommes vraiment éclatés. Être là-bas nous a inspiré la musique et nous avons pris ce que nous avions de ces sessions. Ensuite, il y avait des morceaux où par exemple le chant n’était pas terminé, donc il a fallu finaliser ça. Cet album est un voyage, et il reste des choses que nous avons composées et enregistrées mais qui ne sont pas dessus. Je trouve que cette période d’expérimentation a été très libératrice pour nous. Nous aimons un tas de styles de musique, donc nous pouvions explorer tous ces espaces différents et voir à la fin ce qui fonctionnait, ce qui irait sur l’album et la direction qu’il prendrait.

Est-ce que le fait d’être coupé du monde a permis de davantage explorer l’univers de Papa Roach que dans les albums précédents ?

Oui, absolument. Nous avions plus de temps pour déconner, nous amuser et tout simplement faire des expériences. Le fait de ne pas avoir de pression avec quelqu’un qui nous dit : « Il faut vous dépêcher de finir l’album, ça doit être terminé parce que vous avez une tournée qui arrive », c’était très sain pour créer de l’art. La pression, ce n’est pas bon pour l’art. Quand tu imposes des limites de temps, ça rajoute une couche de stress au processus créatif. Je n’ai pas l’impression de donner le meilleur de moi-même quand j’ai ces dates butoirs devant moi.

D’un autre côté, tu as déclaré avoir brièvement replongé et fait une entorse à ta sobriété pendant que vous faisiez cet album. Du coup, le fait d’être enfermé dans ce manoir n’était-il pas à double tranchant pour toi ?

Quand je dis que j’ai replongé, j’ai juste fumé un peu d’herbe. Je n’ai pas bu d’alcool. Donc pour moi, c’est juste un dérapage, mais ce n’est pas comme si j’étais une épave. Je tiens à conserver ma clarté. Je suppose que j’ai commencé un peu à m’ennuyer avec le quotidien et j’ai voulu fumer un joint – et j’en ai fumé quelques-uns. Et tu sais quoi ? Je ne vais pas te mentir, ça a clairement ouvert une brèche créative dans mon cerveau et ça m’a mieux préparé à essayer des choses nouvelles et différentes. Mais il y a une limite. Je ne pense pas que la drogue et l’alcool soient le carburant de ma créativité, parce que ça fait dix ans que je n’ai pas bu. Je pensais que j’allais perdre mon talent et que je ne serais pas une rockstar si j’étais sobre, mais qu’est-ce que j’ai envie d’être ? Mort ? C’est l’issue vers laquelle ça m’emmenait. Je le sais. Je le sais parce que j’ai emprunté les mêmes chemins que certains de mes pairs qui ne s’en sont pas sortis vivants et ça me fait mal au cœur quand je vois des gens mourir trop jeunes à cause d’abus de drogue et d’alcool. Ça craint. C’est triste. J’ai maintenant choisi de vivre une vie plus saine.

« Parfois, le processus est tellement frustrant et me met tellement en colère, mais je dois me rappeler qu’à la fin, quand nous avons fini d’écrire un album, je suis toujours excité et content de ce que nous avons créé. J’en suis rarement déçu. »

Tu as déclaré qu’« aujourd’hui, ce n’est pas le moment pour le confort et la conformité. » Penses-tu qu’il y a trop de ça – de confort et de conformité – et que les gens ont besoin d’être bousculés ?

Absolument ! Quand on se repose sur ses lauriers et qu’on est à l’aise, il n’y a pas de développement, pas de progression. C’est juste : « Je ferais ce que vous me direz de faire. Oui, m’sieur. Oui, m’dame. » Je ne peux pas vivre comme ça. J’ai besoin d’évoluer et de grandir, et ce qui en partie permet d’évoluer et de grandir, c’est l’échec. Je n’ai pas de problème avec l’échec. Ce n’est pas toujours marrant, par exemple quand tu vas au studio en disant : « J’ai une idée ! » et que les autres répondent : « Nan, essaye encore. » La musique fait partie de ces choses capables de secouer et bousculer les gens, et aussi de les inspirer. Je trouve que c’est important. Quand on grandit et qu’on devient adulte, c’est trop facile de capituler et de dire que le monde est comme ça, que les choses fonctionnent comme ça. J’emmerde cette façon de penser ! Les choses ne fonctionnent pas comme ça. Il faut bousculer le système. Il faut l’agiter, le changer et le faire évoluer. Point barre. Or le progrès et le changement, c’est douloureux. Nous le savons.

Dirais-tu que ne pas se reposer sur ses lauriers est encore plus important dans ce monde où tout va très vite et où les gens se détournent rapidement quand ça stagne ?

C’est un monde qui va vite, je le concède, mais il y a des choses dans ce monde qui peuvent aussi nous pousser à faire une pause et prendre son temps : notre groupe préféré sort un nouvel album, notre artiste préféré sort une nouvelle œuvre d’art qu’on peut admirer et dans laquelle on peut se plonger, notre acteur préféré fait un nouveau film, ou alors on part en camping et on admire le Grand Canyon. Ces choses qui nous mettent sur pause, dans l’instant présent, c’est super. Dans un monde qui avance à toute allure, comment lui apporte-t-on quelque chose de positif ? C’est le but. Je veux apporter quelque chose de positif au flux de la vie. La musique, heureusement, fait partie de ces choses capables de rassembler les gens. Je ne peux pas arrêter le train qui file à toute vitesse, mais je peux rappeler au gens de se dire : « Pause. Prends une minute. Profite de l’instant présent. Calme-toi. Coupe ce putain d’internet, va dehors, laisse le soleil illuminer ton visage. » C’est magique. Tu pourrais te dire : « Pourquoi suis-je si déprimé ? » Car tu es dans une pièce obscure, tu n’as pas vu la lumière du jour, tu manges du sucre… Je peux parler de moi : je mange du sucre à longueur de journée, je mange très mal, donc bien sûr que je serais déprimé. Il faut que je sorte et que je voie le soleil, et il faut que je fasse partie de l’instant présent, que je ralentisse la vie et que je tue le bruit.

On dirait que les expérimentations concernent beaucoup votre manière de jouer avec les sons et les textures, comme dans la fusion électronique de « Liar » ou l’arrangement de saxophone de « Swerve ». Dirais-tu que pour Papa Roach, la créativité est autant une question de composition que de production et de travail du son ?

Absolument. Réécoute les Beatles : ils utilisaient la technologie comme un moyen d’améliorer les enregistrements de leurs albums. C’est ce qui les a rendus si géniaux à la fin des années 60, quand ils retournaient les bandes et les renvoyaient dans la machine ou les découpaient en créant d’autres éléments à partir de ce qu’ils faisaient avec la musique. Ça m’inspire. Comment ont-ils utilisé la technologie pour faire évoluer leur son ? Nombre de ces chansons ont démarré au piano ou à la guitare acoustique et nous avons écrit une progression d’accords et des mélodies, et ensuite, nous avons branché les grosses guitares et ajouté ces ambiances électroniques, des claviers ou des éléments trap. C’est vraiment un processus amusant. Mais sans aller trop loin dans le côté auto-complaisant, genre : « Je suis un artiste. » En gardant les fans du groupe en mémoire durant le processus, mais en sachant aussi que c’est notre voyage et notre responsabilité de les stimuler et de les emmener dans ce voyage.

Tu as déclaré que vous étiez « disposés à prendre des risques ». D’après toi, quels sont les plus gros risques que vous ayez pris artistiquement sur cet album ?

Je dirais que sur une chanson comme « Bloodline », on a la rencontre du Devo des années 80, de Rage Against The Machine, de Papa Roach et d’Oliver Tree. C’est un mélange de tous ces styles bizarres. Ce n’est pas du Papa Roach traditionnel, mais c’est super énergique. J’ai hâte de monter sur scène jouer cette chanson. Celle-ci va faire bouger le public. Je dirais qu’une autre chanson dans l’album qui nous emmène loin, ce serait « Unglued », ou alors « Ego Trip » en particulier : c’est probablement celle qui sonne la plus californienne, car il y a une ligne de basse un peu punk et je rappe dessus, et puis il y a cette partie de caisse claire façon mitraillette, ensuite je me mets à parler espagnol sur le pont. C’est genre : « Est-ce qu’on a perdu la boule ? » « Oui, et ça déchire ! »

« Oui, j’ai un peu la folie des grandeurs, je l’ai toujours eue, depuis que je suis gamin. Je pense qu’une part de pensée mégalomane est nécessaire pour qu’un rockeur soit où il est. La façon dont fonctionnent le monde et le système n’est pas faite pour les gens comme moi. C’est fait pour la conformité. Ce n’est pas ma place. »

D’un autre côté, votre musique reste ce qu’on peut qualifier de radiophonique, avec des mélodies fortes et des refrains fédérateurs. Malgré les expérimentations, est-ce important de ne pas perdre ce côté fédérateur ?

Absolument. C’est l’un des fils rouges que nous utilisons pour créer une unité avec toutes ces parties. J’adore les mélodies qu’on peut chanter en chœur. Quand je cours avec mes écouteurs, je chante en chœur. Quand je suis dans mon camion, coincé dans la circulation, je chante en chœur. Quand je suis à un concert de rock, je chante en chœur. J’adore ces moments. C’est comme tu l’as dit, c’est des instants fédérateurs où on peut tous se perdre dans le morceau. C’est amusant de pouvoir être au centre de ça et d’apporter ça aux gens. C’est un élément de Papa Roach que nous ne perdrons jamais. Je trouve qu’être capable de rapprocher les gens est un élément central et essentiel de la narration.

On dit généralement que le plus dur est justement de trouver une bonne accroche, mais on dirait que vous n’en manquez jamais avec ce groupe. Avez-vous une méthode ou une recette à ce stade ?

L’échec. Plein d’échecs. Au moment où nous trouvons la mélodie et le refrain, il y a eu vingt-cinq ou trente idées auparavant qui ont été essayées, et une seule a convaincu. Parfois, tu trouves tout de suite, mais ensuite tu te dis : « Ah, il faut que j’essaye d’autres trucs pour voir si on peut faire mieux » pour finalement revenir à l’idée initiale. Parfois, le processus est tellement frustrant et me met tellement en colère, genre : « Putain ! » Mais ensuite je comprends que ça fait partie du processus. Je dois me rappeler qu’à la fin, quand nous avons fini d’écrire un album, je suis toujours excité et content de ce que nous avons créé. J’en suis rarement déçu, du style : « Mouais, c’est nul. » Parce que je n’ai pas peur de l’échec, je suis prêt à aller devant le groupe et à dire : « Qu’est-ce que vous pensez de ça ? » Et ils sont là : « Ah, je ne sais pas… » Si je trouve que c’est vraiment super, je suis là : « Essayez de vous y faire quelques jours, donnez-lui sa chance. » Et soit ça passe, soit ils disent : « Non, mec. Essaye autre chose. » « D’accord, c’est parti. » Nous avons aussi des producteurs géniaux qui comprennent vraiment les différents éléments de notre groupe, car nous travaillons avec plusieurs producteurs, et là aussi c’est un processus amusant.

En 2020, vous avez fait un live stream en studio pour les vingt ans d’Infest. Comment le fait de revisiter cet album et de se souvenir de cette époque a impacté Ego Trip ?

C’était génial de replonger là-dedans, de faire ce live stream, de réapprendre toutes les chansons et de les jouer ensemble. C’était fort. Ça nous a rappelé la simplicité de la musique de l’époque. Parfois, il n’y a pas besoin de plus qu’une guitare, une basse, une batterie et du chant, et il y a des passages dans ce nouvel album où il n’y a que de la guitare, de la basse, de la batterie et du chant, et c’est puissant. Nous aimons aussi cette facette de notre musique. On peut épurer toute la production et nous restons ce putain de groupe capable de déchirer avec ces chansons. Nous avons joué hier soir lors d’une release party pour l’album. Nous avons joué dans une petite pizzeria, à même le sol, avec les fans, sans production, rien, et les chansons envoyaient quand même. J’adore ça chez nous. Nous voulons conserver cet aspect. On la retrouve dans des chansons comme « Kill The Noise » où nous sommes là : « C’est quoi ce riff ?! » [Chante le riff en étant à fond dedans] Ça a inspiré ce genre de passage dans l’album. Nous ne perdrons jamais cette facette de notre personnalité, car le riff – le riff tout-puissant – il y a quelque chose de spécial là-dedans. J’adore !

Est-ce que ça t’a fait repenser au Jacoby de l’époque ?

Oh ouais, mec. Tellement de grands souvenirs de cette époque de ma vie sont remontés, rien que la découverte de plein de nouvelles choses, les voyages, le fait de voir le monde pour la première fois, le fait d’aller jouer dans des festivals en Europe. « Oh mon Dieu, je n’arrive pas à croire que je suis là ! » « Je ne comprends pas comment actionner l’interrupteur pour la lumière. » « Comment j’échange cet argent ? » « Qu’est-ce que je suis en train de faire ? » « Comment est-ce que je commande à manger quand je ne sais pas lire ? » Toutes ces choses. C’était une période géniale et aventureuse de ma vie où j’ai pu faire l’expérience du monde. C’était un vrai cadeau de pouvoir faire ça. Mais à la fois, j’ai tellement fait la fête et je me suis tellement emporté que je ne pouvais pas garder très longtemps ce style de vie. J’ai beaucoup appris et grandi, et c’était plein de super expériences, mais aussi de douleurs et d’angoisses mélangées à ça.

« C’est un peu une double vie avec cette rockstar plus vraie que nature et cette version de moi à l’intérieur de laquelle il y a une part de fêlure que j’essaye de réparer. »

L’album s’intitule Ego Trip et le côté prétentieux qu’il dégage exaspérera à coup sûr des gens. En fait, il y a une idée plus profonde derrière, mais dirais-tu que le côté provocant fait aussi partie de ta vision du métier d’artiste ?

Absolument. Il faut défier les gens. Il faut les bousculer. Je trouve que c’est important. Je le fais aussi avec moi. Quand je parle d’« ego trip », c’est un voyage dans mon ego. Qui est aux commandes de mon ego ? Est-ce mon moi supérieur ? Est-ce la version de moi compatissante, attentionnée, indulgente, spirituellement consciente ? Ou est-ce la version égoïste, égocentrique, qui cherche à assouvir ses propres désirs charnels et court après les choses matérialistes ? Qui dirige ? Chaque chanson trouve le moyen de raconter cette histoire, ce que je traverse et ce que je fais. Parce que parfois, je suis absorbé par mes propres conneries et je crois en ma propre hype. Encore et encore, dans ma vie, quand je prends les commandes et dirige les choses, je foire des trucs, je déconne, je blesse des gens, je déçois des gens, je me déçois. Je suis prêt à regarder ces échecs et à dire : « Comment puis-je apprendre ? Comment puis-je grandir maintenant ? » C’est un autre regard, le fait de pouvoir être responsable de mes erreurs, d’être honnête, ouvert et vrai, et d’apprendre de ces erreurs et de grandir.

D’un autre côté, penses-tu qu’il faille un certain ego pour être un artiste et être créatif ?

Absolument. A cent pour cent. Quand je monte sur scène, je veux être plus vrai que nature. Je veux être comme Freddie Mercury. C’est le lieu pour ça. Ecrire une chanson, c’est une expérience personnelle très cathartique. Avoir cet équilibre entre… Oui, j’ai un peu la folie des grandeurs, je l’ai toujours eue, depuis que je suis gamin. Je pense qu’une part de pensée mégalomane est nécessaire pour qu’un rockeur soit où il est. La façon dont fonctionnent le monde et le système n’est pas faite pour les gens comme moi. C’est fait pour la conformité. Ce n’est pas ma place. Ce n’est pas là que je prospère. Je suis un leader. Je suis un créateur. Je sors des schémas établis et je vis dans un panorama ouvert et libre, et c’est pourquoi j’échoue, et ne rentre pas dans les cases. Mais je pense que ce panorama ouvert et libre est là où la vie commence. Et je dirais ceci : ce n’est pas fait pour tout le monde. Tout le monde n’est pas fait pour ce que nous faisons. Tout le monde a des dons, des talents et des capacités uniques, et parfois les gens ont besoin d’être dans ces schémas établis pour prospérer, et ce n’est pas un problème.

Est-ce que Papa Roach t’aide à créer un équilibre avec ton ego dans ta vie, en écrivant des chansons et en réfléchissant sur toi-même, ou au contraire, es-tu obligé de retenir ton ego que le succès de Papa Roach fait ressortir ?

Ça ne me pose pas de problème d’être humble avec les succès de Papa Roach. C’est quelque chose dont je suis reconnaissant, mais je sais que l’adoration des gens pour notre musique ou leur manière de nous applaudir quand nous sommes sur scène ne fait pas de moi qui je suis quand je suis seul dans une pièce. Ma véritable essence apparaît quand je suis seul, quand personne ne regarde. C’est un peu une double vie avec cette rockstar plus vraie que nature et cette version de moi à l’intérieur de laquelle il y a une part de fêlure que j’essaye de réparer. L’art est le vaisseau pour être libre, évoluer et grandir.

Le clip vidéo de « Cut The Line » ramène le groupe dans l’atmosphère de sa salle de répétition originelle : es-tu parfois nostalgique de cette époque où vous jouiez dans cette pèce exiguë, intimiste et enfumée ?

Absolument. J’adore ça. C’est pourquoi nous avons fait ce truc hier soir pour la sortie de l’album. C’était une sorte d’expérience anti-ego. Nous nous sommes installés dans une pizzeria et nous avons joué de la musique pour nos fans et amis au milieu des gens. Il y a quelque chose de vraiment pur et brut dans cette expérience, et tellement inspirant. Je pense que c’est toujours en nous. Nous devons nous le rappeler en nous remettant dans ce genre d’environnement et de lieu. Il ne faut pas oublier d’où on vient. C’est un bon rappel. Cette salle de répétition, le fait que tout était très simple, et nous venions après le boulot pour répéter et faire du boucan ensemble… C’est toujours en nous. Il y a encore des éléments de cette innocence qui vivent en nous. Ça fait encore partie de nous.

« Cette musique est hyper accrocheuse, mais elle est aussi authentique et vraie, et elle n’est pas manipulée par les pressions extérieures. C’est un délicat équilibre. »

Par le passé, tu as dit qu’à vos débuts « quand [vous] éti[ez] dans la salle de répétition, [vous] ne réfléchissi[ez] pas aux personnes que [vous] devi[ez] impressionner, [vous] pensi[ez] à à quel point [vous] aimi[ez] faire de la musique avec les gars dans ce groupe ». Penses-tu qu’il y a eu des moments où vous pensiez plus à ceux que vous deviez impressionner qu’à cet amour initial ?

Oui. Il y a beaucoup de pression, surtout quand vous traitez avec une maison de disques et devez répondre à ses attentes. C’est une partie naturelle de ce boulot que nous faisons, car c’est de l’art, mais c’est aussi un produit qu’on vend aux gens. La pression liée à ça peut parfois obscurcir notre vision pour ce qu’on est en train d’essayer de créer. C’est un équilibre à avoir entre la pureté et l’honnêteté qu’on veut conserver et le fait de ne pas laisser la peur de l’échec ou le succès obscurcir sa vision créative. Je pense que c’est là que la magie de ce processus apparaît : d’une certaine façon, cette musique est hyper accrocheuse, mais elle est aussi authentique et vraie, et elle n’est pas manipulée par les pressions extérieures. C’est un délicat équilibre.

Papa Roach a réactivé son propre label, New Noize Records. C’est une nouvelle incarnation d’une entreprise qui a été originellement créée au début des années 2000. Qu’est-ce qui vous a poussés vers cette décision ?

Au moment où nous sommes rentrés chez nous et que nous nous sommes retrouvés enfermés à cause du Covid-19, notre contrat avec notre maison de disques avait pris fin. Nous avons donc décidé de regarder et prendre la température : « Allons rencontrer quelques maisons de disques – des grosses maisons de disques, des plus petites, des indépendantes – et réfléchissons aussi à la question de savoir si nous le faisions nous-mêmes. » Nous avons donc fait toutes les réunions, nous avons rencontré tous les gens, et nous avons réalisé que c’était le moment de reprendre le pouvoir, de le faire nous-mêmes. Nous avons énormément appris au cours de cette carrière, grâce à de super personnes avec qui nous nous sommes entourés. J’ai énormément appris en travaillant avec Better Noise Music. J’ai énormément appris en travaillant avec Allen Kovac. J’ai énormément appris en travaillant avec DreamWorks Records. Pas que moi, mais tout le monde dans le groupe. Prendre ces connaissances et être suffisamment téméraire et courageux pour essayer de faire ça seul, ça représente beaucoup plus de travail que nous le pensions, mais quand tu y arrives, c’est vraiment génial. Nous menons la danse et nous prenons toutes les décisions. Nous marchons sur le fil du rasoir, c’est-à-dire que ça peut totalement s’effondrer et être un énorme échec, ou alors nous pourrions toucher du doigt la grandeur. Ça pourrait décoller et être extraordinaire. En plus, nous avons fini par voir la quantité d’argent que nous donnions à la maison de disques, j’étais là : « Merde ! J’en ai marre de vous donner tout ça ! Je veux gérer mon propre truc. » Donc nous voilà. On verra si ça marche !

Quelle est la plus grande leçon que vous avez apprise à propos du business durant toutes ces années et que vous avez emmenée avec vous dans New Noize Records ?

Ne jamais avoir peur de revenir en arrière et d’essayer de composer encore deux ou trois chansons à la fin du processus d’écriture d’un album. C’est l’un des trucs les plus importants pour nous. Nous arrivions à la fin de la réalisation de notre album et nous nous disions : « On a fini ! » Et la maison de disques disait toujours : « Ah, mais je trouve qu’il manque quelque chose. » Nous avons toujours détesté ça. Nous étions là : « Va te faire foutre, tu ne comprends pas ce qu’on fait. » Puis nous redescendions sur Terre et disions : « Tu sais quoi ? On va retourner en studio. On va essayer. » Cette fois, nous avons fait la même chose. Nous avons fini l’album et nous étions là : « Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il nous faut encore une chanson ou deux. Je trouve qu’il manque quelque chose. ‘Kill The Noise’ a besoin d’un autre morceau équivalent qui serait dans la même veine stylistique. » Donc nous avons fait ça. Nous avons composé « Dying The Believe », qui a effectivement amélioré l’album. Je trouve que ce processus est un outil précieux et nous l’avons appris en travaillant avec des maisons de disques, en arrivant à la fin du processus d’un album et en nous demandant : « Qu’est-ce qui manque ? Est-ce qu’il faut autre chose ? » Et en regardant ça non pas avec un regard d’artiste mais avec celui d’une maison de disques. Ça aussi a été un processus amusant, le fait de pouvoir regarder objectivement notre art et nous dire : « Qu’est-ce qui, au final, fera de ce truc la meilleure œuvre possible ? »

Avez-vous prévu de signer d’autres groupes sur ce label ?

Arrivera un moment où nous le ferons, clairement. Pour l’instant, nous nous concentrons vraiment sur la réussite de cet album, Ego Trip, et nous constituons un capital pour pouvoir investir dans un autre artiste, car il y a énormément de jeunes talents géniaux là-dehors. On le voit au quotidien. Les gamins utilisent cette plateforme TikTok pour exprimer leur créativité et il y en a plein qui ont du talent. C’est une époque excitante pour la musique.

« Je voulais être la plus grande rockstar sur la planète Terre. Mes parents croyaient que j’étais fou. Mes amis croyaient que j’étais fou. Je pense même que les gars dans le groupe croyaient que j’étais fou [rires]. »

L’année prochaine, ça fera trente ans que tu auras fondé Papa Roach, en janvier 1993 quand tu as rencontré Dave Buckner sur le terrain de football du lycée de Vacaville. Qu’est-ce que le Jacoby adolescent qui n’avait pas encore rencontré le succès avait en tête à ce moment-là et quelle était son ambition ?

Je voulais être la plus grande rockstar sur la planète Terre. C’était mon but. J’étais complètement délirant. Absolument. Mes parents croyaient que j’étais fou. Mes amis croyaient que j’étais fou. Je pense même que les gars dans le groupe croyaient que j’étais fou [rires]. J’étais là : « Non mec, tu ne piges pas. T’as rien capté. Ça y est. C’est ce que je vais faire. Tu veux me suivre ou pas ? Allons-y ! » J’ai toujours eu cette vision. Les gens ne comprenaient pas et je n’avais pas le talent à l’époque, mais j’avais ce truc en moi, cette envie de devenir un meilleur compositeur, un meilleur frontman. Heureusement, les mecs avec qui je jouais de la musique étant gamin étaient à fond dedans. Ils étaient là : « On y va, on le fait. On peut y arriver ! » Puis nous avons commencé à voir des groupes du coin, comme AFI, Green Day et Deftones, obtenir un contrat avec une maison de disques et voyager dans le monde. Là ça a commencé à devenir réel, genre : « Mec, on peut vraiment le faire. » Donc oui, le jeune Jacoby avait toujours la folie des grandeurs. J’étais toujours une rockstar dans ma tête.

As-tu encore cette ambition d’être la plus grande rockstar sur Terre ?

Mais je le suis ! Non, je déconne [rires]. Bien sûr, mec. A ce stade de notre carrière, si je devais arrêter, je serais satisfait, mais il y a cette petite partie de moi qui n’est jamais satisfaite. Comment l’alimenter ? En allant créer encore. Il faut créer encore et encore, et voir où ça nous mène. Ça fait dix ans qu’il y a cette remontée en puissance – ça monte, ça monte, ça monte. C’est une super aventure. Surtout aujourd’hui, on dirait qu’il y a un renouveau dans le rock. Les gosses reprennent les guitares. Il y a un truc qui se passe autour du rock, et je suis content de toujours être là et d’en faire partie.

L’un de tes fils est batteur : avec ton expérience du business, n’es-tu pas inquiet de le voir suivre cette voie ou bien penses-tu qu’avoir un père en mesure de l’avertir et le guider est une occasion d’y aller sans subir les mauvais côtés et faire d’erreur ?

Ce que je sais concernant mes garçons, c’est que parfois, il faut faire ses propres erreurs pour apprendre. Je ne me souviens pas, plus jeune, de gens qui m’aient assis et m’ont dit ci et ça, et d’avoir été là : « Ouais, ouais, ouais ! » et ensuite ne pas avoir fait ces erreurs. Ça fait partie de l’obstination qui est en moi et qu’on retrouve aussi chez mon fils. Mais oui, j’ai clairement de la sagesse à transmettre à mon garçon, mais je l’encourage aussi… Je vais te dire, c’est un extraordinaire petit athlète. Il adore le sport aussi. Il a fait du sport toute sa vie. Il veut aller à l’université et jouer au football, et je suis là : « Vas-y, mon fils. Fais-le. » Quand il s’agit de moi et de mes enfants, c’est genre : « Sois inspiré et fais quelque chose. Ne reste pas là à ne rien faire. Aie une passion, va poursuivre quelque chose. » Donc j’adore le fait qu’il aime jouer de la batterie et qu’il ait un côté créatif. Il aime aussi rapper, c’est un super petit rappeur. Il en arrive à un point où je suis là : « Merde mec, est-ce que t’es meilleur que moi ? Tu écris de meilleurs raps que moi. Putain, t’es doué ! » Il est très bon, j’adore ce qu’il fait, mais il doit le faire seul. S’il veut y arriver, il doit le faire seul. Je ne vais pas être là : « Laisse-moi t’obtenir du temps en studio, bla-bla-bla, et faire de toi un artiste. » Pas question : « Si tu le veux, tu dois aller le chercher. »

Interview réalisée par téléphone le 8 avril 2022 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Bryson Roatch.

Site officiel de Papa Roach : paparoach.com

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