Se libérer de ses propres chaînes artistiques est plus compliqué qu’il n’y paraît. Car se libérer signifie parfois aller à l’encontre de son instinct et tenter de sortir de sa zone de confort. Ce processus d’émancipation intellectuelle n’est pas immédiat, il faut un peu de temps avant de se sentir pleinement à l’aise avec l’idée de se jeter dans l’inconnu.
Cette émancipation, Parkway Drive travaille dessus depuis son précédent album Ire. D’après le chanteur Winston McCall, c’est cet album qui avait permis au groupe de prendre pleinement confiance en l’idée d’apporter de l’imprévisibilité à la musique du groupe. Reverence, le nouvel album et successeur de Ire, est le témoignage de cette confiance. Il représente donc une approche encore plus libre qui leur a permis d’explorer plus justement des thèmes très personnels dans un contexte émotionnel particulièrement difficile.
Découvrez notre interview réalisée au lendemain de la date secrète du groupe à Paris, un concert intimiste comme pour célébrer cette recherche d’honnêteté.
« C’était probablement la toute première fois où nous avons écrit un album et avons choisi de simplement nous fier aux sons que nous créions à ce moment-là, en disant juste ‘on aime ça’, et sans regarder en arrière dans le passé en se disant ‘il faut qu’on garde cet élément parce qu’il était populaire avant.' »
Radio Metal : Tu as récemment déclaré que votre précédent album, Ire, était un grand saut dans l’inconnu pour ce qui était de vous imposer des défis, écrire de différentes façons, et c’était une expérience libératrice. Vous êtes-vous sentis plus confiants en composant son successeur, ce nouvel album, Reverence ?
Winston McCall (chant) : Oui, assurément ! C’était la chose principale qui a permis à Reverence de sonner comme il sonne. Heureusement pour nous, Ire a fonctionné [rires]. Ire était effectivement un grand saut dans l’inconnu, à la recherche d’un son dont nous ignorions l’existence. Et le fait qu’il ait été un tel succès, pas seulement par rapport à nous, ce qui reste le principal, mais aussi par rapport aux gens qui l’ont adopté, ça signifiait que cette fois, nous pourrions grosso-modo composer tout ce que nous voulions, y mettre tout ce que nous avions en tête, et créer sans se poser de question. Donc ouais, c’était vraiment important.
D’après une autre de tes déclarations, Reverence représente l’album le plus honnête et personnel que vous ayez jamais créé. Il est né de la douleur, de sacrifices et de convictions, avec pour but d’étendre non seulement ce qu’est Parkway Drive musicalement mais aussi qui vous êtes en tant que personnes. Dans quelles circonstances personnelles cet album a-t-il été écrit ?
A chaque fois que nous écrivons un album, c’est un petit bout de nos vies, une documentation de nos vies, à partir du moment où la musique commence jusqu’à ce qu’elle finisse. Cette fois, nos vies étaient… Avec la tournée de Ire et le groupe prenant énormément d’ampleur, ça atteignait un niveau inédit pour nous, c’était tellement incroyable ! Mais personnellement, nous avons vécu de nombreuses tragédies. Des membres de nos familles sont décédés… Je connais beaucoup de gens dont on a diagnostiqué un cancer, et j’ai perdu plein de membres de ma famille et d’amis à cause du cancer à cette époque. C’était donc vraiment horrible, pour être franc. C’était le moment le plus dur de ma vie. Mais au même moment, nous faisions ces concerts extraordinaires avec le groupe pour Ire. Ça fait partie de ces périodes où tu as des hauts très hauts, et tout d’un coup, tu reçois la pire nouvelle que tu pourrais imaginer, et ça te déchire le cœur. C’est de là qu’est venu l’album, c’est dans cette période qu’il a été écrit.
Comment définirais-tu l’honnêteté en musique, quand il s’agit d’écrire un album de Parkway Drive ? Qu’est-ce que « honnête artistiquement » signifie pour toi ?
J’imagine que c’est lorsqu’il n’y a aucun compromis et aucune sécurité. Pour notre part, je pense que c’était probablement la toute première fois où nous avons écrit un album et avons choisi de simplement nous fier aux sons que nous créions à ce moment-là, en disant juste « on aime ça, » et sans regarder en arrière dans le passé en se disant « il faut qu’on garde cet élément parce qu’il était populaire avant. » Il s’agissait simplement d’écrire exactement ce que nous voulions. Et pour ce qui est des paroles, il s’agissait juste d’écrire des paroles émanant de ce qui impactait ma vie, et écrire d’une manière compréhensible pour les gens, donc il y avait moins d’expressions métaphoriques, et c’était bien plus brutal, genre « voilà ce qu’il se passé, et c’est dur. » Ça vaut aussi pour la performance. La performance était vraiment très brute. C’était bien moins poli que tout ce que nous avons fait auparavant, bien plus varié, afin, je suppose, de mieux faire comprendre la douleur de ce qui se passait dans nos vies. C’est ça que signifiait l’honnêteté pour nous.
As-tu le sentiment que par le passé, vous ayez été peut-être moins honnêtes et spontanés ?
[Petits rires] Pas vraiment, nous avons toujours été honnêtes. Mais, par le passé, nous avions aussi une formule. Nous avons démarré ce groupe avec de très petits objectifs et une manière d’écrire de la musique très restreinte. Nous nous sommes construits sur cette musique. Nous sommes devenus familiers, je suppose, avec un certain style de composition. Donc à chaque fois que nous écrivions de la musique, nous marchions dans les mêmes pas encore et encore, simplement parce que c’était la seule façon de faire que nous connaissions. Nous ne nous sommes pas souciés d’essayer de changer ça, jusqu’à ce que nous en soyons arrivés à un point où nous nous ennuyions. Le point de transition était Ire, lorsque nous essayions de trouver un nouveau style de musique, quelque chose que nous appréciions et qui nous semblait également être fidèle à nous-même. C’était aussi ce que nous adorions dans le fait d’être dans un groupe et ce qu’était Parkway Drive. Et cet album disait littéralement : quoi que nous fassions, c’est ça Parkway Drive. Il n’est pas nécessaire que ce soit une formule, il n’est pas nécessaire que ce soit autre chose que juste nous, en tant que personnes, faisant de la musique. Nous avons réalisés que nous voulions toujours être un groupe heavy, nous voulons que la musique soit heavy. En dehors ça, nous allons juste jouer ce que nous apprécions.
« Le point de transition était Ire, lorsque nous essayions de trouver un nouveau style de musique […]. Et cet album disait littéralement : quoi que nous fassions, c’est ça Parkway Drive. »
Et de quelle façon ressens-tu que vous avez étendu la musique de Parkway Drive sur cet album ?
L’imprévisibilité [rires]. L’idée était principalement de créer autant de variations entre l’aspect heavy d’un côté et la légèreté de l’autre que possible, et que l’aspect heavy soit très heavy et l’aspect léger soit très léger, et tout ce qu’il y a entre serve de façon à ce que ça ne soit jamais ennuyeux et qu’il y ait toujours quelque chose de nouveau et inattendu au tournant. C’était toujours quelque chose où tu dirais : « Oh, d’accord, c’est Parkway Drive qui fait ça ! Je peux comprendre, ça a du sens, mais je ne me serais jamais attendu à ce qu’ils sonnent comme ça. » Et nous avons eu cette approche pour le moindre aspect et partie de chaque chanson. Donc nous essayons de trouver les caractères de chaque aspect de notre musique, et de faire honneur à ces différents caractères. Ça voulait dire jouer de différentes façons, chanter de différentes façons, parler de différentes façons, utiliser différents effets, différents instruments, etc. afin de créer quelque chose qui ne restait jamais au même endroit pendant plus longtemps qu’une chanson.
Penses-tu que la dimension plus personnelle de cet album vous a poussé dans une voie plus directe, comme on peut l’entendre dans « The Void », ou peut-être les paroles viscérales comme dans « Wishing Wells » ?
Oui, c’est sûr. Surtout dans le cas de « Wishing Wells ». « Wishing Wells » et « The Color Of Leaving », la dernière chanson, sont les plus crues et personnelles. Et elles impliquaient ces performances vocales qui sont très différentes de tout ce que nous avons fait dans le passé. Ce sont les chansons, quand nous les avons écrites, et quand les paroles sont sorties, pour lesquelles nous étions là : « Je ne peux pas chanter ces chansons et rendre justice à cette musique, et ces paroles, si je n’utilise pas une technique et un style que je n’ai jamais faits avant. » Donc, ça voulait dire faire de nouveaux sons pour Parkway Drive, en gros. Et c’est quelque chose qui est souvent arrivé dans l’album, et c’est de la que vient la différence. Ça vient de la nécessité de rendre justice à la musique, plutôt que de se reposer sur les compétences déjà acquises, et constamment se développer. Nous l’avons fait par le passé, mais certainement pas au niveau que nous l’avons fait sur cet album.
Tu as aussi dit que le but de cet album était de se développer en tant que personnes. Du coup, comment l’expérience de la composition de cet album vous a permis de grandir en tant qu’êtres humains ?
C’était très libérateur, pour être honnête. Sur cet album, c’était probablement la première fois où nous nous sentions en confiance pour être nous-mêmes, dans le sens de ce que j’ai dit plus tôt au sujet de ne pas se reposer sur un filet de sécurité. Du moment où tu réalises que ton acceptation de la musique est la seule chose qui compte, tu écris de façons différentes, et ça déteint sur toi en tant que personne et sur ta confiance, et alors tu écris d’encore plus de façons différentes. Durant le processus de composition, ça voulait dire que nous explorions des zones où nous n’aurions jamais pensé aller avant, et nous les explorions avec assurance, avec confiance en nous, plutôt qu’en doutant de nous. Ire a été écrit dans l’inconnu et avec des doutes à l’esprit, alors que celui-ci a été écrit en ayant pleine confiance en l’inconnu. C’est de ça que tout découle.
Le clip vidéo que vous avez fait pour « Wishing Wells » est assez intéressant car on ne voit que ton visage en train de crier les paroles. Ca a dû être une vidéo très dure à filmer, émotionnellement parlant…
C’est fou ! Ça m’a surpris. C’était un concept tellement simple mais, comme tu l’as dit, c’était quelque chose que nous pensions qu’il serait très dur à capturer, simplement parce que le fait d’avoir une chanson de cinq minutes en ne voyant que ma tête, c’est genre : « Ça va être vraiment ennuyeux, je suis sûr que c’est impossible que ça marche ! » Mais dans notre tête ça marchait, et pour être honnête, il n’y a pas eu beaucoup de prises pour ce clip. C’était juste, on filme toute la chanson d’un bout à l’autre, et ensuite on regarde ce que ça donne, on dit « ouais, c’était bon » ou « c’était nul, » et on refait. Ça n’a pas vraiment été préparé à l’avance ou répété, ou quoi. Nous n’étions que trois dans une pièce pour filmer ces prises. Ça ne nous a pas pris plus de deux heures, pour être honnête [petits rires]. Il s’agissait surtout de capturer l’honnêteté des paroles, et leur atmosphère, et la part humaine qu’il y a derrière, et je ne me rendais pas vraiment compte à quel point mon visage aurait l’air effrayant filmé de cette façon. Ça m’a choqué en regarder le rendu à la caméra, et j’ai dit : « Oh mon dieu, c’est de ça que j’ai l’air ?! » Mais c’est ce que la chanson me fait, donc j’en suis très content. Fais-moi confiance, j’étais tout aussi surpris que ça ait fonctionné que n’importe qui quand je l’ai vu pour la première fois [rires].
« Ire a été écrit dans l’inconnu et avec des doutes à l’esprit, alors que celui-ci a été écrit en ayant pleine confiance en l’inconnu. »
A propos des paroles de cette chanson, tu as déclaré que « c’est tentant de porter des accusations là où il n’y a pas lieu d’en porter, chercher des réponses où il n’y en a pas, et au final essayer de trouver une raison et un sens pour justifier la perte ultime à laquelle nous allons tous faire face dans la vie. » Je suppose que c’est quelque chose que tu as toi-même vécu, et que c’est toi, en fait, le gars qui cherchait des réponses où il n’y en avait pas.
Oui, à cent pour cent. La chanson a été écrite à propos de la gestion du chagrin après le décès de quelqu’un, et simplement le fait de le rationnaliser. Ce que j’ai traversé, ce que nous avons traversé, c’est le fait de voir des gens frappés par la maladie alors que c’était des êtres humain merveilleux en parfaite santé. Il n’y a pas de raison qu’on puisse trouver, médicalement ou scientifiquement, pour expliquer ce qui est arrivé à ces personnes, et leur vie est emportée, et ils disparaissent. Et alors tu penses : « Pourquoi est-ce que c’est arrivé ? Comment ça a pu arriver ? Ça n’a pas de sens. » Tu t’accuses toi-même : « Est-ce que j’aurais pu en faire plus ? Est-ce que j’aurais pu être là ? Et si on avait vécu notre vie autrement, est-ce que ça aurait changé quelque chose ? » Toutes ces choses, ça t’anéantit en tant que personne. Et au bout du compte, arrivera un moment où tout le monde, dans la vie, perdra quelqu’un et vivra ça. Ça ne sera jamais facile, c’est ça le truc. C’était donc quelque chose qu’il fallait capturer, principalement parce que ça m’est souvent arrivé. C’est arrivé de très nombreuses fois au cours de l’écriture de cet album. A aucun moment je n’ai eu de réponse, à aucun moment j’ai été là : « D’accord, je sais à quoi m’attendre, de ma part et de la part de mon esprit. » Il n’y avait aucune bonne façon de le gérer. Il n’y avait que cette confusion.
Vous avez donné un concert secret à Paris hier soir. Comment l’idée de faire ça vous est venue ?
C’est une idée que nous avons eue il y a un petit moment, mais nous ne savions pas quand le faire ni comment le faire. Ça fait si longtemps que nous sommes un groupe, et nous en sommes arrivés à un stade où nous devons jouer ces énormes concerts, c’est putain de dingue, et il y a plein de gens qui disent « j’aurais aimé que vous jouiez de petits concerts, » mais tu annonces une tournée de petits concerts, et c’est complet, et alors tu dois faire cinq concert pour un concert, et tu te retrouves à louper des salles, c’est presque physiquement impossible, donc nous étions là : « Vous savez quoi ? Faisons de ça un concert secret, et si vous voulez vraiment venir nous voir, alors vous devrez faire un effort supplémentaire pour venir. » Car nous adorons jouer dans ces types de concerts, mais le groupe en est arrivé à un stade où c’est complètement dingue de réserver une salle aussi petite, tout le monde passe à côté [petits rires]. Donc cette fois, des gens sont passés à côtés, mais pas nos fans spéciaux, et c’était vraiment un concert génial.
Donc j’imagine que ces concerts sont une bonne occasion pour vous de voir qui sont vos plus gros fans.
D’une certaine façon, ou au moins nos fans les plus chanceux. Mais le truc est que ça a été annoncé sur internet, donc il se peut que ça ait été juste des gens qui se trouvaient être sur internet au bon moment, et ceux qui n’y étaient pas, qui devaient être au boulot ou autre, sont passés à côté, ce qui est vraiment dommage. Mais c’est ça le truc, nous avons réalisé qu’à un moment donné, tout le monde passera à côté de quelque chose. Mais au moins certaines personnes ont pu le vivre. Et nous aussi, car nous aimons jouer dans ce genre de concert, c’est très rare pour nous d’avoir ce genre d’occasion aussi.
As-tu ressenti une atmosphère différente à ce concert ?
Oui, assurément. Il n’y avait pas de pression, et c’était moins intense, c’était juste du fun à l’état pur. Je suppose que lorsque nous venons dans le cadre d’une tournée complète, il y a une plus grosse production, c’est plus précis, c’est plus professionnel. C’est amusant, mais c’est plus intense, le concert est bien plus porté sur la précision et l’intensité, alors que là c’était bien plus détendu. C’était juste cinq personnes sur scène en train de jouer leurs chansons à des gens qui aimaient les chansons, qui pouvaient faire tout de ce qu’ils voulaient, comme sauter sur scène, slammer, danser, ne pas danser, boire un coup. Ça n’avait pas d’importance, il n’y avait aucune pression pour personne. Donc ça a rendu la soirée vraiment unique, ce qui est vraiment amusant.
Interview réalisée par téléphone le 19 mars 2018 par Philippe Sliwa.
Transcription : Julien Morel.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Parkway Drive : parkwaydriverock.com.
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