ENVOYEZ VOS INFOS :

CONTACT [at] RADIOMETAL [dot] FR

Interview   

Paul Gilbert : la voix de Dio


Cela fait treize ans que Ronnie James Dio nous a quittés mais son œuvre et son génie restent toujours aussi vivants et vibrants. Les « Heaven And Hell », « Stargazer », « Holy Diver » et même « Love Is All » (de Roger Glover) n’ont pas pris une ride. Il y a même quelque chose de réconfortant à écouter du Ronnie James Dio, un artiste qui parle à notre instinct de vie et nous donne de la force, et, à la fois, nous permet de nous évader des tracas quotidiens. C’est d’ailleurs ainsi, par ce qu’évoquait pour lui ces trois lettres – DIO – inscrites sur une casquette, que Paul Gilbert a eu envie de rendre hommage à l’elfe, mais aussi aux trois guitaristes principaux qui ont accompagné et contribué à ses plus grands moments : Tony Iommi, Ritchie Blackmore et Vivian Campbell.

Plus que ça encore, The Dio Album, est une continuation de l’exploration de l’expressivité vocale à la guitare, puisque le guitariste de Mr. Big et Racer X reprend une poignée de classiques de Black Sabbath, Rainbow et Dio… en instrumental. Tout le défi était d’étudier dans les moindres détails les lignes de chant de Ronnie et de les reproduire le plus fidèlement à la six-cordes. Paul nous raconte ainsi, dans l’entretien qui suit, son rapport à l’œuvre de Ronnie James Dio, son regard de professeur de guitare et son propre apprentissage.

« Peu importe ce que tu enseignes, la personne qui apprend le plus, c’est le professeur. Faire cet album a été la meilleure leçon qui soit pour moi sur comment être expressif et comment mettre de l’émotion et une âme dans mon jeu de guitare, et Ronnie était mon professeur ! »

Radio Metal : Tu rends hommage au grand Ronnie James Dio avec ton nouvel album The Dio Album. A priori, cette idée t’est venue un peu par hasard à la vue d’une casquette avec le mot Dio dessus…

Paul Gilbert (guitare) : Oui, c’est une histoire très simple. Je vis à Portland et ici, plein de gens mettent des autocollants pour pare-chocs et des panneaux partout ; cette ville est bourrée de militantisme. C’était sympa de voir une casquette Dio au milieu de toute cette colère ! [Rires] On voit plein de slogans agressifs ici. J’imagine que parfois, c’est bien d’être en colère, mais j’étais en train de conduire et j’ai vu cette casquette avec Dio inscrit dessus, je me suis dit : « Oh, voilà quelque chose que je peux soutenir ! » A la fois, j’ai fait plein d’autres trucs liés à Dio. J’enseigne beaucoup Dio à mes étudiants en guitare – je leur apprends à jouer les lignes de chant. Par exemple, la mélodie de la chanson « Long Live Rock ‘N’ Roll », c’est une excellente leçon pour la guitare. Si tu la joues de manière très normale [chante], ça ressemble à une chanson de Noël ! Il faut y mettre les slides, les tirés et tous les détails d’expression pour que ça sonne bien. C’est une approche et une technique très différente, mais une fois que tu maîtrises, ça donne vie à ton jeu qui devient bien plus émotionnel. En tant que professeur, la pire chose que je peux dire à un étudiant, c’est : « Tu dois travailler sur ton feeling », parce que c’est trop général. Tu ne peux pas juste dire à quelqu’un : « Ton jeu n’a pas suffisamment d’émotion. Va travailler là-dessus. » Ça ne l’aide pas. Donc, en tant que professeur, je ressens le besoin d’analyser et de dire : « D’accord, on doit travailler pour que ça dégage plus d’émotion, mais voilà comment faire, étape par étape. » Quand tu prends une ligne de chant comme ça, tu peux trouver plein de petites parties utiles. Après, peu importe ce que tu enseignes, la personne qui apprend le plus, c’est le professeur. Donc, à cet égard, faire cet album a été la meilleure leçon qui soit pour moi sur comment être expressif et comment mettre de l’émotion et une âme dans mon jeu de guitare, et Ronnie était mon professeur !

Quelle a été ta relation à la musique de Ronnie James Dio au fil des années ?

La première fois que j’ai vraiment remarqué Ronnie, c’était quand j’ai entendu la chanson « Neon Knights » de Black Sabbath à la radio. Je ne savais pas qui c’était. Je ne savais pas que c’était Black Sabbath. Je ne savais pas que c’était Ronnie James Dio. Pour moi, ça sonnait comme un nouveau groupe. Je crois que c’est sorti en 1980, donc j’avais environ treize ans. J’ai acheté l’album. J’étais très surpris que ce soit Black Sabbath, car je connaissais déjà le groupe, mais la musique avait un feeling très différent avec Ronnie au chant. J’aime les deux ; j’aime les vieux morceaux de Sabbath et ceux avec Ronnie. C’était donc à partir de ce moment-là, quand il a rejoint Black Sabbath, que j’ai commencé à être vraiment fan de Ronnie James Dio. J’étais toujours dans des groupes de reprise quand j’étais adolescent et donc, après ça, j’ai rejoint un groupe qui avait un claviériste. Ce dernier jouait sur un orgue B3 et il voulait faire plein de chansons de Rainbow parce qu’ils utilisaient justement un B3. Nous avions donc pour habitude de commencer les concerts avec « Kill The King ». Ce genre de truc ne passait pas à la radio, mais comme j’étais dans des groupes, les autres musiciens me faisaient découvrir. C’est grâce à ça que j’ai commencé à m’intéresser à Rainbow et que j’ai acheté l’album Rising. Encore une fois, cet album ne passait jamais à la radio quand j’étais gamin, mais je me le suis procuré et il est tellement génial, d’un bout à l’autre ! Ces albums ont été très importants pour moi. Puis, bien sûr, ensuite, Ronnie a formé son propre groupe. Quand je me suis procuré le premier album solo de Dio, « Stand Up And Shout » s’est lancé, et c’était tellement bon ! Tellement excitant ! J’adore cet album.

As-tu eu l’occasion de le rencontrer ?

Je l’ai rencontré une fois et c’était merveilleux. J’étais au Japon et je suis allé voir Deep Purple. Ils faisaient une tournée avec un orchestre. Je ne savais pas que Ronnie était là, mais il est venu sur scène et a chanté une chanson qui s’appelle « Love Is All ». Je ne la connaissais pas et j’étais très surpris, car je me disais : « Voilà Ronnie et il est en train de chanter cette chanson, ça sonne presque comme ‘Penny Lane’ des Beatles, ce genre de chanson pop sautillante, il y a en plus tous ces trucs orchestraux. Suis-je en train de rêver ? C’est tellement bizarre ! Mais c’est merveilleux, j’adore ! » Après, je suis allé en coulisses et Ronnie était là. Il est venu vers moi. Il m’a dit : « Paul, ça fait plaisir de te rencontrer ! », ce qui m’a complètement surpris. Je ne savais même pas qu’il savait qui j’étais. C’était quelqu’un de très gentil. Il était tellement chaleureux et amical… J’aurais aimé être comme ça [rires].

« J’aime de très nombreux genres musicaux et parfois, je ne sais pas trop où devrait être ma place. Je veux être partout à la fois. C’est déroutant d’aimer tous ces styles qui me tirent dans des directions différentes. »

Pas mal de guitaristes sont allés et venus dans son groupe. N’as-tu jamais songé à soumettre ta candidature ou à auditionner pour lui ?

Bon sang, j’aurais adoré jouer de la guitare pour Ronnie. Je suis confiant dans le fait que j’aurais pu jouer les parties plutôt bien, mais je ne sais pas si j’aurais été le bon type de compositeur. J’adore ses chansons, que ce soit en solo, avec Sabbath ou avec Rainbow, mais d’une certaine façon, mon propre style de composition est différent. J’étais un tel fan des Beatles, d’Elton John et d’un tas de trucs pop des années 60 et 70 que j’aurais mis des accords de dominantes secondaires qui n’auraient pas sonné metal [rires]. J’ai un peu trop de Paul McCartney en moi, c’est mon problème en tant que compositeur. J’adore Paul McCartney, c’est ça le truc, mais à la fois, ça faisait tellement plaisir de jouer ces morceaux, j’avais les poils qui se dressaient sur mes bras… Ça a toujours été un défi pour moi : j’aime de très nombreux genres musicaux et parfois, je ne sais pas trop où devrait être ma place. Je veux être partout à la fois. C’est déroutant d’aimer tous ces styles qui me tirent dans des directions différentes. Pour moi, Ronnie est très focalisé. Il sait exactement ce qu’il veut faire et il est capable d’écarter les distractions pour se concentrer dessus. Je ne suis pas aussi doué pour ça. En tant que musicien, je pense pouvoir le faire. C’est ce qui est sympa dans le fait de réaliser un album comme celui-ci : j’arrive à me focaliser, car ce n’est pas de la composition. Je peux prendre la vision d’une autre personne, la suivre et y mettre mon empreinte au travers de mon propre jeu. J’adore endosser ce genre de rôle, mais en tant que compositeur, je ne sais pas si j’aurais vraiment fait du bon boulot. Je suis plutôt content que les gens qui étaient avec lui pour composer aient pu le faire.

Tu as déclaré que « quand [tu] apprenais à jouer de la guitare, même si [tu] voulais faire du rock, [tu] aspirais aussi à un certain niveau de perfection », mais tu t’es rendu compte que « ce qui donne vie aux lignes de chant, ce sont les choses qui manquent dans toutes ces petites notes parfaites ». Est-ce que ça veut dire que ça t’a poussé à te remettre en question et à repenser ton rapport aux notes ?

Le truc le plus évident et dangereux que les guitaristes peuvent faire, c’est de s’exercer sur les gammes. La raison pour laquelle travailler les gammes est dangereux, c’est parce que c’est facile d’adopter une mentalité où tout est pareil – même son, même attaque de médiator, même durée de notes. Tu ne crées aucun contraste entre staccato et legato, c’est soit tout staccato, soit tout legato, et tous les éléments d’expression deviennent identiques, la seule chose qui change, c’est la note. Si tu regardes bien une ligne de chant, il y a énormément de contrastes, et c’est ce qui lui donne vie. S’il y a une courte note en staccato, la suivante sera une longue note en legato, et elles sont vraiment l’une après l’autre. Cette différence crée tout de suite une émotion. Ou c’est une texture, comme avec une voyelle : tu peux obtenir ça avec une harmonique artificielle, par exemple, donc tu essayes de changer la texture et le son de ton attaque de médiator de façon à ce que ce ne soit pas toujours pareil. C’est ça le truc, car quand tu entends une gamme, c’est presque comme un robot, tout est envoyé de la même façon. Avec un chanteur, chaque note est complètement différente de la précédente. Il y a toutes ces différences et ce n’est pas arbitraire. C’est fait avec intention et de l’instinct musical. Ce n’est pas très émouvant d’en parler, mais quand tu le fais vraiment et que tu te dis : « D’accord, prenons ces six notes et faisons ça », tout prend vie.

As-tu donc dû désapprendre un peu de la précision technique pour laquelle tu es réputé ?

Eh bien, il faut quand même être précis. Tu dois même être encore beaucoup plus précis, parce que c’est difficile de jouer une note d’une certaine façon et la suivante d’une tout autre façon. Tu ne peux pas juste rester figé dans une position et tout faire pareil. Il faut constamment bouger et changer. Il faut être beaucoup plus flexible et être capable d’entendre, il faut savoir comment ça devrait sonner. Il faut exercer son oreille pour pouvoir entendre ce qu’on recherche – c’est la moitié du boulot. Mais c’est une autre approche, très différente de quand on joue des gammes, et c’est merveilleux. J’adore. L’une des raisons pour lesquelles je fais ça, c’est parce que c’est une superbe leçon de guitare.

« Je voulais être un peu comme Jimmy Page, mais en étant suffisamment propre pour que personne ne puisse me critiquer. En un sens, j’aspirais à cette perfection parce que j’étais un adolescent inquiet que les gens pensent que je n’étais qu’un gosse stupide. »

Qu’est-ce qui t’a poussé à l’origine à aspirer à un tel niveau de précision et de perfection dans ton jeu ?

Une forme de crainte, en quelque sorte. Je pense que le rock n’ roll est considéré comme un genre musical primitif fait par des gens qui ne sont pas très intelligents. Ce n’est pas quelque chose d’intellectuel. Peut-être que maintenant, le prog rock l’est, mais quand j’étais gamin, surtout avec le punk rock qui arrivait et tout, c’était un peu des hommes des cavernes qui jouaient des accords. Or je voulais être intelligent ! Je voulais pouvoir exprimer le fait que j’étais une personne dotée de capacités intellectuelles. Je me souviens m’être dit que les musiciens de classique étaient capables de faire passer cette idée. On pouvait entendre énormément de clarté et de maîtrise technique chez un claveciniste ou quand Itzhak Perlman joue du violon, tout est parfait. Mes parents avaient beaucoup d’albums de musique classique, donc j’avais un peu ça dans mon oreille. C’est drôle aussi, parce qu’à la fois, en tant que fan, j’adorais Jimmy Page qui peint avec de gros pinceaux et ça déborde un peu, mais ça fonctionne, la musique a quand même la bonne émotion et ça te file la chair de poule. Je voulais donc être un peu comme Jimmy Page, mais en étant suffisamment propre pour que personne ne puisse me critiquer. D’une certaine façon, c’était presque un bouclier contre la critique. Donc, si mes grands-parents – mon grand-père était avocat – m’entendaient jouer du rock n’ roll, ils pouvaient dire : « Eh bien, au moins il le fait avec de la précision technique. » En un sens, c’était parce que j’étais un adolescent inquiet que les gens pensent que je n’étais qu’un gosse stupide, et je voulais me protéger contre la critique.

Etais-tu un gamin particulièrement intellectuel ?

J’étais bon à l’école ! Je lisais beaucoup de livres et je savais bien écrire…

Est-ce que les bons élèves à l’école font de bons musiciens d’après toi ?

Pas directement. Comme j’enseigne, j’ai l’occasion d’entendre un vaste éventail de musiciens et la musique, c’est un peu un langage, et celui-ci est unique à cause du rythme. Quand on parle, on peut faire une pause pour réfléchir à la prochaine chose à dire, donc c’est un petit peu arbitraire. Il peut y avoir un rythme, mais ce n’est pas aussi structuré que la musique. La musique a tendance à être très structurée, il y a un pouls qu’on peut mesurer. Ça peut fluctuer, mais globalement, il y a un pouls constant. C’est ce qu’il y a de plus dur pour les gens, car quand on apprend à jouer d’un instrument, on est là : « Mes doigts ne sont pas encore prêts », donc on ralentit le tempo jusqu’à ce qu’on y arrive. Evidemment, à ce moment-là, la structure tombe à l’eau. Le truc, c’est de maîtriser la technique au point où on peut respecter la structure et l’avoir en tête, car personnellement, je ne lis pas à vue. C’est un autre truc que j’ai appris : être capable d’avoir la structure de la musique en tête pour savoir si on est avec ou pas. C’est presque comme si on avait la partition, mais celle-ci est dans sa tête. J’ai des étudiants qui jouent extrêmement bien. Ils ont une très bonne technique, et je les regarde faire et je me dis : « Comment est-ce qu’il a pu faire cette erreur ici ? » Ce n’est pas une erreur technique, c’est juste une note qui ne devrait pas être là, mais dans la mesure suivante. Ça veut dire qu’il n’avait pas la partition en tête. Pour je ne sais quelle raison, j’ai toujours eu cet instinct, simplement, je pense, parce que j’ai écouté énormément de musique. Quand j’aimais une chanson, je l’écoutais trois cents fois !

Tu as donc disséqué de nombreuses mélodies ligne par ligne pour cet album. Nous avons largement parlé par le passé de tes techniques pour imiter le chant à la guitare, mais la voix de Ronnie est assez unique. Quelles ont été les spécificités de sa voix et de son style de chant que tu as dû apprendre à reproduire ?

L’une des choses qui facilitent le travail avec Dio, c’est qu’il a des mélodies très amples et dramatiques. Probablement que le plus dur à jouer à la guitare serait une mélodie qui ne bouge pas beaucoup, car ce serait dur d’y mettre de l’expressivité, mais comme Ronnie a de grandes mélodies, c’est plus simple, car on ne se repose pas vraiment sur les paroles. Si je devais jouer une chanson de Bob Dylan avec la mélodie faite à la guitare, ce serait presque impossible, ce serait dur de faire en sorte que ça fonctionne. Alors qu’une chanson de Ronnie James Dio a tellement de mouvement que, lorsqu’on joue les notes, il y a plein de bonnes choses auxquelles se raccrocher. En dehors de ça, je dirais qu’avec n’importe quel chanteur, on a tendance à jouer horizontalement, car on va d’une note à l’autre et la moitié du temps, on fait un slide. Ce n’est pas forcément un long slide, mais on peut juste utiliser son doigt pour faire un aller-retour, et ça donne ce côté vocal. A la guitare, quand on va d’une note à l’autre, il y a deux possibilités. Soit on passe d’une corde à l’autre, soit on reste sur la même corde et on se déplace horizontalement. Donc, pour imiter le chant, les déplacements horizontaux, c’est la bonne méthode. Pour certaines mélodies, je me suis surpris à n’utiliser qu’une seule corde pour la jouer en entier, parce que c’était bien plus facile pour faire les slides et obtenir la bonne expression. C’est drôle aussi, parce que Ronnie a une tessiture assez aiguë, donc j’ai pas mal utilisé les cordes de Sol et de Si. Je me souviens avoir étudié des morceaux d’Hendrix et lui était un chanteur plus grave, donc c’était la plupart du temps sur la corde de La. Si j’étais chanteur, je serais probablement sur la corde de Mi grave [rires]. Et peut-être que pour Steven Tyler, de temps en temps, il faudrait aller jusqu’au Mi aigu. Ou pour Mariah Carey, il faudrait une guitare à vingt-quatre frets.

« Dans ma propre évolution en tant que guitariste, je pense que j’ai plus de Tony Iommi dans ma main que des deux autres. Seulement parce que, quand j’étais gamin, son jeu était suffisamment simple pour que je puisse maîtriser quelques trucs. »

Tu as dit que ses mélodies te facilitaient le travail, mais alors, qu’est-ce qui t’a donné le plus de fil à retordre ?

J’ai pu trouver les pistes de chant isolées de certains morceaux sur YouTube. Je les ai prises pour les mettre sur mon ordinateur. J’ai une application qui s’appelle The Amazing Slow Downer, et je ralentissais les pistes pour entendre chaque détail. Quand tu fais ça, tu entends des choses [que tu n’entends pas autrement]. Evidemment, Ronnie a une technique incroyable et quand il veut atteindre une note, il le fait, mais il y a aussi… C’est comme quand je parlais de Bob Dylan : un chanteur comme ça inclut une part de parler dans ses mélodies, ce qui implique un côté très « slide ». Tu ne peux pas reproduire ça au piano ; sur un piano, tu joues une note et quand tu vas à la note d’à côté, il n’y a pas d’entre-deux. Donc, dès qu’il y a un style un petit peu parlé là-dedans, c’est délicat à cerner, parce qu’il faut décider : est-ce que ce sera un tiré ? Est-ce que ce sera un slide ? Comment vais-je faire ça ? Ou ça peut être un pull-off ou un hammer-on, ça peut marcher aussi. J’entendais ce genre de choses dans ses mélodies et certaines étaient très surprenantes. Quand tu y es confronté, t’es là : « Non, ça ne peut pas être cette note. Ça ne cadre pas avec la gamme ! » Je me rendais bien compte que ce n’était pas un accident. C’était une fausse note intentionnelle, mais ça marchait. Ça sonnait mieux comme ça, et j’adore ces trucs. Dans « Holy Diver », il y en a un paquet, dès le début, quand il chante : « Holy diver, you’ve been down too long in the midnight sea. Oh, what’s becoming of me? » Cette partie [chante] : « What’s becoming of me? » J’étais en train de l’écouter et je me disais : « C’est ça, vraiment ? » Quand je l’ai copié, ça sonnait juste. Je pense que c’est un exemple. D’ailleurs, j’aurais aimé pouvoir en garder plus, parce que ce genre de chose est dur à retenir, ça ne colle pas avec le système de théorie musicale que j’ai en tête. Ce genre de détail qui brise les règles, c’est de l’or, parce que ça permet d’obtenir des émotions rares qu’on ne peut obtenir autrement. J’ai donc presque envie de me remettre sur ces morceaux et de m’exercer un peu plus pour mieux maîtriser ça. La façon dont j’ai fait cet album est que je me concentrais sur une ligne mélodique, j’apprenais à la jouer comme il faut, et ensuite mon cerveau était plein, donc je devais le décharger et passer à la suivante.

Tu rends hommage non seulement au talent de Ronnie, mais aussi à celui des trois guitaristes principaux avec qui il a collaboré : Tony Iommi, Ritchie Blackmore et Vivian Campbell. Comment comparerais-tu le jeu de ces trois musiciens qui ont chacun leur propre approche des riffs et des solos ?

Blackmore est très dans la note simple. Nombre de ses parties rythmiques ne sont pas des accords mais des riffs note à note. Sur une chanson comme « Starstruck », tout est [chante le riff], il ne gratte pas d’accord. Alors que Tony est plus dans le power chord et Vivian, ça peut être une corde à vide et un stab avec un accord par-dessus. On entend ces différences. Dans ma propre évolution en tant que guitariste, je pense que j’ai plus de Tony Iommi dans ma main que des deux autres. Seulement parce que, quand j’étais gamin, son jeu était suffisamment simple pour que je puisse maîtriser quelques trucs. Si tu écoutes le solo qui se répète dans « Sweet Leaf », chaque plan rapide que je fais tient de ça [rires]. Je n’ai pas arrêté de jouer ce solo. C’était le seul plan rapide que j’étais capable de faire quand j’avais douze ans et cette « Sweet Leaf » s’est transformée en arbre – c’est une métaphore étrange. Il m’a fallu beaucoup plus de temps pour maîtriser les plans de Ritchie Blackmore, parce que pour moi, c’était presque plus blues, comme dans « Lazy » de Deep Purple, et une grande partie des solos qu’il faisait étaient blues. Je n’avais pas vraiment ça en moi quand j’étais adolescent, donc ça m’a pris plus de temps à apprendre, mais j’ai adoré quand j’ai intégré ça, et ce style en notes simples était tellement cool. Ensuite, Vivian était très jeune quand il a enregistré les premiers morceaux de Dio, et personnellement, il me rappelle Gary Moore, à sa façon. J’adore Vivian pour ce qu’il est, mais j’adore aussi entendre du Gary Moore dans son jeu de l’époque, car je suis un grand fan. Ils font ce plan qui est une sorte d’arpège en septième majeure, mais la façon dont c’est utilisé, ça devient une neuvième mineure. Je ne suis pas capable de jouer ça ! C’est tellement rapide ! J’entends Gary Moore et Vivian Campbell le jouer, et je me dis : « Comment font-ils ça ?! » J’ai donc trouvé une façon de le jouer à ma manière en utilisant davantage la main gauche pour pouvoir sortir les notes à la bonne vitesse, mais je ne peux pas vraiment obtenir le même feeling. C’est toujours intéressant d’essayer de résoudre ce genre de problème, quand un guitariste a une certaine technique que je ne suis pas capable de maîtriser, ça me force à en trouver ma propre version.

« Quand tu es mis dans une situation où c’est : ‘Vais-je vivre ou vais-je me faire manger par quelque chose ?’, c’est la vie et la mort. Le fait de pouvoir connecter ce sentiment très dramatique à de la musique, c’est vraiment puissant. C’est ce que faisait Ronnie, selon moi. »

Penses-tu que la simplicité du jeu de Tony Iommi est la raison pour laquelle il a été aussi universellement influent ?

Oui, c’est ça le truc. Avec les morceaux de Sabbath, tu apprends un power chord et tu peux jouer « Iron Man » ! C’est merveilleux de pouvoir faire de la musique avec des outils basiques comme ça. J’ai tellement appris de groupes comme Kiss et AC/DC aussi, parce que c’est relativement simple à jouer, mais ça reste de la super musique. Parfois, mes étudiants viennent me voir et me disent qu’ils veulent jouer mes morceaux. Ils sont là : « Je veux apprendre du Racer X. » Je leur réponds : « Ne commence pas avec ça. C’est un très mauvais point de départ ! Apprends du Kiss ! » [Rires]

Qu’est-ce qui faisait que les riffs de ces trois guitaristes très différents étaient le socle parfait pour accueillir le chant de Ronnie ?

Je ne connais pas leur processus de composition. Je serais curieux de savoir, parce que je ne sais pas s’ils faisaient ça ensemble, si Ritchie Blackmore amenait une chanson entièrement finie instrumentalement et qu’ensuite Ronnie devait mettre du chant dessus, ou si Ronnie avait une idée de mélodie et Ritchie composait autour. Pour moi, c’est très important de savoir parce que ça change la façon dont les choses s’imbriquent et ça détermine la structure. J’ai vu le film sur Ronnie James Dio et on dirait qu’il avait une basse, et qu’il a composé une bonne partie du premier album de Dio seul à la basse. Ayant ça comme structure, ça permet ensuite de rajouter les parties de guitare par-dessus et c’est une approche très différente de celle qu’on suit si on a d’abord les parties de guitare et que le chanteur doit se dire : « Comment vais-je me placer là-dedans ? » Donc la seule chose que je sais, c’est comment il a fait ses propres morceaux parce que j’ai vu le film et ça disait que son chant était là d’abord. Pour le reste, je ne sais pas. Si tu prends une chanson comme « Heaven And Hell », Ronnie a énormément d’espace, donc ayant une note et un groove, c’est quand même presque comme si Ronnie l’avait écrite, car il a quasiment toute une feuille blanche pour travailler. Dans ma propre carrière, c’est quelque chose avec lequel j’ai vraiment eu du mal, car j’ai tendance à écrire des parties de guitare complexes et ensuite, le pauvre chanteur doit trouver de la place là-dedans. Donc c’était peut-être ça. Peut-être que Blackmore et Tony Iommi étaient très bons quand il s’agissait de laisser suffisamment d’espace pour que Ronnie ait la place de faire la mélodie. Ou peut-être que la mélodie de Ronnie venait en premier et ils construisaient autour. Je ne sais pas historiquement comment ça se passait.

Tu as déclaré que « les parties de guitare de Ritchie, Tony et Vivian ont apporté leur lot de chair de poule » et ça t’a fait te demander « d’où viennent les frissons ». J’imagine que c’est la question à un million de dollars, mais es-tu parvenu à trouver, au moins, une partie de la réponse à cette question ?

Pas complètement ! Je trouve que c’est une très bonne question. Je pense que n’importe quel guitariste peut essayer : jouez une de ces chansons, jouez la partie de guitare rythmique, je pense qu’il y a de grandes chances que les poils vont se dresser sur vos bras. Alors vous vous demanderez : « Pourquoi ? Qu’est-ce que je ressens ? Suis-je un animal dans la forêt qui est menacé par une plus grosse bête et je dois rassembler toutes mes forces pour me défendre et ensuite, quand je survis, je me sens bien ? » C’est la meilleure analogie que j’ai. Disons-le ainsi : c’est presque comme la vie et la mort. Quand tu es mis dans une situation où c’est : « Vais-je vivre ou vais-je me faire manger par quelque chose ? », c’est la vie et la mort. Le fait de pouvoir connecter ce sentiment très dramatique à de la musique, c’est vraiment puissant. C’est ce que faisait Ronnie, selon moi. Evidemment, pas seul, avec l’aide de ces grands groupes. Ça fait partie des choses que j’aime là-dedans, on peut vivre ce sentiment dramatique qui pousse à puiser dans sa plus grande force intérieure pour survivre. C’est l’une des choses les plus attirantes dans cette musique. C’est très différent d’être sur la plage avec une guitare acoustique, en chantant : « Le ciel n’est-il pas magnifique aujourd’hui ? » Ce n’est pas désinvolte. Comme je l’ai dit, c’est la vie et la mort !

« Il y a une musique dans la forme des mots. Pour moi, leur sens est un chouia moins important. Le morceau ‘Heaven And Hell’, par exemple, a de super phrases, même si je n’ai aucune idée de ce que certaines veulent dire ! »

Ce que ces trois guitaristes ont en commun, évidemment, est qu’ils ont créé de grands riffs. Selon toi, comment la place du riff a-t-elle évolué dans le rock et le metal moderne ?

C’est un peu gênant parce que je n’ai pas vraiment suivi ce qui se faisait en matière de jeu de guitare heavy metal depuis à peu près le milieu des années 90 [rires]. Je ne sais pas qui fait quoi ou comment ils sonnent. Je pense qu’en tant que fan, j’ai été jusqu’à Accept, j’adorais ce groupe, mais – et je sais que ça va paraître terrible – je n’étais pas très fan de Metallica, Pantera ou Megadeth. Je pense que c’était parce qu’il y avait pas mal de plans Mi-Fa, je ne sais pas si c’est du phrygien ou peu importe. C’était presque comme si l’accent était mis davantage sur la texture et la percussion, et peut-être moins sur la mélodie, ou qu’il y avait un peu moins de blues, d’un côté à la Beatles ou d’influence classique. Quand j’entends ça, je peux comprendre pourquoi c’est cool, parce que la percussion et la texture sont vraiment intenses et extraordinaires. Je pense que je ne pouvais pas m’éloigner autant de mes racines en tant que fan des Beatles et de blues. Je remarquais que le vibrato des solos commençait à disparaître. Les guitaristes des années 70 avec lesquels j’ai grandi avaient tous un vibrato blues plaintif. Je pense qu’arrivé à un certain âge, tout le monde rassemble ce qu’il préfère et se dit : « Ça, ce n’est pas pour moi. Je vais rester là-dessus. »

Ce qu’on peut remarquer dans tes reprises, c’est que même si c’est joué instrumentalement, celles-ci sont très fidèles aux originales. N’as-tu pas voulu y mettre un peu plus ta patte ou considères-tu ces morceaux comme étant intouchables ?

Je ne voulais pas trop les changer. Par exemple, pour le solo dans « Heaven And Hell », qui est un morceau basé sur un vrai groove ouvert, j’aurais pu juste dire que j’allais faire du shred comme un dingue, mais je ne voulais pas le gâcher ! Pour moi, dans ce que Tony, Ritchie et Vivian ont joué, il y a plein de parties thématiques mémorables, et je veux les garder. S’il y a une partie où ils deviennent fous, peut-être que je ferai ma propre version de la folie dans ce passage. Par exemple, sur « Kill The King », j’ai fait mon truc, mais je me rendais bien compte que Blackmore… Je ne sais même pas s’il joue. Il sort quelques notes et on dirait presque qu’il jette la guitare par terre. Donc là, je me suis dit que je pouvais me permettre de partir en vrille. Mais en tant qu’auditeur, quand j’entends un thème, j’essaye de m’en tenir à ce thème.

Tu mentionnes « Kill The King », on y entend un public…

Il y a du bruit de public à deux endroits. Le chant qui acclame Dio, je l’ai eu dans une vidéo YouTube de Dio au Pinkpop Festival. Je l’ai extrait et j’ai travaillé avec ça. L’autre extrait vient en fait de l’un de mes concerts que j’avais sur bande. J’ai assemblé tout ça. Il y a la version studio et la version live de cette chanson et je voulais vraiment me baser sur la version live pour retranscrire ce feeling, car c’est ma préférée.

Evidemment, les mots de Ronnie James Dio sont absents, vu que c’est instrumental, mais c’était aussi un grand parolier. Y a-t-il des paroles qui t’ont particulièrement marqué chez lui ?

La première chose que je veux dans des paroles, c’est qu’elles me restent en tête. Dans de nombreux textes de chansons, pas seulement celles de Ronnie, il n’y a pas forcément tout le temps un sens très clair, mais si tu l’écoutes deux ou trois fois et que tu retiens la phrase, c’est le principal, car ça devient une partie intégrante de la musique. Il y a une musique dans la forme des mots. Pour moi, leur sens est un chouia moins important. Enfin, s’ils ont un sens qui est inspirant, cool ou intéressant, c’est bien aussi. Je peux très bien me souvenir des paroles de Ronnie. Le morceau « Heaven And Hell », par exemple, a de super phrases, même si je n’ai aucune idée de ce que certaines veulent dire ! « Love can be seen as the answer, but nobody bleeds for the dancer. » Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais j’adore ! [Rires] Le sens n’est pas obligé d’être littéral. Le sens dépend plus de ce que je ressens quand je l’entends ou quand je le joue, et si ce sentiment est bon, puissant et dresse les poils sur mes bras, ça, pour moi, c’est plus important. Si je veux une histoire, je vais regarder un film.

Interview réalisée par téléphone le 8 mars 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Sam Gehrke.

Site officiel de Paul Gilbert : www.paulgilbert.com

Acheter l’album The Dio Album.



Laisser un commentaire

  • Paul a l intelligence musicale..
    Il a su faire un album instrumental sans dénaturer l’original et sans fioriture: il a tout simplement fait revivre la voix de Dio avec sa guitare..bravo

    [Reply]

  • Très bonne interview. Album écouté et reçu depuis 2 jours, c’est bluffant. Neon Knights pour commencer, on a vraiment l’impression que Dio chante … Après 3/4 écoutes et étant fan de Dio, c’est une vrai réussite.

    [Reply]

  • Un album instrumental pour rendre hommage à Dio ? Je reste perplexe !

    [Reply]

  • Arrow
    Arrow
    Metallica @ Saint-Denis
    Slider
  • 1/3