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Interview   

Les paysages de The Ruins Of Beverast


Depuis ses débuts dans la scène black metal des années 90 avec Nagelfar, Alexander von Meilenwald a fait du chemin. Dans The Ruins Of Beverast, le projet qu’il porte seul depuis 2003, la simplicité brutale est un lointain souvenir, mais l’esprit reste le même : les longs albums complexes et tourmentés caractéristiques du projet sont des monuments de terreur et d’obscurité. C’est le cas de The Thule Grimoires, dernier effort en date du multi-instrumentiste : en soixante-dix minutes et sept longs titres comme autant de paysages glacés, il décrit un univers angoissant voire franchement hostile.

Fidèle à ses racines, Meilenwald se fait rare dans les médias et s’exprime de manière précise et contrôlée. C’est donc par mail qu’il a répondu à nos questions : la sortie de ce sixième opus est l’occasion de revenir sur sa genèse ainsi que le processus créatif du musicien, mais aussi sur le parcours d’un artiste unique et atypique, sur ce qui l’inspire, et sur sa vision d’un monde qui nous est résolument opaque et inhospitalier.

« Laisser sa mélancolie se déverser de son esprit pour la transvaser directement dans ta musique semble prometteur, je dirais même délicieux, mais ça ne garantit pas du tout une bonne chanson. »

Radio Metal : Apparemment, lorsque tu travailles sur un album, tu commences par les paroles puis tu écris la musique. Est-ce que ça a été le cas pour The Thule Grimoires ? Est-ce que tu as une idée claire de ce que tu vas dire et de la manière dont la musique va l’exprimer au départ, ou est-ce que tu le découvres pendant le processus ?

Alexander von Meilenwald : De manière évidente, c’est comme ça que ça s’est passé pour Blood Vaults, par exemple, où je n’ai pas joué une seule note avant d’avoir terminé les paroles. Là, c’était clairement structuré, les thématiques centrales étaient posées, les propositions étaient claires. Cela dit, ça s’est passé de manière différente pour The Thule Grimoires, parce qu’en raison de l’idée « géographique » qui était au cœur des chansons, je cherchais une image musicale des étendues abandonnées et désertiques qu’elles allaient évoquer. Les fondations d’un concept pour l’album ont donc été posées à l’avance, mais cette fois-ci, j’ai écrit les paroles en détail après qu’au moins les riffs de base, les structures et le squelette instrumental des chansons aient été posés. Je comprends que les choses dépendent de l’idée centrale de l’album, mais la variété des approches appelle des modes opératoires différents. Des concepts prédéterminés pour les paroles peuvent constituer des corsets pour les instruments, ce n’est pas facile à gérer.

Avant (et en dehors de) The Ruins Of Beverast, tu es avant tout un batteur qui vient du monde du black metal. Quelle influence ça a sur la manière dont tu composes, selon toi ?

Mon passif de batteur a en effet un impact considérable sur la composition. Les parties de batterie sont l’élément le plus important après la guitare lead dans beaucoup de chansons de TROB, et j’essaie toujours de leur donner une prééminence bien méritée. Un grand nombre de ces parties sont en fait composées comme des riffs de guitare, et je consacre beaucoup de temps et d’énergie à les faire évoluer et à les répéter. La batterie a le pouvoir de modifier de manière très intense l’intégralité des dynamiques, de la puissance et de l’atmosphère d’un morceau, et hélas, je vois beaucoup de monde négliger ça.

Tes disques semblent souvent être des concepts-albums. Est-ce que tu les envisages toujours comme ça, et est-ce que The Thule Grimoires en est un ? Est-ce que c’est très différent de travailler sur des morceaux isolés (pour des splits, par exemple) que sur des albums complets ?

Je dirais que The Thule Grimoires est un concept-album dans la mesure où il raconte une histoire dont chaque chanson est une partie. Mais il n’est pas comme Blood Vaults, où l’enchaînement et l’étendue de l’histoire étaient déterminés à l’avance. C’était une manière de composer différente, comme je l’expliquais, alors que pour The Thule Grimoires, j’ai écrit des chansons en mesure d’être considérées séparément des autres. Ça signifie qu’elles ont toutes une ligne de tension individuelle, alors que pour Blood Vaults, cette ligne prenait tout l’album et chaque morceau en constituait une étape. La dramaturgie de chaque chanson était toujours dictée par les paroles malgré tout, donc ça a été très compliqué de les développer de façon à ce qu’elles fonctionnent à la fois individuellement et à l’échelle de l’album dans son ensemble. Travailler sur les chansons The Thule Grimoires n’était pas vraiment différent d’écrire une chanson pour un split dans la mesure où elles sont autonomes et ont un début et une fin définis, je dirais. Et pourtant, envisager une chanson en tant que partie de la séquence qu’est un album change la composition d’une certaine façon, peut-être. Parce que tu dois réfléchir à la position de la chanson dans l’album, et une fois cette position établie, tu dois nécessairement l’adapter à ce choix. C’est ce que moi, je fais, en tout cas…

La mythologie est clairement une source d’inspiration importante pour toi ; c’est évident dans le nom du groupe, le titre de cet album… Tu t’inspires d’ailleurs de traditions très différentes. Qu’est-ce qui te parle là-dedans et de quelle manière ça influence ta démarche artistique ?

C’est vrai que j’ai un intérêt très étendu pour la mythologie, qui est sans doute lié à mon intérêt évident pour l’historiographie, mais c’est vrai aussi que cela ne joue pas le rôle déterminant qu’on lui prête souvent dans The Thule Grimoires. En plus, mes possibilités d’approfondir mes études concernant la mythologie ont été drastiquement diminuées, ces derniers temps. The Thule Grimoires est un album qui évoque des paysages désertiques, une nature fatale et sauvage, et très peu les humains, et donc aussi peu la mythologie. Thulé par exemple a complètement été l’objet d’une démarche historique scientifique, et pas seulement un lieu mythique. En réalité, il n’y a qu’un élément authentiquement mythologique dans l’album, c’est Hélios, qui apparaît à la fin. Il est le gardien du désert et du soleil mortel qui finit par consumer le protagoniste. Mais dans ce rôle, il sert de métaphore pour une force naturelle qui domine les hommes, tout comme Surtur et, d’une certaine manière, la Pythie (Pythia) dans Exuvia. S’il y a une idée mythologique dans les paroles de TROB, c’est celle de l’humanité effrayée par et se soumettant à des créatures supérieures et des lieux inconnus. Presque à chaque fois, ça signifie l’infériorité à la nature, une nature dangereuse et imprévisible animée par des êtres à l’énergie menaçante. Quelque chose que nos contemporains imaginent devoir être surmonté, et donc négligé et nié. J’aime ramener ça sur le devant de la scène et je préfère utiliser la puissance de la mythologie pour ce faire parce que l’inconnu est toujours la plus grande peur de l’humanité – et donc la mienne.

« La musique est une forme de magie, ce dont je suis profondément convaincu. Ça modifie notre perception, déclenche des émotions, change des vies. »

Quand bien même elles sembleraient trouver leurs sources dans l’histoire ou la mythologie, tes paroles ont souvent une dimension introspective, tout comme la musique, qui donne souvent l’impression d’être une succession d’humeurs. Est-ce qu’écrire pour toi est un processus rationnel ou est-ce que c’est fondé sur les émotions ou les sensations ? Et quel est ton objectif : tu veux que l’auditeur ressente ou réfléchisse ?

D’une certaine manière, c’est rationnel et émotionnel à la fois. La musique est une forme artistique dont la substance vitale est animée par l’émotion – si tu considères la musique comme de l’art, évidemment. Cela dit, le fait de laisser sa mélancolie se déverser de son esprit pour la transvaser directement dans ta musique semble prometteur, je dirais même délicieux, mais ça ne garantit pas du tout une bonne chanson. D’après ma propre expérience, en tout cas. Je dois encore soumettre ça à un traitement musical pour le transformer en monolithe menaçant et inconfortable – ce que doit être une chanson de TROB à mes oreilles et pour mon esprit. Ça demande du silence et de la conscience, et tu ne peux pas y recourir si tu composes uniquement à partir d’impulsions intérieures. En plus de ça, j’essaie de faire en sorte que les chansons me permettent d’habiter des sphères et des paysages inconnus, d’y flotter, et, dans le meilleur des cas, que ce soit le cas pour l’auditeur aussi. Ça exige des éléments auditifs particuliers qui ne se manifestent pas d’eux-mêmes. Et troisièmement, j’essaie activement de faire en sorte que TROB ne soit pas un déversoir pour mes émotions. The Ruins Of Beverast n’est pas censé me représenter en tant que personne, c’est un organisme artistique qui a son propre visage, pas le mien.

Tu évoques souvent des états de conscience modifiés – transe, folie – dans tes paroles et avec ta musique. Est-ce que tu penses que c’est ça le rôle de ta musique : modifier notre perception des choses ?

C’est le but ! C’est de ce point de vue-là que la musique est une forme de magie, ce dont je suis profondément convaincu. Ça modifie notre perception, déclenche des émotions, change des vies. Ce que je veux dire, c’est simplement que composer seulement à partir d’émotions pures ne garantit pas que l’auditeur en fera l’expérience de la même manière. C’est comme avec les films artistiques ; le pouvoir de l’art visuel et auditif, c’est de te permettre de te perdre dans un monde étranger et d’oublier ce qui se passe autour de toi en écoutant un émetteur ou en regardant un écran. Tu te retrouves ébranlé par quelque chose d’indéfinissable, tu ne peux plus en sortir. C’est ce qui se passe aussi si la musique fait bien son travail. Mais pour arriver à cela, il faut quelques accroches compositionnelles en guise de déclencheur, et c’est un travail à la fois très complexe et intense.

Tes albums semblent toujours très narratifs, ils évoquent des atmosphères, presque des paysages. Ils ont quelque chose de cinématographique, de ce point de vue-là, et ton utilisation de samples de film rend ça encore plus évident. Tu parles souvent de ta musique dans des termes visuels, avec des couleurs, par exemple. Quelle serait la couleur de The Thule Grimoires et, plus généralement, est-ce que tu envisages tes albums comme des films ?

Tous les albums de TROB sont quasiment des films pour moi pour les raisons que j’évoquais plus tôt. Ils ont une sorte de dramaturgie et peut-être même une forme de suspense, quelque chose comme ça. C’est une manière excitante, mais aussi d’une certaine manière directe de composer, et ça donne quantité de possibilités de s’assurer qu’une atmosphère fonctionne. Mais si on parle de paysages, comme je le mentionnais plus tôt, de ce point de vue, The Thule Grimoires est l’album de TROB le plus intense. Ce n’est pas seulement qu’il développe des paysages instrumentaux, ce que les chansons de TROB font toutes par nature, mais cette fois-ci, ce sont des espaces abandonnés très particuliers qui sont dépeints de manière très vivante par la musique afin de servir le concept. The Thule Grimoires est clairement d’une nuance vert sale, c’est ce que montre la pochette ; c’est la couleur que j’avais dans la tête depuis le début. Ne me demande pas pourquoi.

On dirait que tu apprécies la musique plus ou moins gothique : tu as repris Dead Can Dance et Depeche Mode, tu es influencé par Type O Negative. Ça n’a jamais été aussi évident que sur The Thule Grimoires. Est-ce que c’était délibéré et si oui, pourquoi as-tu décidé d’explorer ça cette fois-ci ? Qu’est-ce qui te parle chez ces artistes ?

Je ne me souviens pas avoir jamais dit que Type O Negative était une influence de The Ruins of Beverast, mais pourtant je le lis encore et encore à propos de ce nouvel album. Je ne peux que me répéter : je ne crois pas avoir grand-chose à voir avec quoi que ce soit de « gothique », à part mes vieux albums de Bauhaus, Siouxsie et Sisters Of Mercy. Et je ne sais pas pourquoi ça revient pour le nouvel album, parce que c’est souvent seulement à propos des voix claires. Mais la voix claire ne vient pas d’une préférence pour ce qui est goth, mais elle a été produite d’une manière nouvelle, jamais utilisée auparavant. J’aime Type O pour ce qu’ils sont et j’ai soutenu Depeche Mode toute ma vie, ils ont été mon premier contact avec la musique, ça ne fait aucun doute. Mais je ne pourrais pas dire s’ils ont eu un impact explicite sur ma manière de chanter, et si on parle de Peter Steele, ma voix est à mille lieues de ses capacités inhumaines, donc je ne m’aventurerais sûrement pas à essayer de l’imiter.

« Les gens qui se revendiquent professionnels ont souvent une manière conventionnelle d’envisager les choses, et penser de manière conventionnelle et créativité ne peuvent pas fonctionner ensemble en ce qui me concerne. »

Tu dis souvent que le professionnalisme est un danger pour la créativité en général et le metal extrême en particulier. D’un autre côté, ta musique est assez sophistiquée et demande une certaine qualité de production, etc. Comment trouves-tu l’équilibre entre DIY et ambitions artistiques ?

Oui, question compliquée. Je crois que j’ai peut-être tout simplement eu de la chance, sur ce coup-là. Tu sais, j’ai enregistré les albums de TROB dans ma salle de répétition pendant des années, et c’était ce que je voulais parce que j’avais une liberté d’action totale et pas besoin de conversations pénibles avec des producteurs. Ils ne m’auraient pas compris de toute façon, ma manière de travailler en ce qui concerne la musique peut être bizarre, et les éléments majeurs de TROB notamment, les guitares lead, les voix claires, les samples, émergent souvent de processus longs et étranges. Je n’aurais pas le temps de faire ça en studio, donc il faudrait que je prépare tout à l’avance. Et je n’ai jamais eu d’expériences positives de ce point de vue-là, les gens qui produisent du heavy metal ou du rock traditionnel semblent avoir du mal à intégrer ce genre de trucs bizarres dans leur production, si tant est qu’ils acceptent d’essayer. C’est l’une des raisons pour lesquelles je pense que les gens qui se revendiquent professionnels ont souvent une manière conventionnelle d’envisager les choses, et penser de manière conventionnelle et créativité ne peuvent pas fonctionner ensemble en ce qui me concerne. Par contre, lorsque j’ai rencontré Michael [« Arioch » Zech, Secrets Of The Moon] qui est devenu notre guitariste live, j’ai eu de la chance, parce qu’il se trouve qu’il a une formation d’ingénieur du son et que son approche de la musique est aussi éloignée des conventions que la mienne. C’est pour ces raisons que j’ai désormais la possibilité d’élargir les possibilités d’enregistrement de TROB, parce que même si j’aimais beaucoup travailler seul, je ne suis pas du tout formé pour ça, ce qui me limite. Travailler en studio avec un ami, ça veut dire que nous pouvons désormais expérimenter avec des choses étranges, créer un son de guitare puissant sans suivre les règles de la production metal moderne, tout en préservant la nature de The Ruins Of Beverast.

Tu es dans la scène depuis à peu près vingt-cinq ans et tu es passé d’un black metal assez traditionnel au son riche, imprévisible et varié des derniers albums de The Ruins Of Beverast. Est-ce que tu es toujours animé par les mêmes choses ? La scène a énormément changé : est-ce que ça a eu une influence sur toi ?

Je crois que ce qui a vraiment changé – c’est quelque chose dont je fais aussi l’expérience avec de vieux amis – c’est ce qu’implique appartenir à une « scène ». C’était évident qu’au début des années 90, la deuxième vague de black metal, appelle ça comme tu veux, était perçue comme une scène parce qu’elle recherchait l’isolement de manière véhémente et se définissait par la négativité. Et comme je l’ai souvent dit, j’étais fier d’en faire partie, l’énergie de cette époque a eu un impact absolument déterminant sur moi. Mais l’idée du black metal qu’il y avait dans cette scène n’existe plus, et franchement, à mon humble avis, elle avait déjà disparu à la fin des années 90, avant même l’émergence d’internet. Donc, de quelle scène pourrais-je vraiment faire partie aujourd’hui ? Je parlais de façon de penser conventionnelle plus haut, et qu’est-ce qu’il y a de plus conventionnel que de chercher une catégorie dans laquelle s’intégrer ? Je pense que c’est – que ça doit être – une chose dont les gens se détachent une fois que leur vision artistique est complète. The Ruins Of Beverast est toujours alimenté par la rage et le mépris de l’ignorance dans laquelle est l’humanité, et ces choses-là n’ont certainement pas diminué depuis l’époque dont je parlais, depuis mon adolescence, depuis le début des années 90, depuis Nagelfar. Mais je pense que mes réseaux et mes outils, et aussi mes langues sont différents, désormais. Ma manière de penser adolescente prenait la forme d’accusations directes, parfois clairement irréfléchies, mais dans The Ruins, l’approche est plus picturale, plus abstraite, et sûrement aussi plus cynique, ce qui est peut-être le développement habituel des attitudes humaines. Je n’y réfléchis pas beaucoup. Avec The Ruins Of Beverast, ma vision est claire, et la suivre est la seule voie qui me convienne.

Interview réalisée par e-mail le 14 février 2021 par Chloé Perrin.
Traduction : Chloé Perrin.

Facebook officiel de The Ruins Of Beverast : The-Ruins-Of-Beverast-116265971848680

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