Djent Is Not A Genre a été ce qu’on peut appeler un ascenseur émotionnel pour Periphery. A partir d’une conception difficile et démoralisante, à la fois à cause des circonstances et du niveau d’exigence toujours plus élevé des musiciens, ceux-ci ont finalement accouché d’un album élaboré, varié, parfois surprenant dont ils sont particulièrement fiers. Ajoutons à cela une petite dose d’humour, des autoréférences et autres clins d’œil à des jeux vidéo, par exemple, et on obtient la parfaite carte de visite pour ce groupe décidément inclassable. Car oui, si Periphery a été rapidement classé sous l’étiquette djent, on constate tout aussi vite que celle-ci est loin de rendre justice à sa musique. Mais loin d’être rancunier, Periphery s’en amuse.
Nous discutons de tout ceci avec Misha Mansoor, guitariste et fondateur du projet devenu depuis un véritable quintet collaboratif. Il revient également avec nous sur deux de ses grandes influences, Meshuggah et Dream Theater – qu’il a pourtant détestés à la première écoute – et sur un autre aspect de l’activité de musicien, celui des finances, son père étant économiste et lui-même s’étant développé en tant qu’homme d’affaires, ce qui lui permet d’aborder Periphery sous un prisme purement passionnel, dénué de contraintes.
« Si nous savons que nous avons négligé des parties ou que nous aurions pu travailler un peu plus l’album, et que quelqu’un nous critique pour ça, ça craint, car je sais qu’il a raison. Je n’ai pas envie d’être d’accord avec nos détracteurs. »
Radio Metal : Apparemment, Periphery V: Djent Is Not A Genre était l’une des expériences les plus difficiles qu’a vécues le groupe. Tu as déclaré qu’« il y a des fois où [tu] ne savais pas comment l’album allait sortir. [Tu] ne savais pas comment [tu] pourrais être satisfait de cet album, et que [tu] préférais arrêter le groupe que de sortir un album que [tu] ne trouvais pas génial ». Ça paraît quand même assez extrême… Que s’est-il passé exactement ?
Misha Mansoor (guitare) : C’était la combinaison de la pandémie et de grandes attentes de notre part. Nous nous demandions comment nous allions bien pouvoir concrétiser ce truc. Nous sommes tous éloignés les uns des autres. Avec la pandémie, parce que nous vivons tous loin, c’était très dur de nous réunir. Normalement, nous nous réunissons et nous travaillons sur ces sessions, nous prenons un peu de temps et nous nous retrouvons, mais là, par exemple, Matt, notre batteur, a eu un enfant, donc il ne pouvait pas venir ou ne voulait pas se rendre à l’autre bout du pays. Il y avait un tas de problèmes logistiques qui ont fait que nous avions du mal à être tous ensemble dans une même pièce. Nous avons découvert à nos dépens que nous avons tous vraiment besoin d’être physiquement présents. Tu peux dire : « Pourquoi ne faites-vous pas ça avec une personne en vidéoconférence sur Zoom, par exemple ? » Nous avons essayé mais ce n’est pas pareil. Nous nous reposons beaucoup sur l’énergie que nous dégageons lorsque nous sommes dans une même pièce.
Ce que je peux dire est que nous avions plein de chansons qui étaient faites à quatre-vingts pour cent, mais aucune à cent pour cent. Au bout d’un an, nous n’avions toujours pas d’album. Nous en étions loin. Il y avait toujours des choses incomplètes. Je ne savais même pas quand serait la prochaine fois où nous pourrions nous revoir. Je regardais ça et je me disais : « Je ne veux pas sortir quelque chose en lequel je ne crois pas et je veux vraiment utiliser ça comme une opportunité pour essayer d’emmener notre musique à un autre niveau, mais pour l’instant, tout ce que nous faisons ne me plaît pas vraiment » et je n’arrivais pas à voir une solution. J’étais donc très démoralisé et découragé, tout comme le reste du groupe. Ça concernait tout le monde, pas seulement moi. Nous sommes très durs avec nous-mêmes, mais c’est ainsi qu’on obtient des résultats. Nous savons quand quelque chose est mauvais, nous savons quand quelque chose est bon et nous savons quand quelque chose est vraiment super. Notre objectif n’est pas de faire quelque chose de bon, mais quelque chose qui nous fait dire : « Ouah, d’accord, maintenant nous sommes fiers », car si nous sortons l’album et que les gens n’aiment pas, ça n’a pas d’importance, nous, nous y croyons. Alors que si nous savons que nous avons négligé des parties ou que nous aurions pu le travailler un peu plus, et que quelqu’un nous critique pour ça, ça craint, car je sais qu’il a raison. Je n’ai pas envie d’être d’accord avec nos détracteurs. Je veux pouvoir dire : « Non, je ne suis pas d’accord. » Nous ne voulions pas sortir d’album tant que nous ne ressentions pas ça.
Y a-t-il vraiment eu des moments où vous avez failli jeter l’éponge et arrêter de faire cet album, voire le groupe ?
Non, ça n’a jamais été jusque-là. J’ai peut-être un peu dramatisé. C’est plus que je ne voyais pas comment nous arriverions au bout de cet album. Ça semblait être une tâche insurmontable. J’étais très démoralisé. Nous avons composé l’équivalent de deux albums. Nous en avons écrit un premier que nous avons presque entièrement jeté parce que nous trouvions que ce n’était pas assez bon, et ça craint ! Nous avions travaillé pendant près d’un an et demi et nous devions repartir de zéro, mais c’était nécessaire, car nous ne voulons pas sortir un album pour sortir un album, ça n’a aucun intérêt.
De nombreux groupes modernes travaillent à distance, et même de plus vieux groupes ont appris à faire ça durant la pandémie. Mais penses-tu qu’il se passe des choses essentielles lorsque vous êtes physiquement ensemble qui ne peuvent se produire à distance ?
A cent pour cent. Je dirais qu’il y a deux choses principales qui sont importantes. Un, il y a une énergie dans la pièce. Tout le monde est impliqué et s’échange des idées. J’adore composer avec ces gars. Nous avons une très bonne alchimie. Ce n’est pas pour rien que nous sommes bons lorsque nous composons ensemble et qu’en temps normal, ça nous plaît de faire ça. Sans la pandémie, c’est beaucoup plus simple, et ça l’a été par le passé, mais nous avons compris cette fois à quel point c’était important. Il nous arrivait d’avoir, par exemple, quatre personnes en phase sur une idée et une autre à distance qui était là : « Et si on essayait ci ou ça ? » Et on en arrive à la seconde partie : quand on fait ça à distance, quelque chose qui pourrait rapidement être traité avec un « oui », un « non » ou un « pourquoi on n’essaye pas ça ? » prend un jour ou deux, parce qu’on attend que des gens écoutent, assimilent et répondent, et ensuite il faut faire l’essai : « Ah non, en fait, c’est ça que je voulais dire. » Quelque chose qui pourrait se régler en cinq minutes peut prendre des jours. Donc ça rallonge vraiment le processus et ça le prive d’énergie, on ne peut plus capitaliser dessus, car on attend sans arrêt et on essaye de s’adapter à l’emploi du temps de chacun. Si ça fonctionne pour d’autres gens, c’est super, mais nous avons appris que ça ne fonctionnait pas pour nous. Nous pourrions écrire quelque chose, mais nous n’en serions pas particulièrement contents.
« Je pense avoir toujours eu une bonne dose du syndrome de l’imposteur. D’un côté, j’ai intellectuellement conscience de ce que c’est et j’arrive à le rationaliser. D’un autre côté, mon émotivité me donne l’impression que c’est vrai. »
C’est drôle, car pour certaines personnes, Periphery est sûrement la définition du metal moderne, alors que finalement, vous êtes assez de la vieille école…
A certains égards, nous sommes de la nouvelle école. Nous composons sur ordinateur, pas en salle de répétition. Nous n’avons même pas de salle de répétition, à chaque fois nous devons trouver un endroit pour ça. Mais nous sommes aussi de la vieille école, je suppose, dans le sens où nous essayons de capitaliser sur une énergie, et ça arrive parce que nous avons sincèrement une bonne alchimie lors de la composition. Il y a des groupes chez qui un ou peut-être deux gars composent tout et les autres se contentent de jouer, mais j’ai toujours voulu que Periphery soit un processus collaboratif. Au fil des années, nous avons trouvé des membres qui ne faisaient pas que jouer les morceaux, ils étaient capables de collaborer. Ce qu’ils apportent est unique. Parce qu’après tout ce temps, nous avons mis nos égos de côté, maintenant tout le monde peut être là pour élever la chanson. Donc lorsqu’un membre n’est pas présent, nous avons l’impression que c’est incomplet. Je vais te donner un exemple : il est arrivé que quatre membres sur cinq trouvent une idée super, mais qu’un autre ne soit pas convaincu, et ça tue l’idée. Pas parce qu’une personne a plus de pouvoir, mais parce que nous savons que nous avons déjà écrit des chansons que nous aimions tous les cinq, donc ça veut dire que ce n’est pas à la hauteur et ça nous donne envie de faire mieux. Donc soit nous corrigeons, soit nous travaillons sur autre chose. Nous savons que nous sommes capables de travailler sur un morceau en lequel tout le monde croit, si ce n’est pas le cas, ça ne va pas.
D’après Mark, vous aviez « beaucoup trop de temps pour analyser les musiques entre les sessions. » Je suppose que le fait d’avoir du temps pour peaufiner la musique est une bonne chose, surtout pour un groupe comme Periphery, mais penses-tu que c’était parfois trop, dans le sens où vous analysiez trop voire que ça vous embrouillait ?
Oui, mais je pense que ça peut toujours arriver. Quand on passe trop de temps sur quelque chose, on perd en recul. Mais un point positif est que ceci est notre album le plus élaboré parce que, justement, le fait d’avoir tout ce temps permet de bien ajuster les parties. Je pense que nous avons bien profité du temps entre les sessions. Nous avons pu bien examiner les choses et nous assurer que tout était solide, plutôt que de nous reposer sur le biais de récence, car ça peut arriver parfois. Il y a eu des albums passés pour lesquels je me suis dit : « Si nous avions eu deux mois de plus pour le digérer, j’aurais fait quelques ajustements et solidifié les chansons. » Parfois, l’excitation du studio peut couvrir certaines approximations. Donc, à certains égards, c’était positif. Quoi qu’il en soit, quand on travaille un certain temps sur un album – tu peux demander à n’importe quel musicien –, quand arrive le moment du mixage voire du cycle de la promo, on est là : « Je ne sais même plus ce qu’on a. Je l’ai trop écouté. » C’est dur d’être objectif. Une chose dont je me suis rendu compte, c’est que j’adore regarder les vidéos de réactions. Surtout celles où les gens n’ont jamais entendu parler de nous et réagissent pour la première fois à notre musique. J’ai essayé de comprendre pourquoi, mais je pense avoir saisi. C’est parce que leur expérience est on ne peut plus éloignée de la mienne. Mon expérience est celle de quelqu’un qui connaît beaucoup trop bien cette musique, qui a beaucoup trop la tête dans le guidon, qui peaufine trop et qui fait une fixation sur chaque détail, et je ne pourrais jamais la voir comme cette personne la voit. Donc en regardant des vidéos de réactions, j’ai l’impression de pouvoir vivre ça par procuration. Je trouve ça toujours très intéressant, car ce ne sera jamais ma relation à ces chansons et c’est très rafraîchissant. Peut-être que ça répond un peu à ta question et te montre à quel point j’ai le nez dans ces morceaux [rires].
Tu as déclaré que vous deviez vous demander si vous ne vous répétiez pas et que « des musiques que [vous] auri[ez] trouvées super par le passé n’ont pas été retenues ». Est-ce que vous ne vous prenez pas trop la tête avec ça ? Je veux dire que la plupart des groupes sont déjà contents quand ils arrivent à créer une très bonne chanson, et ça suffit à la plupart de leurs fans…
Nous nous fichons un peu de ce que les fans veulent [rires]. C’est ça le truc. Disons-le ainsi : si je ne crois pas en quelque chose que nous avons fait et que nous recevons cent commentaires élogieux, je n’y croirais toujours pas. Je suis très têtu. Mais si je crois en quelque chose que nous avons fait et que nous recevons cent commentaires négatifs, je préfère cette situation, parce qu’au moins j’y crois. Donc nous ne tenons pas vraiment compte de ce que les fans ou qui que ce soit d’autre veulent. Il s’agit de s’amuser avec ses potes et de composer de la musique, et le niveau a été relevé simplement parce que nous nous sommes améliorés, nous avons plus d’expérience et nous avons déjà écrit plein de morceaux, donc il y a le risque que nous nous répétions et nous voulons faire attention. Nous sommes là : « A-t-on déjà dit ça ? A-t-on déjà fait ça ? Comment aller plus loin ? » Je ne veux pas réécrire la même chanson. Je pense que c’est le problème quand on a déjà sorti autant de musique.
« Un groupe qui est constamment stressé n’est pas viable. Si c’est sa seule façon de faire de la musique, quelque chose finira par céder, des gens partiront. Peut-être qu’il y a des groupes qui ne prospèrent que sous le stress, mais ce n’est pas notre cas. »
D’un autre côté, il est indéniable que Djent Is Not A Genre sonne comme du Periphery, et j’imagine que c’est important pour vous que ce soit le cas. N’y a-t-il pas parfois un conflit intérieur, entre la volonté de ne pas se répéter et celle de conserver son identité ?
Nous parlons vraiment de manière abstraite, nous ne disons pas que tel riff sonne comme tel riff. Je suis sûr que plein de riffs sont semblables. Nous faisons partie d’un genre musical et nous aimons un certain son, donc bien sûr qu’il y aura des similarités, mais c’est vraiment une question de feeling. Ces choses auxquelles nous réagissons, c’est vraiment un réflexe. Nous n’y réfléchissons pas trop. C’est très simple, d’une certaine façon. Est-ce que ça nous fait dire « putain, oui ! » ? Ou est-ce plutôt « ouais, c’est cool » ? Si c’est « ouais, c’est cool », ce n’est pas suffisant. Si c’est « putain, oui ! », ok, là on peut commencer à discuter. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Et ensuite, rétrospectivement, tu peux analyser : pourquoi c’était un « putain, oui ! » ? Je suis très strict avec les arrangements et les structures, or il y a des choses comme « Wildfire » qui enfreignent plein de règles, et ce sont des entorses que je n’aurais jamais acceptées. Pourtant, je ne sais pas pourquoi, ça a fonctionné et c’était un « putain, oui ! », donc c’est passé. Nous ne regardons pas vraiment les règles. Nous regardons le sentiment que ça nous procure. C’est pourquoi c’est un peu dur de juger. Pendant que je réponds à tes questions, je me demande : « Pourquoi est-ce que j’ai ressenti ça avec nos morceaux passés ? » mais c’est vraiment de l’instinct. Si nous avons tous les cinq le même instinct, alors, pour une raison ou une autre, ça veut dire que nous tenons quelque chose. Je pense simplement que c’est de plus en plus dur pour nous avec le temps d’arriver à un « putain, oui ! ». Il y a cinq ans, nous étions moins exigeants qu’aujourd’hui, donc c’était plus facile. Voilà ma vision des choses et cela ne dépend pas tellement des réactions des fans ou des anciennes chansons sur les autres albums. Les anciennes chansons peuvent éventuellement dicter le niveau minimum à respecter, mais nous n’y pensons pas consciemment. Nous avons besoin de réagir en temps réel et c’est un réflexe très viscéral.
As-tu peur qu’arrive un point dans futur où ce « putain, oui ! » ne se produise plus ?
Tout le temps ! Je me dis toujours que cette chanson est la dernière que j’écrirai. C’est une peur constante. Ne te laisse pas berner par ce sourire [rires]. Je pense avoir toujours eu une bonne dose du syndrome de l’imposteur. D’un côté, j’ai intellectuellement conscience de ce que c’est et j’arrive à le rationaliser. D’un autre côté, mon émotivité me donne l’impression que c’est vrai. Je vais le dire en plaisantant à moitié ou plus sérieusement suivant mon humeur : « Les gars, je ne sais pas si j’ai encore des riffs et des idées en moi. » Mais c’est ce qu’il y a de magique quand on travaille et collabore avec un groupe : parfois, il y a ces moments où on a l’impression qu’il se passe quelque chose de plus grand que la somme des parties. Je ne sais pas si tu connais la langue française, mais ils disent qu’il y a un certain « je ne sais quoi » (en français dans le texte, NdT) – c’est une blague, soit dit en passant [rires]. Il y a ce côté où tout le monde se réunit et ça culmine en quelque chose de spécial qui nous dépasse. Je pense que c’est pour cette raison que j’aime composer et collaborer avec le groupe, car parfois, je me dis que, tout seul, je ne sais pas si je pourrais encore faire ça [rires].
Tu as dit être strict avec les arrangements et que « Wildfire » enfreint toutes les règles. Quelles sont habituellement tes règles à cet égard ?
Encore une fois, c’est toujours abstrait, mais c’est le flow de la chanson. Il faut qu’il y ait une certaine logique. Nous ne voulons pas que ce ne soit qu’une salade de riffs, nous ne voulons pas qu’une partie soit là juste parce qu’elle est cool. Il y a d’ailleurs des riffs très cool qui ont été virés de l’album parce qu’ils n’apportaient rien à la chanson, ça la rendait juste boursoufflée. Je sais que ça peut paraître drôle de dire ça avec ces longues chansons, mais nous voulons qu’elles soient aussi concises que possible, nous voulons qu’elles aillent droit au but, nous ne voulons pas de gras en trop, nous voulons que tout soit réduit à l’essentiel et rien de plus, et nous voulons que les enchaînements aient du sens. Parfois, t’es là : « Oh, je veux que cette partie soit dans la chanson », mais elle ne se lie pas au reste. Soit on se débrouille pour que ça marche, soit on la vire. Il nous arrive de perdre des chansons entières. J’ai des exemples en tête de morceaux dans lesquels il y avait des parties sympas mais que nous ne sommes jamais parvenu à rendre fluides. Nous sommes très stricts là-dessus. Le flow de la chanson doit être important et doit donner l’impression que tout a du sens, que c’est logique. Même dans le cas de « Wildfire » où c’est discordant, il y a quelque chose qui fait que ça fonctionne pour nous tous. Il y a une énergie là-dedans qui fait sens.
« Nous avons commencé en tant que groupe de metal progressif, et rétroactivement, on nous a qualifiés de djent, et on m’en tient pour responsable alors que ce n’est pas de ma faute. Ça vient de Fredrik [Thordendal] de Meshuggah. »
Tu as déclaré qu’avec suffisamment « de temps, de stress et de souffrance », vous avez découvert que vous étiez capables de résoudre n’importe quel problème. Paradoxalement, penses-tu que cette expérience douloureuse a encore renforcé vos liens et ta foi en ce groupe ?
Absolument. Nous avons toujours eu une bonne communication, donc nous avons en beaucoup parlé avec le groupe. De façon générale, nous avons découvert que l’adversité, quelle qu’elle soit, nous a toujours rapprochés. Mais il y a des fois où je me disais sincèrement : « Je ne sais pas si cet album verra le jour. » Tu n’arrêtes pas de repousser l’échéance, puis les attentes montent et tu te dis que tu ne seras pas capable d’être à leur hauteur. C’est un cercle vicieux qui te fait dire que tu n’arriveras jamais à finir. Ça paraissait littéralement impossible. Mais maintenant que nous avons passé tout ça… Tu sais, cet album a pris forme à la dernière minute. Je suis passé de « je ne sais pas comment on va faire, je ne sais même pas si on va sortir un autre album » à « ce qu’on vient de faire est vraiment spécial » mais à un point que je n’avais jamais ressenti pour un autre album avant. Ça me fait dire que si à l’avenir je me retrouve dans une situation psychologiquement similaire, il faudra que je me souvienne que nous avons déjà résolu ce genre de problème. Ce n’est pas impossible ; ça paraît impossible, mais surtout avec ces gars, nous sommes capables de le résoudre. Ça nécessite juste de la compréhension de notre part. Grâce à cette expérience, nous avons appris certaines leçons qui impliquent que nous ne referons pas les mêmes erreurs. Comme on dit, ce n’est une erreur que si on la reproduit. J’espère que nous avons retenu la leçon cette fois, de façon à ce que la prochaine fois que nous travaillerons sur un album, nous puissions aller à l’essentiel et ne pas refaire les mêmes erreurs. Je pense que ça facilitera grandement le processus. Après, j’espère vraiment qu’il n’y aura pas une pandémie la prochaine fois [rires]. Je touche du bois !
Après cette expérience, dirais-tu que plus dure est l’épreuve, plus grand est l’art ?
Non. Je suis en total désaccord avec ça. Plein de gens le pensent, mais j’étais incroyablement fier de Periphery IV, c’était la référence, or cet album a été très facile à faire. Et généralement, nous ne galérons pas avec notre musique. Je pense que ce nouvel album est ce qu’il est parce que nous avons eu le temps de le peaufiner, nous avons de l’expérience et nous avons nous-mêmes mis la barre haut. Les galères, je pense, ont juste rendu les choses plus difficiles. Je ne vois pas ce qu’elles ont apporté. Nous avons sorti des albums dont nous sommes très fiers et très contents, qui semblent parler aux gens et qui ont été très faciles à faire. Periphery IV et Periphery V étaient des expériences opposées, mais je mets vraiment Periphery IV dans le haut du classement. Et des albums comme Periphery II et Juggernaut étaient des expériences très stressantes, or personnellement, je ne les place pas plus haut que Periphery IV. De même, je pense qu’un groupe qui est constamment stressé n’est pas viable. Si c’est sa seule façon de faire de la musique, quelque chose finira par céder, des gens partiront. Nous aimons nous amuser ensemble et bien nous entendre. Je ne peux pas parler à la place de tout le monde. Peut-être qu’il y a des groupes qui ne prospèrent que sous le stress, mais ce n’est pas notre cas.
Le titre de l’album a l’air d’être une affirmation assez évidente. Du coup, voici la question évidente : si le djent n’est pas un genre musical, c’est quoi ?
Un mode de vie ! [Rires]
Quel est le mode de vie djent ?
Vous êtes peut-être vierge cette année, mais peut-être que l’année prochaine vous ne le serez plus. Non, je plaisante [rires]. Je ne sais pas ce que ça serait. C’est aux gens de le découvrir. Le titre n’a pas une grande signification. Ça nous a juste fait rire, c’est tout. Il ne faut rien prendre trop au sérieux. Nous prenons la musique très au sérieux, et tout le reste c’est pour s’amuser. Voici ce qui s’est passé : nous avons commencé en tant que groupe de metal progressif, et rétroactivement, on nous a qualifiés de djent, et on m’en tient pour responsable alors que ce n’est pas de ma faute. Ça vient de Fredrik [Thordendal] de Meshuggah ; c’était sur le forum de Meshuggah. Donc au départ, je me disais : « Ce n’est pas ce qu’on est, c’est un terme idiot », mais je pense que tous les genres musicaux, comme le grunge et même le heavy metal, ont été nommés après coup et sont appliqués rétroactivement, mais c’est vraiment juste pour catégoriser. Donc, au final, ça ne nous dérange pas, vous pouvez nous catégoriser comme vous voulez. Ça n’influe pas sur l’expérience de notre musique. Et si, rétroactivement, on nous qualifie de djent, autant nous amuser un peu avec. Encore une fois, la musique est toujours sacrée, mais justement, parce qu’elle est si sérieuse, tout le reste peut être amusant. Je pense que les titres d’albums n’ont pas d’importance, tout comme les titres de chansons. Et je pense que les designs de t-shirts importent simplement parce qu’ils sont vendus. Donc avec tout le reste, nous adoptons l’attitude qui convient.
« Je me souviens de la première fois que j’ai entendu Meshuggah. J’ai trouvé ça nul ! J’ai détesté. C’était du bruit. Puis il y a eu un déclic, tout a pris sens et Meshuggah est devenu ce puzzle que je devais comprendre. J’étais obsédé. »
Fredrik de Meshuggah est considéré comme l’inventeur de la technique de guitare djent, et tu t’es initialement fait une réputation sur internet, en partie, en postant sur le forum du groupe. Te souviens-tu de la première fois que tu as entendu Meshuggah et cette technique de guitare particulière ?
Je me souviens de la première fois que j’ai entendu Meshuggah. J’ai trouvé ça nul ! J’ai détesté. C’était du bruit. Je crois que j’avais entendu « Concatenation » tiré de l’album Chaosphere, et je me suis dit : « C’est du putain de bruit ! J’emmerde ce groupe. Pourquoi les gens l’aiment-ils autant ? Ça n’a aucun sens pour moi. » Ensuite, j’ai parlé avec un ami et je lui ai demandé : « Pourquoi Meshuggah fait-il bander tout le monde ? » Et il m’a répondu : « Ah oui, c’est ce groupe qui joue en quatre-quatre. » J’étais là : « Non, je parle de Meshuggah, le groupe qui fait juste du boucan. » Il était là : « Non, c’est ça le truc. On a l’impression qu’ils jouent des trucs bizarres, mais c’est toujours en quatre-quatre. » Et j’étais là : « Quoi ? » et ça a fait un déclic, tout a pris sens et Meshuggah est devenu ce puzzle que je devais comprendre. J’étais obsédé. Encore aujourd’hui, ce groupe m’obsède. Le terme djent, c’est juste parce que c’était un son de guitare très métallique, c’était vraiment unique. C’est en postant sur le forum que je voyais des gens utiliser ce mot, et je me suis dit : « Oh, d’accord, voilà ce que ça veut dire. C’est juste un palm mute. » Mais tout le monde plaisantait avec, donc je me suis moi aussi mis à plaisanter. J’étais juste un autre gars qui s’amusait avec ce terme, comme n’importe qui. Si tu fais partie d’un groupe d’amis, tu as probablement des manières de parler qui vous sont spécifiques, donc c’est tout ce que c’était.
Y a-t-il eu d’autres cas de groupes que tu as trouvé nuls au départ et qui finalement sont devenus parmi tes préférés ?
The Dillinger Escape Plan. C’était juste après Meshuggah. Je me disais : « Maintenant je sais écouter de la musique difficile, mais putain, ce groupe, c’est vraiment du bruit ! Ils font vraiment n’importe quoi. » Je me suis rendu compte qu’il y avait deux catégories. Il y les groupes avec lesquels on se dit : « Ok, ce n’est pas pour moi. » Et puis ceux qui nous font dire : « Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? », et quand c’est le cas, c’est qu’il y a probablement quelque chose à creuser. Il y a une sorte de dichotomie bizarre, genre : « Je ne supporte pas ce groupe, mais j’éprouve le besoin de le réécouter. » Car si tu n’aimes pas quelque chose, généralement tu ne reviens plus dessus, tu te dis : « Oublie ça. Non, merci. » Mais il y a des groupes qui sont malgré tout intéressants. Il y en a plein qui m’ont fait cet effet et que j’ai fini par adorer. Radiohead était comme ça. Tool était comme ça. Même Dream Theater était comme ça. Allan Holdsworth… Je n’avais pas compris tous ces groupes, mais je continuais à réécouter et avec le temps, il y a eu des moments où je me suis dit : « Oh mon Dieu, ce sont les meilleurs ! » En fait, je dirais que probablement tous les groupes que j’aime le plus et qui sont à l’épreuve du temps, neuf fois sur dix, je les ai détestés la première fois que je les ai entendus [rires].
Fais-tu plus attention maintenant quand tu écoutes un nouveau groupe avant de le juger négativement ?
Non. C’est juste une combinaison de réactions, genre : « Non, je n’aime pas ça, mais je vais ressayer. Pour une raison que j’ignore, je ne comprends pas » [rires].
Mårten Hagström de Meshuggah est connu pour s’être excusé du rôle qu’a joué le groupe dans la création du style de jeu djent à la guitare. Et nous avons eu une discussion avec Tomas Haake récemment qui a dit : « Même si nous ne nous considérons pas comme un groupe de djent, je comprends la corrélation et de quoi ce genre musical découle. C’est bien sûr très cool et ça rend humble, d’une certaine façon. Même si, à titre personnel, je trouve qu’un grand nombre de ces groupes sont à côté de la plaque ». Les comprends-tu quand ils renient voire critiquent ce mouvement ?
Bien sûr. Ces gars sont des musiciens purs, dans le sens où ils se contentent d’écrire leur propre truc et où, pendant longtemps, leur musique n’était pas considérée comme étant cool. Destroy Erase Improve est sorti en 95 et ce n’était pas avant les années 2000 qu’ils ont acquis une forme de reconnaissance, et ce n’est que depuis ces cinq dernières années environ que les gens les voient vraiment… Peut-être que « Bleed » était leur premier véritable succès, imagine comme leur carrière était déjà bien avancée ! Ensuite, ils ont entendu des gens leur dire : « En fait, vous n’êtes pas ci, vous êtes ça, et puis vous êtes considérés comme les pionniers de cet autre style de musique que vous n’aimez probablement pas ou avec lequel vous n’avez rien à voir. » Et ils sont là : « Quoi ? On continue juste de faire ce qu’on a fait pendant des décennies. » Je suppose. Donc oui, je peux comprendre. Je pense que personne n’aime qu’on lui explique ce qu’il fait. C’est comme si quelqu’un redéfinissait ton boulot ; tu as probablement une identité associée à ce boulot, à ta façon de l’aborder, au type de journaliste que tu es, à la sous-catégorie dans laquelle tu te places, et si quelqu’un te disait : « Non, en fait, je te vois plutôt comme ça », ça ne change pas vraiment ton approche, ta manière d’écrire ou quoi que ce soit, mais c’est peut-être un peu décevant, car tu te vois comme ci et lui comme ça, et tu te dis : « Ah, ce n’est pas ce à quoi je m’associe. Je me demande pourquoi… » Donc je peux comprendre, mais on finit par l’accepter. Comme avec tout, il y a du positif et du négatif. Le fait d’être associé au mouvement djent – ou peu importe comment on veut appeler ça – a sans doute fait beaucoup de bien à Periphery, tout comme à Meshuggah, mais il y a aussi probablement des aspects agaçants. Donc nous essayons de ne pas trop y penser. Nous nous amusons et nous faisons plaisir, c’est tout.
« Je me suis rendu compte qu’il y avait deux catégories. Il y les groupes avec lesquels on se dit : ‘Ok, ce n’est pas pour moi.’ Et puis ceux qui nous font dire : ‘Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?’, et quand c’est le cas, c’est qu’il y a probablement quelque chose à creuser. »
Ce que tu décris est ce qui arrive sans doute à n’importe quel artiste innovant…
Oui, probablement. Je sais que tous les groupes de grunge détestaient être qualifiés de grunge. Dans leur cas, ils jouaient une musique qui se voulait littéralement une contreculture subversive, qui était peut-être dépourvue d’étiquette ou serait dévalorisée par une étiquette, et tout d’un coup, c’était : « Voici votre étiquette ! » Je sais qu’ils ont détesté ça, mais maintenant, c’est une référence et rien qu’avec ce mot, une multitude de groupes nous viennent en tête – Nirvana, Soundgarden, Alice In Chains, Pearl Jam. C’est extraordinaire. Même The Smashing Pumpkins, qui n’est probablement même pas vraiment un groupe de grunge, mais quand même. Je pense qu’avec le temps, il pourrait arriver la même chose avec le djent, ce mot pourrait immédiatement évoquer les poids lourds de ce genre musical, peu importe si ceux-ci s’identifient comme tel. Je parierais même qu’ironiquement, les groupes évoqués diraient tous qu’ils ne font pas du djent [rires].
Un autre guitariste a été important pour toi et sur le forum duquel tu as aussi posté, il s’agit de John Petrucci. Même question : quelle a été ta réaction quand tu l’as entendu pour la première fois, et comment est-ce que ça a changé ton regard sur la guitare ?
Bon sang, ce gars et Dream Theater faisaient des trucs que je ne savais pas être possibles. Je me disais : « Bon, d’accord, peut-être que c’est de la magie de studio. » Puis je les ais vus en live – d’abord sur le Live Scenes From New York et ensuite en vrai – et j’étais là : « Oh mon Dieu. Je ne savais pas qu’un groupe pouvait être aussi bon et sonner aussi bien en live. » Ça avait placé la barre tellement haut, genre : « Ouah, on peut être un groupe qui sonne aussi bien voire mieux en live que sur CD. C’est possible. Je ne le savais pas. » J’en étais presque à me dire : « Je ne savais pas qu’un groupe avait le droit de faire ça en musique » [rires]. Je n’avais jamais rien entendu de tel, je n’avais jamais entendu une musique aussi bien exécutée, et il y avait toujours du charisme. Il existe plein de musiciens et de musiques techniques, mais surtout l’époque Scenes From A Memory… Je me suis vraiment intéressé au groupe pour sa période allant de Awake à peut-être Train Of Thoughts ou Octavarium, et il y avait toujours énormément de charisme. Malgré le fait que c’était très technique, il y avait toujours un truc en plus, une passion et une âme. Ça m’a toujours dérangé quand le mieux qu’on pouvait dire au sujet de quelque chose était : « Oh, c’est impressionnant. » C’est de la musique et la musique doit évoquer des sentiments. Donc j’ai toujours senti qu’il y avait aussi une âme chez eux.
Tu as dit tout à l’heure que même Dream Theater faisait partie de ces groupes que tu n’as pas aimés au début : qu’est-ce qui t’avait rebuté ?
J’étais assez jeune, je n’avais jamais entendu ce genre de musique, et je pense que je n’entendais que la technicité. Peut-être que je rejetais ce côté technique parce que je ne comprenais pas qu’un groupe pouvait être aussi bon que ça, donc il devait y avoir un truc. Je n’étais pas non plus très fan du chant de LaBrie, mais j’ai appris à l’apprécier avec le temps et maintenant, je ne peux imaginer ce groupe avec un autre chanteur. Et je n’avais jamais vraiment entendu de musique avec du clavier comme ça. Il y a des aspects que je trouvais être vraiment kitsch, mais là encore, j’ai appris à les aimer. Je trouvais qu’il y avait beaucoup de caractère, mais j’entendais le côté kitsch et je n’admirais pas vraiment le côté grandiose. Ça revenait à écouter des éléments séparés. Je suis un grand fan de l’écoute d’un album du début à la fin, mais j’ai l’impression que ça se perd de nos jours. Nous concevons nos albums comme ça, pour qu’ils soient consommés d’un bout à l’autre, et les arrangements sont importants, car sorties de leur contexte, je pense que nombre de nos chansons n’ont pas le même impact. Je trouve que c’est très vrai de Dream Theater et c’est peut-être là que j’ai appris cette notion de flow d’un album. Quand j’écoute un album comme un tout, je suis là : « Oh ouah ! C’est vraiment une belle œuvre d’art. » J’aime écouter du début à la fin les albums de la plupart de mes groupes préférés. Je les comprends et les assimile vraiment seulement quand je les écoute en entier.
Je suppose que ce qu’on voit peut-être comme des défauts au départ finit par faire participer au charme à la longue.
Absolument. A cent pour cent. Mais je pense que parfois ces choses sont déroutantes parce qu’on ne s’y attend pas. Parfois, j’ai l’impression que mon cerveau n’est pas préparé à ça, donc il lui faut un peu de temps pour l’intégrer. Ce n’est pas que je n’aime pas, c’est que je ne suis pas prêt. Quand tu sais que ça va arriver et que tu es prêt, tu peux l’écouter avec un esprit ouvert et tu te dis : « Oh, en fait, j’aime bien ça. » C’est comme si tu voyais une cannette que tu croyais contenir du coca, mais qu’en fait c’était une soupe savoureuse, tu serais là : « C’est horrible. Qu’est-ce que c’est ? » Ça pourrait être une soupe préparée par un chef trois étoiles au Michelin, ça n’aurait pas d’importance, car ce n’est pas ce à quoi tu t’attendais. Mais si tu savais que tu allais boire une excellente soupe, tu te dirais : « Oh mon Dieu, c’est le meilleur truc que j’ai jamais goûté ! » C’est un peu pareil.
« Avec le temps, il pourrait arriver la même chose avec le djent qu’avec le grunge, ce mot pourrait immédiatement évoquer les poids lourds de ce genre musical, peu importe si ceux-ci s’identifient comme tel. Je parierais même qu’ironiquement, les groupes évoqués diraient tous qu’ils ne font pas du djent [rires]. »
C’est intéressant comme Periphery est capable d’avoir sur le même album une chanson très intense et agressive comme « Everything Is Fine! » et une ballade électro-pop accrocheuse comme « Silhouette », ainsi qu’un énorme morceau progressif et épique comme « Dracul Gras ». Est-ce qu’au moins vos fans arrivent à appréhender ce qu’est Periphery ?
Je ne sais pas. Il faudrait leur demander ! Encore une fois, ça ne m’inquiète pas trop [rires]. Les gens demandent toujours comment nous garantissons que notre album sonne comme Periphery. Je vais te dire, c’est vraiment l’une des choses dont nous ne nous soucions jamais. Ça nous donne une grande liberté. Je sais que si nous nous rassemblons tous dans une pièce, peu importe le style de musique, ça sonnera toujours comme nous. C’est quelque chose qui, pour le meilleur ou le pire, semble se faire tout seul. Nous n’y pensons donc pas du tout. C’est une préoccupation en moins et nous pouvons nous focaliser sur d’autres trucs. C’est un peu l’idée du progressif. Nous ne nous soucions jamais de : « Est-ce qu’on va trop loin ? Qu’est-ce que les fans vont en penser ? » C’est juste : « Est-ce ‘putain, oui’ ou pas ? » Si pour nous c’est « putain, oui », nous le faisons.
« Silhouette » est très bizarre, en tout cas pour nous, d’autant plus que le résultat est complètement différent de notre intention de départ. Nous voulions faire une chanson électronique qui était plus dans la veine de ce que Jake et moi faisons avec Four Seconds Ago, notre projet électronique, des trucs au tempo tranquille et peut-être du chant épars, mais ça a évolué pour se transformer en cette chanson électro-pop. Nous ne luttons pas. Nous laissons la chanson prendre la forme qu’elle a besoin de prendre, peu importe ce que c’est, pour que nous soyons là : « Ouais ! » Au final, je n’aurais jamais cru que j’écrirais une chanson électro-pop avec les gars, et je n’aurais jamais cru que ça finirait sur un album, mais tout le monde l’a adoré. Ça nous a pris du temps pour trouver le bon arrangement et les bons enchaînements. C’était amusant de faire cette chanson, nous avions le sentiment de tenir quelque chose. Elle a toute sa place sur l’album. Est-ce que tous les fans de Periphery l’aimeront ? Non, je pense que nombre d’entre eux la détesteront, mais je ne sais pas pourquoi, ça me procure un petit plaisir [rires]. Peut-être que je suis tordu. Si je crois en quelque chose, ça n’a pas d’importance. Si je détestais la chanson ou si je me disais : « Bon sang, pourquoi a-t-on mis ça sur l’album ? » et que quelqu’un disait : « Pourquoi ont-ils mis ça sur l’album ? », ça m’aurait fait très mal. Mais comme j’y crois et que nous y croyons tous, même si je sais que des gens la détesteront, je trouve ça amusant.
Même si vous ne pensez pas aux fans, aimez-vous jouer avec eux et tromper leurs attentes ?
Je ne le dirais pas comme ça. Je dirais qu’il y a un cas de figure où nous pouvons les prendre en considération, mais c’est aussi un peu égoïste. C’est quand je me dis que ce sera marrant en live, que je peux visualiser que cette partie sera heavy, que le public y réagira ou peu importe. Parfois, nous y parvenons, parfois pas, mais il y a certaines parties pour lesquelles j’imaginais un jeu de lumière. Par exemple, quand j’étais en train de composer la fin de « Reptile », je me disais : « Oh purée, la lumière suivra parfaitement ce staccato. Ce serait complètement noir, on serait là immobiles et on pourrait regarder le public. » C’est un passage qui s’est passé exactement comme je l’avais imaginé et ça m’a donné la chair de poule. Il ne s’agit pas tant de savoir comment les fans réagiront que de voir le tableau d’ensemble et de se dire que ça sera bien. Je ne crois pas que nous essayons de choquer ou d’effrayer nos fans ou quoi que ce soit de ce genre. Je ne pense sincèrement pas à eux quand nous composons. Au mieux, nous pensons à si ce sera marrant en live.
La diversité de cet album est bien la preuve que Periphery a plus à voir avec le metal progressif en général qu’à quoi que ce soit d’autre. Il est clair que l’étiquette « djent » serait trop restrictive…
Oui, nous composons tout ce que nous voulons. Laisse-moi t’expliquer cette histoire de metal progressif. La raison pour laquelle j’ai toujours pensé que nous faisions du metal progressif est que le mot « progressif » veut dire que tout est permis. Tu veux faire une chanson de deux minutes ? Tu veux faire une chanson de seize minutes ? Pas de problème. Tu veux faire une chanson heavy ? Tu veux faire une chanson calme ? Tu veux faire une chanson électronique ? Tu veux faire des trucs orchestraux ? Pas de problème. Tu veux enchaîner une partie super heavy et une autre très calme ? Pas de problème. Car tous les autres styles semblaient avoir des limitations. Ensuite, le metal était juste un qualificatif parce que nous sommes assez heavy, nous avons du chant crié, donc on ne pense pas à un groupe à la Yes, Genesis ou même Dream Theater. Nous sommes clairement du côté plus agressif, mais il n’y a pas de véritable limitation.
« John Petrucci et Dream Theater faisaient des trucs que je ne savais pas être possibles. Je me disais que c’était peut-être de la magie de studio. Puis je les ais vus en live. J’en étais presque à me dire : ‘Je ne savais pas qu’un groupe avait le droit de faire ça en musique’ [rires]. »
Les gens peuvent nous qualifier de metalcore et j’ai entendu des gens nous qualifier de toutes sortes de genres musicaux, mais ça n’a pas d’importance. Ce n’est pas : « Bon, maintenant ils croient qu’on est ça, donc on doit faire ce type de chanson. » Au contraire, si vous écoutez notre premier album, nous avons fait exprès de partir dans plein de directions différentes, car j’ai vu des groupes que j’adorais galérer avec des changements de direction. Ils changeaient un son pour en essayer un autre et leur communauté de fans se rebellait, en se demandant : « D’où ça sort ? » Donc, j’ai dit : « Si on commence en faisant un peu de tout, c’est-à-dire des trucs heavy, des trucs mélodiques, des trucs pop, des trucs progressifs, des trucs électroniques, et que nous partons immédiatement dans toutes ces directions, lorsque nous explorerons davantage dans ces directions, ça ne sera pas bizarre. Les gens diront juste : ‘On dirait qu’ils penchent plus de ce côté.’ » Grâce à ça, nous ressentons une liberté absolue d’explorer tout ce que nous voulons. Nous sommes dans une positon aujourd’hui où nous avons fait une chanson entièrement électro-pop. Nous avons la chance de pouvoir faire ça. Encore une fois, je suis sûr que plein de gens n’aimeront pas, mais peu importe. Nous aimons, et c’était amusant à faire. Ça nous donne le droit de le faire. Si nous n’en profitons pas, et que nous nous soucions de ce que les fans disent, alors nous sommes à côté de la plaque. Nous nous sommes offert cette liberté, alors profitons-en.
Est-ce que ça reflète aussi le côté erratique que peut avoir votre propre consommation musicale ?
Oui, absolument. Je pense que c’est vrai pour tout le monde dans le groupe, nous écoutons plein de choses. Nous aimons beaucoup de musique et cette étiquette metal progressive, pour nous, c’est : tu peux avoir le beurre et l’argent du beurre. Nous adorons la musique heavy, mais aussi la pop, les trucs jazzy, classiques, électroniques, les ballades, les longues chansons, les chansons courtes, les trucs épiques, les trucs minimalistes. L’idée, c’est : quitte à monter un groupe, je veux tout faire. Pourquoi pas ? C’est le but. Nous savons que nous ne serons pas le plus gros groupe du monde. Donc, une fois que cette idée s’est envolée, nous sommes libres de poursuivre toutes les petites choses que nous voulons musicalement. Ça, pour moi, c’est vraiment l’éclate.
On dirait que les groupes étaient plus cloisonnés il y a trente ou quarante ans, et dès qu’ils déviaient de leur étroit chemin, ils étaient tout de suite conspués par leurs fans ou les critiques, mais on dirait que les groupes plus récents comme Periphery ont beaucoup plus de latitude musicalement parlant. Penses-tu que ce soit une question de génération ? Trouves-tu que les nouvelles générations de metalleux sont plus ouvertes d’esprit ?
Oui, c’est une remarque intéressante. Je ne suis pas un expert, mais si je devais supposer, je dirais que, peut-être, il y a une bien plus grande exposition. Tu écris, donc peut-être que tu pourrais me le dire, mais j’ai l’impression que même le metal, en tant que genre musical, est devenu un peu plus grand public durant les dix ou quinze dernières années. Lorsque nous avons commencé Periphery, j’étais le seul metalleux dans mon groupe d’amis et j’étais le mec bizarre. C’est pourquoi j’allais sur des forums, parce que je me disais : « J’aimerais parler de Meshuggah avec des gens. Personne ne veut parler de Meshuggah, de Dream Theater ou de guitares sept-cordes avec moi. Bon, il y a ces forums où je pourrais parler à de parfaits étrangers, mais au moins, eux seraient content d’en parler avec moi. » Car autrement, tous mes amis étaient là : « Mec, ferme-la, j’en ai marre de t’entendre parler de ce groupe de metal » [rires]. Pour eux, Korn et Meshuggah, en gros, c’était la même chose, ils ne voient pas la différence. Je pense qu’aujourd’hui, le metal est beaucoup plus visible, au point où la personne lambda est un peu plus au courant. Et la personne lambda est probablement exposée à beaucoup plus de musique et de styles grâce au streaming, YouTube, etc.
Quand j’étais gamin, pour découvrir de la nouvelle musique, il fallait soit avoir de l’argent pour acheter un album, ce qui n’était pas mon cas, soit avoir des amis qui te faisaient écouter de la musique et te laissaient emprunter leurs albums. Tu découvrais des albums par le biais de ton cercle d’amis. Alors que maintenant, c’est juste : « Hey, va écouter ce groupe ! » Ça prend à peine quelques minutes. Ça ne coûte rien. Même si tu n’as pas d’abonnement Spotify ou Apple Music, tu peux aller sur YouTube. Donc pour découvrir un groupe, la barrière d’entrée est inexistante aujourd’hui. Je parie qu’en conséquence, les gens en général, en moyenne, sont probablement exposés à beaucoup plus de styles et de choses qui ne sont plus aussi ignorés qu’avant parce que c’est maintenant plus facile de faire des découvertes et qu’il y a des genres et sous-genres de musique qui profitent un peu d’un d’effet d’entraînement. Si la pandémie nous a montré une chose, c’est que ça a brisé les conventions. Par exemple, Spiritbox n’a pratiquement pas tourné et est devenu énorme. Ça a changé la dynamique des interactions des gens et de leur exposition à la musique. Je pense que, globalement, c’est une bonne chose.
« Ça m’a toujours dérangé quand le mieux qu’on pouvait dire au sujet de quelque chose était : ‘Oh, c’est impressionnant.' »
Avec Periphery, vous êtes toujours enclins à inclure quelques surprises. « Slhouette » en est une, mais il y a aussi le passage au piano jazzy dans « Wilfire », avec en prime un solo de saxophone signé Jørgen Munkeby. C’est très inattendu et un peu déconcertant. Quel a été le processus de réflexion ayant mené à ça ?
Ça, c’est ce qu’on appelle une idée de trois heures du matin [rires]. Beaucoup de musiciens composent tard et parfois les gens se demandent pourquoi. Je trouve que tard le soir, quand ton cerveau est éteint, ou en tout cas que ton cortex préfrontal est déjà parti se coucher, et que tu es un peu foufou, parfois des idées vraiment cool te viennent. Ça te fait voir les choses différemment. Il y a des idées bizarres, dont certaines que personne n’entendra jamais, qui me sont venues dans ces moments-là, et celle-ci en était une. Je crois que Jake était déjà parti se coucher ; il avait un vol à prendre. Mark essayait de rester éveillé avec moi, mais il piquait du nez et j’avais déjà dit : « C’est bon, j’ai fini, je suis fatigué les gars. » Mais ensuite, j’ai dit : « Attends, je vais quand même essayer ce truc. » Et avant même de m’en rendre compte, deux heures s’étaient écoulées et j’avais esquissé et programmé cette section jazz. J’étais tellement fatigué que j’ai oublié que je l’avais faite, mais je l’avais exportée, comme j’en ai l’habitude, pour que les autres puissent l’entendre. Donc le lendemain, je m’attendais à ce que les gars disent : « C’est cool, mais on ne va pas faire ça. » Mais tout le monde a dit : « Oh, j’adore ! » et donc nous l’avons utilisée. J’avais programmé un solo de piano et ensuite, il y avait un vide. Je me disais : « Et si on demandait à Jørgen de venir faire un solo de sax ici ? » car il en avait fait sur des morceaux de Haunted Shores avant. Il était partant et c’était parfait. Bref, ça s’est fait comme ça, c’est l’une de ces idées barrées de trois heures du matin. Je pense que je n’aurais jamais pensé à faire ça si nous avions composé la chanson plus tôt dans la journée, parce que mon cerveau aurait fonctionné trop bien. Ton cerveau – ou le mien, en tout cas – doit être un petit peu endormi ou cassé pour essayer ce genre de trucs. Mais de temps en temps, on trouve des idées sympas à ces heures tardives.
Quel est ton rapport au jazz ?
Je ne suis pas un connaisseur ou quoi que ce soit, mais j’ai toujours apprécié. Je ne comprends pas vraiment le jazz, ça me dépasse. Je pense que ça fait partie de ces musiques pour lesquelles il faut être un maître absolu de son instrument pour être capable d’en jouer, peu importe à quel niveau. Donc ça dépasse mes capacités, mais j’aime le son du jazz et flirter un peu avec. J’adore mettre de petits passages jazz. J’aime les changements d’accords étranges. Je suis plus sur le côté jazz fusion et c’est là qu’intervient l’influence d’Allan Holdsworth. Mais je ne suis pas du tout un expert en jazz.
On retrouve aussi des parties orchestrales grandioses et cinématographiques à la fin de « Wildfire », « Atropos », « Zagreus » et « Dying Star ». C’est un élément qui a vraiment été incorporé au son du groupe avec Periphery III: Select Difficulty. Penses-tu qu’un déclic s’est produit avec cet album il y a six ans avec ça ?
Oui. En fait, ça s’est même passé dans l’autre sens. Nous venions de faire Juggernaut et j’avais un peu l’impression d’avoir épuisé toutes mes idées. J’ai toujours été fasciné par la musique orchestrale. J’adore comment ça sonne. Je travaille sur mon ordinateur, mais je me suis rendu compte que des gens arrivaient à composer sur leur ordinateur des trucs orchestraux qui, je trouve, sonnent comme un vrai orchestre. Autrement, comme tu le sais, un orchestre, ça coûte extrêmement cher. C’était en parallèle que, au début des années 2000, j’ai réalisé que je pouvais enregistrer sur mon ordinateur – c’est d’ailleurs ce qui a lancé cette aventure avec Periphery. J’avais donc l’impression de redécouvrir la musique, et ça m’a obsédé. Et c’est grâce à ça qu’avec Periphery III, j’ai tout d’un coup pu retrouver une énorme créativité, j’étais on ne peut plus prêt à composer un album, et je voulais qu’il y ait des parties orchestrales de partout. Depuis, c’est quelque chose avec lequel je m’amuse tout le temps. Encore une fois, quand on pense au flow de l’album, nous avons toujours cru en ces petits digestifs. Quand on écoute une chanson heavy de sept minutes et qu’on repart tout de suite sur une autre chanson heavy de sept minutes, ça fait beaucoup pour l’auditeur – ça fait beaucoup pour moi, en tout cas. Il s’agit donc d’avoir quelque chose qui fait retomber la pression ou change un peu de direction, de façon à ce que, lorsque la chanson suivante arrive, ce soit frais. C’est toujours dans le contexte d’une écoute intégrale de l’album, donc ça aide là aussi son flow. Je me suis simplement amusé avec ces morceaux orchestraux, parce que c’est très marrant à composer. Ça titille une tout autre partie de mon cerveau. Et les gars aiment bien. Au final, ce n’est pas mon groupe, donc je ne le ferais pas s’ils détestaient ou disaient : « Oh, bon, on n’a pas trop envie d’avoir ça. » Je pensais d’ailleurs qu’ils n’allaient pas aimer, mais ça leur a plu, donc nous avons gardé.
Plus généralement, on dirait que la fin est toujours un moment spécial dans une chanson de Periphery. L’énorme fin cathartique de « Wax Wings » en est un très bon exemple, mais la plupart des chansons finissent sur un moment fort, sous une forme ou une autre. La fin serait-il le moment le plus important d’une chanson pour vous ?
Non. C’est juste ainsi que ça se passe parfois. Nous suivons la chanson. Nous ne savons jamais à l’avance à quoi elle va ressembler. Nous avons une idée du riff ou du passage, mais ensuite, c’est genre : « Oh, j’ai une idée ! » « Oh, j’ai une idée ! » « Oh, j’ai une idée ! » Jusqu’à ce que nous n’ayons plus d’idées. Peut-être que c’est simplement ainsi que notre cerveau est câblé : nous sommes attirés par ce qui est épique, et forcément ça fait que c’est plus long. Il y a quelques chansons qui se terminent sur une note épique, mais nous essayons de ne pas trop y penser. Nous essayons juste de ressentir les choses. La réflexion c’est peut-être plus pour le peaufinage et les ajustements, mais quand nous sommes en train de composer, j’aime que ce soit des réactions instinctives, « oh, qu’est-ce qu’il doit y avoir après ? », et vraiment mettre notre cerveau de côté. C’est pourquoi nous ne savons jamais vraiment quelle allure va avoir la chanson au final. Souvent, quand nous avons une vision pour un morceau, quand nous avons fini, le résultat est très différent de cette vision. Mais j’aime suivre la direction que veut prendre une chanson plutôt que d’essayer de l’enfermer dans mon idée initiale.
« Est-ce que tous les fans de Periphery aimeront le morceau électro-pop ‘Silhouette’ ? Non, je pense que nombre d’entre eux la détesteront, mais je ne sais pas pourquoi, ça me procure un petit plaisir [rires]. Peut-être que je suis tordu. »
« Wildfire » et « Zagreus » comprennent des références à des musiques de Juggernaut: Alpha. J’imagine que cette façon d’autoréférencer votre propre discographie est quelque chose que vous avez pris surtout chez Dream Theater, mais on a aussi ces numéros de chapitres dans certains titres d’albums, donc vois-tu votre musique comme une sorte de vaste concept où tous les albums sont liés ?
Non, pas du tout. C’est juste marrant. Nous aimons les jeux vidéo et leurs musiques qui s’autoréférencent, tout comme des groupes tels que Dream Theater et Devin Townsend. J’adorais quand ils faisaient ça. En tant que fan, ça me donnait toujours des frissons de réentendre une partie dans une autre contexte. Tu te dis : « Oh, je reconnais ça ! » Dans certains cas, c’est venu parce qu’à l’origine, nous songions à faire de cet album un Juggernaut, mais cette idée est un peu tombée à l’eau. Il y a des thèmes que nous avions commencé à travailler dans des chansons, car nous trouvions que ce serait des références sympas à des parties sur d’anciens albums. Je me suis dit qu’il fallait quand même les garder parce que j’aimais la façon dont c’était placé dans la chanson et j’étais vraiment curieux de voir comment les gens réagiraient. Avec le recul, c’était vraiment cool, parce que les fans de longue date du groupe ont l’impression que ce sont des petits messages secrets qui leur sont adressés. Ce sont des petits easter eggs qu’ils connaissent. Il y en a d’ailleurs que je pensais être vraiment évidents mais que, pendant longtemps, les gens n’ont pas remarqués.
Si je prends par exemple le refrain de « Wildfire », ça vient de « The Event » sur Juggernaut qui est un petit morceau que j’ai toujours voulu le développer, mais je n’en ai jamais eu le temps. Spencer et moi en avons discuté, et il était là : « Ouais, mec, j’ai toujours adoré cette idée. C’est dommage que nous ne l’ayons jamais intégré. On devrait en faire un refrain dans une chanson ! » C’est resté dans un coin de ma tête. Donc, quand nous étions en train de composer « Wildfire », je me suis dit : « Essayons ceci en tant que refrain. » C’est amusant de pouvoir faire ce genre de chose. Ensuite, il a écrit cette extraordinaire ligne vocale par-dessus. Ça nous offre pas mal de liberté et c’est quelque chose que, personnellement, j’adore quand les groupes et les jeux vidéo le font bien ; quand ils s’autoréférencent, ça me donne toujours des frissons. C’est un peu la raison pour laquelle nous l’avons fait.
Tu mentionnes les jeux vidéo, c’est de notoriété publique que vous êtes des gamers. Quels sont les jeux que tu aimes ?
J’adore la série des Final Fantasy. J’adore le compositeur Nobuo Uematsu. Littéralement, le dernier morceau de l’album s’appelle « Thanks Nobuo » en hommage à lui. Final Fantasy 7 a changé ma vie, ça a été une énorme influence musicale pour moi, et ça l’est toujours, ainsi que la musique de Nobuo en général. La BO de Persona 5 est incroyable aussi ; c’est de la funk jazzy et de la néo-soul. Mais je vais te dire les jeux auxquels j’ai joué dernièrement et que j’ai beaucoup aimés. Hades et Returnal sur PS5. Ils ont tous les deux des chansons baptisées en référence à eux (respectivement « Zagreus » et « Atropos »). Je joue toujours à ces deux jeux. Ils ont une très bonne rejouabilité. J’aime beaucoup God Of War: Ragnarök et le reboot de 2018. J’ai beaucoup aimé Cult Of The Lamb, j’ai trouvé que c’était un petit jeu marrant avec une super BO. J’ai beaucoup aimé Inscryption. C’est l’un des jeux les plus créatifs auxquels j’ai joué. J’ai adoré ce jeu et je l’ai fait en entier deux ou trois fois, tellement je l’ai aimé. J’ai commencé à jouer à Sleigh The Spire et j’aime beaucoup, mais bon sang, ce jeu a le potentiel de prendre le contrôle de toute ta vie [rires]. Je trouve que ce jeu t’emmène en terrain dangereux. Ça pourrait être très mauvais de s’y mettre, mais j’adore. Il est tellement bon.
Je fais aussi beaucoup de simulations de courses. J’adore les voitures et les courses, donc j’ai toute une installation de simulateur de course, avec un volant, un casque de réalité virtuelle et tout. J’essaye tous les jours de faire des tours du Nürburgring Nordschleifer, parce que ça me fait plaisir. C’est mon moment de tranquillité. Sept minutes de paix, ou moins si je suis rapide. Tu sais ce que j’attends avec impatience à propos de la prochaine tournée ? Nous sommes excités par le fait que Mark, Spencer et moi avons tous des Steam Decks, le système de jeux vidéo, et il y a un mod dans Elden Ring où on peut coopérer à plusieurs personnes – peut-être que nous pourrons convaincre Jake aussi. Si tu te demandais ce que vous faisons en coulisse, voilà la réponse [rires].
« Beaucoup de musiciens composent tard et parfois les gens se demandent pourquoi. Je trouve que tard le soir, quand ton cerveau est éteint, ou en tout cas que ton cortex préfrontal est déjà parti se coucher, et que tu es un peu foufou, parfois des idées vraiment cool te viennent. Ça te fait voir les choses différemment. »
Vous n’avez fait qu’un concert avec Periphery depuis février 2020 – au Furnace Fest. Ça ne te démange pas depuis tout ce temps ?
En fait, oui ! Je pense qu’au moment où nous avons fini de tourner la dernière fois, j’étais prêt à faire une petite pause, et d’ailleurs ça ne me dérange pas d’être à la maison. J’ai bien bossé et, de façon générale, ça m’allait bien. Il y a certaines choses qui étaient nulles avec la pandémie, mais je n’étais pas trop mécontent d’être chez moi et de travailler sur d’autres choses, mais maintenant, suffisamment de temps est passé et je suis excité à l’idée de repartir sur la route. J’aime vraiment faire des concerts avec les gars, et ça me manque. Donc je pense que ce sera bien marrant.
Quelle est ta relation à la scène ?
Faire un bon concert devant un bon public, c’est super amusant. Tout le reste, ça craint [rires]. Je ne suis plus très fan des voyages. Je n’aime pas trop tourner. Même si nous avons la chance de tourner en bus, j’ai beaucoup de mal à dormir. Je trouve que c’est un processus très difficile et tout l’intérêt, c’est cette heure que nous passons sur scène ; nous faisons tout ça pour ça. Ne te méprends pas, ce n’est plus une vie difficile. Tourner était difficile avant, mais maintenant, des gens gèrent les choses à notre place, mais j’ai toujours du mal à dormir et à m’habituer, et les voyages pompent mon énergie. Ce n’est donc pas ce que je préfère faire, mais les concerts, et en particulier les bons, font que ça vaut la peine. Ça procure un sentiment très spécial qu’on ne peut obtenir autrement. Donc tu payes pour avoir cette émotion avec les vingt-trois autres heures de la journée.
Evidemment, durant la période Covid-19, c’est devenu très difficile pour les groupes, mais c’était déjà difficile de faire carrière dans cette industrie avant. Je sais que ton père a été un économiste associé à la Banque mondiale et qui a travaillé pour le ministère des Finances de l’île Maurice. Penses-tu que grâce à ça, tu avais davantage conscience de l’aspect économique de ta propre carrière dans la musique ? Penses-tu avoir été mieux armé pour affronter le business que d’autres groupes ?
Je ne pense pas que ce soit nécessairement la partie business, parce que mon père n’était pas vraiment un homme d’affaires, mais il m’a fait prendre conscience de l’importance de l’aspect économie. Il disait : « Tu sais que tu ne va pas gagner d’argent avec ça. Du coup, que vas-tu faire ? Et comment vas-tu préparer ta retraite ? Comment vas-tu budgétiser ça ? » Il me posait des questions responsables pour lesquelles je n’avais pas de réponse, et il m’a bien fait comprendre que je devais faire attention et m’a bien expliqué ce qu’est l’argent. Par exemple, une avance, ce n’est pas de l’argent, c’est un emprunt. Il m’a fait comprendre la différence entre ça et le fait de vraiment gagner de l’argent pour quelque chose. Mais mon père n’est pas un musicien. Ce n’est pas non plus un homme d’affaires. Il n’y connaît rien à l’industrie musicale. Donc, il en parle d’un point de vue économique et logique, genre : « Statistiquement, la plupart des groupes ne réussissent pas, et la plupart ne gagnent rien du tout. Il faut donc savoir quand c’est le moment d’arrêter. Ne te rends pas misérable à cause de ça. Et peut-être que ce n’est pas la pire idée qui soit d’avoir un boulot et de faire de la musique pour s’amuser », ce qui, ironiquement, est ce que je fais maintenant [rires].
Est-ce qu’il a essayé de te dissuader de faire cette carrière ?
Il n’a pas essayé de m’en dissuader, même s’il n’était pas hyper emballé. Mon père est très dans le côté traditionnel, du type : « Tu vas à l’école, tu obtiens de bonnes notes, tu intègres une bonne université, tu trouves un bon boulot, tu achètes une maison, tu fondes une famille », ce genre de chose. Je pense que c’était son plan pour moi. Donc le fait que je dise : « Je vais arrêter l’école, me trouver un boulot chez RadioShack et bosser sur de la musique pour essayer de faire décoller mon groupe » n’est pas ce qu’il voulait entendre. Mais je pense qu’il a compris que j’étais passionné par ça et j’ai dit : « Ecoute, il faut que j’essaye. Si j’essaye et j’échoue, pas de souci, mais si je n’essaye pas, je ne pourrai me regarder en face parce que je n’aurai pas la réponse. » Je pense qu’il a respecté ça. Il m’a dit que ça a dû être effrayant et qu’il était fier que je poursuive ce rêve. Je ne dirais même pas que c’était effrayant. C’était la seule option. C’est ce que je devais faire.
« Je fais Periphery comme un passe-temps. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas obligés de nous soucier de ce que veulent les fans, des plannings de sortie, etc. Si le groupe n’est pas viable financièrement, ce n’est pas un problème, ça ne m’affecte pas vraiment. Alors que pour beaucoup de groupes, c’est très important, et ils doivent prendre telle tournée, sortir un album à tel moment, etc., et ça finit par interférer avec leur créativité. »
J’étais très content d’avoir un boulot et de faire de la musique pendant mon temps libre. Je n’avais jamais été aussi heureux de ma vie à ce moment-là, parce que j’avais l’impression de n’avoir aucune voie dans laquelle aller avant. Mon père ne voulait pas que je sois paresseux. Il était inquiet que je sois fainéant et complaisant, mais il a vu que je travaillais dur et que je m’investissais dans quelque chose. Donc, même si ce n’est pas ce qu’il avait en tête, je crois qu’il comprenait que c’était quelque chose que je devais faire, et il m’a préparé à être responsable. Mon père est très bon pour utiliser le moindre dollar de manière optimale. Surtout quand nous étions gamins, nous n’avions pas vraiment les moyens de notre train de vie, mais mon père réussissait à faire en sorte que ça fonctionne tout juste en gérant très intelligemment un petit budget. Ce genre de truc vient donc naturellement, je sais comment optimiser chaque dollar et l’utiliser à mon avantage, en comprenant la différence entre une bonne et une mauvaise dette. Ça peut être très utile.
Est-ce qu’il t’a donné des conseils financiers ?
Oui, et même s’il ne me donnait jamais d’argent, il nous en a quand même prêté. Nous n’arrivions pas à obtenir un prêt à la banque pour notre van, donc il a dit : « Eh bien, voilà le taux d’intérêt. Je vais t’accorder un prêt au taux d’intérêt que te donnerait une banque. Ainsi, je gagne de l’argent grâce à ça et si tu ne payes pas, je le saisirai et je le revendrai. Donc tu devras faire tes versements. » Et comme je le connais, il l’aurait saisi et revendu [rires]. Il était là : « C’est sérieux. » Il me donnait des conseils, mais encore une fois, ce n’est pas vraiment son industrie. Il y a tellement de choses qui sont spécifiques à l’industrie musicale, à son fonctionnement, à la nature des contacts, etc. Sur ce plan, ce sont plus des conseils d’amis, le fait de parler à des gens, de lire des trucs et d’essayer d’apprendre par moi-même qui ont été très utiles. Mais il avait dit que tout ça aussi serait important.
Quel serait le meilleur conseil financier que tu pourrais donner à un jeune groupe qui débute ?
Diversifiez votre revenu. Comprenez que, probablement, le groupe ne suffira pas pour être votre seule source de revenu, surtout si vous êtes plus âgés. Si finalement vous parvenez à vivre du groupe, super, vous aurez simplement plus d’argent, mais dans le cas contraire, vous serez contents, car ces rentrées régulières peuvent prendre du temps pour se développer. Ça peut prendre cinq ou dix ans pour vraiment devenir quelque chose. Trouvez des trucs qui vous passionnent et, ironiquement, ne courez pas après l’argent. Si vous êtes passionnés par ce que vous faites et que c’est une bonne idée, généralement l’argent suivra. Ne soyez pas cupides. Du moment que vous êtes passionnés, même si ça ne marche pas bien, vous y croirez toujours, alors que si vous courez après l’argent, lorsque ce sera la dèche, vous serez malheureux et vous ne gagnerez rien. C’est un peu plus facile d’être dans la misère quand on croit en quelque chose. C’est une industrie difficile et la plupart des groupes ne réussissent pas. Tentez le coup, mais connaissez aussi vos limites ; mettez une limite et peut-être écrivez-la noire sur blanc. Comprenez quels sont vos objectifs et ne les laissez pas se transformer d’une façon qui vous serait préjudiciable ou qui serait nocive pour votre santé. Sachez quand il est temps d’abandonner, si c’est le cas, mais avec un peu de chance, vous y arriverez. Soyez créatifs dans vos manières de créer du revenu, et avec un peu de chance, globalement, ça peut faire sens.
Mon père m’a dit : « Tu sais, tu as échoué en tant que musicien. » J’étais là : « Ah bon ? » « Oui, tu es un homme d’affaires ! » [rires]. J’étais là : « Tu as probablement raison. J’ai échoué. » Donc, je n’ai même pas réussi en tant que musicien, je suis peut-être la mauvaise personne à qui demander ça. Je fais Periphery comme un passe-temps. C’est un très bon passe-temps, mais c’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas obligés de nous soucier de ce que veulent les fans, des plannings de sortie, etc. Si le groupe n’est pas viable financièrement, ce n’est pas un problème, ça ne m’affecte pas vraiment. Alors que pour beaucoup de groupes, c’est très important, et ils doivent prendre telle tournée, sortir un album à tel moment, etc., et ça finit par interférer avec leur créativité. Nous possédons le label. Notre management est très proche de nous. Notre manageur, en gros, fait partie du groupe, au point où je ne m’imaginerais pas opérer sans lui. Aujourd’hui, ça ressemble un peu plus à ce que c’était quand j’ai débuté, c’est-à-dire que je faisais ça parce que j’aimais le faire, tandis que j’avais un boulot et un salaire. Le groupe peut être ce pur projet de passion que je fais parce que j’adore le faire avec mes amis, c’est amusant et nous pouvons réaliser quelque chose de très spécial.
Interview réalisée par téléphone le 18 février 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Ekaterina Gorbacheva.
Site officiel de Periphery : periphery.net
Acheter l’album V: Djent Is Not A Genre.