Si Paul Personne a longtemps été, et est encore parfois, considéré comme LE bluesman français, ceux qui connaissent son oeuvre, qui remonte jusque dans les années 70 avec Bracos Band puis Backstage, avant de partir dans une prolifique carrière solo, savent que le guitariste est avant tout un électron libre qui met un point d’honneur à suivre son instinct. Mais c’est bien au blues qu’il revient avec son nouvel album Lost In Paris Blues Band, issu d’une session de trois jours organisée sur le pouce avec quelques nouveaux copains, rencontrés à l’occasion de la tournée Autour De La Guitare : John Jorgenson, Robben Ford ou encore l’ex-Guns N’ Roses Ron « Bumblefoot » Thal. Un album à son image : spontané, authentique et convivial.
C’est donc à l’occasion de la sortie de cet opus un peu particulier que nous nous sommes entretenus avec Paul, pour qu’il nous le présente, déjà, mais aussi revenir sur une carrière qui ne peut que forcer le respect. Car comme il l’avoue : « Si j’avais fait plus de concessions à tous ces diables que j’ai rencontrés et qui voulaient me faire signer un contrat avec eux, j’aurais peut-être été plus connu, plus riche, plus populaire, » or il a toujours choisi indéfectiblement de suivre sa propre voie, dans le business comme en musique. L’occasion également d’en savoir plus sur son rapport au hard et au rock de manière général, et puis à sa voix et bien sûr aux guitares, un des grands amours de sa vie.
« J’ai un côté vachement introverti, avec plein de doutes et de choses comme ça, donc je n’ai jamais essayé de convaincre le monde que j’étais un mec super [rires]. »
Radio Metal : Ton nouvel album, Lost In Paris Blues Band, vient de sortir. Ça a commencé lors de la tournée Autour De La Guitare, alors peux-tu nous rappeler comment tout cela s’est mis en place ?
Paul Personne (chant & guitare) : Je vais te la faire courte, mais disons que Jean-Félix Lalanne m’avait appelé pour Autour De La Guitare où il avait plein d’invités prestigieux dans tous les sens du terme, et il a essayé de me convaincre. Je l’avais déjà fait avec lui il y a à peu près quatre ans. Nous avions fait deux Olympia et lui, je l’avais trouvé vraiment cool. Ce côté éclectique, avec ce brassage d’influences et des musiciens qui peuvent jouer manouche, rock, heavy, bluesy… Il y a vraiment un tas d’influences, et là, il rebelottait mais pour une tournée des Zéniths, en gros. Et donc c’était très alléchant, et vu les noms et les invités qu’il avait prévu, c’était vraiment cool. Du coup, cette tournée est partie, nous avons rencontré les mecs, nous avons répété, assez rapidement d’ailleurs, et nous avons dû faire quatre dates, à peu près, un peu du côté de Caen, Rouen, par-là. Et à un moment donné, il y a eu un mail de la part de Jean-Félix, qui nous disait que malheureusement, il était obligé d’abandonner une dizaine de dates, car ce n’était pas rentable. Il paumait du fric tous les jours, il n’y avait pas assez de locs ou un truc comme ça. Donc évidemment, il y a eu une petite déception dans les rangs mais donc, il y avait quinze jours à passer, à rien faire. C’est vrai que cette idée, elle est un peu saugrenue, mais elle est partie d’un matin où j’avais peut-être un petit blues ou je ne sais quoi, je me lamentais un peu sur le sort de ces pauvres Américains dans leur hôtel à Paname, en train de jouer les touristes, à ne rien foutre pendant quinze jours, et c’est vrai que c’est Gloria, ma gonzesse, qui m’a dit : « Tu n’as qu’à te faire une jam, un truc pour rigoler ! T’as qu’à les occuper ! Tu bookes un studio et tu fais une jam de blues ou un truc comme ça ! » C’est resté dans un coin de ma tête et du coup, après, j’en ai parlé à mon directeur de label qui m’appelait pour autre chose, et il m’a rappelé un quart d’heure après en me disant : « Tu sais, ça peut être marrant ton histoire. Je suis à deux cent pour cent avec toi si jamais tu veux le faire! » Après, il fallait que j’en parle aux mecs concernés. Donc j’avais pensé à Robben Ford, à Bumblefoot – Ron Thal -, John Jorgenson, il y a eu une petite bouffe avec eux, où je leur ai parlé de cette idée, vraiment sans prétention, juste pour s’amuser pendant trois jours au studio, à essayer de faire des chansons, des tracks de blues ou autre, vu que dans l’album il y a du Tom Waits, du Bob Dylan, etc. C’était un plan vraiment récréatif, juste « for fun », tu vois.
Il y avait quand même pas mal de monde dans cette tournée Autour De La Guitare. Du coup, pourquoi n’as-tu pas invité plus de monde ? Je pense à Norbert Krief, Michael Jones, etc.
Ce sont des potes, je les connais, nous nous connaissons bien. Mais disons que je ne voulais pas trop me disperser non plus. Parce qu’il y a vraiment plein de super guitaristes, par exemple, Jean-Marie Écay, c’est un super virtuose. Il y avait plein de gens qui jouaient vraiment très bien mais j’avais dans l’idée ces mecs-là. C’est vrai qu’avec Nono, nous nous connaissons depuis des années, depuis l’époque de Trust, et si demain je veux appeler Nono, je peux l’avoir facilement, enfin ça dépend du planning, de ses envies, etc., ou Axel Bauer et des tas d’autres gens qui étaient dans la tournée et qui résident en France. Là, c’est vrai qu’il y avait des mecs qui étaient de passage, qu’on ne voit pas tous les jours dans nos contrées, et donc c’était vraiment l’occase de faire un truc particulier. Et puis il y avait ce mélange de styles qui était assez marrant, avec Robben Ford, qui est vraiment très précis, qui a ce côté jazz-bluesy, et puis John Jorgenson, c’est un super virtuose, avec tout un côté country, blues, quand il jouait de la guitare acoustique dans Autour De La Guitare, il faisait un ou deux morceaux de Django Reinhardt, c’était un tueur ! Et puis d’un autre côté, il y avait Ron, avec lequel j’avais vachement sympathisé, et qui était, quelque part, aux antipodes de ce qu’on peut attendre d’un guitariste de blues, mais c’était justement ce qui me bottait, parce que j’aimais bien le mec humainement et puis techniquement, c’est un killer aussi, et je me suis dit que ce que peut amener ce mec-là dans une musique assez traditionnelle peut complètement bousculer les genres et ouvrir des frontières. C’est cette interaction entre les mecs qui m’intéressait, et il ne fallait pas qu’il y en ait trop, pour ne pas trop se disperser non plus, surtout que nous nous sommes retrouvés à jouer tous en studio en même temps, c’est-à-dire que ça n’a pas été des sessions où j’ai dit : « Tiens, Ron, tu viens jouer sur deux titres; Robben, tu viens jouer sur deux titres, etc. » Donc nous nous sommes tous retrouvés dans le stud, tout le monde la guitare en bandoulière, en mode : « Bon, on fait quoi maintenant ? » Ils m’ont regardé, ils m’ont dit : « OK, tu veux faire quoi ? » Je leur avais déjà expliqué ce que je voulais faire, mais là je leur ai dit : « On peut commencer par tel titre ou tel titre. »
Justement, en plus, vous vous connaissiez depuis à peine trois semaines, comment avez-vous fait pour prendre vos marques en seulement trois jours de studio ? Est-ce qu’il y a eu comme une forme de préparation, ou pas du tout ?
Non, c’est ça qui est magique dans cette histoire-là ! C’est-à-dire qu’il y avait la tournée Autour De La Guitare, nous sympathisions au cours des concerts, les mecs étaient tous hyper chouettes, c’était vraiment tous de super mecs. Et donc, nous parlions de temps en temps, nous nous admirions en train de jouer et tout ça, il y avait des échanges humains, musicaux, etc., mais nous ne nous connaissions pas vraiment, nous n’étions pas de vieux potes d’enfance ou de vieux potes d’adolescence. Il y avait juste une sorte de respect mutuel comme ça, et c’est vrai que lorsque je leur ai proposé le truc, eux m’ont juste demandé une liste de titres que j’aimerais bien jouer. J’avais donc fait à peu près entre trente et quarante titres, j’ai balancé ça sur une feuille, je leur avais fait une photocop de ces titres-là, et ils m’ont fait : « Ouais, OK, c’est cool ! » Et c’est vrai que, nous arrivons en studio, nous avons checké le son, nous avons bouffé, nous avons bu un coup et nous nous sommes dit : « OK, on peut essayer de commencer par ça, par ça… » C’est ça qui est génial dans ce genre de cas de figure, c’est que tout le monde était hyper humble. Il n’y avait pas de concours. Bon, l’idée venait de moi, et je sentais qu’ils étaient tous à disposition vis-à-vis de ce que j’avais envie de faire, ils n’essayaient pas de me passer par-dessus ou de techniquement essayer de m’écraser ou quoi, chacun restait à sa place, faisait son truc, proposait des choses, et tout se faisait vraiment avec une facilité incroyable. C’est ça qui est vachement bien dans ce genre de cas de figure, et quand tu as trois jours de studio, il faut que ça se passe comme ça.
Mais en même temps, moi, au départ, je ne pensais pas spécialement sortir un album, c’était juste une récré que je m’octroyais avec de chouettes mecs, talentueux, pour trois jours, pour s’amuser, et puis après, on verrait ce qui se passerait. Je pensais peut-être mettre cinq ou six titres en boîte, comme ça, et puis après me dire : « Bon, qu’est-ce que je fais ? Je sors un petit EP souvenir, avec ce qu’on a fait avec ces musiciens-là ? Ou alors je continue d’autres sessions avec d’autres personnes… » Et en fin de compte, comme nous nous sommes retrouvés à avoir une bonne quinzaine de titres sur les trois jours, vu que nous faisions une ou deux prises des chansons, nous ne répétions presque pas, nous tournions, nous regardions les petits passages particuliers, et puis nous nous disions : « Bon, OK, on enregistre, on voit ce que ça donne, et on fait autant de prises qu’on veut… », et puis en général, au bout de la deuxième prise, nous avions ce qu’il fallait, et parfois nous gardions la première, où il y avait peut-être des erreurs mais qui était plus spontanée, donc c’était assez marrant quoi !
« Je ne sais pas si ce n’est pas Ry Cooder qui disait un truc comme ça, qu’en fin de compte, il faisait plein de musiques d’endroits différents, mais dans lesquels il n’avait jamais mis les pieds, parce qu’il voulait peut-être garder plus l’image d’un rêve, d’une carte postale, plutôt que de voir la réalité. Peut-être que j’ai un côté comme ça. »
Tous ceux qui ont participé à ces sessions semblent s’accorder pour dire que tu leur avais laissé beaucoup de place, beaucoup de liberté, donc est-ce que c’est ça pour toi, le blues : un grand espace de liberté et de convivialité ?
C’est chacun son truc, comme chacun le pense, mais pour moi c’est déjà un peu comme ça que je conçois la musique, même par rapport à mes propres chansons. Souvent, j’ai une idée assez précise de ce dont j’ai envie, mais j’aime aussi laisser les musiciens vivre un peu leur vie, et si ça me botte pas, je leur dis : « Non, le tempo, ce n’est pas du tout comme ça que je l’entends, ou la basse, ou… » Mais au départ, et de plus en plus d’ailleurs avec le temps qui passe, je ne fais plus de maquette ou de choses comme ça. À une époque, je faisais de petites démos, enfin je n’ai pas de home studio ou d’ordinateur, mais j’avais un petit quatre pistes, ou un petit huit pistes, je faisais des démos où je présentais aux mecs : « Tu vois, j’ai une chanson qui fait comme ça, c’est dans cet esprit-là, avec des reprises de batterie un peu comme ça… », j’entendais assez bien comment devait se dérouler la song. Mais depuis quelques années, en fin de compte, j’ai des trucs sur un dictaphone ou sur des cassettes, tu vois c’est pas un gros mot encore [rires], mais j’ai encore des trucs comme ça, et je présente aux mecs les chansons juste comme ça, avec une guitare, une voix, et même si je n’ai pas tous les mots, c’est du yaourt ou des trucs comme ça, mais ce que je veux, c’est trouver l’ambiance de la chanson. Là, je propose aux musiciens et après, je vois ce qu’ils me donnent en échange, et si ça ne me plaît pas, je leur dis : « Non, non, ce n’est pas le bon chemin, ce n’est pas la bonne direction. »
Mais pour moi, par rapport à ta question, ouais, il faut qu’il y ait cette forme de liberté, et pour moi, c’est ce qui est intéressant quand tu joues avec des musiciens, sinon tu fais tout tout seul chez toi avec des samples, des boîtes à rythme, et là, t’es sûr d’être à peu près satisfait parce que ça tourne autour de toi-même. Mais dès le moment où tu joues avec d’autres personnes, il faut compter sur la complémentarité, l’interaction qu’il peut y avoir avec ces autres personnes, avec leurs qualités, leurs défauts, et c’est ça qui fait aussi parfois ces instants magiques, c’est-à-dire des trucs que tu n’avais pas calculés, auxquels tu n’avais pas pensé. Pour moi, ça a toujours été la magie de l’époque quand il y avait les groupes anglais comme les Stones. Ils n’étaient pas les meilleurs musiciens du monde, mais c’était le mélange de toutes ces personnalités qui donnait ce son-là. Ou bien Hendrix avec Mitch Mitchell à la batterie, ce qui se passait entre les deux, ça donnait cette flamboyance-là. Et moi, je pense que ces instants auxquels tu n’avais pas pensé, un peu magiques, ils arrivent justement quand tu joues comme ça, dans un studio, tout le monde réuni, les yeux dans les yeux, et tu marches au feeling. C’est une technique qui est vieille comme le monde, qui apparemment ne se pratique plus exactement de la même manière, mais pour moi, c’est la bonne technique, et c’est celle que j’utilise la plupart du temps.
L’album s’appelle Lost In Paris Blues Band. Est-ce que Paris de façon générale est une source d’inspiration pour toi ?
Pas spécialement. En plus, je ne suis pas parigot. Je suis né dans la banlieue parisienne, du côté d’Argenteuil, et jusqu’à l’âge de quatorze ans je suis resté un peu comme ça en banlieue, même un peu plus tard, mais c’est vrai qu’assez rapidement, je me suis barré dans des endroits un peu plus isolés. Je ne suis pas complètement ermite, mais j’ai besoin de me mettre out. À chaque fois que j’ai vécu à Paris, pour moi, il y avait trop d’agressivité, trop de stress, ce n’est pas bien pour ma tronche et pour mon mental, alors évidemment, ça peut t’inspirer parce qu’il se passe de tas de choses tous les jours, suivant ce que tu vois, les gens que tu croises, tu t’assois à la terrasse d’un troquet et tu regardes, tu peux avoir des choses qui t’interpellent et ça peut être une source d’inspiration. Maintenant, comme chez moi il y a du stress qui est engendré en parallèle, moi j’utilise Paris pour aller faire de la promo, pour faire des trucs comme ça, pour aller voir des concerts, pour aller bouffer avec un pote au resto, pour aller dans les boutiques de musique [rires], je ne sais pas, mais en tout cas, pour des moments bien. Je n’ai pas envie de supporter Paris tous les jours, mais ce n’est pas spécialement une source inspiratrice. Ça dépend des gens, en même temps [petits rires].
Lost In Paris Blues Band, c’est vraiment avant tout un album de blues. Beaucoup de gens te considèrent comme le bluesman français, mais je sais que c’est une étiquette que tu n’aimes pas trop. Qu’est-ce qui te gêne là-dedans ?
Disons qu’au début, ça m’a fait plaisir. Au premier album que j’ai sorti dans les années 80 sous le nom de Paul Personne, et même à l’époque de Barjo-Land et tout ça, c’était sympa. Je savais qu’il y avait un public très bluesy qui venait me voir ; j’avais aussi d’énormes influences blues même si j’avais des tas d’autres terroirs dans la tête. Et puis au bout d’un moment, je me rappelle quand j’avais fait l’album 24/24, vers 86, il y avait des tas de chansons un peu différentes. Je me retrouvais sur scène, à un moment donné, à proposer aux gens des choses un peu différentes, pas spécialement du Chicago blues ou ce genre de chose, et j’entendais des gens qui disaient : « Eh Polo, fais-nous un blues ! Allez ! » Et je me suis dit : « Merde ! Ils sont venus pour ça ! » C’est-à-dire que la presse et les médias ont tellement donné de moi une étiquette un peu du mec qui part en croisade pour le blues en France, que je me retrouvais un peu prisonnier de cette image-là. Et pourtant, je me sentais libre de faire des choses vachement différentes. Donc là, j’ai senti un peu le piège qui se refermait sur moi, où je sentais que les gens ne voulaient entendre de moi que le côté blues, pas l’autre côté. Je ne m’en suis pas tellement occupé, je l’ai dit un peu dans les interviews, ce qui m’intéressait, c’était simplement de continuer à faire uniquement ce que j’avais envie de faire. Si j’avais envie de faire des ballades, je faisais des ballades, ou des trucs un petit peu countrysants, ou plus rock, ou plus jazzy… J’avais de toute manière envie de toujours avoir cette liberté-là. Je ne voulais pas avoir mon chemin dicté par qui que ce soit [petits rires]. Et donc, j’en ai parlé dans les interviews, j’ai continué à faire ce que je voulais, et ce qui est bien, c’est qu’à l’arrivée, et à la longue, le public m’a pris pour ce que j’étais. Et j’ai vu en concert, pendant toutes ces années, même si je faisais un truc super cool avec une ambiance un peu planante, que les gens écoutaient et n’étaient pas là en train de me demander « Johnny B. Goode » ou « Sweet Home Chicago ». Donc c’est pour ça que j’essayais un peu de parler de cette condition un peu personnelle de dire : « N’attendez pas de moi que je fasse uniquement ce genre de musique. » Pour moi c’est une école, un son, et quelque chose que je respecte énormément car c’est la base de toutes les musiques. Mais pour moi, c’est une marche. Et je pense que tous les gens, que ce soit Jimi Hendrix, Eric Clapton, tous les gens qui ont été un temps des guitar heroes, sont tous partis de cette base-là et après, ont éclaté le son et en ont fait quelque chose d’autre. Jimi, quand il faisait « Red House » c’était du blues, mais il le transcendait, il ne le jouait pas comme des mecs dans le Mississippi ou à Chicago, tu vois. Il y avait l’électricité qui était là, il en a fait quelque chose d’autre, et je pense que c’est ce qu’on fait tous. On part vraiment de quelque chose, de certaines influences, d’une base, et le but dans la vie c’est de trouver ce pour quoi on est fait et de mettre en avant sa personnalité et ne pas passer son temps à copier les autres. C’est une longue route !
« Je crois que j’avais une tête de lard […]. Même avec les maisons de disques, je n’ai pas arrêté de rajouter des clauses dans les contrats pour qu’il y ait une liberté artistique absolue, qu’on ne vienne pas m’emmerder. »
Tu n’as pas peur que cet album remette quelque part cette étiquette dans la tête des gens ?
Ce n’est pas grave parce que depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et pour moi, faire une récréation comme ça avec un album de blues… En plus, il y avait des tas de gens qui me le demandaient ! « Eh Paul, quand est-ce que tu fais un vrai album de blues ? » Et puis moi : « Ouais, je sais pas… Et puis je ne vais pas me mettre à faire un truc en anglais… » Parce que je l’ai fait à l’époque de Backstage dans les années 70, dans Bracos Band, des tas de groupes que j’avais avant, parce que mon idée était de partir jouer à l’étranger. Puis je me retrouvais à chanter en anglais devant des gens en France et je trouvais ça un petit peu stérile parce que personne ne comprenait ce que je racontais, c’était un peu dommage. Il y avait cinquante pour cent du dialogue qui était perdu. Mais là, le cas de figure n’est pas le même. C’était un peu l’occase qui faisait le larron. A me retrouver avec ces Américains, je n’allais pas faire des chansons à moi, et de toute manière, il n’y avait pas le temps. L’idée était de faire un gros bœuf. Les studios Ferber étaient bookés pendant trois jours, l’idée était de s’amuser, comme je peux m’amuser un weekend avec des potes, dans une cave où on va faire des standards toute la nuit. Là, c’était un peu le même genre de truc, à part que c’était avec de super zicos [petits rires]. Et il fallait trouver un terrain d’entente commun, donc ça n’allait pas être des chansons à moi ou des chansons à eux. Le but était vraiment d’avoir un répertoire neutre, et quand j’ai proposé ces chansons-là, ils ont trouvé ça cool. Je me suis retrouvé à chanter en anglais, je leur ai demandé de chanter un peu de temps en temps, j’ai appelé Beverly Jo Scott, qui est ma copine, qui était à Bruxelles et qui est américaine, elle s’est jointe à nous et a chanté avec plaisir sur l’histoire. Donc au niveau de mon image, oui, ça peut me renfermer dans ce truc blues. Ce n’est pas très grave parce que ce n’est pas quelque chose que je renie, je ne renie absolument pas ce genre de truc. Ça fait comme si je repassais par un endroit que je connais et par lequel je suis déjà passé, quelques années plus tard. Demain, ça ne m’empêche pas de faire un nouvel album, je ne sais pas comment sera le prochain mais je peux très bien faire un truc jazzy, ou avec un big band, un truc très dur, ou alors très acoustique, je ne sais pas. Mais je m’octroie de toute manière la liberté de continuer à faire ce que je veux, donc pour moi, c’était juste pour rigoler. Mais pour rigoler vachement bien ! [Rires]
Tu disais qu’à tes débuts ton « idée était de partir jouer à l’étranger ». Ça ne t’a plus jamais intéressé par la suite de t’exporter, aux États-Unis, par exemple ? Car tu revendiques ta culture anglo-saxonne, même dans tes textes en français, tu les écris à l’anglo-saxonne…
Je ne sais pas si je les écris à l’anglo-saxonne. Mais par contre, ce dont j’ai envie, c’est que j’aie la même facilité de chanter en français que de chanter en anglais. Tout au départ, c’est parti un peu comme ça : vers la fin des années 70, début des années 80, j’avais des textes en anglais que j’ai traduits en français, un peu littéralement, au mot à mot. Alors ça tombait un petit peu à plat parfois, mais à certains moments, ça marchait. Et je me retrouvais comme ça, avec une gratte, à chanter ce truc que j’avais en anglais en français et ça marchait plutôt bien. Ma voix ne changeait pas, je ne passais pas tout à coup sur un truc qui sonnait variété. Car c’est parfois le cas ! L’anglais, même si tu racontes de grosses conneries avec un texte insipide, ça sonnera vachement bien, c’est fait pour cette musique-là, et d’un seul coup, tu traduis en français, tu te mets à chanter en français, et là, c’est une horreur, ça devient variét’, et c’est l’enfer. Donc c’est vrai qu’il y a un certain décalage entre ces choses-là. Mais disons que lorsque je chante en français, j’essaie de faire en sorte que ça ne pose pas de problème et pas de décalage avec l’anglais, même si je sais que de toute manière, l’anglais sonnera toujours mieux, et qu’il y a des consonances et tout ça qui ne sont pas du tout les mêmes, mais ce qui est important, en français, c’est quand tu dis des choses et que tu sais que les gens comprennent un peu ce que tu leur racontes. Ça, c’est important.
Concernant le fait de m’exporter, à une époque, je suis plusieurs fois allé au Québec, où dès la première fois que j’y suis allé, ce devait être en 88, j’ai tout de suite eu un accueil vraiment super. On m’a demandé de revenir très rapidement, donc j’y suis retourné, et ça a été vachement bien. C’est vrai qu’au Québec, je sentais qu’ils avaient cette culture complètement anglo-saxonne, sur la musique, les bagnoles, des tas de choses. Et en même temps, il fallait chanter en français, parce qu’eux étaient de grands défenseurs de la langue française, il fallait éviter de mettre trop d’anglicismes dans tes mots… Et donc, moi, je tombais pile au milieu dans leur culture, c’est-à-dire que je chantais en français et je faisais une musique rock-blues qui fait partie de leur culture. Et j’ai donc eu un super accueil là-bas. Donc ok, j’y suis allé plusieurs fois, j’ai été un peu à droite, à gauche, mais au bout d’un moment, c’est une sorte de rêve de gosse, quand t’es ado, t’écoutes un peu tes idoles, ces mecs qui habitent ces pays-là, et t’as envie d’aller en Angleterre, aux États-Unis, là d’où vient la musique qui te plaît et qui t’influence, qui te guide. Et puis le temps passe, et puis j’ai rencontré des Américains, plusieurs fois en France, j’ai fait des tournées avec Luther Allison, j’ai joué avec Albert King… Au bout d’un moment, tu rencontres les gens, ils te racontent un peu comment ça se passe chez eux, et ils ont finalement l’air plutôt pas mal quand ils viennent tourner en Europe, par rapport à… Sauf si t’es une méga star, mais là en l’occurrence, ce n’était pas le cas. Et puis ça te tente de moins en moins. Après, quand tu commences à voir de plus en plus de reportages sur les États-Unis, « the dream is over » un petit peu, ça te fait un peu moins planer que quand t’avais dix-huit ans quoi.
Ça n’empêche pas qu’il doit toujours y avoir des choses très intéressantes à voir là-bas, mais je n’ai plus le même appétit d’Amérique que j’ai pu avoir à une certaine époque. Je ne sais pas si ce n’est pas Ry Cooder qui disait un truc comme ça, qu’en fin de compte, il faisait plein de musiques d’endroits différents, mais dans lesquels il n’avait jamais mis les pieds, parce qu’il voulait peut-être garder plus l’image d’un rêve, d’une carte postale, plutôt que de voir la réalité. Peut-être que j’ai un côté comme ça, c’est-à-dire que l’idée que j’ai pu m’en faire ou que je m’en fais encore, est peut-être plus naïve. Est-ce que ce n’est pas ça qu’il faut garder, plutôt que le côté sordide et glauque qu’il peut y avoir parfois en parcourant les États-Unis ? Donc c’est vrai que je n’ai pas eu l’ambition de m’exporter, peut-être que je manque d’ambition [rires], mais je n’ai jamais eu le truc d’essayer de convaincre le monde entier que j’étais un mec génial qui avait du talent et qu’il fallait que j’arrive à aller jouer partout dans le monde pour qu’ils se rendent compte que j’étais un mec super. Je n’ai jamais eu cette ambition-là, je m’en fous un peu. Quand je te parle du côté un peu artisan, c’est que j’adore la musique, c’est ma passion, c’est mon moyen d’expression, j’aime en faire, j’aime écouter les autres, en jouer aussi, mais j’ai un côté vachement introverti, avec plein de doutes et de choses comme ça, donc je n’ai jamais essayé de convaincre le monde que j’étais un mec super [rires].
« Je n’ai jamais été un grand fan de John McLaughlin, par exemple, qui était un cavaleur de manches incroyable. Parce que d’abord, je n’y pigeais rien, je ne savais même pas dans quel genre de gamme il jouait, parce que les gammes, je n’y connais rien [petits rires], je suis complètement autodidacte. »
Tu as toujours revendiqué faire les choses sans compromis dans ta carrière. Est-ce que ça t’a déjà joué des tours ?
Je ne sais pas trop quoi dire là-dessus, mais je pense que si j’avais fait plus de concessions à tous ces diables que j’ai rencontré et qui voulaient me faire signer un contrat avec eux, j’aurais peut-être été plus connu, plus riche, plus populaire, je ne sais pas [petits rires], c’est le genre de truc auquel je ne m’attache pas vraiment en plus, et c’est pour ça que je n’ai pas suivi ce genre de route. Je crois que j’avais une tête de lard, et j’avais envie de faire uniquement ce que j’avais envie de faire, et de proposer aux gens qui voulaient me suivre, au public inconnu, quelque chose de sincère. Comme je dis souvent, je propose, les gens disposent. Ils ne sont pas obligés d’aimer ce que je fais, ils ne sont pas obligés de venir me voir en concert, mais ceux qui viennent, c’est qu’ils y trouvent quelque chose qui les touche et qui correspond à leur feeling intérieur. Donc pour moi, c’est un choix de route où il y a des prix à payer, c’est-à-dire que ce n’est pas facile, tu survis un peu plutôt que de vivre, pendant pas mal d’années. Mais voilà, je n’avais pas envie de faire de baloches, je n’avais pas envie d’aller accompagner des artistes de variété, je n’avais pas envie moi-même de faire une forme de variétoche, j’avais une idée en tête de ce que j’avais envie de faire, et si ça fonctionnait, ce n’était qu’à cette condition-là. Même avec les maisons de disques, je n’ai pas arrêté de rajouter des clauses dans les contrats pour qu’il y ait une liberté artistique absolue, qu’on ne vienne pas m’emmerder avec : « Eh ouais, p’tit gars, faut changer les paroles à cet endroit-là, ou il faut changer ton ton musical parce ce n’est pas assez commercial… » Je ne voulais pas avoir ce genre de critères. Je savais que ça existait, je connaissais des gens qui vivaient avec ça sur le dos et des gens qui pratiquaient ce genre de choses, et donc je n’avais pas envie de ce truc-là. J’ai la vie que j’ai eue, et quelque part ça ne s’est pas trop mal passé [petits rires], parce qu’avec ce genre de truc au départ, ça aurait très bien pu ne jamais marcher du tout. Donc à un moment donné, il y a peut-être une forme de sincérité qui finit par toucher les gens. C’était quatre-vingt personnes, l’année d’après c’était cinq cent, le coup d’après c’est deux mille… Donc c’est bien, et c’est peut-être une des choses dont je peux être un petit peu fier, c’est-à-dire ne pas avoir vendu mon âme au diable, et c’est peut-être le seul truc où je peux me regarder en face.
C’est vrai que tu as une longue carrière, et puis tu as de nombreux amis comme Jean-Louis Aubert qui ont eu beaucoup de succès, tu as collaboré avec Johnny Hallyday, et pourtant, tu restes un artiste assez confidentiel aux yeux du grand public, on ne te voit jamais à la télé, par exemple. Donc c’est vraiment un choix de ta part ?
Oui, enfin il faut dire qu’on ne m’appelle pas non plus, mais je ne cherche pas à y aller non plus, tu vois. Je ne cherche pas à aller passer mon temps à raconter des trucs dans les talk-shows qui ne m’intéresseraient peut-être pas forcément. Mais c’est assez bizarre, je suis un musicien, je suis un artisan, je ne suis pas un mec populaire en plus, je n’ai jamais cherché le tube que tout le monde peut chanter en repeignant son plafond le week-end. Donc j’ai autre chose dans la tête, ce qui n’empêche pas que j’adore certaines grandes chansons qui sont des singles, des trucs des années 60 ou 70, j’aime les mélodies, j’ai aimé les Beatles, les Stones, les Kinks, je ne sais pas, un single de Stevie Wonder, de Marvin Gaye, d’Aretha Franklin… Il y a tellement de super compositeurs, de mecs qui ont fait des chansons fabuleuses, et j’aime les écouter. Maintenant, moi, je ne suis pas à la recherche du tube absolu, ou du truc qui me rendra hyper successful, hyper populaire comme ça auprès de la ménagère. Quand t’as un titre qui passe à la radio et que les gens aiment, ça fait forcément plaisir, et ça m’est déjà arrivé d’avoir des titres qui sont joués en radio et tout, et que moi je sois dans les embouteillages dans le périphérique et que je m’entende, et je fais : « Ah ouais, cool ! » Donc je ne crache absolument pas là-dessus. Mais disons que je n’ai jamais cherché à atteindre ce stade de notoriété-là. Si tu veux, je n’ai pas de frustration ou d’aigritude (sic), de jalousie quoi ! Je suis très content du succès de Jean-Louis Aubert ou des autres, c’est leur truc à eux. Peut-être que moi, je ne suis pas fait non plus pour ça, ou que je n’ai pas le talent pour écrire ce genre de chanson, mais je ne le cherche pas non plus [rires].
Nous sommes un média plutôt spécialisé dans le hard-rock et le metal, même si nous parlons également de rock et de blues. Quel est ton rapport au hard-rock et au metal ?
Pour le hard-rock, mon premier contact, c’est Led Zep, parce que c’est un des premiers groupes qui a vraiment amené ce son de rock-blues très dur, c’est-à-dire que tu avais ce blues-boom en Angleterre qui avait éclaté en 1966-67 ; Hendrix est passé par-là, et le ton s’est vraiment durci, les guitares commençaient à jouer de toute manière de plus en plus fort et de plus en plus dur. Évidemment, lorsqu’il y a eu des mecs comme Led Zep, Deep Purple, et mêmes d’autres groupes, les mecs jouaient plus en puissance, avec des batteries qui claquaient. Il y avait moins cette ambiance qui venait du jazz-blues, ou du Chicago blues, là, ça commençait à vraiment cartonner, et puis après, évidemment, ça a pris tout l’envol qu’on connaît. Mais le rapport que j’ai avec ça, c’est juste un son dur qui, de temps en temps, me botte. Le metal, un petit peu moins. C’est un peu moins mon truc dans certains cas, mais en même temps, j’aime bien le gratteux de Metallica, j’aime bien Slash quand il était avec les Guns, parce qu’il y a quand même des fondements un peu bluesy et rock’n’roll. Les mecs ont trouvé leur son en partant de certaines bases. Maintenant, si tu veux, au niveau de la guitare, je suis plutôt un mec qui n’a jamais cherché à être un super virtuose, ou à cavaler à toute vitesse sur le manche de la guitare. Et même quand j’étais ado, dans le genre super virtuose, à Woodstock, tu avais Alvin Lee, qui pour l’époque était la gâchette la plus rapide de l’Ouest. Après, tu avais le jazz-rock, avec des mecs qui essayaient d’esbroufer tout le monde, ça faisait partie de leur art mais, je ne sais pas, je n’ai jamais été un grand fan de John McLaughlin, par exemple, qui était un cavaleur de manches incroyable. Parce que d’abord, je n’y pigeais rien, je ne savais même pas dans quel genre de gamme il jouait, parce que les gammes, je n’y connais rien [petits rires], je suis complètement autodidacte. J’étais plus sur la sensibilité et sur la manière de raconter une histoire ou de parler avec un instrument. C’est comme si quelqu’un, en face de moi, me parlait trop vite et que je ne comprenais même pas la moitié des mots qu’il me raconte, je ne vais pas capter sa conversation. Pour la musique, c’est un peu pareil. J’ai besoin de temps, j’aime le silence dans la musique aussi, je n’aime pas quand il y a un mur de son permanent, hyper compressé à donf. Donc après, c’est un ressenti, chacun a le droit d’aimer, de ne pas aimer, ou de ressentir certaines choses. Moi, je n’ai jamais essayé de fonctionner ni aux trucs qui étaient à la mode, ni aux trucs en mode : « Ouais, c’est ça qu’il faut écouter absolument ! », ça je m’en fous complètement. Donc je me laisse guider par ce que je ressens. Il y a des trucs que j’aime, des trucs qui ne me bottent pas. Le rapport que j’ai, vis-à-vis de ces musiques-là, c’est un peu ce que je viens de te dire, il est aléatoire, ça dépend vraiment de ce que je vais entendre.
« Je me suis dit que j’avais trouvé [avec les Gibson] la guitare qui correspondait au son un peu pourri de ma voix, il y avait ce son un peu medium, un peu crade, qui se mariait bien avec les mots que je racontais. »
Les fans de rock, hard rock, etc., disent toujours que la France n’est pas un pays qui a cette culture. Je me souviens même que nous avions fait une interview de Gérald De Palmas, qui disait qu’en France, le rock « avait pris un sacré coup dans la gueule » et que c’était très ringard de faire du rock en France. Quel est ton avis sur la question ?
Je pense que tous les gens qui aiment le rock partent d’une culture anglo-saxonne, vu que c’est là-bas que ça a été créé. Nous, nous sommes dans une culture littéraire, poétique, avec des textes, des chansons, des mélodies. Même si, en fond, il y a toujours un accordéon qui pleure, il n’y a pas que ça, il y a des musiques folkloriques, par rapport à la Bretagne, à des tas d’endroits en France, donc il y a une culture profonde. Quand le rock’n’roll est arrivé dans les années 1950, ça venait des States, ça bousculait tout le monde, et tous les parents ne comprenaient rien à ce genre de déflagration [petits rires] aussi bien dans la manière de se fringuer que de se coiffer, que d’écouter cette musique tonitruante… C’est donc un truc qui ne vient pas de chez nous, mais évidemment, tous les mômes, les petits Français, comme moi, on a complètement craqué sur ce genre de zik, et donc on a été embringués dans le train du rock avec plein d’influences différentes. Et on a essayé de copier les Anglo-Saxons. C’est pour ça que je pense qu’à une époque, les Français avaient un super complexe par rapport aux Anglais et aux Américains, parce qu’on ne sonnait pas aussi bien qu’eux, on n’avait pas la même hargne que les groupes anglais, ni le même professionnalisme, le même métier que les groupes américains. On n’avait pas les clés de tout ça, mais on essayait quand même [rires]. Dans les années 60, tout le monde y a été de son groupe de rock, puis c’est un peu passé, t’avais ceux qui chantaient en anglais qui voulaient être comme leurs modèles, t’avais ceux qui faisaient des compos avec des mots en français parce qu’on était en France et qu’il fallait que les gens comprennent, ou qu’ils espéraient un jour passer à la radio. Et puis c’est retombé, et puis il y a eu la deuxième vague, avec Téléphone, Trust et Bijou, dans les années 77-78, par-là. Et là, ça accrochait, c’était ce que l’on appelait le « rock français » ! La première vague n’avait pas tellement marché, enfin, dans les années 60, il y avait Les Variations, Triangle, mais ça a été un peu anecdotique, et ça a mieux marché sur la deuxième vague des années 70.
Et puis tout le monde s’accroche toujours derrière quelque chose, et puis là, je trouve que la France, depuis quelques années, sans parler de rock, a trouvé une sorte de son en mélangeant des tas de choses, des guitares acoustiques, des petits airs sautillants, etc. Mais dès le moment où tu veux faire du rock, du hard ou des musiques plus spécifiques, ce n’est pas évident de t’imposer en France, alors que le public est là. Quand tu vois des groupes anglais ou américains débarquer en France, les salles sont pleines. Ou même quand certains groupes français jouent, il y a du monde, mais ça reste toujours un truc un petit peu… Pas underground, mais, ce n’est pas la culture. C’est comme la country, en France, ça ne marche pas, c’est un truc typiquement américain, enfin très Nashville mais très américain. Mais la country, à part un mec comme Eddy Mitchell qui met un peu de pedal steel dans ses chansons et qui a un côté un petit peu country-variété, mais sinon, il y a des réunions de cowboys l’été, les gens s’amusent à recréer une ambiance western, il y a des gens qui aiment ça, mais ce n’est pas un truc qui accroche. Je pense que pour le rock, c’est un peu pareil, mais ça n’empêche pas qu’on continue, et tout le monde continue à essayer de mélanger la musique que tu ressens, dont t’as envie, avec parfois des mots en français. Enfin, moi, c’est ce que j’essaie de faire depuis des années, d’avoir des mots qui peuvent raconter des choses, qui peuvent swinguer, et en même temps, sans pour ça, sortir un accordéon [rires].
Un peu comme tu le disais, ce qui est étonnant, c’est qu’il y a des groupes comme AC/DC ou Metallica qui remplissent des stades entiers et les plus grandes salles, donc c’est bien que le public est là, et qu’il y a une demande.
Bien sûr ! Il y a des gens qui sont vraiment là pour cette zik, mais en France, à part Téléphone, et la reformation avec Les Insus qui bourre les salles partout, parce qu’il y a un truc iconique car à cette époque-là, il y a eu un message dans les mots, l’attitude… Les jeunes mecs de l’époque du milieu des années 70 se retrouvaient dans les mecs de Téléphone comme à une certaine autre époque, d’autres pouvaient se retrouver chez les Stones ou d’autres groupes. Donc ce sont quand même de rares exceptions. Mais ça n’empêche pas que des mômes, tous les weekends, en France, soient en train de se faire saigner les doigts sur des guitares, dans des caves, avec le voisin qui tape, « Arrêtez de faire ce boucan ! » [Petits rires]
J’ai souvenir d’une vidéo où tu arrivais à reconnaître les années d’origine de plusieurs guitares, les yeux bandés, rien qu’en les touchant…
Je ne reconnaissais pas vraiment les années d’origine, mais je vois ce que tu veux dire. C’était chez Guitare & Co, Boulevard Beaumarchais. On m’avait demandé de faire ce test, j’étais moyennement partant sur l’idée, mais je m’étais dit que je ferais le test et que de toute manière, si c’était naze, on n’était pas obligés de le mettre. Et c’est vrai qu’on me passait des grattes comme ça, je ne devais pas forcément reconnaître l’année, mais je devais reconnaître déjà quel modèle de guitare c’était. Et c’est vrai que, je ne sais plus combien il y avait de guitares, peut-être une dizaine, mais à part une ou deux, qui étaient je crois des guitares modernes, dont une Ibanez que je n’avais pas reconnue, et puis ce genre de choses, le reste, je ne tombais vraiment pas loin – plutôt bien même – par rapport aux marques de guitares. C’est pareil, c’est un truc de toucher, que quand tu as déjà joué sur pas mal de guitares dans ta vie, et que t’aimes les grattes, tu y prêtes attention, donc quand tu l’as contre toi, tu mémorises un peu. Ce qui fait que, même les yeux bandés, quand on te refout ce genre de guitare entre les pattes, tu arrives à te dire : « Ouais, ça, je connais ! »
Je sais que tu as une passion pour les Gibson. Ce sont tes guitares de prédilections ?
Écoute, la première guitare que j’ai eue quand j’avais une vingtaine d’années, c’était une SG junior blanche que j’étais allé acheter en Angleterre, avec un seul micro, qui avait vraiment un super son et que j’ai été obligé de revendre malheureusement. Donc la SG, pour moi, c’était un truc bien, léger, et c’est vrai que j’adorais des guitaristes qui jouaient sur Strat comme Rory Gallagher, Jeff Beck, Hendrix… Et j’ai fini par avoir une Strat à un moment donné, mais j’étais moyennement à l’aise avec. Et puis j’ai fini par m’y faire, et je sais que même quand il y avait des jams chez des potes et que je me retrouvais sur une Les Paul ou sur une guitare comme ça, je n’étais pas très à l’aise. C’était un peu lourd, pas très ergonomique, et puis, c’était tellement pratique une Strato ! T’as le volume au petit doigt, enfin tu peux faire vraiment plein de choses… Et puis un jour, j’ai commencé par me trouver une Gibson 340, une sorte de 335 mais avec un inverseur de phase dessus, et là, wow ! J’ai senti qu’il y avait un truc. Puis quand tu te chopes des larsens, ça vibre dans la caisse à l’intérieur, ça te vibre sur le ventre, enfin il y avait une sensation qui était vachement agréable. Et le son était rond, chaud, et je sentais que ça commençait à peut-être mieux se marier avec ma voix, à laquelle je ne peux rien faire. J’ai cette voix un peu voilée, un peu niquée de base. Et puis un jour, je suis tombé sur une Les Paul dans un magasin à Paris, une Gold Top, je l’ai essayée, et c’était pareil, il y avait un son vraiment rond, vraiment chaud, et puis le micro aigu avait de l’attaque, etc. Et donc, j’ai acheté cette gratte, et c’est vrai que depuis, j’ai joué sur des tas d’autres choses, ou à une certaine époque en studio j’avais forcément toujours des Gibson, des Fender, c’est comme en acoustique, t’amènes une guitare Martin, une Gibson, parce que ça n’a pas le même son. Mais je me rappelle que des disques comme Rêve Sidéral D’Un Naïf Idéal ou certains disques où j’enregistrais qu’avec une seule guitare, une Les Paul, un Marshall, et en fin de compte, je faisais tout le disque avec ce son « unique », mais que tu peux varier suivant les réglages de volume, le volume de ta guitare, le son des micros, etc. Et je crois qu’à partir de ce moment-là, je me suis dit que j’avais trouvé la guitare qui correspondait au son un peu pourri de ma voix, il y avait ce son un peu medium, un peu crade, qui se mariait bien avec les mots que je racontais, avec ma voix tout simplement. Et puis c’est vrai que j’aime bien ces guitares-là. Ça ne m’empêche pas d’apprécier les autres aussi, mais c’est vrai que même avec une Gibson, t’as pas besoin d’avoir douze mille pédales. Tu trouves un ampli qui sature un petit peu, tu te branches dessus, et puis dès le moment où tu pousses le volume, wah ! T’as un son qui chante, qui pleure, alors que si t’as une Fender, une Strat, t’as ce beau son clean, vachement chouette, mais si tu veux rentrer dans un domaine plus sauvage, il te faut forcément des pédales d’overdrive, des choses comme ça, pour arriver à ce que tu peux avoir plus facilement avec une Gibson, sans pédale.
« Il y a tellement plus d’infos que tout est fait pour rendre les gens soit vachement plus méfiants, soit plus sarcastiques, trop informés, c’est-à-dire qu’il y a peut-être vachement moins de part de rêve. »
J’ai une impression par rapport à ces dernières années, c’est que tu es revenu à une direction plus orientée jam, surtout sur les deux albums À l’Ouest. As-tu été inspiré à avoir ce côté plus instantané, un peu moins cadré, pour te rapprocher un peu plus de ce qu’on peut voir dans tes concerts ?
Oui, ça fait partie aussi de la manière d’enregistrer, c’est-à-dire que pour un disque comme Puzzle 14, je revenais de tournée et puis on s’était fait pas mal de dates avec les mecs d’À l’Ouest, donc il y avait une belle complicité entre nous. Et c’est vrai qu’à ce moment-là, je n’ai pas voulu les laisser retourner chez eux tout de suite, j’ai dit : « Attendez les mecs, on va essayer de surfer sur le haut de cette vague-là ! » Je ne voulais pas laisser retomber la mayonnaise. Et donc j’avais plein de titres en tête, j’en avais plein un dictaphone, et on avait un petit studio chez les deux frangins d’À l’Ouest, le guitariste et le bassiste, Tony et Nico. J’ai donc dit qu’on pouvait commencer à enregistrer des choses, vite fait, et donc c’est comme ça qu’est parti l’album, avec aussi tout un côté de liberté, de clins d’œil, et puis comme tu dis, de jam. J’ai toujours eu ce côté-là. J’aimais bien ce groupe, les Allman Brothers, parce qu’il y avait ce côté un peu jam band. Dernièrement, j’ai vu des mecs comme J.D. Simo, qui a beaucoup de complicité avec son batteur et son bassiste, et qui a aussi ce côté jam band. Il y a aussi Marcus King, le nouveau petit doué qui a vingt piges et qui joue fabuleusement bien. Il a tout ce côté improvisation, genre « on se donne du temps ». Et comme je n’ai jamais été sur des trucs hyper cadrés… Il y a des moments où, en effet, pour des disques, je le faisais, mais même dans des disques un peu plus lointains, il y avait toujours ce côté un peu bœuf, où on ne sait pas trop où on va, on sait que la chanson est comme ça, il y a un riff comme ça, au milieu il y a un solo, on ne sait pas vraiment combien de temps il va durer, mais après il faut retomber sur le riff et finir la chanson. J’ai toujours eu ce côté-là, même à éviter de faire des fade-out. En général, j’aime bien quand la chanson démarre et qu’elle se termine, comme sur un truc live. Et dans la plupart de mes disques, je laisse souvent comme ça les chansons finir, ou parfois il y a un long solo de guitare à la fin alors qu’il n’y en a pas eu pendant la chanson, mais à la fin, ça part un peu en wild, et puis on s’arrête. Si je trouve ça ennuyeux, je pourrais très bien faire un fade-out, mais en même temps, quand je trouve que c’est vivant et que ce sont des êtres humains qui jouent, je me dis que c’est cool, qu’on a qu’à le laisser jusqu’au bout et que peut-être les gens aimeront ça aussi. Donc j’aime bien aussi avoir cette liberté-là au milieu d’une chanson. Parfois j’aimerais bien faire une petite chanson hyper cadrée de deux minutes trente, et puis parfois, il y a des chansons qui durent six ou sept minutes parce qu’il y a une sorte d’espace de liberté qui n’était pas prévu au départ, mais qui à l’arrivée fait partie de la vie !
Avec ce que tu racontes dans tes chansons, je trouve qu’elles ont souvent un côté naïf, mais dans le bon sens du terme. Tu as d’ailleurs un album qui s’appelle Rêve Sidéral D’un Naïf Idéal. Est-ce que tu penses que la naïveté se perd, de nos jours ?
Ouais. En tout cas, il y a tellement plus d’infos que tout est fait, je trouve, pour rendre les gens soit vachement plus méfiants, soit plus sarcastiques, trop informés, c’est-à-dire qu’il y a peut-être vachement moins de part de rêve. Même si c’est une sorte d’idéalisation de la vie ou de choses comme ça. J’en ai déjà parlé à des gens dans des interviews, mais je sais que le rêve m’a aidé à vivre, et en même temps, j’ai vécu une sorte de rêve parallèlement à ça. Mais disons que la vraie vie, brute, du matin au soir, du genre c’est comme ça qu’il faut vivre, c’est comme ça qu’il faut s’habiller, c’est comme ça qu’il faut se comporter, et puis maintenant qu’il y a la toile, il faut écouter ce que disent les gens sur la toile, tous les avis, les bons, les mauvais, tout ce qui peut vachement influencer ton comportement, qui en fin de compte te donne une impression de liberté, mais qui quelque part te prive peut-être d’une forme de liberté subjective. C’est comme le charme ou l’érotisme, ce côté que tu trouves chez une fille, ce truc de séduction où t’imagines des choses. Si tu vois les choses trop nettement, ton imaginaire fonctionne vachement moins et quasiment plus [petits rires], donc il y a vachement moins de part de rêve, et c’est vachement moins excitant, je trouve. C’est comme tout à l’heure, quand on parlait de ce côté utopique, ou des années 60, où on voulait refaire le monde, changer la société, c’était hyper utopique, mais en même temps, il y a des moments où il y a eu des putains de bouleversements, et je pense qu’en France, comme aux États-Unis, comme dans certains pays, s’il n’y avait pas eu ces mouvements-là, je pense que la vie actuelle ne serait pas du tout la même, il n’y aurait pas les mêmes libertés. C’est pour ça qu’il faut faire attention quand des gens prennent un gouvernement et veulent revenir sur des choses déjà établies, alors que des gens se sont battus pendant des années pour pouvoir avoir des libertés et des statuts.
Tu parlais des textes, tu parlais des mots aussi, c’est vrai que je dois rester dans des choses parfois métaphoriques mais parfois réelles, et qui sont pas toujours très gaies, mais qui ne sont pas complètement minées. C’est-à-dire que parfois, dans certaines chansons, il y a quand même une forme de lueur dans un tunnel un peu sombre, parce que je pense qu’on ne peut avancer que comme ça, qu’avec une forme d’espoir, de se réveiller le lendemain, qu’il y ait une nouvelle journée… On est obligé d’avoir ça, sinon on ne continue pas. Et donc, par rapport à ce que tu dis, je pense qu’il y a des tas de choses, en ce moment, quand je discute avec des personnes vachement plus jeunes, j’en sens qui sont vachement plus désillusionnées, plus minées, parce qu’il y a trop d’infos, assez contradictoires, qu’elles peuvent voir, par exemple sur la toile, ou partagées entre potes, mais c’est la vie de maintenant, c’est comme ça que ça se passe. Il faut faire avec. Je pense qu’au bout d’un moment, chacun se fait son propre avis par rapport à ces choses-là. Il y a des tas de trucs sur lesquels on est en train de revenir, entre le tout nouveau, tout beau, au bout d’un moment tu te dis : « Ouais, bon, c’était marrant quand j’avais tel âge, mais maintenant je trouve que c’est un peu con ce genre de truc, je vais peut-être passer à autre chose. » Donc c’est à chacun son truc, un peu [rires].
Ton dernier album – car Lost In Paris Blues Band est un album un peu particulier – est Puzzle 14 qui est sorti il y a à peu près deux ans. Est-ce que tu as quelque chose dans les tuyaux pour une suite ?
J’ai plein de trucs. Je continue toujours à emmagasiner des choses, en plus là je suis sur la sortie de Lost In Paris donc on me pose des questions par rapport à cet album en particulier, donc je suis un peu, pas concentré, mais accaparé par ça. Mais ça n’empêche pas que j’ai d’autres choses. Mais pour partir sur un nouveau projet, il faut qu’il y ait quelque chose qui se dessine, il faut qu’il y ait une envie, une sorte de désir. Il faut aussi qu’il y ait un son. Sur chaque album, il y a une sorte de guide, pas inconscient, assez conscient d’ailleurs, je ne sais pas trop comment l’expliquer. Mais je sais que le son que j’ai envie d’avoir sur tel ou tel album, c’est ça, c’est dans telle direction. Maintenant, si on écoute un peu tous mes albums, on a l’impression que c’est un peu toujours le même son [petits rires], toujours la même chose ou toujours ce mélange d’influences un peu sixties-seventies. Mais pour moi, quand je le fais, j’ai l’impression que j’ai une direction qui est un peu plus maîtresse. Comme à l’époque, en 2000, ou 2003, j’avais fait Demain Il F’ra Beau, qui était un disque que je voulais au départ complètement acoustique, et donc c’est pas du tout comme ça que c’est arrivé, mais c’est arrivé comme un album plutôt cool, un peu relax. Et puis derrière, six mois après, je sortais Coup D’Blues, qui était un disque vraiment plus électrique, plus dans la veine que ce que j’ai l’habitude de faire. Mais j’avais dans l’idée de faire ce genre de choses ! Donc à chaque fois, il y a une sorte de ligne un peu directrice, qui au milieu de toutes ces chansons que je peux avoir un peu mélangées comme ça sur des supports différents, je me dis : « Ah non, je vais peut-être plutôt prendre celle-là, celle-là, celle-là », et il y a une forme d’unité qui va donner un album qui va avoir ce genre de tonalité. Et pour le moment, je n’ai pas encore de direction qui m’indique le chemin à suivre. Donc pour le moment, ce n’est pas grave, je ne force pas l’histoire, je me laisse aller, ça vient quand ça vient, et donc j’attends de voir ! [Rires]
Interview réalisée par téléphone le 16 novembre 2016 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Robin Collas.
Site officiel de Paul Personne : www.paulpersonne.com
Acheter l’album Lost In Paris Blues Band.
Bonjour,
Étant un fan absolue de paul personne je me désespére de pourvoir le retrouver sur scène.
Un grand Monsieur de la scène musicale que je ne me lasse pas d’écouter et de regarder sur le net.
Salutations.
j’ai toujours était fan de ce mec carrément génial et encore aujourd’hui mercis Paul .et crois moi tu en as un paquet de fan je te l’assure .c’est. ce que tu est car, c’est toi, toi tout simplement.
Un musicien vraiment intéressant, passionnant à lire/écouter.
Belle Interview !!!
Merci Monsieur Paul Personne pour toute cette belle musique !
Trop rare dans les médias malheureusement…