S’il est un guitariste talentueux et un personnage charismatique très agréable à voir sur scène, Pat McManus n’a jamais eu beaucoup de succès. Son parcours contient en effet de nombreux moments de malchance qui lui ont même fait perdre espoir.
Walking Through Shadows est un titre d’album qui symbolise évidemment cette montagne d’obstacles que la vie réserve injustement aux artistes, malgré leur investissement colossal. Pat va plus loin dans la transparence puisque le morceau « Walking In The Shadows Of Giants » est un aveu de jalousie vis-à-vis de ses prédécesseurs qui ont réussi. Une honnêteté devant laquelle on s’incline.
Néanmoins détrompez-vous. Pat McManus n’est pas un de ces musiciens aigris qui crachent sur les grosses pointures, masquant leur jalousie avec des opinions artistiques douteuses. L’admiration et le respect du guitariste vis-à-vis de Jimi Hendrix n’a, par exemple, jamais tari. Pat McManus n’est pas blasé. Sa déception a laissé la place à une acceptation pragmatique de sa situation. Une patience et un flegme (typiquement irlandais selon lui) qui lui permettent de sourire en toute circonstance et qui font que, au final, il n’a jamais abandonné.
Radio Metal : Tu as sorti un album live qui a été enregistré au Raismesfest en 2009. Généralement lorsqu’un artiste décide de faire un album live, il choisit de jouer devant un public qui est venu exclusivement pour lui et son groupe mais au lieu de cela, vous avez choisi de jouer devant un public de festival. Pourquoi ?
Pat McManus : C’est très simple. L’équipe de tournage qui était sur place enregistrait plusieurs artistes en même temps. Nous n’étions même pas au courant qu’il y avait une équipe de tournage là-bas avant qu’ils demandent la permission de filmer une partie du show. Alors on leur a dit « pourquoi pas » car ça ne nous dérangeait pas vraiment et puis ça ne nous coûtait rien. Après, à la fin du concert ils ont dit que nous pourrions soit utiliser les prises pour un DVD soit refuser si ça n’était pas assez bien. J’ai vu ça comme un moyen de faire la promotion du groupe sur une scène de festival, devant un public de festival et nous étions assez satisfaits pour laisser ça comme tel quel.
Alors la décision a été prise après le concert ?
Oui. Nous n’avions même pas conscience qu’ils étaient en train de filmer jusqu’au moment où après le concert ils nous ont dit qu’ils avaient filmé et nous avons répondu « Oh, super! » Ensuite nous avons regardé ce qu’ils avaient enregistré et on a trouvé ça bien.
Il y avait effectivement une ambiance très particulière lors de ce concert…
Oui. Pour nous, c’était un très bon moment et un super festival à faire. C’était génial d’être sur cette scène et avec ce public. Ils nous avaient vraiment réservé un accueil très chaleureux. Je crois que le groupe était assez différent du reste de la programmation de cette journée, mais ils nous ont vraiment donné l’impression d’être comme à la maison alors on s’est détendu et avons également profité du concert.
Corrige-moi si j’ai tort mais ça n’est pas la première fois que vous sortez un DVD live enregistré en France. Peux-tu nous en dire un peu plus sur cette relation particulière que vous entretenez avec la France ?
Oui. Eh bien, c’est assez amusant car cette relation remonte au temps des Mama’s Boys, quand nous avions eu deux albums de sortis chez Virgin en France. Ce qui voulait dire qu’une partie des toutes premières tournées que les Mama’s Boys ont fait en dehors de l’Irlande se sont déroulées en France. Alors tu peux comprendre ce que cela représentait pour nous. Nous étions un jeune groupe venu d’Irlande et nous allions jouer en France, dans toutes ces superbes villes et toujours avec un public incroyable. Nous avons toujours eu l’impression d’entretenir un lien spécial avec la France car ils nous ont toujours donné l’impression d’être chez nous et ils ont toujours été très généreux vis-à-vis du groupe. C’était très spécial. Lorsque est arrivée l’opportunité de faire un DVD, quelques-uns de mes amis se sont réunis et ont aidé à rendre cela possible et bien évidement c’est en France que nous souhaitions que cela se passe.
Tu as un nouvel album qui va sortir et qui s’intitule “Walking Through Shadows”. Que peux-tu nous en dire ?
C’est l’album dont je suis le plus fier pour le moment. Tout s’est fait très rapidement et il possède onze ou douze nouvelles chansons. C’est l’album le plus rock que j’ai fait car il n’est pas aussi technique que le précédent qui contenait plutôt différent types de musiques et d’influences. C’est un album plus directement marqué rock’n’roll. Il est plus cohérent, nous étions plus ensemble et ça a plus de sens quand tu l’écoutes. Parfois mes disques peuvent passer d’une direction à une autre mais ça n’est pas le cas avec celui-là. Cette fois, le groupe joue aussi ensemble sur l’album ce qui est bien mieux. Lorsque nous avons joué pour le DVD, ça ne faisait pas très longtemps que nous jouions ensemble et du coup on ne se connaissait encore pas vraiment mais maintenant nous savons comment chacun joue. Selon moi, c’est le meilleur opus que nous ayons fait.
Le titre “Walking Through Shadows” symbolise l’idée que chacun doit continuer et ce malgré les obstacles. Est-ce que ce titre est un moyen de symboliser ta carrière ? L’ombre représentant tout les obstacles auxquels tu as fait face avec la maladie de Tommy, les musiciens qui ont quitté le groupe ou, d’une manière plus générale, la façon dont l’industrie de la musique fonctionne aujourd’hui, ce qui avait presque réussi à te faire perdre espoir du temps de Celtus…
Oui, c’est exact. C’est la raison pour laquelle j’ai pensé que c’était un titre génial. En réalité c’est ma manager qui a trouvé ce titre. J’ai un morceau sur le nouvel album qui s’appelle “Walking In The Shadows of Giants”. C’est aussi un clin d’œil à tous ces musiciens qui ont existé avant moi. Peu importe ce que tu fais, il y a toujours quelqu’un qui a été là et qui l’aura fait avant toi. C’est un hommage à tous ces musiciens fantastiques de blues et de rock qui ont existé et qui nous ont éventuellement quittés. On reste en permanence dans l’ombre de ces géants. Des mecs comme Hendrix… Ces gars-là étaient incroyables et il n’y aura plus jamais quelqu’un comme eux. C’est aussi de cela que ça parle tout comme de ce que tu disais avant. Tu marches à travers les ombres et avec un peu de chance tu arrives à en sortir et acquiers un peu plus de connaissances.
Au sujet de cette chanson particulière qu’est “Walking In The Shadows of Giants”, ce que tu as dit était très positif mais n’y a-t-il aucune frustration ? Après une aussi longue carrière, n’espérais-tu pas plus de visibilité ou avoir un succès international et pas seulement en Irlande ?
Oui, c’est aussi ce que ça veut dire. Je me suis réellement senti frustré par moments parce que je me disais « comment ça se fait que je ne suis toujours que deuxième ? » et j’avais l’impression de constamment avancer dans l’ombre de quelqu’un d’autre (rires). Ce n’est pas de l’arrogance de ma part. C’est juste l’impression que ça donnait. C’est un peu ironique et assez amusant. Et nous y voilà encore à marcher dans l’ombre des géants (rires). C’était le destin. J’ai eu une discussion avec ma manager au cours de laquelle nous avons trouvé le nom. Je disais « tu sais quoi ? Je suis presque comme un footballeur de seconde division parce que je passe mon temps à marcher dans l’ombre de quelqu’un d’autre ! » Elle a trouvé que c’était un titre excellent et que je devrais écrire une chanson sur le sujet.
En tout cas c’est très honnête de ta part de le reconnaître.
Eh bien, je crois qu’il n’y a pas de mal à être honnête. Je dis la vérité, c’est ma façon d’être.
Les difficultés que tu as affrontées, ces situations imprévues ou même ce manque de chance pourraient faire perdre espoir au plus passionné des musiciens. Ainsi quel genre de conseils pourrais-tu donner aux gens qui veulent baisser les bras ?
Ne jamais abandonner !
C’est assez facile à dire…
Ne jamais abandonner ! Ne jamais abandonner ! Si on aime la musique peu importe ce qui se passe on n’abandonnera pas. C’est toujours ce que j’ai ressenti à ce sujet. Ça n’a pas d’importance pour moi qu’il n’y ait que cinq personnes dans le public ou cinquante mille. Ça ne ferait pas la moindre différence car je jouerais comme si c’était mon dernier concert. C’est parce que j’aime la musique, j’aime jouer de la musique et j’aime essayer de créer des liens avec les gens quand je joue. Bien sûr il y aura de bons et de mauvais moments. Mais tu ne peux pas jeter l’éponge à chaque fois que quelque chose ne va pas dans ton sens. C’est valable pour tout le monde. On peut avoir un boulot et se faire virer mais ça ne veut pas dire que l’on va jeter l’éponge et arrêter de vivre. J’ai décidé de bonne heure que ma carrière allait être facile et je n’abandonnerai jamais cette idée. Ça a toujours été une réussite pour moi de continuer à gagner ma vie avec la musique. Ma réussite est le fait que je puisse faire de la musique et de continuer à en faire.
Alors c’est le fait d’écrire de la musique qui te permettait de continuer ?
Oui. Même si je ne le faisais pas professionnellement, je continuerais à écrire des chansons à la maison juste pour le plaisir. C’est ma façon de me relaxer. Je ne regarde pas la télé, j’essaie seulement d’être créatif. Même si personne d’autre n’aime ce que je fais, ce n’est pas grave car moi ça me plaît (rires).
D’où vient ton surnom « Le Professeur » ?
Ça vient de Dublin, dans les tout premiers jours des Mama’s Boys. Il y avait des musiciens qui venaient me voir à chaque fin de concerts pour me demander le type de cordes que j’utilisais, mais aussi quels accords et quelles guitares et je répondais. Je ne faisais pas de mystères là-dessus. Une nuit, il y avait trois ou quatre personnes qui me demandaient ce que j’avais sur scène et notre manager de tournée est venu me chercher pour me dire de monter dans le bus mais ils ont répondu « Oh non! Attendez une minute ! Laissez le professeur tranquille, il est en train de nous enseigner des choses ! » Alors c’est comme ça que ça a commencé ensuite des gens venaient aux concerts et cherchaient Le Professeur.
Puisque c’est ton surnom, enseignes-tu la musique ?
Oui, en effet. J’enseigne le violon en Irlande et un petit peu de guitare mais principalement du violon. Et aussi quand je ne suis pas en tournée, j’ai environ vingt ou trente étudiants à qui j’enseigne pendant la journée. J’ai un de mes étudiants qui joue du violon et qui est déjà champion en la matière alors je suis vraiment fier de ça. J’enseigne pendant la journée et après la nuit je fais aussi des concerts en Irlande alors je suis pas mal occupé.
Gary Moore qui est décédé récemment était aussi irlandais et vous avez une fois partagé une scène ensemble. Est-ce que tu le connaissais personnellement ?
Je le connaissais parce que la tournée qu’on a faite ensemble a duré plusieurs mois. Je ne dirais pas que je le connaissais intiment mais on a discuté et eu de véritables échanges. En fait, la dernière fois qu’on s’est parlé remonte à il y a environ 18 mois, lorsqu’il a téléphoné chez moi. Il était en Irlande et voulait juste savoir si je jouais toujours alors je lui ai dit que oui. À ce moment là il avait un album intitulé Bad For You Baby qui venait de sortir et on en a discuté. C’est la dernière fois que j’ai parlé à Gary.
L’année dernière vous étiez en tournée avec les Scorpions et Karelia en France. Il y a eu quelques problèmes techniques et vous n’avez pas joué à Liévin. Était-ce frustrant ?
Bien sûr, c’est frustrant. Nous aurions adoré jouer mais ça n’était la faute de personne. L’équipe de Scorpions a fait son maximum pour faire en sorte que tout fonctionne mais n’y est pas parvenue à cause d’une faute technique et il n’y avait plus assez de temps pour nous permettre de continuer. Alors on a dû se résigner à dire « c’est la vie » (ndlr: en français dans l’interview) et accepter la situation (rires).
Je t’ai rencontré à Strasbourg et je pensais que tu pourrais être un peu frustré ou en colère puisque tu n’avais pas joué la veille mais tu étais très cool. C’était impressionnant. Est-ce une spécificité typiquement irlandaise ?
Oui, je crois. Ça n’aurait rien changé alors pourquoi être contrarié ? Personne n’était responsable et les gars ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour essayer de tout réparer. Alors on a simplement dit « hey, les gars, ne vous en faites pas pour ça ». Ce sont des choses qui arrivent. C’est le rock’n’roll. Nous étions excités de jouer au concert de Strasbourg, c’était quelque chose qu’on avait vraiment hâte de faire. Évidemment nous aurions aimé jouer à Liévin mais c’est le genre de choses qui arrive.
C’est un super état d’esprit…
(Rires) Eh bien ces choses-là arrivent. Les gars de Karelia s’excusaient et ils étaient vraiment adorables. Les membres de Scorpions étaient réellement désolés à ce sujet et l’équipe de tournée était aussi assez déçue que ça ne se fasse pas. À la fin de la journée, ils avaient fait leur maximum et puis, ce ne sont que des êtres humains. Ils n’ont pas causé le problème, c’est juste arrivé, ces choses-là peuvent se produire.
Interview réalisée en mars 2011
Transcription : Isère
Traduction : Isa
Site Internet de Pat McManus : www.patmcmanus.co.uk
Un grand monsieur, il est vrai pas à la place où il devrait être vu son génie et ses prestations fantastiques, un charisme et une gentillesse sans égal ou presque, bref un chic type et un musicien hors pair, vus au château de la Verrerie au Creusot lors de Blues en Bourgogne hélas disparu quel dommage le festival vous me suivez. Merci aussi à son bassiste qui a fait cadeau d’ un superbe collier à mon fils, peu d’ artistes ont cette attention, chapeau et bonne continuation pour ce combo d’ exception.
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Bonjour,
j’ai lu avec grand plaisir cet article, parce que j’ai redécouvert Pat Mc Manus l’année dernière. J’étais un fan de la première heure des Mama’s Boys et cela m’a fait un plaisir fou de savoir que le Professeur continuait dans la musique, après la période tragique dans les années ’90. Et pour m’être un peu intéressé au monsieur (et même l’avoir rencontré à Bolton, UK, lors d’une soirée mémorable au Railway Venue, un certain 18 septembre 2014..), je dois dire que l’article le décrit fidèlement. C’est un personnage très attachant, doublé d’un très grand musicien, digne des Gary Moore, Phil Lynott ou Rory Gallagher. Je trouve votre passage sur l’ « ombre des géants » d’une pertinence absolue concernant Pat McManus. Mais ce gars est un gentil, ça se voit tout de suite. Est-ce genre de qualité qu’il faut avoir pour grimper dans le show business ? En tout cas, je suis devenu un grand fan, et je pense que j’aurai toujours un grand plaisir à aller le voir jouer, tout comme à reprendre certains de ses titres avec mon groupe : c’est de la super bonne musique !! Encore merci pour cet excellent article.
Olivier
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J’avais pu le découvrir au cours de ce fameux concert à Strasbourg, quelle claque! Il s’était vraiment donner à 200 %!
Maintenant je vais m’empresser d’aller découvrir ce nouvel album. 🙂
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