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Interview   

Pat O’May : rescapé et libre


Avec Pat O’ May, on en était restés au concert anniversaire de 2018, célébrant ses vingt-trois années de carrière. A ce moment-là, on lui avait demandé pourquoi il n’avait pas voulu attendre pour fêter les vingt-cinq ans. En 2020 donc. Il nous avait répondu que c’était une question d’opportunité et qu’il « n’aime pas les chiffres ronds [et] vingt-cinq ans, ça faisait encore deux ans à attendre… » Vous en conviendrez, l’histoire lui donne raison. S’il a donc pu réaliser ce concert « jubilé », c’est la tournée des « trois Pat » qui a suivi qui a pris de plein fouet la crise sanitaire. Pat nous raconte même avec effroi son souvenir du moment précis où le monde s’est arrêté et où son travail et celui de ses collègues et confrères se sont vus menacés.

Mais il fait partie de ceux dont la carrière a survécu à la crise et nous revient avec un nouvel album – conceptuel cette fois-ci – qui sonne comme une renaissance, bien qu’écrit avant ces événements. Un album où il clame, musicalement et dans ses textes, son goût du risque et de la liberté.

« Je suis très spectateur de l’inspiration qui m’arrive au moment où elle arrive. Après, je la prends ou pas, c’est un autre sujet, mais comme j’étais très immergé dans cette histoire, ça a vraiment défilé comme si je lisais un scénario. »

Radio Metal : La dernière fois qu’on s’est parlé, on avait évoqué le concert pour le vingt-troisième anniversaire de ta carrière. A la suite de ce concert, tu avais enchaîné sur une tournée. Ce concert était très teinté de nostalgie. Dirais-tu que la tournée avait cette même atmosphère ?

Pat O’May (guitare) : Oui, il y avait de ça. Ce qui était cool, c’est que sur toute la tournée, partout où nous passions, nous faisions ce morceau « Whiskey In The Jar », qui était un peu notre terrain de jeu, et à chaque fois que j’avais un pote avec qui j’avais bossé et qui n’était pas loin, nous l’invitions et il venait jammer sur le morceau, et s’il avait une carrière solo, nous nous débrouillions pour bosser un de ses titres, comme nous l’avons fait sur le concert anniversaire. Après, sur la tournée, évidemment, nous ne pouvions pas avoir tous les invités, c’était impossible. Nous avons réussi à faire un peu un équivalent à Belfort. Nous avions emmené le Bagad [Konk Kerne], il y avait Patrick Rondat, Diabolo et Christian Decamps qui n’avait pas pu venir à l’anniversaire parce qu’il était lui-même en train d’enregistrer un album avec Ange. C’est sûr que nous n’avons pas pu faire avec tout le barnum, ce n’était pas viable autant en termes économiques que par rapport aux tournées de tout le monde, mais c’était l’occasion de retrouver tout plein de copains qui venaient jammer dans différentes villes, c’était super.

Ça c’était pour les vingt-trois ans. Les vingt-cinq ans, qui est un anniversaire symbolique, tu les as fêtés en 2020 en pleine crise sanitaire. Est-ce que ça n’a pas été trop dur pour le moral ?

Non, pas vraiment parce que nous étions déjà sous le coup de massue du Covid-19. Pour moi, la date symbolique de l’année 2020, c’est ce 13 mars où nous partions pour la tournée des trois Pat – Pat McManus, Patrick Rondat et moi-même. Avant de partir, nous savions que la tournée était morte, mais nous pensions au moins pouvoir sauver le weekend, les dates du vendredi, samedi, dimanche. Nous arrivons à un quart d’heure de la salle, du Forum à Vauréal, et nous apprenons que nous ne jouons pas ce soir, c’est fini, fin de l’histoire. Ça, ça a été super dur. Nous montions de Bretagne pour aller là-bas. Patrick habite à Drancy, donc ce n’est pas encore trop loin. Et Pat McManus redescendait de Hollande pour nous retrouver sur cette date. Je me souviens de James qui s’est effondré, clairement. Le premier truc qu’il m’a dit, c’est qu’il allait devoir revendre sa baraque, parce que nous savions qu’il y avait cinquante dates qui volaient. Et encore, à l’époque, nous pensions que nous allions pouvoir le faire en juin, ce qui n’a pas été le cas. Donc pour moi, le gros événement de 2020, c’est plutôt ça que les vingt-cinq ans. Et puis comme tu l’as deviné, ça m’a fait plus marrer de fêter les vingt-trois ans que les vingt-cinq ans [rires].

Quand le premier confinement a été annoncé, il n’y avait aucune information pour tout ce qui était lié à la musique et il a fallu plusieurs semaines avant que les aides pour les intermittents soient annoncées, ce qui a dû vous laisser dans un flou terrible…

C’était terrifiant. Par exemple, autant Patrick Rondat que moi, cette tournée nous permettait de boucler notre dossier, nous avions notre date anniversaire qui arrivait en plein dedans et là, nous nous sommes dit que nous allions nous retrouver sans une tune, nous nous demandions comment ça allait se passer. Comme tu le soulignais, au-delà du côté artistique, nous remplissons les frigos comme tout le monde [rires]. Le premier choc est bien entendu artistique, mais derrière, tu as tout ça qui arrive.

Au final, il y a eu la prolongation des droits pendant un ou deux ans : est-ce que ça vous a permis de sauver les meubles ?

Ça a permis de limiter la casse. Pour être très concret, l’intermittence, ce n’est pas un salaire, donc là on touchait à l’intermittence mais pas aux salaires. Quand tu as ça qui saute, ça commence à faire mal. Je pense que nous avons tous un peu tapé dans les bas de laine que nous avions pour pouvoir combler. En même temps, heureusement que nous avons ce système-là en France dont ne bénéficient pas nos amis étrangers, mis à part la Belgique qui a un système aussi plus compliqué que le français. J’ai souvenir d’avoir eu Martin Barre au téléphone à ce sujet : « Comment ça se passe chez vous ? » Tout le monde s’appelait. Il me disait : « Tu vois, le bassiste est peintre en bâtiment aujourd’hui. » En Angleterre, ils n’avaient rien du tout, aucune aide.

« En ayant arrêté de jouer en groupe pour partir en carrière solo, je me suis offert ma liberté. Je fais ce que j’ai envie de faire. Je n’ai pas de comptes à rendre à l’esthétique d’un groupe, etc. car je suis libéré. »

Tu as dû vivre une période assez étrange, tu es passé par des émotions magnifiques liées à cette tournée anniversaire et en même temps, cette période effrayante d’un point de vue financier et de carrière. Dans quelles conditions as-tu écrit ton nouvel album et quel était ton état d’esprit à ce moment-là ?

Figure-toi qu’en fait, cet album-là, je l’ai écrit en novembre et décembre 2019 et janvier 2020. Il a donc été écrit avant que nous arrive la crise du Covid-19. Le concept et le titre de l’album Welcome To A New World n’ont rien à voir avec la crise sanitaire, même si effectivement la crise sanitaire fait une résonance totale à ce que j’ai pu écrire dans cet album, c’est incroyable. Je te garantis que je n’y suis pour rien !

Du coup, qu’est-ce qui a inspiré le concept de Welcome To A New World avec ce personnage privé de tous ses sens ?

Je voulais faire un album différent de ce que j’avais fait avant. Comme j’aime bien proposer un voyage aux gens dans les morceaux, je me suis dit que ce serait cool de faire un voyage qui dure une heure. Quand tu remets ça en musique, ça s’appelle un concept album. C’est comme ça que c’est arrivé. J’ai commencé à écrire le premier titre et à la fin de celui-ci, je me suis dit que ce serait bien qu’il y ait un sound design qui relie tous les morceaux, que ça ne s’arrête jamais, qu’il n’y ait pas de pause. A la fin de ce morceau-là, il y a une espèce de nappe qui traîne, puis en réécoutant, je prends ma gratte et je commence à faire [chante un riff] et ça a donné naissance à « Grinch ». Tout l’album s’est écrit comme ça, un peu comme un fil d’Ariane qu’on tire. Tel que tu écoutes l’album aujourd’hui, il a été écrit dans cet ordre-là. C’était à peu près au quatrième morceau que j’ai commencé à rouvrir mon Photoshop et à voir ce que je pourrais trouver comme pochette par rapport à ça, et je me suis dit que la couleur verte me plaisait bien. Puis je suis tombé sur ce personnage de businessman sans visage, je l’ai importé dans Photoshop, j’ai fait mon petit montage, je le stylise, et je me dis : « C’est ça l’histoire ! » L’histoire c’est cette personne qui est privée de tous ses sens. J’ai commencé à construire l’histoire comme ça et j’ai continué à écrire la musique parallèlement. C’est devenu ce monsieur No Face qui, au début de l’album, se pose la question s’il est né comme ça ou s’il l’est devenu. Petit à petit, il va trouver ses réponses en se disant : « Je ne suis pas né comme ça. Je me suis laissé enfermer. J’ai laissé mes peurs prendre le dessus. Ces peurs m’ont empêché de voir le monde, d’aller vers l’autre, de m’ouvrir, et donc je me suis renfermé et je ne vois plus rien. »

Dirais-tu que l’ambition du projet avec le concept album t’a permis de vraiment te lâcher ou au contraire, cette ambition a été contraignante et t’a bridé, en te faisant dire que puisque tout s’enchaîne, il ne fallait peut-être pas partir dans tous les sens ?

Je me suis vraiment senti dans une totale liberté. Dès que c’est parti, tout arrivait comme ça, l’un derrière l’autre. Un peu comme quand tu écris un bouquin, tu as une idée et ça part. S’il y a une idée qui arrive, elle t’emmène ailleurs et tu la suis. Je n’ai rien contrôlé. Tu sais, je suis très spectateur de l’inspiration qui m’arrive au moment où elle arrive. Après, je la prends ou pas, c’est un autre sujet, mais comme j’étais très immergé dans cette histoire, ça a vraiment défilé comme si je lisais un scénario.

Comme tu disais, au fur et à mesure de l’histoire, le personnage se rend compte qu’il s’est enfermé lui-même dans ses peurs et qu’il a abandonné son libre arbitre pour ne pas avoir de problème. Mais petit à petit, il va reprendre goût à la vie. Est-ce que pour toi, le libre arbitre est le truc central, ce qui fait qu’on vit pleinement sa vie, même si c’est un peu moins confortable et qu’il faut prendre des risques ?

Absolument. Tu as parfaitement résumé ma pensée sur cet album, qui est ma pensée profonde. Cet album n’est pas une introspection, mais c’est vraiment ce que je pense. Par exemple, en ayant arrêté de jouer en groupe pour partir en carrière solo, je me suis offert ma liberté. Je fais ce que j’ai envie de faire. Je n’ai pas de comptes à rendre à l’esthétique d’un groupe, etc. car je suis libéré. Même si bien sûr on s’enferme tous dans des trucs, on a tous une partie de nous qui vit dans un confort complètement illusoire, ça me semble frappant, mais tant que faire se peut, plus on s’ouvre, plus on découvre la beauté des gens, la beauté du monde, la beauté de plein de choses. Après, on n’est pas des lapins de trois semaines, on sait aussi comment ça se passe, on sait très bien que là on ne va pas être d’accord, etc. Mais là, de nouveau, c’est mon libre arbitre. J’aime bien cette idée de libre arbitre.

« Tu vas à n’importe quel bout de la planète, il se passe la même histoire. L’humain est un peu construit comme ça. Je n’ai pas d’exemple de peuple qui soit totalement libéré et qui ne vive pas sous le sceau de la convention. »

Une autre particularité de l’album est qu’il présente des textes narrés dans différentes langues – français, anglais, allemand, breton, japonais, italien, espagnol. Pourquoi cette insistance sur le langage dans l’album ?

C’était pour souligner le caractère universel de l’enfermement des personnes. Tu vas à n’importe quel bout de la planète, il se passe la même histoire. L’humain est un peu construit comme ça. Je n’ai pas d’exemple de peuple qui soit totalement libéré et qui ne vive pas sous le sceau de la convention. C’est donc vraiment pour souligner ça. Et puis, ces textes annoncent le morceau qui suit. Par exemple, quand James Wood dit « not everyone knows what it’s like » pour le morceau « Please Tell Me Why », c’est en gros pour dire que tout le monde va bien comprendre ce qui se passe dans ce monde un jour ou l’autre, et la thématique du morceau qui suit, c’est les backings qui sont un peu comme un chœur, ou un narrateur, qui va dire à ce personnage No Face : « Dis-nous pourquoi tu trouves que le monde est si pourri. Ouvre tes yeux, regarde autour de toi. Il y a plein de beauté, même s’il n’y a pas que ça. » Avant l’instrumental, la phrase qui est dite en allemand, si je la traduis en français, c’est : « Et maintenant monsieur No Face, ouvre-nous ton âme. » Et l’instrumental, in fine, raconte ce que le mec a dans son âme. C’est pour ça que le morceau passe par plein de sentiments, des trucs cool, des trucs énervés, ça explose, ça redevient calme. C’était important que ces narrations aient un sens entre les morceaux.

Si on prend un peu de distance avec l’album et qu’on se concentre sur le titre, Welcome To A New World, il y a cette idée de nouveau chapitre. Est-ce que cette nouveauté suggère quelque chose pour toi ? Est-ce que musicalement, tu as senti que tu faisais quelque chose de complétement nouveau ? Est-ce que cet album est un tournant pour toi ?

Oui. C’est ce qui a motivé le titre de cet album au départ. Dès le premier titre, j’avais appelé l’album Welcome To A New World. Je suis allé dans un autre truc, je ne renie rien du tout, ça ne va peut-être durer que le temps d’un album, mais aujourd’hui c’est ça, et c’est différent de ce que j’ai fait jusqu’alors. C’était un peu l’idée. Je pense qu’il a des trucs que je n’avais jamais faits. Il y a des morceaux qui ont une imagerie un peu pop, sans être de la pop, loin de là. Il y a ce morceau où je suis tout seul avec une guitare. Il y a certaines terres sur lesquelles je suis revenu aussi, comme le côté un peu plus metal, classic rock, etc. Je ne me suis rien interdit. Après, ça n’a pas été une volonté de faire quelque chose de différent. L’inspiration est arrivée comme ça.

Est-ce que c’est difficile de faire quelque chose de nouveau quand on a déjà vécu deux décennies de carrière musicale ?

Je ne sais pas. J’ai l’impression d’essayer de ne jamais faire le même album. C’est ce qui me motive le plus. Refaire un Behind The Pics, ça me ferait chier. En tout cas, ça ne m’amuserait pas, et je crois que je ne le sortirais pas, du coup. Je pense que dans nos vies, on est tous en perpétuelle évolution, si on regarde bien. Donc c’est normal que je n’écrive pas de la même façon après soixante berges qu’à cinquante, qu’à quarante, qu’à vingt… Ce serait grave que j’écrive exactement de la même façon que quand j’avais vingt ans. Après, bien sûr il y a des automatismes d’écriture et je pense que les gens vont en retrouver sur cet album, probablement. Il y a quelques marottes, mais il y en a certaines, je n’ai pas cherché à les gommer, mais elles ne sont pas venues. Il y a des choses différentes. Je pense que c’est un album différent de ce que j’ai fait avant. En tout cas, c’est la sensation que j’ai. Surtout, ce qui m’importe le plus est que c’est l’album qui correspond à la personne que je suis aujourd’hui.

Interview réalisée par téléphone le 10 septembre 2021 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Pat O’May : patomay.com

Acheter l’album Welcome To A New World.



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