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Interview   

Paradise Lost en nuances de noir


Gregor Mackintosh enchaîne. C’était il y a à peine six mois qu’on s’était parlé pour discuter de son nouveau projet Strigoi et de l’album Abandon All Faith. A ce moment-là, il venait tout juste de terminer la composition du nouvel album de Paradise Lost, il évoquait « un album bien plus varié que le précédent », avec un retour des influences gothiques, et les enregistrements étaient sur le point de démarrer, pour une sortie au printemps. Le rendez-vous était donc pris.

Obsidian est le nom de ce seizième album, qui voit le jour trente ans après leur premier méfait, Lost Paradise. Gregor ne nous a pas menti : aux élans doom death de Medusa (2017) se mêlent désormais, dans un effet de contraste clair-obscur, des réminiscences gothiques de la fin des années 90, mettant ainsi à l’honneur deux couleurs musicales chères au groupe.

Dans l’entretien qui suit, Gregor nous parle donc d’Obsidan et de sa direction musicale, fruit à la fois d’une méthode de composition peu commune et d’un Nick Holmes ayant poussé son compère à se remémorer la tant regrettée époque où ils fréquentaient les clubs gothiques d’Halifax et des environs. Car si la relation artistique des musiciens a bien failli être brisée au tournant du siècle, nul doute qu’ils entretiennent aujourd’hui un lien unique, dont nous parle également le guitariste, parmi tant d’autres sujets, dévoilant encore un peu plus de sa personnalité atypique mais hautement sincère et attachante.

« Il y a plusieurs années, c’était moi le gars qui voulait beaucoup expérimenter et Nick qui disait : ‘Calme-toi un peu, n’expérimente pas trop.’ C’est un peu l’inverse aujourd’hui [rires]. »

Radio Metal : Comment vas-tu ?

Gregor Mackintosh (guitare) : Je vais bien ! En dehors du fait que le dernier gars avec qui je viens de faire une interview s’est avéré être un cinglé religieux ! C’était absolument bizarre. Tellement étrange.

C’est-à-dire ?

C’était un fervent catholique et il a essayé de me le justifier tout le temps de l’interview, car il sait que je suis athée. Il n’a donc pas vraiment posé de question, à la place il disait que la science est née de la religion et tout un tas d’autres trucs. Je lui disais constamment : « Tu te fais des idées ! », donc ça n’allait nulle part. C’était très étrange. Je crois qu’il m’appâtait, qu’il voulait que je dise quelque chose de dénigrant, car il essayait de dire que plein de gens dans le metal ont des préjugés contre la religion et essayent d’inciter à la haine. J’ai dit : « Donne-moi un exemple. » Il a cité une phrase d’une chanson de heavy metal qui dit : « Les chrétiens aux lions ! » Et j’ai dit que c’était surtout une phrase historique. Ce n’est pas comme si on disait aux gens de donner les chrétiens aux lions aujourd’hui. Bref, je n’ai plus envie d’y penser. Ça m’angoisse !

Medusa, le précédent album de Paradise Lost, était clairement l’album le plus extrême et le plus cru que vous ayez fait depuis le tout premier, Lost Paradise. Quel est ton regard sur cette expérience aujourd’hui, avec le recul ?

Medusa était vraiment plus mon truc. Je voulais faire un album de doom. Le reste des gars dans le groupe était un petit peu réticent à l’idée de faire un album entièrement constitué de guitare doom et plein de fuzz. Mais je suis parvenu à les convaincre rien qu’avec la qualité des chansons. Ça vaut pour n’importe quel album, si on essaye de faire quelque chose qui sort un peu de la norme, peut-être, ou quand on a une idée précise en tête. Avec Medusa, j’avais une idée précise, je voulais aller dans cette direction. Je crois que Nick était plutôt partant au départ, mais Aaron [Aedy] et Steve [Edmondson] étaient un peu dubitatifs jusqu’à ce que je leur fasse écouter quelques morceaux que j’envisageais de faire. La production également… Je veux dire que quand nous avons été en studio, je sais que Steve était fermement contre l’idée de mettre des pédales de fuzz sur sa basse, en disant que ça retirait les basses fréquences, mais j’ai dit : « Non, il faut dédoubler le signal, garder les basses fréquences et faire en sorte que la fuzz s’applique sur les aigus. » Et alors il a compris. Il s’agissait juste d’expliquer aux gens, et je suis très soulagé que l’album ait été aussi bien reçu parce que ça a justifié ma démarche.

Même s’il conserve certains éléments de Medusa, le nouvel album Obsidian est bien plus varié et contrasté. Penses-tu que Paradise Lost ait atteint une limite dans cette direction presque régressive que vous avez prise avec Medusa ?

Oui. Enfin, l’idée de Medusa était juste de faire un album entièrement doom, avec une production très brute. Nous l’avons fait. Il n’y a pas vraiment d’intérêt à refaire un album exactement pareil. Ça n’a aucun sens pour nous. Ça ne nous intéresserait pas. Donc quand est venu le moment de faire cet album, l’idée a toujours été de le rendre un peu plus éclectique et varié, en apportant des influences différentes et en voyant ce que ça donnait. Nous avons changé notre méthode de composition il y a environ trois ou quatre ans pour opter pour une méthode de composition très aléatoire qui nous apporte plein d’idées très rapidement, et ça nous aide parfois à obtenir des résultats surprenants et des arrangements très intéressants auxquels nous n’aurions peut-être pas pensé avec notre méthode de composition originelle. Cette fois, nous nous sommes retrouvés avec un mélange de styles bien plus éclectique. Certaines personnes avec qui j’ai fait des interviews ont dit que ça sonne presque comme un album best of. Ils peuvent entendre des sons remontant jusqu’à One Second et Gothic. Ce n’était pas du tout l’intention, mais je suppose c’est qui nous sommes. Ce sont les mêmes musiciens qui jouent et qui composent cette musique. Avec un peu de chance, il y a quelques nouveaux trucs là-dedans. Il y a deux ou trois morceaux, comme le titre d’ouverture, « Darker Thoughts », et la chanson « Ending Days », qui sont assez différents pour Paradise Lost, je pense. Ils ne sonnent pas comme quelque chose que nous aurions fait normalement.

Obsidian mélange notamment deux de tes plus grands amours, musicalement parlant : le doom death et le rock gothique. Nick a dit qu’il t’avait en fait encouragé à aller plus dans le gothique, car tu es très bon dans ce domaine…

Oui, c’est bizarre qu’il m’ait encouragé à le faire, car il y a plusieurs années, c’était moi le gars qui voulait beaucoup expérimenter et Nick qui disait : « Calme-toi un peu, n’expérimente pas trop. » C’est un peu l’inverse aujourd’hui [rires]. Il veut que j’expérimente plus et je suis un peu le doomster maintenant. Mais oui, quand j’étais en train de composer cet album, toutes les deux chansons je changeais le style dans lequel je composais. Pour des chansons comme « Ghosts » et « Hope Dies Young, et peut-être même « Forsaken », ces trois morceaux dans l’album, je me suis clairement remis à écouter ma collection de vieilles musiques gothiques des années 80, me remémorant cette époque et la remettant au goût du jour, j’espère. C’est quelque chose qui était déjà présent dans notre musique auparavant. Certaines personnes disent : « Pourquoi faites-vous ça maintenant ? » « Eh bien, on l’a déjà fait en 1991 ! » Nous avons juste eu envie de le refaire maintenant et, oui, Nick m’a encouragé. Je pense qu’avec l’âge, Nick aime davantage l’éclectisme, il aime que les choses soient bien plus variées, alors que moi, avec l’âge, j’ai tendance à me focaliser un peu plus sur une seule chose [petits rires]. Cet album était bien plus un travail partagé entre Nick et moi pour obtenir un album plus varié. Si ça n’avait été que moi, il y aurait probablement eu beaucoup plus de morceaux lents sur l’album. Nick m’aide à embrasser mon côté entraînant. Nous sommes une bonne équipe de composition, je trouve. Nous sommes vraiment sur la même longueur d’onde une fois que nous nous sommes mis d’accord sur quelque chose. Il complète ce que je fais et vice versa. C’est bien que nous nous soyons trouvés !

« J’adorais la musique gothique, mais j’ai été un peu élevé dans la scène punk. Les punks étaient vraiment impitoyables, ils n’aimaient pas qu’on aime un autre type de musique. Le seul autre groupe qu’on avait le droit d’aimer en dehors du punk était Motörhead. »

Dernièrement, tu as été plus dans le doom et le death metal. Du coup, quelle a été la place du rock gothique dans ta vie ces dernières années ?

Ça fait partie des choses avec lesquelles j’ai grandi. Ça faisait partie de la scène de la région où nous vivions. Au milieu des années 80, j’avais seize, dix-sept, dix-huit ans, et dans tous les clubs gothiques du coin, à Bradford et Leeds, il y avait des groupes comme The Cult, Sisters Of Mercy, New Model Army, etc. Ils venaient tous de ces villes. Nous y étions exposés à un très jeune âge et c’est ce qu’on entendait constamment dans les clubs où nous allions. On a tendance à porter comme un bagage tout au long de notre vie les trucs auxquels on est exposés durant notre adolescence, qu’on le veuille ou non. De temps en temps, on atteint des stades dans notre vie où on se remémore ces choses. On repense à ces bons souvenirs et ça finit par faire partie de notre identité musicale, je suppose.

Mais penses-tu que tu avais besoin de plonger dans cette musique « des cavernes », pour reprendre ton expression, pour retrouver goût au rock gothique ?

Oui. Enfin, je pense que tout le monde passe par des phases. Tout dépend de notre humeur. Il faut à peu près six mois pour écrire un album et au cours de ces six mois, une semaine je vais préférer écouter de la musique typée doom death et une autre semaine il se peut que je sois d’humeur pour de la musique classique, une autre semaine je serai dans totalement autre chose. Les gens sont comme ça. Ça se reflète dans la composition, généralement. Sur Medusa, oui, j’étais dans une période où il fallait que j’évacue ce truc doom metal de ma tête. Mais le doom et le gothique ne sont que deux aspects différents de ce que nous aimons et qui ont aidé à construire le style du groupe. Il y a plein d’autres influences, plein d’autres choses que nous écoutons ou que nous avons écoutées par le passé, ou même plein d’autres influences issues de la vie. Ton entourage, une chose qui t’arrive tel jour, des films, des livres, peu importe quoi, tout ça s’immisce dans la composition d’une chanson. Ça se mélange et avec un peu de chance, ça rend ton groupe unique. Enfin, parfois les groupes veulent vraiment sonner comme d’autres groupes, mais ce n’est pas particulièrement ce que nous voulons, nous voulons faire notre propre truc. Et puis, je pense toujours à la musique en termes de sentiments et d’atmosphères. Je n’y pense jamais en termes d’airs musicaux. Evidemment, il faut qu’il y ait des accroches là-dedans pour attirer l’auditeur, mais quand j’écoute de la musique, je pense avant tout à ce que la musique me fait ressentir.

Tu as déclaré qu’il « y avait un bar ou un club gothique à chaque coin de rue à la fin des années 80, et aujourd’hui tout a disparu ». Regrettes-tu cette époque et ces lieux gothiques ?

Oui, ça me manque énormément ! Ça m’énerve qu’il n’y ait plus nulle part où aller. Peut-être que je suis trop vieux pour y aller de toute façon, je ne sais pas [rires]. Mais quoi qu’il en soit, il n’y a plus de club, ils ont tous fermés, personne ne pourrait y aller, donc ça n’a plus vraiment d’importance. Avant la pandémie, ça m’agaçait qu’il n’y ait plus de vrai club gothique ou rock. Enfin, il y en a quelques-uns en Allemagne et dans certains pays en Europe, mais très peu. C’est un mode de vie qui s’est un peu éteint. Les gens vont dans des festivals mais c’est à peu près tout.

Tu as aussi dit que c’est quelque chose que tu aimais à l’époque mais que tu n’osais pas l’admettre. Pourquoi donc ?

Parce que j’étais dans des trucs plus heavy à l’époque. C’était une sorte d’amour secret [rires]. J’adorais la musique gothique, mais j’ai été un peu élevé dans la scène punk. Les punks étaient vraiment impitoyables, ils n’aimaient pas qu’on aime un autre type de musique. Le seul autre groupe qu’on avait le droit d’aimer en dehors du punk était Motörhead, c’était tout, rien d’autre. Quand la scène punk a commencé à fusionner avec la scène metal, vers 84-86, il y a eu des groupes comme Antisect, Broken Bones et autres qui devenaient un peu plus metal, et des groupes comme Celtic Frost, Hellhammer, qui franchissaient ces limites. C’est devenu plus acceptable d’aimer d’autres formes de musique. C’est là que j’ai été autorisé à aimer un peu plus la musique gothique.

Dirais-tu aussi qu’avec l’âge on admet plus facilement nos « plaisirs coupables » ?

Oui, je pense ! Avec l’âge, on se fiche davantage de ce que les gens pensent. Quand on est adolescents, on est généralement très au courant de ce que les gens pensent de nous et on se prend sans doute trop au sérieux – je sais que c’était mon cas. Je me prenais trop au sérieux quand j’étais adolescent. Avec l’âge, on ne fait plus ça et ça n’a plus autant d’importance. C’est ce que j’ai remarqué chez moi. J’ai surtout réalisé ça parce que nous avons sorti un livre récemment sur nous, une biographie intitulée No Celebration. On y trouve des interviews de plein de gens de notre passé, de nos débuts, et c’est très intéressant de lire les points de vue de tous ces gens sur notre carrière et notre personnalité, et ça nous fait réaliser les limites que nous avions étant jeunes voire peut-être nos défauts.

« Parfois c’est ennuyeux de faire ce qu’on attend de nous dans un refrain ou un couplet. »

Dans Obsidian, Nick fait cinquante pour cent de chant clair et cinquante pour cent de growl. Penses-tu que Nick avait aussi besoin d’un album plus multidimensionnel en tant que chanteur à ce stade ?

Sans doute ! En plus, il faut se dire qu’il chante dans Bloodbath aujourd’hui et ça devient probablement un peu fatigant de ne faire que du death metal tout le temps. Enfin, ça n’a de toute façon jamais été l’intention. Quand nous avons fait revenir sa voix growlée, ça n’était pas prévu que nous fassions des albums complets avec ce type de chant. C’était vraiment juste pour accentuer ce que nous faisions déjà. Medusa s’est juste trouvé être très… Une grande partie du chant sur cet album est devenu tel qu’il est par défaut. Mais en ce qui concerne ce nouvel album, nous avons opté pour ce qui convenait aux parties. Nous aurions pu nous retrouver avec du growl à la place des parties chantées, mais il s’est avéré que certaines parties sonnaient super avec le growl et d’autres non. Mais je crois effectivement que Nick préfère quand il a un peu plus de diversité et qu’il peut essayer des choses.

Comment travaillez-vous tous les deux sur la dynamique entre les deux styles de chant ?

C’est ce truc aléatoire dont je t’ai parlé. Notre manière de composer est que je vais lui donner un morceau de musique et lui demander de faire quatre ou cinq lignes vocales dans différents styles vocaux. Sur le même morceau de musique, il chantera une ligne en growl, une ligne très calme en chant clair, peut-être une ligne en falsetto, peut-être une ligne très grave, il peut aussi y avoir une mélodie différente de la précédente, et ensuite il me renvoie tout ça. A un instant T, nous pouvons avoir cinq versions différentes d’exactement la même chanson avec des chants différents. Ensuite, je retire toute la musique pour la reconstruire derrière, et recommencer de zéro en utilisant et testant toutes les différentes lignes de chant. C’est comme construire un puzzle. Nous avons plein de petites pièces de musique différentes. A un moment donné, nous sommes contents de toutes ces petites pièces et ensuite, entre nous, nous essayons d’assembler ces milliers de pièces de puzzle sans modèle de référence. C’est la partie la plus difficile, mais c’est aussi amusant ! Nous ne cherchons jamais à vouloir absolument inclure une partie, nous faisons simplement ce qui est le mieux pour la chanson, et ça crée des dichotomies très intéressantes. En l’occurrence, dans la chanson « Fall From Grace », ça devient musicalement très heavy sur le refrain mais le chant devient très, très subtil et calme. Ça a pu se faire uniquement grâce à notre méthode de composition. Voilà comment nous gérons les différents styles vocaux. Parfois c’est ennuyeux de faire ce qu’on attend de nous dans un refrain ou un couplet. C’est mieux d’essayer différents styles et de voir ce qui fonctionne, de faire des choses qui sont peut-être un peu plus intéressantes et palpitantes.

La dernière fois qu’on s’est parlé, tu nous as dit que tu as « une limite très claire dans [t]a tête entre ce que doit être Paradise Lost et ce qu’il ne doit pas être ». Pour ce qui est du jeu de guitare, tu nous disais que « tout ce qui est mélancolique, doux-amer, triste, un peu déchirant, etc. serait Paradise Lost ». Avez-vous les mêmes limites pour la manière dont Nick chante ?

Oui. Nous en discutons entre nous une fois qu’il a fait les lignes de chant. Je réécoute et je dis : « Peux-tu changer ceci en cela ou peut-être descendre d’un demi-ton à la place ? » Il est clair que nous en discutons après coup parce que nous essayons d’éviter de tomber dans ce qu’on appelle une harmonie joyeuse ou une gamme majeure. Nous essayons toujours de rester dans les limites de ce qui nous procurerait le sentiment le plus triste, ce qui toucherait le plus la corde sensible quand on écoute la musique. Ce n’est pas nécessairement ce que veulent les fans, car on ne peut jamais l’anticiper. On ne sait pas ce que les gens veulent. Nous faisons de la musique pour nous-mêmes. Si nous écoutons une chanson, nous nous demandons : « Est-ce que cette ligne vocale nous donne des frissons ? » Si ce n’est pas le cas, nous changeons quelques trucs et essayons de faire en sorte que ça provoque cette réaction.

Mais quelle serait la limite avec les growls ? Car dès qu’on utilise du growl, on se retrouve dans quelque chose de plus sinistre que mélancolique ou triste…

Tout dépend. Je veux dire que sur Medusa, les growls étaient plus là pour l’impact, car c’était sur un album doom metal très lourd. Tout était une question d’impact. Sur ce nouvel album, il s’agit plus de clair-obscur, d’élever et de redescendre. Du coup, les growls, sur celui-ci, sont plus des lignes de réponse, c’est comme un question-réponse pour conserver une fraîcheur. C’est semblable à la manière dont nous avons arrangé l’album. Nous avons arrangé les chansons de telle manière qu’elles s’enchaînent naturellement. Les hauts et les bas maintiennent l’intérêt de l’auditeur dans ce qu’il se passe. Nous essayons de faire la même chose avec les voix rauques. Quand il y en a trop à un endroit ou au mauvais endroit, ça peut être trop pour nous. Ça vaut juste pour Paradise Lost. Tous les groupes qui sont à fond death metal font comme ils veulent. Dans Paradise Lost, et en particulier dans Obsidian, nous avons voulu avoir ces lignes de question-réponse pour conférer à l’album plus de variations.

« Je suis celui avec qui il est le plus difficile de bien s’entendre en tournée, parce que je suis très fermé, je n’aime pas être là où il y a des gens, je n’aime pas les foules, je n’aime pas rencontrer de nouvelles personnes, je ne parle pas beaucoup [petits rires]. »

L’album s’intitule Obsidian, qui est une pierre connue pour sa couleur totalement noire. Ça peut étonner de faire cette référence pour un album bien plus nuancé que ne l’était Medusa, par exemple. Mais dirais-tu qu’avec Obsidian, vous explorez toute la palette de nuances de noir ?

Oui, nous en avons beaucoup parlé quand nous avons trouvé ce titre. Enfin, ça peut paraître étrange, mais il y a certains mots qui collent à l’univers de Paradise Lost et d’autres non. Obsidian fait partie des mots qui, clairement, collent. Dès que Nick l’a prononcé et que nous en avons parlé, nous avons dit oui, c’est vraiment un mot qui fait partie du domaine de Paradise Lost. Ensuite, nous avons discuté de la manière dont il s’associait avec l’album et de l’histoire des nuances de noir que tu as mentionnée. De même, nous avons dû faire le lien avec l’illustration, déterminer à quoi cette dernière devait ressembler. Il nous est venu l’idée comme quoi l’obsidienne était souvent utilisée dans le vieux folklore européen et dans les rituels et l’iconographie préchrétiens. Voilà comment nous avons eu l’idée de la pochette. L’idée était de donner à cette illustration un air d’iconographie païenne préchrétienne, avec les têtes de corbeau et les clous de cercueil, il y a une rose blanche d’York… Certains éléments sont assez subtils et certains éléments sont assez avant-gardistes et peut-être un peu plus ouverts à l’interprétation, mais nous trouvons que tout se relie joliment au final.

Comment savez-vous lorsqu’un mot convient ou ne convient pas à l’univers de Paradise Lost ?

Je ne sais pas. Nous devons prononcer le mot avant de savoir s’il convient à Paradise Lost. En l’occurrence – c’est le seul exemple qui me vient en tête d’emblée –, il y a de ça des années, le titre de travail de l’album One Second était Intravenous, mais ensuite nous avons tous décidé que nous ne pouvions pas l’appeler comme ça, que ça ne sonnait pas comme un titre de Paradise Lost. Et personne ne savait pourquoi ! C’est juste que nous nous sommes tous mis d’accord. Il suffit de donner un mot, puis de nous le dire sans cesse les uns aux autres, et alors nous nous disons : « Non, ça ne rentre pas vraiment dans le vocabulaire de Paradise Lost. »

Avec Paradise Lost, généralement, les textes viennent après la musique, à l’inverse de la manière dont tu as travaillé avec Chris Casket dans Strigoi – comme tu nous l’as expliqué la dernière fois. Cependant, accompagnes-tu ou guides-tu Nick dans le processus, comme tu as pu accompagner Chris Casket dans Strigoi ? Car on dirait que de nombreuses thématiques dans Obsidian font écho à tes propres idées et vision du monde…

Oui, nous parlons des choses et quand nous écrivons les chansons, avant que les textes soient faits ou quoi que ce soit, moi-même ou Nick y associons des phrases qui sont juste des phrases de travail. Ça correspond à des paroles mais ce n’est pas forcément les paroles définitives. Seuls peut-être vingt pour cent de ces phrases restent dans une chanson. Et ça donne à Nick une idée de la direction à prendre avec le texte de la chanson. Et puis si une chanson sonne comme une chanson très songeuse et introspective, alors sans le moindre doute, il en sera de même du texte.

« Ravenghast » est un titre que tu as trouvé et que Nick a aimé, donc il l’a gardé. Comment ce mot t’est-il venu ? Qu’est-ce qu’il signifie pour toi ?

[Petits rires] Je l’ai inventé ! J’étais en train de lire un livre sur les vieilles croyances païennes et les diverses pratiques qu’ils avaient. « Ghast » signifie esprit. En gros, c’est un autre mot pour dire « geist » ou « ghost » (fantôme, NdT), c’est une origine lointaine de ce mot. Puis j’ai lu que les corbeaux étaient perçus comme étant de très mauvais présages. J’ai trouvé ça intéressant, donc pour le titre de travail, j’ai appelé cette chanson « Ravenghast ». C’était la dernière chanson que j’ai écrite pour l’album. Je trouvais que la seule chose qui manquait à l’album était un côté un peu pompeux, quelque chose d’un peu exagéré, sans être kitsch, mais un petit peu plus grandiose. J’avais déjà écrit une bonne partie de cette chanson et je savais donc qu’elle allait être assez pompeuse – ce n’est peut-être pas le bon terme, je n’en suis pas sûr –, presque théâtrale, et il y avait ce crescendo… Je ne sais pas, ça me faisait penser à certains des trucs que j’étais en train de lire dans ce livre. Je n’y ai pas plus réfléchi que ça, mais alors Nick a dit : « J’adore ce mot. Qu’est-ce qu’il veut dire ? » Je lui ai expliqué que j’avais juste assemblé deux mots. Il a dit qu’il l’adorait, donc nous avons conservé le titre, mais il n’a pas forcément rapport au contenu des paroles.

Globalement, êtes-vous sur la même longueur d’onde Nick et toi en termes de vision du monde, de religion, de politique, etc. ?

La religion, nous sommes clairement sur la même longueur d’onde. Nous sommes à cent pour cent d’accord, parce que nous prônons la libre pensée. La politique, c’est plus ou moins pareil, je pense. Nous venons tous les deux de familles de classe ouvrière dans le nord de l’Angleterre, donc nous avons été élevés d’une certaine manière avec certains idéaux, disons, pas forcément politiques, plus moraux, et ça se reflète dans ce que nous pensons de diverses choses liées à la politique. Enfin, il se peut que nous soyons légèrement différents sur le spectre politique mais comme beaucoup de gens, nous ne faisons pas tellement confiance aux politiciens [petits rires]. Quand on met quelqu’un en position de pouvoir, il a tendance à abuser de ce pouvoir, peu importe son orientation politique. Mais généralement, surtout ces dernières années, ses textes ont plus été songeurs qu’autre chose. Donc ce ne sont pas des choses avec lesquelles on peut ne pas être d’accord, parce que c’est juste en rapport avec la condition humaine, le fait de repenser à notre vie et se demander ce que ci et ça était, pourquoi on a eu tel sentiment, etc. Parfois il est un petit peu plus cynique que moi dans sa vision du monde ou des gens. Tout dépend à quel moment tu tombes sur nous. Certains jours Nick est hyper-cynique et maussade, et d’autres jours c’est moi [rires], mais je suis probablement légèrement plus empathique.

« Je ne regarde pas au-delà d’un jour, parce que c’est trop déprimant et accablant. Donc selon cette manière de vivre, rien ne nécessite d’avoir de la foi. »

Ça fait plus de trente ans que vous travaillez ensemble dans ce groupe : est-ce que ça vous a rapprochés ou, au contraire, en avez-vous parfois marre l’un de l’autre ?

Ça dépend ! Quand on est en tournée, parfois on a besoin de notre propre espace et on n’a envie de voir personne, d’autant plus si la personne est dans le même groupe que nous. Mais non, je pense qu’au final, ça nous a rapprochés au fil des années, car je lui parle encore tous les jours. Même si nous ne vivons pas proches l’un de l’autre, nous discutons de chose et d’autres ou nous nous faisons des recommandations musicales, d’émissions de télé, de film ou de livre, et nous en discutons et rions. En plus, je pense qu’au fil de toutes ces années, non seulement on apprend ce que la personne aime, mais aussi on sait quelles sont ses limites, quelle marge de manœuvre lui donner, quel espace lui donner. Nous savons exactement jusqu’où nous pouvons aller en provoquant l’autre, quels mots nous devons utiliser en présence de l’autre, et ce n’est plus quelque chose auquel nous devons réfléchir, c’est naturel. Donc oui, je pense que globalement, ça nous a rapprochés. Si nous n’avions pas été dans un groupe ensemble, il se peut que nous ne nous soyons jamais revus, on ne sait pas !

Quelles sont tes limites et celles de Nick ?

Je suis celui avec qui il est le plus difficile de bien s’entendre en tournée, parce que je suis très fermé, je n’aime pas être là où il y a des gens, je n’aime pas les foules, je n’aime pas rencontrer de nouvelles personnes, je ne parle pas beaucoup [petits rires]. Donc en tournée, j’ai tendance à me couper du monde et je me joins aux gens seulement de temps en temps. Alors que Nick aime être le cœur et l’âme de la conversation. On peut tout le temps l’entendre parler. Il est toujours en train de parler de quelque chose dans le tour bus. Il ne m’oblige pas à prendre part aux conversations auxquelles je n’ai pas envie de prendre part et j’ai tendance à ne pas me pointer. Encore une fois, il s’agit de connaître l’autre et de savoir quel espace lui donner. Mais oui, il aime être le centre de la conversation et moi j’aime écouter.

Pourtant, tu sembles assez bavard en interview…

C’est parce qu’on me pose des questions spécifiques auxquelles je peux réfléchir et sur lesquelles je peux revenir. Si c’est juste une conversation où les gens sont là à ne rien faire et à discuter de n’importe quoi, surtout quand c’est tard le soir et que les gens ont bu, je n’aime pas ça, car ça mène généralement à des types de discussion où les gens se confrontent et ça ne me branche pas, car ce genre de querelle ne m’intéresse pas.

Les chansons « The Devil Embraced » et « Forsaken » parlent toutes les deux de la foi qui ne fonctionne pas ou qui a fatalement des défauts. C’est un thème que vous avez souvent abordé et que tu as toi-même abordé dans Abandon All Faith, l’album de Strigoi. Au sujet de cette idée, Nick a dit que la foi et la manière dont les gens font face à la dure réalité lorsque leur foi ne fonctionne pas le fascinent, précisant que quand il parle de « foi », ce n’est pas uniquement dans le sens de croyance religieuse. Mais faire carrière dans la musique avec un tel groupe ne nécessite-t-il pas de la foi, justement ?

[Rires] Argument intéressant ! Mais la seule raison pour laquelle cette hypothèse ne marche pas est que tu parles à quelqu’un qui ne pense pas plus loin que demain. Je vis en permanence dans une période de vingt-quatre heures. C’est ainsi que j’ai vécu toute ma vie. Je ne regarde pas au-delà d’un jour, parce que c’est trop déprimant et accablant. Donc selon cette manière de vivre, rien ne nécessite d’avoir de la foi, vraiment. Et ce sont deux manières de penser à la foi : avec Abandon All Faith de Strigoi, c’est plein de haine. C’est un album très antagoniste. C’est un album qui combat l’idée de la religion et de la foi. Alors qu’avec Paradise Lost, sur Obsidian, Nick aborde ça sous un angle objectif. Il regarde ces choses plutôt de manière introspective, se demandant pourquoi, quand ils arrivent en fin de vie, les gens interprètent à tort les regrets et la culpabilité comme une perte de foi, en éprouvant le besoin d’avoir une sorte de béquille. Dans Obsidian, ces textes sont des façons bien plus nuancées et subtiles de parler de ce sujet. Il ne s’agit pas vraiment d’être hostile à la religion ou à la foi, il s’agit juste de se demander pourquoi les gens font ça, pourquoi l’humanité a besoin de ça, pourquoi c’est toujours présent dans la société. Ce sont ce genre de questions.

Comment es-tu parvenu à une carrière de trente ans sans penser plus loin que demain ?

Je crois que je suis dans le parfait état d’esprit en ne pensant pas plus loin que demain, parce que dans l’industrie musicale, tu es seulement aussi bon que ton dernier album, c’est ce qu’ils disent. Tout pourrait s’arrêter demain, c’est ce qu’on nous dit depuis que nous avons fait notre premier album. Tout le monde nous disait que tout pourrait s’arrêter demain. Du coup, quel est l’intérêt de penser plus loin que demain ? En plus, demain n’existe pas, le passé n’existe pas. Seul le moment présent existe. D’un point de vue philosophique, le temps n’existe pas vraiment, n’est-ce pas ? Seul là où tu es maintenant existe. Les maisons de disques nous demandent d’anticiper, mais nous ne prêtons pas attention à elles ! Et si on regarde notre histoire, on s’est bien débrouillés comme ça, donc elles nous laissent faire notre propre truc.

« En tant que groupe, j’aimerais que nous nous éteignions avec dignité, sans trop devenir un vieux groupe qui s’acharne, si tu vois ce que je veux dire. Ça me déprime toujours quand je vois des groupes faire ça. »

En décrivant la chanson « Hope Dies Young », Nick a fait référence à la chanson « Teenage Kicks » des Undertones, qui commence par : « Les rêves d’adolescence sont-ils si durs à battre ? » Quels sont ton point de vue et ta propre réponse à cette question ?

C’est intéressant parce que Nick et moi avons réalisé nos rêves d’adolescents, plus ou moins. Nous faisons aujourd’hui ce que nous avons toujours rêvé de pouvoir faire étant adolescents, ce qui est génial. Mais je suppose que dans la chanson, il parle plus du fait que la très grande majorité des gens ont de grandes ambitions et de grands rêves quand ils sont adolescents, et quand ils grandissent, ces ambitions et ces rêves se font démolir par la vie. Ils en arrivent à un point dans la vie où ils repensent à ces rêves d’adolescents de manière cynique en se disant : « Comment j’ai pu penser ça ? Pourquoi j’ai cru que j’aurais pu faire ça ? » C’est une attitude très défaitiste et c’est la vie qui a raison de nous. Ils pourraient toujours avoir ces rêves. Même à la fin de notre vie on peut encore avoir des rêves. Ça ne veut pas forcément dire qu’ils se réaliseront, c’est plus une manière de s’évader.

Quels sont tes rêves d’adulte ?

J’adore rêver ! L’acte même de rêver est fantastique [rires]. J’adore être endormi et rêver. C’est comme un autre univers. J’adore l’explorer. Mais mes véritables rêves… Je n’ai d’autre ambition que de rester en vie pendant un petit moment et de profiter de chaque jour.

La chanson « Ending Days » parle de « se réconcilier avec les dernières heures de notre vie ». A quoi aimerais-tu que des derniers jours ressemblent, d’abord en tant que groupe, puis en tant qu’homme ?

En tant que groupe, j’aimerais que nous nous éteignions avec dignité, sans trop devenir un vieux groupe qui s’acharne, si tu vois ce que je veux dire. Ça me déprime toujours quand je vois des groupes faire ça. J’aimerais que nous partions sur un dernier très bon album, ne jamais baisser le niveau, de façon à ce que nous restions pertinents au sein de notre scène jusqu’à la fin. En tant qu’homme, j’aimerais juste partir en ayant dit au revoir aux gens à qui j’ai envie de dire au revoir, et le moins douloureusement possible [petits rires]. C’est à peu près tout. Ça arrivera à tout le monde. Je n’aurais pas le moindre regret quand je mourrais, je le sais, car ça n’a aucun intérêt. Je n’ai aucun regret aujourd’hui. Il y a des choses que j’aurais pu faire mieux dans ma vie, mais je ne les regrette pas, car autrement je n’en serais pas là où j’en suis aujourd’hui. Il y a certaines choses qui arrivent mais ce ne sont que des circonstances. En l’occurrence, il y a un an et demi, j’étais en Amérique du Sud et ma mère est tombée malade, et j’ai pris un vol pour revenir en Angleterre pour aller la revoir, et elle est morte pendant que j’étais dans l’avion, avant que je puisse revenir, mais ce n’est pas forcément un regret. J’aurais aimé revenir à temps, mais les circonstances étaient ce qu’elles étaient. Je n’aurais rien pu y faire. Donc je ne crois pas que j’aurais des regrets en mourant. Tant que je peux dire au revoir aux gens à qui je veux dire au revoir… et si je ne peux pas, tant pis, c’est les circonstances qui voudront ça.

Qu’est-ce que ça requiert de rester pertinent après trente ans de carrière ?

Je ne crois pas que ce soit vraiment quelque chose qu’on peut faire soi-même. Personnellement, j’adore toujours la musique, donc j’écoute plein de nouveaux groupes. Je suis obsédé par Bandcamp et j’achète tout le temps des albums via Bandcamp, parce que je pense que l’underground, c’est là que l’imagination prospère. Je pense que quand les groupes grossissent et deviennent très gros, ils se retrouvent enchaînés par leur maison de disques et par leur histoire, dans une certaine mesure, et par leurs fans. Donc je reste en lien avec la scène musicale underground, je suis ce qu’il se passe sur Bandcamp et les gens me font des recommandations. C’est une manière de faire, mais au final, je pense qu’on ne peut pas décider si on reste pertinent. C’est en fonction de l’époque et de ce que les gens aiment. On ne peut jamais le prévoir. On peut aussi voir ça sous un autre angle : pourquoi un album comme Draconian Times a été si populaire ? C’est un bon album et il tient encore la route aujourd’hui, à mon avis, mais aurait-il été aussi populaire s’il était sorti deux ans avant ou deux ans après ? On ne sait pas.

Penses-tu que ce qui a en partie fait que votre carrière ait été si variée et excitante, c’est le fait que vous vous fichiez de ce que les gens pensent ?

Il est clair que ça a rendu cette carrière plus excitante, mais de deux manières différentes, l’une bonne et l’une mauvaise. Il est clair aussi que nous sommes devenus le groupe qui s’est souvent tiré une balle dans le pied. Dès que nous devenions populaires, nous essayions de faire quelque chose qui était radicalement l’inverse pour essayer de devenir impopulaires. Nous n’avons jamais voulu être à la mode, étrangement. Nous n’aimions pas être le groupe à la mode. Dès que Draconian Times s’est retrouvé en couverture des magazines et que ceux-ci se demandaient si nous étions le nouveau Metallica, nous avons instantanément décidé de changer pour faire autre chose. Nous sommes notre pire ennemi, d’une certaine façon. Je n’ai jamais été du genre à regarder les graphiques de ventes ou à trop me soucier de qui nous écoutait, quand et comment ; ce sont des trucs de label. Je suis sûr que nous avons souffert de nos choix au fil des années, mais je n’ai aucun regret parce que sans ça je ne serais pas là à te parler aujourd’hui. Tout nous a menés là où nous sommes aujourd’hui.

« Nous sommes devenus le groupe qui s’est souvent tiré une balle dans le pied. Dès que nous devenions populaires, nous essayions de faire quelque chose qui était radicalement l’inverse pour essayer de devenir impopulaires. Nous n’avons jamais voulu être à la mode, étrangement. »

Votre premier album, Lost Paradise, est sorti il y a exactement trente ans. Quels sont tes souvenirs de ces premières années ?

Je me souviens que j’avais les yeux grands ouverts, à assimiler un tas de choses. Je me souviens quand nous avons vu l’album pressé pour la première fois. Nous venions tout juste de partir sur notre première petite tournée européenne à l’arrière d’une camionnette, nous étions quelque part en Hollande et un carton de vinyles était arrivé à la salle de concert. Nous l’avons ouvert et nous n’arrivions pas à croire que nous avions vraiment un album ! Nous étions ébahis et avons passé des heures rien qu’à regarder cet album, le lire, le sentir et tout [rires]. Je me souviens avoir été un petit peu dépassé par tout ce qui était en train d’arriver, car je n’étais jamais sorti d’Angleterre avant d’être dans un groupe. Je n’étais jamais monté dans un avion. Je viens d’une famille assez pauvre, donc je n’avais jamais vraiment voyagé très loin et là, je me retrouvais à voyager partout, à voir des choses, à rencontrer des gens, des pairs dont j’avais peut-être vu le groupe deux ans avant et maintenant je jouais avec eux. Tout était assez fantastique. Enfin, je prenais les choses un peu trop au sérieux, mais je pense que c’est le cas de beaucoup d’adolescents : ils prennent les choses un peu trop au sérieux, ne se détendent pas et ne profitent pas des choses autant qu’ils le devraient. Autrement, je n’avais pas de véritable ambition. Je voulais vraiment être musicien, mais tout le monde disait : « Ça n’arrivera jamais, donc que veux-tu devenir ? » Et je ne voulais pas vraiment devenir quoi que ce soit, donc j’ai pris des cours de graphisme et je me suis formé à l’imprimerie. J’ai été imprimeur pendant environ trois ans avant que nous devenions professionnels avec Paradise Lost. J’étais encore imprimeur quand nous avons fait nos deux premiers albums.

A cette époque, la scène doom metal était pas mal en ébullition, avec des groupes qui ont ensuite eu une belle longévité, comme Paradise Lost, mais aussi My Dying Bride ou Anathema. Quelle était votre relation à ces groupes ?

Les deux sont arrivés quelques années après. Je crois qu’Anathema est arrivé à peu près trois ans après nous et My Dying Bride peut-être quatre ans après nous. Donc nous les connaissions. Je veux dire qu’Anathema a ouvert pour nous plusieurs fois pour leurs tout premiers concerts, donc nous étions amis avec eux. My Dying Bride, nous les connaissions seulement pour les avoir croisés dans des pubs rock locaux et autres, mais nous ne connaissions pas très bien leur musique parce que nous étions déjà sur notre troisième ou quatrième album quand ils étaient en train de faire leur premier album. Les groupes que nous fréquentions et avec lesquels nous jouions au tout début, lors de notre premier album, étaient plus des groupes comme Carcass, Napalm Death, Bolt Thrower et Autopsy. Car nous étions le seul groupe qui jouait très lentement en Angleterre à l’époque, donc nous faisions des concerts avec Napalm Death et autre. Le public criait : « Jouez plus vite, jouez plus vite ! » Ça nous donnait envie de jouer encore plus lentement, rien que pour les faire chier [rires].

Tu mentionnes Napalm Death et il se trouve que Lee Dorian est ensuite parti faire du doom…

Oui. Enfin, à l’époque il n’était pas encore là-dedans. Quand nous jouions avec Napalm Death, il était à fond dans le hardcore et le punk. C’est ensuite, quand il est revenu, qu’il a commencé à aimer tous les trucs doom… Nous avons d’ailleurs pris Cathedral avec nous pour leur première tournée européenne, à l’époque du premier album. Nous avons toujours été très bons amis avec les gars de Napalm Death et de Cathedral.

Même si Paradise Lost est un groupe très différent aujourd’hui et que vous êtes passés par de nombreux changements, penses-tu que vous soyez restés fidèles aux idéaux que vous aviez à l’époque ?

Oui, parce que l’idée pour nous était… Nous avons toujours voulu rester un groupe assez lent ; nous n’allions jamais devenir un groupe au tempo rapide. Le principal était que nous voulions jouer des chansons tristes, un peu angoissantes, avec un peu de désespoir, en gammes mineures, et c’était tout. Chaque album que nous avons fait possède ces caractéristiques. Même Host est un album triste, un peu angoissant. C’est juste que ce n’est pas un album de metal. Donc je pense que nous ne nous sommes jamais trop éloignés de ce que nous avons initialement entrepris. C’est juste que le jeune moi ne comprendrait pas certains trucs que nous avons faits [petits rires], parce que quand j’étais adolescent, j’étais bien plus étroit d’esprit par rapport à la musique que je ne l’étais à la fin de ma vingtaine et après. Les gens sont comme ça, n’est-ce pas ? Ça vaut pour tout le monde.

En 2018, vous avez ressorti l’album Believe In Nothing avec un nouveau mix et un nouvel artwork. Vous n’avez jamais été très contents de cet album parce que vous n’aviez pas de contrôle créatif à l’époque. Qu’est-ce qui a mal tourné à ce moment-là ?

Je ne peux pas juste accuser la maison de disques. Je dois aussi me blâmer et blâmer le groupe. Nous nous sommes un petit peu égarés. Nous étions comme un navire sans gouvernail. Nous ne savions tout simplement pas ce que nous voulions. Certains d’entre nous avaient des problèmes de drogue. J’avais des problèmes dans ma vie personnelle. Nous avions des différends personnels et des problèmes dans le groupe. Nous ne nous entendions pas en tant qu’individus. Nous n’arrêtions pas de nous disputer. Il y a donc plein de choses qui ont affecté cet album. Mais ensuite, ça n’a pas aidé que EMI aient fait ce qu’ils ont fait, c’est-à-dire nous ôter l’album et le mixer, le remixer et le remixer encore sans même que nous soyons présents. C’est donc un album qui a été compromis à bien des égards. C’est le seul album que nous ayons fait dans toute notre carrière pour lequel le cœur n’y était pas.

« Nous étions le seul groupe qui jouait très lentement en Angleterre à l’époque, donc nous faisions des concerts avec Napalm Death et autre. Le public criait : ‘Jouez plus vite, jouez plus vite !’ Ça nous donnait envie de jouer encore plus lentement, rien que pour les faire chier [rires]. »

Comment avez-vous défendu, à l’époque, un album dont vous n’étiez pas satisfaits ?

Je ne suis pas sûr que nous l’ayons défendu ! Nous n’aimions plus être dans le groupe. En fait, nous nous sommes presque séparés. Nous étions probablement à quelques semaines d’une séparation, car c’était tellement horrible et nous ne supportions pas ne serait-ce que l’idée de tourner. Tous ceux qui nous ont vus à l’époque, je pense, ont pu voir que nous étions en pilote automatique. J’étais tellement détaché que je ne me souviens pas d’avoir fait le moindre concert pour cet album. Nick dit qu’il ne se souvient pas d’avoir enregistré l’album, moi je ne me souviens pas de la tournée. Je ne sais pas comment nous avons enduré ça, je n’en ai aucune idée, car je n’en ai aucun souvenir. Mais ensuite, très lentement, nous nous en sommes sortis et les conséquences sont arrivées. Tout a mené au moment où nous avons fait Symbol Of Life, nous sortions des problèmes de drogue et des disputes, et nous nous stabilisions à nouveau. Si tu regardes les photos de Nick et moi à l’époque, tu verrais que nous n’avons pas l’air bien et nous n’étions effectivement pas bien, nous étions assez malades mentalement et physiquement. C’est là que nous sortions de cette mauvaise passe. Et comme ma vie personnelle était en train de s’effondrer, peu de temps avant l’enregistrement de Symbol Of Life, j’avais besoin d’autres gens, et les autres gens qui étaient là pour moi, c’était le groupe. Toutes les disputes, les différends musicaux et tous ces trucs sans réelle importance sont finalement partis en fumée et ça m’a fait réaliser qui étaient mes amis.

Comment avez-vous abordé le nouveau mix de Believe In Nothing ?

Déjà, c’était dur de mettre la main dessus, mais nous avons pu récupérer les bandes originales chez EMI. Elles étaient stockées dans un entrepôt en Allemagne. C’était des cassettes ADAT huit pistes. Elles ressemblaient à des VHS. Nous avons récupéré toutes ces bandes et nous avons fait le tri. Nous sommes allés au studio de Jaime Gomez [Arellano] et les avons remixées. Ça m’a aidé à réaliser avec le recul que, même si nous étions en train de nous désagréger, nous sommes quand même parvenus à écrire quelques chansons correctes. Le morceau d’ouverture est une super chanson, je trouve. « World Pretending » est un très, très bon morceau doom. « Mouth » est une bonne chanson rock. Et il y a aussi quelques trucs qui ne sont pas si bons que ça. Nous avons voulu essayer de faire quelque chose avec Host aussi, pas parce que nous n’aimons pas Host, car nous l’aimons beaucoup, mais nous nous sommes dit qu’il serait intéressant d’obtenir un mix différent, juste pour proposer un truc différent aux fans, mais EMI avait perdu les bandes originales. Donc la seule chose que nous avons pu faire, c’est un remaster.

Y a-t-il d’autres albums dans votre discographie, en dehors de Host, que vous aimeriez voir subir le même traitement ?

Non, pas vraiment. Enfin, nous ne voulions même pas vraiment faire quoi que ce soit avec Host. C’était juste pour voir une comparaison, car plein de gens au fil du temps ont dit : « Oh, je l’aimerais mieux si c’était plus rock. » Mais ce n’est pas mon avis. Mon avis est qu’il est bien comme il est, mais je sais que ça intéresserait d’autre gens. Donc non, il n’y a rien dans notre discographie que j’aimerais changer, y compris les tout premiers morceaux qui sont très mal mixés, parce que ça fait la moitié de leur charme. Si on essayait de les refaire avec une production moderne, ça sonnerait stérile, il n’y aurait pas le même côté sale et la même honnêteté. C’est pour ça, à mon avis, que nombre de groupes death metal et doom anglais et européens à l’époque sont devenus si populaires, parce que ça changeait agréablement du death metal américain qui était impeccable et très bien joué. Les trucs anglais et européens étaient très bruts et honnêtes, minimalistes. Je trouve que ça leur donnait un vrai charme.

Le groupe se porte très bien aujourd’hui. Tu as déclaré que « les derniers albums ont bien marché et [que vous n’avez] cessé de grimper sur les affiches de festivals ». Comment expliquer ce renouveau de popularité avec Paradise Lost ?

Je ne l’explique pas. Notre musique doit encore être assez bonne, mais en dehors de ça, je peux seulement me dire que c’est peut-être l’époque qui est favorable à ce que les gens aiment de nouveau notre style, car autrement ça va et ça vient. C’est ainsi que fonctionne le monde. En l’occurrence, il y a eu des époques où des groupes qui sont énormes aujourd’hui n’arrivaient même pas à remplir une petite salle. Pourquoi un groupe comme Carcass s’est séparé ? Pourquoi un groupe comme At The Gates s’est séparé ? Parce qu’ils n’intéressaient personne. Mais maintenant c’est de nouveau populaire. Je suis très philosophe par rapport à ça. Je suis le mouvement. Il se peut que demain nous ne soyons de nouveau plus très populaires, mais qui sait ?

Interview réalisée par téléphone les 23 & 26 mars 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Jake Mackintosh (1) & Anne C. Swallow (2, 4, 6, 7, 9).

Site officiel de Paradise Lost : www.paradiselost.co.uk.

Acheter l’album Obsidian.



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  • Lord Satanubis dit :

    Le retour à un peu de voix claire n’est pas pour me déplaire, bien au contraire. J’en attend beaucoup de ce nouvel album mais il va falloir que je patiente jusqu’au 19 juin… 😭🥺💀 ça va être long… putain de Covid-19 !!! 😡🤯😰

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  • Excellent interview.

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