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Interview   

Përl et sa quête du clair-obscur


Depuis une dizaine d’années, le trio francilien Përl semble avoir une vision artistique assez claire : explorer le clair-obscur à travers un regard musical et poétique. Avec des influences variées et une alchimie qui fonctionne entre ses membres, la jeune formation a les cartes en main pour proposer un concept fort qui parle instinctivement à son auditorat encore assez intimiste. C’est ce qui rend d’ailleurs le projet d’autant plus intéressant, puisque le dernier album Les Maîtres Du Silence sonne résolument comme un album professionnel avec une direction claire et n’a pas à pâlir à côté des récents succès de la scène post-metal.

Përl a clairement de quoi briller avec ses choix audacieux. La touche personnelle qui le rend atypique est sans aucun doute que le combo ose autant les virages vers le metal extrême que ceux vers la chanson française. Se frotter à l’art du paradoxe sans se brûler n’est pas une chose évidente, mais comme les musiciens le disent eux-mêmes dans cet entretien, la volonté inconsciente derrière le projet est elle-même paradoxale puisque Përl souhaite montrer la beauté des choses à travers la violence.

« Musicalement, le clair-obscur c’est un peu cette idée d’avoir une grosse composante metal extrême qui va nous permettre d’avoir un éventail de puissance, d’émotions, qui va aller du passage le plus calme et minimaliste qui soit, jusqu’au rouleau compresseur qui va venir rouler sur la tronche du public et des auditeurs. »

Radio Metal : Comment s’organise le trio dans l’écriture et la composition ? Avez-vous un leader ou est-ce vraiment un travail collectif ?

Bastien Venzac (basse) : Nous composons la musique tous ensemble, la plupart du temps en répétition, en jammant. Avec l’épidémie, nous avons été forcés d’apprendre à écrire à distance, ce qui n’a pas été un franc succès. Nous savons que ce qui fonctionne le mieux, c’est vraiment une écriture je dirais presque « communiste », chacun écrit la partie de son instrument. Aline écrit tous les textes.

Vous naviguez clairement sur plusieurs terrains stylistiques. Je crois que le style générique qui vous correspondrait le mieux c’est le post-metal. Avec quelle base et quelles références avez-vous formé ce projet il y a de ça plus de dix ans maintenant ?

Thibault Delafosse (batterie) : Je dirais que nous avons une base commune de metal progressif, avec par exemple des groupes comme Opeth ou avec quelques groupes de rock indépendant, et avec la scène prog en général, jusqu’au post, évidemment. Ce que nous disons un peu moins, c’est qu’il y a également une base de rock français, avec des groupes comme Noir Désir, par exemple, qui ont aussi été une influence commune au début du groupe. Au fil du temps, nos influences ont un petit peu évolué, selon ce que nous écoutons, selon nos envies.

Aline Boussaroque (chant, guitare, synthétiseurs) : C’est vrai qu’il y a une base assez prog. Après – je parle en mon nom – je pense qu’au début du groupe, j’étais peut-être celle avec les influences les plus extrêmes. Ensuite le groupe a évolué et tout le monde s’est mis à écouter du post-metal, du post-black ou même du black tout court. Mais personnellement, je pense que j’avais une base metal extrême un peu plus développée, puisque dans mes précédentes formations, j’ai joué dans un groupe un peu black death sympho, j’ai joué dans une autre formation doom metal, donc j’ai un background un peu plus hard.

Il y a une idée, un concept général derrière Përl, qui est le clair-obscur. Pour vous, que représente le clair-obscur, musicalement, artistiquement, poétiquement ?

Bastien : Musicalement, le clair-obscur c’est un peu cette idée d’avoir une grosse composante metal extrême qui va nous permettre d’avoir un éventail de puissance, d’émotions, qui va aller du passage le plus calme et minimaliste qui soit, jusqu’au rouleau compresseur qui va venir rouler sur la tronche du public et des auditeurs. Nous n’avons aucune difficulté à alterner entre des passages très calmes et des passages très violents. Musicalement, c’est vraiment comme ça que je vois le clair-obscur, à la fois en termes de puissance et en termes d’émotion. Typiquement, nous pouvons avoir des passages très lumineux en termes d’ambiance qui vont succéder à des passages très sombres, ce qui se reflète aussi sur les textes.

Thibault : Ça rejoint vraiment l’image du clair-obscur que tu peux voir dans la peinture, par exemple chez le Caravage, où le côté lumineux ressort énormément autour d’une obscurité assez marquée. C’est ce que nous essayons de reproduire en musique.

Aline : Au niveau des textes, je pense qu’on retrouve le clair-obscur à plusieurs degrés, aussi bien dans le choix des thématiques, avec des thèmes plus ou moins sombres dans ceux qui vont être choisis, que dans la manière dont le chant et le texte vont s’articuler avec la musique. L’un des plus grands exemples que nous avons là-dessus, c’est un morceau de notre précédent album, « Séléné » – qui a d’ailleurs été mis en clip. Typiquement, sur un passage très calme et très doux, tu vas avoir un chant saturé extrêmement noir et écorché, et un texte extrêmement dur. Tu peux donc retrouver ce clair-obscur dans la manière dont le chant et les textes vont se placer par rapport à la musique. Après, dans l’écriture elle-même, j’aime beaucoup jouer sur les contrastes : j’aime les images fortes, j’aime travailler sur des sujets où dans l’obscurité tu vas pouvoir retrouver une pointe de lumière, tout comme dans des choses très belles tu vas percevoir une part d’obscurité. J’aime vraiment jouer avec ces choses-là. Je pense que ce clair-obscur se retrouve à plein de niveaux chez Përl.

« Un descriptif qui marchait très bien pour l’album précédent et qui fonctionne toujours pour celui-ci, c’est la notion de voyage, c’est-à-dire cette idée d’entraîner les gens à travers différents paysages ; nous allons les faire voyager à travers pas mal d’ambiances musicales différentes. »

Il faut être assez ouvert d’esprit pour écouter du Përl : il ne faut pas être hermétique au metal extrême, mais il ne faut pas non plus être hermétique à l’indie rock ou au rock tout court, puisque vous avez évoqué Noir Désir par exemple. On a l’impression que votre musique s’adresse avant tout à un public qui aime les choses contemplatives, dans la musique en général…

Bastien : Oui et non. Nous avons beaucoup de morceaux et de passages qui vont être très hypnotiques. Nous prenons le temps d’installer des ambiances et de faire rentrer les gens dedans, mais en même temps, un descriptif qui marchait très bien pour l’album précédent et qui fonctionne toujours pour celui-ci, c’est la notion de voyage, c’est-à-dire cette idée d’entraîner les gens à travers différents paysages ; nous allons les faire voyager à travers pas mal d’ambiances musicales différentes. Mais ça peut se rapprocher de ce que tu disais, du contemplatif, mais avec quelque chose d’un peu plus mouvementé que d’être tranquillement installé dans ton fauteuil.

Aline : Nous ne faisons clairement pas de la musique à moshpit ! C’est sûr qu’il y a, comme le dit Bastien, une part de voyage, et effectivement, une petite part de contemplatif. C’est sûr que si tu viens à un concert de Përl pour avoir les mêmes ambiances qu’avec un groupe de gros hardcore, non, ça ne marchera pas ! Mais nous avons quand même des passages qui peuvent être violents, qui peuvent amener à certains mouvements, mais sans être de la grosse musique groovy qui pousse à sauter et à slammer. Oui, il y a une part de contemplatif, on peut le voir comme ça.

Thibault : C’est vrai que nous ne sommes pas dans une forme de violence pour la violence dans notre musique. Derrière, il y a toujours l’objectif de provoquer autre chose, et donc d’aller parfois utiliser le metal sur quelque chose de plus poétique, d’utiliser une sorte de masse sonore assez puissante pour donner quelque chose en plus au spectateur. En ce sens, il me semble que c’était Mario Duplantier qui en parlait pour l’album From Mars To Sirius de Gojira et qui disait qu’ils essayaient de montrer la beauté des choses à travers une musique violente. Je pense qu’inconsciemment il y a un peu de ça chez nous. Nous proposons une musique qui peut être brutale, mais qui ne l’est pas juste pour être brutale, avec un fond plus ambient, plus aérien.

Avec Les Maitres Du Silence, on décèle chez vous une intention de franchir un cap, par exemple en ayant fait appel à Magnus Lindberg de Cult Of Luna pour le mastering. Avez-vous eu la volonté de porter Përl encore plus loin avec cet album ? Y-a-t-il eu un investissement supplémentaire ?

Aline : Dans les choix des personnes avec qui nous avons travaillé, il n’y a pas forcément eu plus d’investissement de notre part que sur Luminance, puisque nous avons retravaillé avec les mêmes personnes. Sur Luminance, nous avions déjà travaillé avec Étienne Sarthou pour l’enregistrement et le mixage et nous avions aussi déjà travaillé avec Magnus Lindberg pour le mastering. Même R(a)ve, le premier album, l’enregistrement n’avait pas été fait par Étienne Sarthou, mais le masterising avait déjà été fait par Lindberg. Il faut savoir que nous sommes tous de grands fans de Cult Of Luna chez Përl. Je pense que je peux parler au nom de tout le monde, nous apprécions beaucoup son travail sur le son qui est très spatial, avec une manière de rendre les choses à la fois puissantes et grandiloquentes qui nous parle énormément. C’est pour ça que nous avons toujours fait le mastering avec lui. Depuis le temps, il commence à comprendre notre musique et nos intentions, de plus il a l’habitude de travailler avec les mix d’Étienne. Donc ça n’a pas forcément été un investissement supplémentaire, mais une envie de retravailler avec ces personnes-là qui pour nous avaient fait un travail remarquable sur Luminance. Par contre, il y a eu un investissement en plus sur le côté maturité. Clairement, nous voulions vraiment faire quelque chose de plus conséquent puisque Luminance est un album assez court. Nous avions presque hésité à l’appeler EP ou mini-album, on est un peu à la frontière en termes de temps. Cette fois, nous voulions faire un album plus conséquent, plus long, avec des morceaux qui renforcent l’assise de notre style, dire que Përl c’est ça, c’est vraiment notre identité, notre façon de composer, de créer. Même si c’était un gros travail, je pense que nous sommes contents et que nous avons bien réussi.

Combien de temps a duré ce processus pour le cycle d’écriture et d’enregistrement ?

Bastien : Facilement trois ans, je pense. Nous avons dû commencer à composer les premiers morceaux de l’album il y a trois ans. Nous avons enregistré en juillet-août 2020 et nous avons totalement achevé les compositions quelques mois avant, donc je pense que la composition de cet album nous a bien pris deux ans. Nous composons très lentement. Notre processus fonctionne ainsi : nous prenons un morceau, nous le travaillons jusqu’à ce que nous le considérions comme parfait. Nous ne fonctionnons pas en composant vingt titres et en gardant les huit meilleurs.

« Il y a cette envie que les gens se rendent compte qu’il y a dans ce rapport quelque chose de beau, de pur, d’essentiel, que nous sommes en train de le perdre, mais qu’il y a aussi quelque chose de très rude, parce que la nature est cruelle, elle reprend ses droits quoi qu’il arrive et elle ne réagit pas en demi-mesure. »

On entend assez rapidement différentes teintes, différentes émotions distinguables : désespoir, colère, mais parfois l’espoir. Y a-t-il un désir d’appuyer des ressentis et un certain panel de sentiments très variés sur cet opus en particulier ?

Aline : C’est une question difficile, mais oui. Je parle forcément de la musique, mais aussi dans les textes et la manière de les interpréter, j’avais vraiment envie, au niveau de la thématique et de la manière dont les choses ont été faites, que le thème tourne essentiellement autour de la nature et du rapport de l’homme au vivant. Je voulais montrer la complexité de ce rapport entre l’homme et ce vivant, autant le vivant au sens de nature, arbres, forêts, que le vivant animal. Forcément, pour montrer cette complexité il a fallu passer par beaucoup de choses, de processus artistiques mais aussi stylistiques en termes de texte. Il y a cette envie que les gens se rendent compte qu’il y a dans ce rapport quelque chose de beau, de pur, d’essentiel, que nous sommes en train de le perdre, mais qu’il y a aussi quelque chose de très rude, parce que la nature est cruelle, elle reprend ses droits quoi qu’il arrive et elle ne réagit pas en demi-mesure. C’est cette complexité des rapports avec la nature que je voulais faire ressortir musicalement et dans les textes au chant. Ça n’a pas été facile, mais je crois que nous avons réussi à le traduire.

Evoques-tu ce rapport au vivant et à la nature avec une part d’engagement ou pour exprimer des choses plus personnelles et métaphoriques, ou est-ce à prendre au premier degré ?

je pense qu’il y a toujours un peu quelque chose de personnel quand tu écris des textes, parce que forcément, tu poses ce que tu vois et ce que tu as envie de dire, et tu le transcris avec tes mots, avec ton langage. Il y a une pensée qui passe à travers ça. Après, j’ai une écriture très métaphorique. C’est-à-dire que même si nous pourrions avoir un discours engagé – je parle en mon nom, mais c’est aussi valable pour les autres membres du groupe, nous sommes très engagés pour la protection de l’environnement et de la nature –, ça n’est pas ma méthode d’écriture. Peut-être que ça, ce serait plus pour des gens comme Saez ou Noir Désir, et encore, ils peuvent aussi avoir des écritures métaphoriques aussi. Je passe souvent par la métaphore et la poésie. D’ailleurs, j’écris beaucoup de poésie en dehors des textes de Përl. L’écriture poétique fonctionne mieux chez moi que l’écriture engagée, et j’aime bien laisser à l’auditeur une part d’interprétation. Je trouve que c’est ce qui fait la richesse d’un texte. J’ai donc tendance à préférer passer par des images fortes.

Il y a un véritable travail pour rendre ces images et ces textes les plus intelligibles possible. T’inspires-tu du metal extrême pour travailler ton chant ou vas-tu vers des artistes de rock indé voire de chanson française ?

Au niveau du travail du chant, il y a eu plusieurs étapes chez moi. Lorsque je suis arrivée dans Përl, je ne devais même pas chanter. Je devais juste jouer de la guitare. J’ai eu le malheur de dire une fois en répète que je faisais des chœurs dans mon ancien groupe. À ce moment-là, nous avons commencé à faire des tests et visiblement je faisais le job, donc je suis devenue guitariste-chanteuse. Après, en termes de travail, j’ai d’abord beaucoup travaillé sur des méthodes de chant plutôt clair, assez classiques dans le sens où tu travailles avec des gammes, des pianos, pour travailler tout ce qui est la justesse, les notes, la clarté de la voix, pour maîtriser certaines tessitures, etc. J’ai beaucoup travaillé avec Audrey Henry, qui a bossé sur des projets comme Nehr ou La Nébuleuse D’Hima, elle a aussi tourné avec Jeanne Added. Elle m’a appris énormément de choses, mais c’était beaucoup sur le travail du chant clair.

Ensuite, j’ai justement voulu développer beaucoup plus le chant saturé, donc j’ai fait appel à une autre prof, Émilie Domergue, qui est aussi artiste et qui travaille sur un projet qui s’appelle Alone & Me. Avec elle, j’ai plus travaillé la saturation de la voix. Ce qui a été intéressant et complémentaire, c’est aussi qu’elle m’a appris à trouver ma voix, celle qui me correspond en fonction de mon timbre, la tessiture que je maîtrise, des notes que je suis capable de sortir ou pas, du chant saturé que j’ai ou pas. C’est vraiment elle qui m’a appris à trouver ça, à sortir ce que j’avais envie de faire sortir par rapport à mon identité et à mes messages. Ça a été un travail énorme et difficile, parce qu’il faut savoir qu’il y a beaucoup de psychologique dans le chant, car forcément, tu mets beaucoup de toi et de ta personnalité, ce sont tes textes, tes messages, c’est toi qui te retrouves en première ligne face à ton public. Surtout que je suis assez timide de base et pas toujours sociable aux premiers abords ; je me suis améliorée avec le temps, mais au début ça a été très difficile et je pense que ce travail-là a été essentiel pour moi, pour m’aider à trouver la voix qui me correspond et la manière de m’exprimer qui m’est propre sur scène. Je pense que ces deux artistes, Audrey Henry et Émilie Domergue, m’ont énormément apporté, une plus sur la technique plus classique et l’autre sur la personnalité du chant.

« Il y a beaucoup de psychologique dans le chant, car forcément, tu mets beaucoup de toi et de ta personnalité, ce sont tes textes, tes messages, c’est toi qui te retrouves en première ligne face à ton public. Surtout que je suis assez timide de base et pas toujours sociable aux premiers abords ; je me suis améliorée avec le temps, mais au début ça a été très difficile. »

Pour ce qui est de mes influences, j’en ai très peu de féminines en termes de chant, à part peut-être Faustine Berardo, mais je ne sais pas si je suis objective car nous sommes tous de grands fans de la Nébuleuse D’Hima et de Faustine dans le groupe… J’ai beaucoup de références masculines. Sur le chant clair, je suis une grande fan de Loïc Rossetti de The Ocean qui a un chant clair fabuleux et de Mikael Åkerfeldt d’Opeth qui a une des plus belles voix du metal, que ce soit en saturé ou en clair. Après, je sais, c’est une honte de le dire mais je l’avoue haut et fort, je suis une grande fan de Brian Molko de Placebo. Beaucoup de gens détestent sa voix, mais moi je l’adore. Je trouve que ce gars a une nostalgie et un côté très écorché, à vif, sans non plus hurler. Je trouve que ça voix est touchante. Ce sont surtout des chanteurs comme ça qui m’ont vraiment marquée, et évidemment tout ce travail avec deux profs différentes a été pour moi essentiel.

« Je Parle Au Sauvage » est incontestablement un hymne et peut-être votre hit discographique. Même s’il est très cohérent avec le concept général, il est un peu à part. Y a-t-il une histoire derrière ce morceau spécifiquement ?

Bastien : Il se trouve que nous fabriquons assez peu de morceaux en couplet/refrain/couplet/refrain, nous en avons toujours un ou deux par album, et il se trouve que sur cet album c’est ce titre. Nous n’avons jamais été très bons pour faire de bons refrains, donc je dois avouer que je suis moi-même assez étonné de l’efficacité que nous avons réussi à mettre sur ce titre. Des fois, ça ne s’explique pas trop.

Thibault : C’est vrai que nous nous sommes surpris nous-mêmes avec ce morceau. En répétition c’était presque une révélation : « Oh tiens, un vrai refrain ! » C’était presque surréaliste pour nous.

Pour vous, ça ne tient vraiment qu’au couplet/refrain ? Parce que je pense aux riffs aériens à la Alcest qui font qu’il y a quelque chose de très entêtant…

Bastien : Pour la petite histoire derrière, je suis un grand fan du groupe Mono, un groupe de post-rock qui utilise énormément ces mélodies de guitare qui restent dans la tête. Certes, je suis bassiste, mais j’aime faire des trucs très mélodiques à la basse, et sur l’album précédent, j’avais un peu abusé de ces espèces de grandes lignes mélodiques à la basse. Mes deux compères ont essayé de me calmer un peu sur cet album, donc j’ai moins de lignes mélodiques pleines de reverb et d’échos, et une des rares qui ont à peu près réussi à survivre à ce processus créatif, c’est celle du refrain de « Je Parle Au Sauvage », dont je suis assez content.

Aline : C’est-à-dire qu’elle était tellement évocatrice et elle sonnait tellement comme un hymne que nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas la lui retirer. D’accord, ça fait très Mono, ça fait Alcest, mais elle sonne quand même vachement bien !

Thibault : Et d’ailleurs, en studio, au début Étienne n’était pas très pour garder cette ligne de basse.

Bastien : Il m’avait dit : « Un bassiste, ça fait des lignes de basse, ça ne fait pas des lignes mélodiques. Mec, tu vas me faire une ligne de basse sur ce refrain ! » J’ai donc fait une ligne de basse et après, j’ai dit : « Par contre, on va quand même coller la ligne mélodique par-dessus. » Il m’a dit que ça ne marcherait jamais, j’essaie, on enregistre, il me regarde et me fait : « Putain, je ne comprends pas pourquoi, mais ça marche ! » [Rires]

Aline : Après oui, ce n’est quand même pas qu’une histoire de couplet/refrain, ça va un peu plus loin que ça. Même dans le texte il y a un côté très… j’ai presque envie de dire épique. Le côté « Je ne m’avouerai jamais vaincu » résonne un peu comme un slogan épique, comme pour dire qu’il ne faut pas se laisser abattre, que le sauvage est toujours là et qu’il faut continuer à garder ce lien intime avec la nature et le vivant.

« Le côté ‘Je ne m’avouerai jamais vaincu’ résonne un peu comme un slogan épique, comme pour dire qu’il ne faut pas se laisser abattre, que le sauvage est toujours là et qu’il faut continuer à garder ce lien intime avec la nature et le vivant. »

S’il y a des côtés très aériens dans votre musique, et malgré le côté étendu du son, on a l’impression que vous voulez quand même garder votre auditeur dans un cercle clos, une certaine intimité, un peu comme peut le faire Amenra…

Bastien : Nous sommes un trio et donc nous essayons dans la mesure du possible de garder un peu cette idée de sonner comme un trio. Bien sûr, sur le processus d’enregistrement, nous nous retrouvons avec certaines parties où il y a trois guitares qui s’empilent, mais je pense que le fait de se limiter à un nombre assez réduit d’instruments, contrairement à Cult Of Luna où ils doivent être neuf ou dix à jouer en même temps sur un album, ça joue sur le côté plutôt intimiste. J’aime à penser aussi que la production d’Étienne, qui a quand même un peu ce côté néo-metal à l’ancienne, joue dans ce sens-là potentiellement.

Aline : Ça me fait toujours plaisir quand on compare Përl à du Amenra, parce que je suis une grande fan d’Amenra. C’est peut-être pour ça qu’inconsciemment, certains passages peuvent y faire penser, dans ma manière de chanter ou de composer certaines parties de guitare. Il y a quelques éléments qui peuvent faire référence à ça. Ce que j’aime chez Amenra, en live comme sur leurs albums, c’est que c’est aussi un groupe de contrastes. Ils ont des passages très violents, très noirs, avec un son hyper écrasant, et par moments, tu vas retrouver une espèce d’intimité où t’as l’impression que le chanteur est assis dans un petit coin juste éclairé par une bougie avec un petit micro, j’aime beaucoup ce côté-là, parce que sur leurs passages clairs, ils ont une espèce d’aura et de délicatesse. Il y a de la délicatesse chez Amenra, ce qui est bizarre, parce que quand tu parles d’Amenra, beaucoup de gens diront que c’est violent. Il y a des passages super brutaux, mais en même temps, malgré leur violence, c’est un groupe qui a énormément de délicatesse.

Je suis même tenté de te demander s’il n’y aurait pas un hommage à un moment donné, puisque tu parles de ta désespérance sur « Varulv ». C’est repris de l’album d’Amenra Mass VI ?

Sur le coup, ça n’était pas vraiment voulu. J’ai écrit mon texte et c’est quand j’ai commencé à le chanter et à bien le placer au chant que je me suis dit : « Mais en fait, c’est complètement Amenra ! » J’ai commencé à me dire moi-même qu’on allait prendre ça pour du plagiat. Je ne l’ai pas changé, parce que malgré tout, ça allait très bien dans le morceau et avec le texte, et si c’était là, c’est que ça devait être là. Je pense qu’inconsciemment, il y a forcément une part d’Amenra qui s’est incrustée là-dedans, parce que ça y ressemble énormément, je suis d’accord avec toi.

Bastien : Je pense que comme la musique derrière est aussi très lente, très lourde, on l’entend clairement. Nous nous sommes effectivement dit que ça faisait vraiment Amenra, mais ça marche tellement bien que nous n’avons pas pu le virer. Au bout d’un moment c’est un peu le jeu, nous avons tellement d’influences que tu peux t’amuser à dire : « Ah mais tiens là il y a du Amenra, là il y a du Opeth, sur ce passage-là on va se retrouver avec un truc qui n’a rien à voir… »

Ce qui marche bien chez Amenra et qui marche très bien chez Përl sur cet album, ce sont les cassures qui sont propres au post-hardcore…

Thibaul : C’était complètement inconscient aussi, peut-être que quelqu’un me contredira, mais je n’ai pas le souvenir que nous ayons pensé ça.

Bastien : Pour moi, c’est le retour du clair-obscur que nous avons évoqué au début, c’est-à-dire qu’il y a clairement quelques passages très calmes que nous avons composés en répétition… Typiquement, le démarrage black metal de « Varulv », Aline a composé l’arpège et là, nous nous sommes dit qu’il fallait qu’il n’y ait rien là-dessus et que ça parte à fond. De mon côté en tout cas, je dirais que les redémarrages metal extrême après les passages calmes étaient très pensés.

« Ça me fait toujours plaisir quand on compare Përl à du Amenra, parce que je suis une grande fan d’Amenra. C’est peut-être pour ça qu’inconsciemment, certains passages peuvent y faire penser, dans ma manière de chanter ou de composer certaines parties de guitare. »

Il y a aussi quelques apports ambient et un peu électroniques. Comment avez-vous pensé et greffé ça au reste ?

Aline : C’est de ma faute ! J me suis mise à écouter de l’électro et puis je me suis dit : « Tiens et si j’allais m’amuser avec des modulaires, parce que je trouve ça vachement marrant de faire des gros sons de basse bien cradingues ! » J’ai de nombreuses influences électro, je suis une grande fan de la techno berlinoise, avec des sons un peu indus, agressifs et froids, les machines ça m’amuse beaucoup et depuis quelque temps, je me suis mise un peu au modulaire. Il y a en effet deux morceaux de Përl dans lesquels tu en retrouves, et j’en suis contente car je trouve qu’ils apportent quelque chose en plus, une aura particulière à ces morceaux que je trouve intéressante. Sur d’autres parties électro, je pense que ça s’est plus pensé en production, notamment sur les percussions de Thibault. Quand nous avons fait les enregistrements, il y a eu les prises batteries acoustiques, mais quand nous avons enregistré les grattes et les basses et que nous avons commencé à mixer en même temps avec Étienne, à certains moments nous avons pensé qu’il fallait un truc électro sur tel passage. Ca répondait à une dynamique dans le morceau, mais je trouve que ça va bien aussi avec notre style. Comme nous le disions, nous avons une part de rock indé et beaucoup de groupes de rock indé ont ce type d’ajouts-là, par exemple – Thibault et Bastien ne me contrediront sans doute pas – je pense à des groupes comme Warpaint qui ont des sons un peu pop, rock, électro, avec des chœurs, plein de reverb, etc. Ce sont vraiment des idées qui sont sorties en prod quand nous avons pensé : « Mais en fait, là, mettre un sample ou une percussion un peu électro ce serait génial. »

Et ça contribue à l’aspect contemplatif dont on parlait tout à l’heure. Cet aspect, vous le développez aussi avec un shamisen, un instrument traditionnel japonais, manipulé par Guillaume Fiat. Comment en êtes-vous arrivés à collaborer ensemble et à ajouter cet instrument ?

Bastien : Quand nous avons composé le morceau, nous avons obtenu ce passage très aérien à la Alcest, et nous nous sommes dit qu’il nous fallait un solo de quelque chose, mais nous ne sommes pas des musiciens qui jouent des solos, il n’y a jamais de solo dans nos morceaux. Nous nous sommes dit que nous aimerions bien en voir un ici et en profiter pour avoir un invité en allant chercher un autre instrument. Nous nous sommes posé la question de ce que nous entendrions, peut-être pas du saxophone, à la limite du violon… Nous connaissions bien Guillaume, qui jouait du shamisen dans G.Nova ou maintenant dans Gaïdjinn. Nous nous sommes dit que nous allions tenter le coup. Nous ne savions pas du tout à quel point il était possible de ramener cet instrument sans avoir tout cet univers japonisant qui envahit le morceau. Nous nous sommes dit : « C’est un défi, on tente le shamisen. On va voir si ça s’incruste, on va voir si ça fait complètement tache », et au final nous sommes très contents du choix.

Autre collaboration : il s’agit de Raphaëlle Monvoisin pour l’artwork, un choix très cohérent avec le concept évoqué tout à l’heure et qui peut évoquer un conte sur la nature. Quel était l’effet recherché ?

Thibault : Nous recherchions quelque chose qui soit assez minimaliste, tout en restant expressif et poétique. Nous étions à la recherche d’un illustrateur ou d’une illustratrice, et c’est Anaïs Novembre, qui a réalisé les clips de « Je Parle Au Sauvage » et « Séléné », qui nous a suggéré de travailler avec Raphaëlle Monvoisin.

Bastien : Nous avons toujours été attachés à l’idée d’avoir un artwork dessiné et d’aller trouver des illustrateurs avec un univers assez fort. Raphaëlle est photographe, elle fait des photos magnifiques qui correspondent parfaitement au type d’ambiance que nous voulons, mais elle fait aussi des aquarelles. Son style principal fait, comme tu le dis, presque penser aux contes pour enfants, et donc nous étions curieux de voir si elle parviendrait à mélanger l’ambiance qu’elle arrive à retranscrire dans ses photos à la technique de l’aquarelle qu’elle maîtrise totalement. Nous lui avons fait écouter l’album et donné quelques pistes – l’idée des arbres et des animaux. Elle est immédiatement revenue vers nous avec deux croquis, dont le croquis final, avec une première version en noir et blanc qui était vraiment jolie, puis une version en couleurs qui était encore plus belle. Elle a vraiment réussi à comprendre l’univers de l’album et à le retranscrire en aquarelle.

Pour finir, on va parler du live. C’est forcément délicat, mais la situation commence à se décanter. Si j’ai bien compris, vous avez un guitariste supplémentaire pour le live et un ingénieur lumière. Comment envisagez-vous l’évolution scénique de Përl ? En regardant par exemple la vidéo live de « L'(h)être Balafré », on a l’impression que la place du corps et des gestuelles corporelles est assez importante – on peut encore penser à Amenra, mais aussi à Brutus ou Obscure Sphinx…

Thibault : Personnellement, si on me parle du jeu de scène, je dirai que je ne suis pas du tout inspiré par la scène post-metal ou post-hardcore. Je suis plutôt à l’ancienne, sur le côté un peu jeu hard rock, un peu plus spectacle à ce niveau. Néanmoins, aujourd’hui, je tente de changer un peu mon rapport à la scène en m’inspirant d’autres arts comme la danse par exemple.

« Les lumières ont une place tellement importante dans le spectacle, pour générer certaines émotions et certaines ambiances avec la musique, que nous avions envie que cet ingénieur lumière devienne un membre du groupe à part entière qui rentre dans le concept musical. C’est pour cette raison que nous avons décidé de le mettre avec nous sur scène. »

Aline : Sur scène, nous sommes attachés à donner des prestations scéniques à la fois intéressantes et originales. Je pense que nous voulons toucher et maquer le public, donc c’est quelque chose sur lequel nous travaillons énormément. Nous sommes très attachés au jeu de scène mais aussi aux lumières, et comme tu l’as dit, nous avons un ingénieur lumière, Yannick Lacombe, qui nous suit maintenant, et que nous avons décidé de mettre avec nous sur scène pour les prochains concerts. Nous estimons que les lumières ont une place tellement importante dans le spectacle, pour générer certaines émotions et certaines ambiances avec la musique, que nous avions envie que cet ingénieur lumière devienne un membre du groupe à part entière qui rentre dans le concept musical. C’est pour cette raison que nous avons décidé de le mettre avec nous sur scène, pour montrer qu’il contribue au groupe et à sa prestation.

Bastien : Nous avons en fait une vision des lumières pour le groupe qui est très théâtrale. Beaucoup de groupes de post vont uniquement jouer avec des lumières en contre, tu ne vas pas voir leur visage, seulement des silhouettes ou des ombres. C’est vrai que nous considérons que pour faire passer des émotions, il faut que le public arrive à nous distinguer, mais être totalement baigné dans la lumière casserait ce côté clair-obscur de la musique. Donc nous jouons avec des lumières qui éclairent les visages mais avec beaucoup d’ombre. Le coup d’avoir l’ingénieur lumière sur scène, c’était un choix pragmatique que nous avons fait sur notre dernière tournée, parce qu’il y a quelques fois où il était impossible de le mettre en dehors de la scène, et finalement nous nous sommes aperçus qu’il bougeait très bien ! Il nous suit depuis longtemps, nous aimons bien dire que c’est le quatrième membre du groupe, peut-être même plus que le guitariste live, et nous avons commencé à travailler sur tout un concept qu’on commence à apercevoir dans la vidéo de « L'(h)être Balafré » dans laquelle il fait du contrôle des lumières par les gestes. Ça amène un aspect visuel supplémentaire à cette idée contre-intuitive de mettre sur scène un musicien qui ne joue pas de la musique mais qui joue de la lumière. Je le décrirais un peu comme notre light shaman.

Thibault : D’ailleurs, il utilise un instrument pour contrôler la lumière, à savoir le theremin. C’était une idée de Bastien.

Aline : Pour continuer sur cette question de prestation scénique, un petit focus sur le guitariste live quand même, parce qu’il a aussi droit à son moment de gloire : il s’appelle Chris Kilin, il est musicien de métier, il est prof de guitare si je ne dis pas de bêtises. A la base, j’assurais chant et guitare en permanence sur scène, mais nous avions la sensation qu’en devant m’occuper de la guitare – sachant qu’il y a pas mal de choses à gérer, il y a beaucoup d’effets, de changements à faire, parfois il y a même des boucles, etc. – j’y perdais au niveau interaction et communication avec le public. Sur le jeu de scène, plein de choses se perdaient, c’était dommage, donc je me suis décidée à dire : « Écoutez, on prend un guitariste live, comme ça, ça me soulage sur les parties guitare et je vais pouvoir m’occuper un peu plus des lignes de chant et retrouver ce jeu avec le public, cette communication avec les auditeurs. » Bon, maintenant je me retrouve à faire du chant, des guitares supplémentaires et des machines, donc je ne sais pas si au final ça n’a pas été le serpent qui se mord la queue, mais comme j’ai pas mal de parties instrumentales allégées sur scène et que je reste essentiellement au chant sur beaucoup de passages, ça reste une plus-value aussi bien en termes de son que de jeu de scène et de communication avec le public.

Avez-vous avez des pistes de tournées pour la suite ou est-ce en pourparlers ?

Nous avons des projets, qui seront bientôt en pourparlers. Ça reste très compliqué pour l’instant, car beaucoup de salles sont fermées et ne programment pas encore, et celles qui ont déjà lancé leur programmation ne font que reporter les dates des mois passés sur les mois à venir. Sinon, dans les projets que nous aimerions boucler, ça serait de faire une tournée à l’automne, parce que nous aimerions pouvoir défendre Les Maitres Du Silence sur scène comme il se doit. Nous avons fait une belle résidence pour pouvoir le défendre sur scène. Il y a aussi une release party en région parisienne pour, nous l’espérons, pouvoir jouer l’album en intégralité et en exclusivité. Après, le live va se reconstruire au fur et à mesure, mais pour l’instant, c’est compliqué d’avoir des projets très définis.

Bastien : Nous sommes ouverts à toutes les propositions !

Interview réalisée par téléphone le 12 mai 2021 par Jean-Florian Garel.
Retranscription : Romane Poupelin.
Photos : Elise Diederich.

Facebook officiel de Përl : www.facebook.com/perl.fr

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