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Interview   

Pestilence : électron libre du death metal


Le second coup d’arrêt de Pestilence n’aura finalement pas duré aussi longtemps que le premier : à peine plus de deux ans se sont écoulés avant que le leader Patrick Mameli n’annonce la reprise des activités du groupe. Il aura tout de même encore fallu un an supplémentaire avant que la formation d’origine hollandaise ne stabilise son line-up, à nouveau totalement renouvelé, avec pour seule constante Mameli, la tête pensant et garant de la fibre artistique de Pestilence.

Et c’est cette fibre, intacte, que l’on retrouve dans le nouvel opus Hadeon, originellement composé pour un autre projet avant d’être transvasé. Plus encore, Mameli a pour l’occasion abandonné les accordages ultra-graves des guitares huit-cordes pour un rendu qui devrait satisfaire les anciens fans. Ce sont donc tous ces sujets, avec quelques détours, notamment du côté de la science, que nous abordons en profondeur avec un Mameli sans langue de bois et avec un brin de ce que certains pourraient prendre pour de l’arrogance, quand lui y voit sans doute de la détermination et une vision artistique.

« Il semblerait que nombre des fans old school sont uniquement intéressés par le second et troisième album. […] Ça peut être une bénédiction mais ça peut aussi être une malédiction si tu n’es pas prêt, comme c’était mon cas, à faire les jukebox, qui jouent tout le temps des vieux succès. »

Radio Metal : En juillet 2014, tu as annoncé que Pestilence n’était « plus actif pour enregistrer de la nouvelle musique » et qu’il était « en suspens de façon permanente » car tu voulais te « concentrer entièrement sur [ton] nouveau projet Necromorph. » Peux-tu nous expliquer les circonstances de cette décision à l’époque, moins d’un an après la sortie d’Obsideo ?

Patrick Mameli (guitare & chant) : Ce n’est pas tellement différent du premier arrêt que nous avons eu. C’est complètement lié à la situation financière du groupe. S’il n’y a pas de revenus et que nous devons investir de l’argent de notre poche, et que les maisons de disques ne nous soutiennent pas pour tourner et ce genre de choses, il n’y a rien que nous puissions faire. Je veux dire, qui va payer mes factures dans ce cas ? C’est un problème récurrent avec plein de groupes quand ils veulent en vivre. Je veux dire que si tu as un boulot à côté, ça ne pose pas de problèmes, mais si tu veux vivre de la musique et avoir un revenu convenable, il faut soit que tu joues 365 jours par an pour y parvenir, et donc être loin de chez toi pendant très longtemps, soit prendre un boulot principal à côté, ou bien arrêter. Donc, c’est ce que j’ai fait, j’ai arrêté.

Dans ton communiqué, tu disais que tu allais te concentrer sur Neuromorph (anciennement Necromorph, NDLR). Pour autant, tu n’allais pas être davantage rémunéré avec ça…

Je savais que je n’allais pas gagner d’argent avec Neuromorph, donc je le faisais comme un hobby, pour mon propre plaisir, pas pour faire perdurer le nom légendaire de Pestilence. Je le faisais juste pour moi, et si ça intéressait quelqu’un, nous allions probablement enregistrer quelque chose, en faisant tout nous-mêmes ou peut-être en passant par du financement participatif ou quelque chose comme ça. Ce n’est pas rare ces dernières années, même les plus grands noms font appel au financement participatif pour concrétiser un projet, donc voilà comment c’est venu. Lorsque j’ai été contacté par Guido [Heijnens], de Hammerheart Records, au départ j’étais un peu hésitant, car il voulait ressortir les premiers albums de Pestilence, et moi je voulais enregistrer un autre de mes projets, qui s’appelle Moordzucht. J’ai aussi envoyé aux grands noms de l’industrie du disque les fichiers de ma nouvelle musique, et ils ne pouvaient tout simplement pas m’offrir ce dont j’avais besoin, et ensuite Guido m’a contacté, il m’a dit que la musique était très solide mais qu’il préfèrerait la sortir sous le nom de Pestilence, car ça sonnait vraiment comme Pestilence. Donc pour moi, c’était logique de continuer, mais pour ça, ce contrat était conditionné par certaines exigences de ma part. Donc j’ai pu obtenir un très bon deal. Enfin, ce n’est pas le plus gros des labels, mais je ne veux justement pas être sur le plus gros des labels. Je ne veux pas être un des cinquante groupes de leur écurie et devoir attendre avant de pouvoir enregistrer et sortir un autre album. J’ai eu mon lot de galères avec Roadrunner / Roadracer et tous les autres avec qui j’ai travaillé par le passé.

Au final, qu’est-il arrivé à Neuromorph et son album Synaptic ? Aux dernières nouvelles, tu avais signé sur un label et avait même publié une tracklist en mars 2017…

Neuromoph est toujours d’actualité, mais la musique est assez complexe, et ça prend un peu de temps à composer de la bonne musique dans ce style, donc je ne veux pas presser les choses, et maintenant Pestilence est à nouveau actif, donc je me focalise vraiment sur ma principale source de revenu, c’est-à-dire Pestilence pour le moment. Mais la tracklist existe toujours, ainsi que les riffs et les mélodies. Il faut juste que je rassemble tout ça, et peut-être même que je pourrais le sortir sur Hammerheart Records ; je ne sais pas si ça les intéresse. Mais il y aussi toujours Moordzucht que je vais continuer à faire. Ça va légèrement changer de style, ce sera un peu plus brutal grind, donc ce sera vraiment très rapide, et très heavy, ça va tabasser. Pour ce projet, j’ai Adrie Kloosterwaard, de Sinister, au chant. Donc ça devrait être intéressant.

Tu as dit que tu allais faire Neuromorph comme un hobby, pour ton propre plaisir. Mais ne pouvais-tu justement pas faire ça avec Pestilence au lieu d’arrêter ?

Le truc avec Pestilence, c’est que j’ai toujours essayé de suivre mon propre chemin, et il semblerait que nombre des fans old school sont uniquement intéressés par le second et troisième album. Pour un musicien, ça peut être une bénédiction si tu n’as pas d’autre ambition que de jouer ces chansons pour le restant de tes jours, mais si tu veux étendre ton horizon, essayer d’être un meilleur musicien et faire d’autres trucs, comme je l’ai fait avec Pestilence, faire des choses comme Spheres et Resurrection… Honnêtement, tous ces albums sont très similaires, après Testimony, sauf peut-être pour Spheres, à cause du son, mais le riffing et mon approche de ce que j’estime être une chanson n’a pas changé. Même sur le nouvel album, je continue à suivre la même formule. Lorsque tu écoutes un album de Pestilence, peu importe lequel il s’agit, tu entends automatiquement que c’est Pestilence, c’est ma marque de fabrique dans les riffs, c’est aussi évident que ça. Donc ça peut être une bénédiction mais ça peut aussi être une malédiction si tu n’es pas prêt, comme c’était mon cas, à faire les jukebox, qui jouent tout le temps des vieux succès. Je ne voulais simplement plus faire ça.

J’ai donc essayé d’étendre mon horizon au sein du format de Pestilence, et c’est pourquoi Pestilence, encore à ce jour, n’a pas eu le même succès que certains plus gros groupes, comme Cannibal Corpse par exemple. Il faut comprendre que Pestilence, à un moment donné, lorsque Testimony et Consuming sont sortis, était plus gros que Cannibal Corpse. Ils ouvraient pour nous. Mais le truc, c’est que les vieux fans réclament un certain style, et si tu fais autre chose, souvent, ils ne sont pas prêts à l’accepter. Il y a un certain nombre d’émotions qui viennent à l’esprit quand ce genre de choses se produit. Tout d’abord, tu ne gagnes pas d’argent. Tu essayes de faire quelque chose de nouveau, sortir un nouvel album, que ce soit Resurrection, Doctrine ou Obsideo, peu importe, et ces fans ne font que hurler « Out Of The Body », et peut-être « Dehydrated », et « Chronic Infection », et « Land Of Tears », et « Twisted Truth ». Je peux comprendre les fans, mais il faut aussi essayer de voir ça sous l’angle du musicien. Tu ne peux pas toujours ne jouer que ces chansons, car autrement les promoteurs ne te prendront plus. Ils veulent pouvoir présenter quelque chose de nouveau. Si je suis toujours là sur scène avec les mêmes chansons, alors au bout d’un moment je ne gagnerais plus du tout d’argent. Ce serait fini. Il faut être honnête, j’ai des factures à payer !

« Je me demande vraiment combien de gens qui jouent du death technique ont réellement une compréhension profonde d’un instrument de musique. Est-ce qu’ils connaissent les gammes et accords ? Est-ce qu’ils connaissent les différents modes ? Est-ce qu’ils connaissent tout ça ? Si oui, alors pourquoi est-ce qu’ils jouent de la musique de cinglé ? »

Tu es désillusionné que les gens ne veulent entendre que le second et troisième album ?

Essaye de te mettre à ma place : Si je dois jouer des chansons que j’ai enregistrées il y a vingt-cinq ans, et ensuite j’ai enregistré de la musique que je trouve aussi bonne voire meilleure, et les gens ne font que la comparer à ces deux albums, ce n’est pas très juste, n’est-ce pas ? C’est ça que je veux dire. S’il y a tous ces facteurs, le fait de ne pas gagner d’argent, ne pas avoir de soutien pour les tournées et les fans qui ne veulent que ces chansons, ça peut devenir frustrant. Voilà pourquoi j’ai arrêté deux fois. On dit que la troisième fois est la bonne, alors espérons que ce soit ainsi. Je ne m’énerve pas facilement, mais lorsque je m’énerve, je prends des décisions très rudes, et c’est comme ça que je suis. Je mets mon cœur et mon âme en créant de la nouvelle musique et donnant aux gens de la bonne musique, et lorsqu’il n’y a pas de croissance, pas de tentative de sortir des… Enfin, allez ! Regarde ce qui se passe aujourd’hui dans la scène metal ! Le death metal n’est qu’un petit composant aujourd’hui, c’est un petit truc. Il y a tous ces autres styles qui sortent. Alors il reste quoi à écouter qui soit vraiment, vraiment bon ? Il y a des tonnes de groupes, et tout le monde essaye de faire de son mieux, mais de nos jours, il n’y a que des blast beats, il faut être plus rapide que tous les autres et essayer d’être technique, il n’y a plus de structure dans les chansons, c’est n’importe quoi ! C’est pour ça que j’essaie toujours de mettre autant de cœur et d’âme dans la musique de Pestilence, et je dois comprendre que j’ai intérêt à faire de bonnes chansons, car je vais devoir jouer ces chansons pendant longtemps. Mais c’est là que les gens les comparent aux second et troisième albums, et ils n’ont même pas l’esprit ouvert pour écouter les albums plus récents. Car je trouve qu’Obsideo défonce vraiment, c’est un album génial ! Mais nous étions signés sur Candlelight et ils étaient fauchés, ils ne pouvaient pas lui fournir suffisamment de publicité, d’interviews, de soutien en tournée, et ce genre de choses pour que nous puissions partir sur les routes. C’est encore une fois comme Roadrunner, ils ont merdé avec nous, et ensuite nous étions dans la merde !

D’un autre côté, sur la tournée actuelle, vous ne jouez que des vieilles chansons…

Oui, c’est vrai, parce que dans le deal que j’ai signé avec Hammerheart, je leur permettais de ressortir les quatre premiers albums, et avec ça venait une tournée, car c’était une nouvelle sortie. Après ceci, Hadeon sera l’attention principale du groupe. Donc à ce moment-là nous tournerons pour le soutenir. Maintenant, nous avons tout une équipe de production, et nous avons un management et un tourneur derrière nous qui planifient des choses pour cinq ans, au lieu de dire : « On investit de l’argent dans le groupe et on voit ce qu’il se passe. » En tant que musicien, il faut être heureux et ne pas s’inquiéter de gagner de l’argent, ou faire ceci ou cela. Il faut juste se focaliser sur la musique, qui est la partie la plus importante. Mais lorsque l’aspect business débarque, prend le dessus et devient le plus dominant, alors ça retire tout le plaisir de la musique. Maintenant j’ai un nouveau contrat de maison de disque, je gagne enfin de l’argent. J’ai cinquante ans, et il m’a fallu cinquante ans pour gagner de l’argent, c’est incroyable ! Pour tous ces albums que j’ai vendu, comme Testimony, Roadrunner me doit encore énormément d’argent pour des royalties pour vingt-neuf ans… Mais ils se sont faits avalés par Warner Music, et ils n’ont plus les comptes, donc ils ne savent rien.

Maintenant, les rééditions remportent un grand succès, et c’est pour ça que nous faisons une tournée. Je suis un peu plus heureux de la situation actuelle, et donc je peux plus facilement apprécier les anciens morceaux. Tu n’entends personne réclamer ces vieilles chansons, parce qu’ils savent que nous allons quoi qu’il arrive les jouer. Quand tu as une setlist old school, les gens s’attendent à ces vieilles chansons. C’est assez bien d’avoir quatre chansons de chaque album, y compris quatre chansons de Malleus. Nous n’avons pas joué ces chansons depuis des années, et avec ce nouveau line-up, ça sonne incroyable. Ma voix est super. L’harmonie au sein du groupe est géniale. La maestria musicale de ces mecs est… Je dois dire, je crois que ce n’est pas loin d’être le meilleur line-up que nous ayons eu jusqu’à présent. J’ai toujours essayé de faire de mon mieux pour rassembler autour de moi les meilleurs musiciens pour transcrire ma musique.

En parlant de line-up, Hadeon est votre premier album depuis Malleus Maleficarum, le premier, sans Patrick Uterwijk. Il n’était pas intéressé par ce retour ou bien c’était plutôt ta décision ?

C’était avant que je ne signe chez Hammerheart. Nous étions supposés faire quelques concerts au Mexique, et j’ai demandé à Patrick s’il était partant, et il a dit qu’il en avait marre de tourner. Il ne voulait plus le faire. Il était fatigué dans son corps et son esprit. Il voulait juste prendre un break, et je l’ai respecté. Voilà comment ça s’est passé.

Le bassiste Tony Choy était originellement annoncé comme faisant partie du nouveau line-up avant d’être remplacé par Tilen Hudrap. Tony a fait partie du groupe à divers moments mais n’est jamais resté très longtemps. Comment expliquer que tu reviennes toujours vers lui mais que, au final, la collaboration ne dure jamais ?

Ce n’est pas comme si je venais toujours le chercher. Dès que je recherche un bassiste, automatiquement il en entend parler sur internet, et ensuite il me contacte et me convainc à chaque fois que cette fois ce sera mieux. Mais tout se résume à une question d’argent. Il n’est pas possible qu’un bassiste prenne le plus d’argent dans le groupe. Il réclamait une somme ridicule et je ne pouvais pas lui payer cette somme. Je ne pouvais déjà pas lui payer cette somme après Resurrection. Si l’argent vient avant l’effort, je dirais non. Tu peux dire qu’il est trop cher, mais tu peux aussi dire qu’il est trop cupide, il veut trop d’argent. Ce qui est dingue, parce que le bassiste n’est pas Pestilence. Il fait partie du groupe, il ne peut pas être le principal capteur de revenus et le reste du groupe se retrouve sans argent parce que Tony Choy a un nom important. Bon, ouais, il a joué dans Atheist et il a joué dans Cynic, et après ça, qu’est-ce qu’il a fait ? Synkronizity, peut-être ? Il croit que son nom est plus grand que tout !

« Si tu joues des riffs comme Pestilence le fait sur une huit-cordes, c’est très difficile. C’est plus difficile que, par exemple, ce que fait Meshuggah qui utilise cette corde basse pour faire de la polyrythmie. C’est un style, mais ce n’est pas faire de la musique. »

Le guitariste Santiago Dobles a également été annoncé dans le line-up, et en l’occurrence il a enregistré des solos sur Hadeon. Mais il a fini par partir en novembre de l’année dernière, avant que l’album ne soit sorti – même si tu n’as pas fermé la porte à des apparitions de sa part sur des enregistrements futurs. Du coup, pourquoi ne pouvait-il pas rester dans le groupe ? Sa présence était une bonne nouvelle pour tous les fans de death technique…

Je ne sais pas si c’est une très bonne nouvelle, car Pestilence est Pestilence. Nous ne serons jamais un groupe de death ultra technique. Nous sommes toujours Pestilence, donc tous ceux qui intègrent le groupe Pestilence doivent se conformer au style du groupe, afin de rester fidèle au style de Pestilence. Ça vaut aussi pour Iron Maiden, Judas Priest, AC/DC et tous ces groupes qui ont un style particulier. Pour les parties rythmiques, tout a été enregistré par moi, donc ça c’était déjà là. Il n’a fait qu’enregistrer les leads par-dessus ma musique. Il a fait du très bon boulot, je dois dire, mais lorsqu’est venu la question financière, là encore c’était un problème. Nous n’avions pas les moyens de payer ce qu’il réclamait. Il a des enfants, il a une famille, et il doit prendre congé de son boulot, de ses cours – il donne des cours de combat -, et probablement qu’il se fait trop d’argent avec ses revenus en Amérique. Nous ne pouvions pas le payer autant. Au final, je ne peux pas mettre le groupe en faillite pour une personne, car ce serait la fin. Mais Santiago et moi sommes toujours en bons termes, donc je n’ai rien de mal à dire à son sujet, il a toujours été très bienveillant à mon égard, mais là c’est juste le côté business de la chose.

Pestilence a toujours été catégorisé dans le death metal technique, mais à la fois, comme tu viens de le dire, vous n’avez jamais été un groupe de death metal technique typique. Penses-tu qu’il y a une incompréhension ou une idée fausse au sujet de ce qu’est Pestilence ?

Assurément. Je pense que c’est juste parce que les gens essaient de catégoriser le groupe. On nous a placé dans la catégorie du death technique parce que lorsque nous étions en train de devenir populaire, c’était en même temps que Atheist et Cynic le devenaient également, donc évidemment les gens ont établi, juste parce que nous trainons ensemble et nous nous connaissons, que nous faisons partie du même groupe, du même style. Mais Pestilence a toujours été Pestilence. Je n’ai jamais prétendu être plus death technique, ou quoi, que n’importe quel autre groupe. Je veux dire que ce n’est pas ça qui nous définit. En fait, ce n’est pas ce qui m’intéresse. J’ai juste envie de créer de bonnes chansons, ou ce que je crois être une bonne chanson. Un tas de gens apprécient, et d’autres n’apprécient pas, ce n’est pas un problème pour moi. Mais il faut vraiment comprendre la musique pour pouvoir comprendre ce que j’essaie de dire, car être technique ne signifie pas mettre un millions de riffs et de mesures asymétriques dans une chanson et ensuite jouer ces trucs, et apprendre ces parties, et ensuite considérer que c’est très technique. Ce n’est pas ça la technicité. Allez, ce sont des conneries ! Je me demande vraiment combien de gens qui jouent du death technique ont réellement une compréhension profonde d’un instrument de musique. Est-ce qu’ils connaissent les gammes et accords ? Est-ce qu’ils connaissent les différents modes ? Est-ce qu’ils connaissent tout ça ? Si oui, alors pourquoi est-ce qu’ils jouent de la musique de cinglé ?

L’un des changements majeurs dans Hadeon est que tu as arrêté de jouer de la guitare sept et huit cordes pour revenir à la six-cordes. As-tu l’impression d’avoir exploré tout ce que tu pouvais explorer sous ta perspective avec ces instruments accordés très bas ?

Je cherchais un nouveau coup de fouet. Soit dit en passant, je n’ai jamais joué de sept-cordes. Je ne comprends pas comment cette idée est venue. Probablement que quelqu’un a dit quelque chose à un moment donné, et ensuite les réseaux sociaux étaient là « d’accord, il jouait de la sept-cordes », mais je n’ai jamais joué de sept-cordes. Je suis directement passé à la huit-cordes. Mon approche de la huit-cordes était que je voulais la jouer comme si c’était une six-cordes normale. Ce qui signifie vraiment jouer des riffs sur la huit-cordes. Maintenant, si tu joues des riffs comme Pestilence le fait sur une huit-cordes, c’est très difficile. C’est plus difficile que, par exemple, ce que fait Meshuggah qui utilise cette corde basse pour faire de la polyrythmie. C’est pareil avec la musique djent. Pour moi, c’est un style, mais ce n’est pas faire de la musique. C’est juste essayer d’être rythmique, et ceci n’a rien à voir avec le fait de faire de la musique. La musique, c’est de la mélodie et une structure. J’étais donc en train d’essayer de jouer de la huit-cordes comme une six-cordes – une guitare normale, en somme – et c’est pour ça qu’Obsideo et Doctrine sonnent comme ils sonnent. L’autre problème qu’on rencontre, en jouant de la huit-cordes, est que tu empiètes sur les fréquences de la guitare basse, donc soit la basse doit monter dans les aigus, soit elle doit changer de son. C’est pour ça que Doctrine a très bien fonctionné avec la basse fretless sept-cordes de Jeroen [Paul Thesseling], il était capable de relever le défi. Tout le monde n’en est pas capable, mais lui oui. Mais c’est toujours un problème au niveau de la production de vraiment obtenir un bon son avec huit cordes. C’est presque impossible, en fait.

J’avais donc enfin fini d’expérimenter avec ça. J’ai utilisé des guitares synthétiseurs sur Spheres, j’ai utilisé des huit-cordes, et maintenant je reviens aux six-cordes. De toute façon, je me sens plus à l’aise à manier une six-cordes. Mais ces albums, Obsideo et Doctrine, ce sont des albums de Pestilence vraiment valides, car le style reste le même. Peut-être que sur Doctrine j’ai davantage expérimenté avec ma voix – certaines personnes aiment, d’autres pas. Mais j’essaie de faire de la musique qui soit dans le style du concept de l’album. Et si tu joues de la huit-cordes, c’est mieux de chanter plus haut, ou alors il faut une autre production. Donc, pour avoir une bonne production, ça prend beaucoup de temps, et donc il faut plus d’argent. Donc si la maison de disque ne veut pas te donner suffisamment d’argent, tu es obligé de faire avec l’argent que tu as. Beaucoup de choses dépendent de la dimension financière de la production, par exemple. La boucle est bouclée, je suis maintenant revenu à la six-cordes, je me sens plus à l’aise, et c’est pour ça que Hadeon sonne comme il sonne.

« Ces putains de gars sur internet ont une putain de grande gueule, ces putains de trolls, ils crachent leurs conneries et essayent constamment de débiner les gens ! Pourquoi diraient-ils que je ne suis pas un vrai death metalleux ? C’est quoi un death metalleux ? Qu’est-ce qu’un death metalleux fait ? Dites-moi ce qu’un death metalleux fait ! »

La dernière fois qu’on s’est parlé, à l’époque d’Obsideo, tu nous as dit que tu avais choisis de passer à la guitare huit-cordes parce que tu en as « eu marre des six cordes. » As-tu eu besoin de t’en éloigner pour retrouver ton intérêt dans cet instrument ?

Je crois vraiment que c’est ce qui s’est passé. Tu peux comparer ça à, à peu près, n’importe quoi dans la vie de tous les jours, par exemple. Ça fait vingt ans que tu conduis ta voiture et maintenant il est temps de changer. Alors tu achètes une autre voiture, différente de l’ancienne, ou alors une version mise à jour de la voiture que tu avais. Après, tu as conduit cette nouvelle voiture, mais finalement tu ressens que l’ancienne était mieux, donc tu reviens à ce type de voiture. C’est pareil. Lorsque nous avons commencé à utiliser la huit-cordes, il n’y avait que des groupes comme Meshuggah qui en utilisaient, et peut-être Divine Heresy, je ne sais pas. Certains de ces groupes faisaient ça aussi, n’est-ce pas ? Mais après ça, les gens débarquaient avec des neuf-cordes, et maintenant il y a des onze-cordes, allez, ça devient ridicule ! C’est comme, si tu fais un blast beat à un pied à 300 battements par minutes, ce n’est plus de la musique, n’est-ce pas ? Donc pour revenir à la musicalité de la chose, le fait de revenir à la six-cordes, c’était un soulagement. J’ai de très longs doigts, donc je n’aurais pas de problème à jouer de la huit-cordes, mais quand-même, je me sens plus à l’aise aujourd’hui avec une six-cordes.

Il se trouve que le fait que tu sois revenu à la guitare six-cordes sur Hadeon fait qu’il sonne un petit peu plus comme à l’époque de Testimony, même si musicalement ça ne sonne pas tout à fait comme Testimony. Du coup, penses-tu que cet album est un bon équilibre entre le nouveau et l’ancien Pestilence ?

Je pense que les gens sont soulagés que nous ayons fait Hadeon, et que nous ne soyons pas allés plus loin qu’Obsideo. Les structures de chansons n’ont pas du tout changé. Mon chant n’a pas du tout changé. C’est toujours moi, je suis la même personne, je suis le même mec qui compose la musique de Pestilence, donc rien de tout ça n’a changé. Ce qui a changé est le line-up et la production. Ceci dit, certaines personnes le comparent à Consuming, bon, citez-moi un riff où on entend une similarité. Certaines personnes disent que c’est comme Testimony : alors donnez-moi un riff où vous entendez une similarité. Je ne sais pas, honnêtement, c’est juste le style de Pestilence. En fait, j’en suis assez content, car je préfère être comparé à Pestilence que n’importe quel autre groupe. « Ils sonnent comme Morbid Angel », ouais, super… J’ai essayé de créer un style, et c’est là aussi où les gens ne me comprennent pas, dès que les gens demandent en interview : « Quelles sont tes influences ? Quels groupes écoutes-tu personnellement ? » Honnêtement, je n’écoute pas de groupe, et je n’écoute pas de musique. Ça paraît bizarre, mais ensuite les gens commencent à dire : « Eh bien, si tu n’écoutes pas de death metal, comment peux-tu faire du death metal ?! » Eh bien, écoutez Hadeon, c’est possible, non ?

Ces putains de gars sur internet ont une putain de grande gueule, ces putains de trolls, ils crachent leurs conneries et essayent constamment de débiner les gens ! Pourquoi diraient-ils que je ne suis pas un vrai death metalleux ? C’est quoi un death metalleux ? Qu’est-ce qu’un death metalleux fait ? Dites-moi ce qu’un death metalleux fait ! Tu comprends ? C’est dingue ! Les gens essayent de te stigmatiser, ou dire de mauvaises choses à ton sujet, ils n’écoutent même pas ce que tu dis, ils trouvent juste une image dans ton discours qu’ils n’aiment pas, et ensuite, tout ce que tu dis est distordu. Mais honnêtement, encore une fois, je n’écoute pas de death metal, car je n’aime pas me laisser influencer. Je sais que quand on écoute d’autres groupes, tu finis par être influencé, que tu le veuilles ou non, il y a des parties que tu aimes bien et tu essaieras d’incorporer quelque chose de similaire dans ta propre musique. Je veux rester à l’écart de ça, car je suis trop analytique par rapport aux choses. Je sais ça à mon sujet, donc je préfère ne pas écouter afin de ne pas contaminer le style de Pestilence. C’est aussi simple que ça. Ça n’a rien à voir avec le fait que je ne serais pas un death metalleux.

Qu’est-ce qui a déclenché cette prise de conscience que tu devais trouver et te focaliser sur ton propre style ? Car si on écoute tes deux premiers albums, on pourrait mettre le doigt sur tes influences de l’époque. Donc à quel moment as-tu commencé à abandonner toutes tes influences ?

C’était après Consuming. Testimony est très différent au niveau du style. C’était très important pour moi de commencer à suivre mon propre style. Au début nous écoutions Infernäl Mäjesty, nous écoutions Slayer, Possessed, Death, et ce genre de groupes. C’est pour ça que ces albums sonnent comme ça. Même, sur le premier album, j’étais un grand fan de Sieges Even, qui est un groupe technique allemand, et nous essayions de faire certains trucs comme ça aussi. Donc, je sais que je peux facilement me laisser influencer, et je ne veux pas que ça arrive. Donc lorsque j’ai pris la décision d’enregistrer Testimony, je savais que j’étais sur la bonne voie et j’ai trouvé mon propre lot d’accords, de styles de riffs, qui encore aujourd’hui définissent Pestilence. Testimony a été ma révélation, en fait.

Tu utilises beaucoup d’accord et gammes étranges et dissonants à la guitare. Comment as-tu découvert et appris ce type de jeu assez peu banal au départ ?

Je suppose que c’est un petit peu mon style, mais lorsque j’ai commencé à beaucoup écouter Allan Holdsworth – et il y a un petit peu de références à Holdsworth dans mon jeu solo aussi -, j’ai étudié sa musique, sa théorie musicale et comment il pense la musique, et ensuite j’ai commencé à réaliser quelles notes fonctionnent dans un accord, et lesquelles ne fonctionnent pas, et quelles gammes et quels modes existent. Ensuite j’ai essayé de trouver des notes plus inhabituelles, avec une approche un peu jazz, en utilisant des notes peu communes dans cette famille d’accords. C’est pour ça que ça sonne comme ça, surtout sur Hadeon, surtout mes leads – je ne parle pas de ceux de Santiago – sont du jamais-entendu. Essaye de me citer un groupe qui a le même type de solos. Je n’en connais pas. Bon, c’est parce que je n’écoute pas de musique, c’est pour ça que je te demande. Mais c’est assez original, et c’est ce que je pense est technique. C’est très technique, parce que tu travailles avec la technique, et tu trouves les bonnes notes, tu ne fais pas les solos typiques à la Slayer avec de la whammy, et des putains de gammes complètement ridicules. Les gens n’ont de toute façon aucune idée de ce qu’ils jouent, donc… Je ne crois pas que Kerry King sait ce qu’il fait.

« Je sais que je peux facilement me laisser influencer, et je ne veux pas que ça arrive. Donc lorsque j’ai pris la décision d’enregistrer Testimony, je savais que j’étais sur la bonne voie et j’ai trouvé mon propre lot d’accords, de styles de riffs, qui encore aujourd’hui définissent Pestilence. Testimony a été ma révélation. »

Peut-être qu’il sait ce qu’il fait aujourd’hui mais il le fait exprès parce que les fans de la première heure attendent ça de sa part.

C’est possible que ce soit la raison de leur succès, mais pour moi – je parle toujours de mon point de vue – ce n’est pas du tout musical. Mes solos sont très inhabituels, c’est pour ça qu’ils sont étranges, mais après avoir écouté ces solos plusieurs fois, vous mémoriserez ces notes, et ces tonalités, et ensuite vous les reconnaîtrez, n’est-ce pas ?

Hadeon est le nom d’une particule élémentaire en physique. Qu’est-ce qu’elle symbolise pour toi ?

Hadeon, ça renvoie à plusieurs choses. C’est aussi un mélange de deux mots : Hades, qui est l’enfer, et Eon, ce sont les âges. Donc c’est symbolique pour l’album, c’est l’Âge de l’Enfer, et on est en plein dedans aujourd’hui, car nous laissons la technologie prendre le dessus sur notre part humaine, en commençant par les ordinateurs. Pour autant, je ne dis pas qu’il faut revenir à l’Âge de Pierre, parce que ça aussi c’est une connerie. L’album n’est pas un album-concept, mais il y a un fil rouge à travers l’album, évoquant différents sujets. Je parle d’astrophysique, de gars comme Tesla, ou Einstein, ou même Stephen Hawking. Ces gens sont instruits au sujet des particules, et je m’y suis davantage intéressé en profondeur, j’ai commencé à faire des recherches, et j’ai créé ce concept qui est devenu Hadeon. Et puis il y a une référence au passé, car sur l’illustration, on voit les Quatre Anciens, renvoyant à Testimony Of The Ancients, et ça c’est aussi une référence aux anciens qui ont l’air d’être en pierre ; ils sont sculptés dans la pierre, et pourtant ils sont vivants. La pierre, pour nous, ce n’est pas vivant, et pourtant, les molécules, les atomes, les neutrons, les électrons, ils résonnent, ils bougent, donc il y a quelque chose qui se passe là-dedans, n’est-ce pas ?

Ensuite, par rapport à l’univers que nous essayons de découvrir, je suis là : « Vous n’êtes même pas capables de réglementer le monde. Pourquoi essayer de trouver une vie extraterrestre quand on est en train de foutre en l’air notre propre monde ? Essayez de d’abord régler cette merde au lieu de pomper des milliards de dollars pour les programmes spatiaux et ce genre de choses, alors que vous n’êtes pas capables d’aider les gens sur Terre. » Le truc c’est que, avec cet album, si tu lis les paroles, tu découvriras le message caché derrière les mots. C’est comme un présage au sujet de la direction que prennent nos vies. Si tu regardes la société aujourd’hui, tu dois toi-même t’en rendre compte, tout le monde est tellement égocentrique et égoïste à tous les niveaux. Tout tourne autour des réseaux sociaux, tout le monde a ce putain d’Instagram, tout le monde à ce putain de Facebook, et tout le monde établit son propre profil, et c’est la seule chose qui les intéresse, combien de vues ils ont. Si tu es assis à table avec ta partenaire, avant on avait de vraies discussions. Aujourd’hui, tout le monde a les yeux rivés sur leurs putains d’écrans, comme des putains de robots. C’est ça le thème principal d’Hadeon, la fin de la civilisation parce que la technologie prend le contrôle.

Est-ce que cette particule pourrait être représentée par cette sphère que l’on voit sur chacun de vos albums depuis Testimony ? Est-ce que depuis tout ce temps c’était en réalité la particule Hadeon ?

Non, ce n’est pas ça, parce que quand nous avons fait Testimony, je ne m’intéressais pas encore aux particules et ce genre de choses, et je n’avais pas la compréhension plus profonde de ce que ça veut dire. Ce symbole est très fort. Je peux même imaginer sortir un autre album de Pestilence à l’avenir où le nom Pestilence n’apparaît pas, où il n’y aurait que le symbole sphérique, et les gens sauraient exactement qu’il s’agit de Pestilence. Voilà la force de ce symbole. En fait, ce symbole, parce qu’il est rond, il n’a pas de début ou de fin, c’est une sphère, comme la Terre et les autres planètes.

Les thèmes que tu as abordés dans tes albums ont souvent été plus ou moins à la croisée de la religion, la philosophie, la science et la science-fiction. Est-ce que tout ça est lié pour toi ?

Oui, je le crois. Je pense que la religion n’est qu’un moyen de contrôler les masses. C’est comme ça qu’ils procèdent. Mais lorsque le nouveau dieu, qui est la technologie, prend le contrôle, on n’entend plus tellement parler de religion. Ça n’a plus d’importance. Tout le monde veut savoir quand l’iPhone 11 sortira, ou le putain de Samsung je-ne-sais-quoi. Les gens ne s’intéressent qu’à ça, car le monde va plus vite. Donc la religion n’a plus qu’une petite place dans tout ce système. J’ai toujours pensé que, pour faire de la bonne musique, ou de la musique extrême, ou la musique que nous jouons et que les gens qualifient de death metal technique ou mélodique… Je me fiche de l’étiquette qu’on lui donne, mais je pense que les paroles doivent être aussi fortes et importantes que la musique. Nous ne faisons pas partie de ces groupes qui chantent tout le temps à propos de trucs gores, de sang et de viscères. On n’est pas obliger de chanter à propos de ça pour faire du death metal. Nous avons toujours essayé d’écrire des paroles et des thèmes forts. Oui, Doctrine parlait un peu plus de l’endoctrinement des gens via la religion. Obsideo commençait déjà à évoquer davantage des sujets désormais liés à Hadeon, qui sont des choses qui personnellement m’intéressent beaucoup. Je suis plus intéressé par la science que la science-fiction. La religion c’est la science-fiction, pour moi.

Tu as toujours été méticuleux, avec un certain sens du détail, et tu aimes expérimenter. Approches-tu parfois la musique comme un scientifique approche la science ? Car, on pourrait dire qu’il y a de l’art dans la science… Donc en d’autres termes : y a-t-il de la science dans ton art ?

Eh bien, je ne sais pas. Parfois les gens me demandent : « Comment crées-tu une chanson ? » Si tu poses cette question à n’importe quel musicien, il est probable qu’ils ne pourra pas dire d’où ça vient. Est-ce que c’est une sphère quelque part, dans laquelle tu te branches et des idées commencent à se déverser dans ton cerveau ? Je n’ai aucune idée comment ça fonctionne. C’est comme avoir une idée. Ce n’est pas comme quand ta vessie te dit que tu dois aller aux toilettes pisser un coup, car elle en donne le signal à ton cerveau. Là, c’est assez évident. Mais la musique peut venir au beau milieu de la nuit, elle peut venir dans un rêve, elle peut venir quand je joue au foot avec mon fils ou quand je suis en train de conduire. Tout d’un coup, quelque chose m’atteint avec une ligne mélodique, ou des mots, ou autre. Je n’ai aucune idée d’où ça vient, ça vient de nulle part. Ce n’est donc pas vraiment une approche scientifique. Par contre, dès qu’il s’agit de trouver une structure dans quelque chose, oui, ça c’est un peu plus scientifique, car après avoir rassemblé toutes les idées, je dois trouver une manière logique de les emboiter afin de créer une chanson. A cet égard, je suis très analytique, et j’utilise les outils à ma disposition pour le faire.

« Je suis plus intéressé par la science que la science-fiction. La religion c’est la science-fiction, pour moi. »

En fait, en parlant de « détails scientifiques », il se trouve que j’ai utilisé sur une chanson une fréquence de 1KHz. Je crois que ça correspond aux champs électromagnétiques. Quand tu vis en Hollande ou en Amérique, il y a des câbles à haute tension installés sur de grands pylônes, et ces lignes électriques traversent la campagne et ont un champ magnétique autour d’eux qui peuvent causer des cancers. Il y a des études qui démontrent que la fréquence de 1KHz crée des perturbations dans certaines parties du cerveau et peuvent donner des cauchemars. C’est de là qu’est venue l’idée d’ « Ultra Demons ». En fait, ce n’est pas de la science, c’est de la science-fiction, mais j’avais l’idée de : « Et si ces démons savaient que s’ils utilisent les 1KHz, ils peuvent entrer dans nos âmes, » car tout est constitué d’atomes, n’est-ce pas ? Donc, et si une certaine vibration ouvrait les portes du corps de quelqu’un, et que ça causait de la défaillance ou, par exemple, une maladie, ou une maladie mentale ? Et si ces gens n’étaient pas fous mais possédés par les ultras démons du 1KHz ? J’aurais dû mettre cette chanson en dernier et laisser la fréquence de 1KHz perdurer encore et encore, et ensuite les gens se seraient endormis pour se réveiller dans un cauchemar [petits rires].

On peut entendre un effet de vocodeur sur plusieurs chansons. C’est un effet qui, depuis que Cynic s’en est servi, est presque devenu une marque de fabrique du death metal technique. Mais quelle est ton approche et ton idée de l’utilisation de cet effet ?

Dans le rock, la pop, le rap ou même le hip-hop, ça fait un moment qu’ils utilisent le vocodeur, ce n’est pas quelque chose typique de Cynic. Je veux dire qu’ils n’ont pas eu l’idée d’eux-mêmes et construit leur propre vocodeur. Ça a été fait par Cynic, et après ça, cite un autre groupe de metal qui a utilisé un vocodeur : il n’y en a aucun, n’est-ce pas ? C’est simplement que la chanson « Astral Projection » réclamait quelque chose comme ça. Encore une fois, les gens s’arrêtent sur le fait que c’est un vocodeur et ils comparent tout de suite ça à Cynic, mais il faut le voir dans le contexte, ensuite écouter les paroles, écouter ce que je dis et comment je le dis. Après, sur l’autre chanson, qui est d’ailleurs « Ultra Demons » – nous le faisons donc sur deux chansons – il y a juste des petites parties pour accentuer l’atmosphère de la chanson. C’est juste un outil de plus pour nous permettre de faire passer notre message, ni plus ni moins. C’en n’est pas au point où c’est partout sur l’album, il n’y a que quelques petits détails ici et là où nous y avons eu recours. Ce sera probablement les seules parties où nous faisons ça. Il se peut que je le refasse dans d’autres musiques, mais pour l’instant, je trouve que c’est suffisant, et on ne devrait pas descendre tout un album juste parce qu’on n’aime pas la voix en vocodeur.

Je pense que les gens associent le vocodeur à Cynic parce qu’en fait, d’autres groupes, plus récents, influencés par Cynic l’ont aussi utilisé, comme The Faceless, par exemple.

Oui, ça se peut. Mais les gars qui écoutent The Faceless, est-ce qu’ils disent « ça sonne comme Cynic », ou est-ce qu’ils se réfèrent à Cynic aussi pour comparer ? En fait, c’est la première personne dans le metal à le faire qui gagne, non ? Mais ça ne veut pas dire que le reste des groupes ne peut pas utiliser le même instrument ou outil pour faire passer leur message ; il faut juste que ce soit contextualisé. Honnêtement, sur « Astral Projection », la voix robotique est aussi un genre de vocodeur, mais c’est une voix robotique qui n’a pas été faite par Cynic ou qui que ce soit, donc à cet égard, c’est assez original.

On peut entendre un solo de basse sur l’interlude « Subdivisions » : est-ce que ce pourrait être une suite au « Soulless » de Tony Choy sur Testimony ?

Tilen, mon bassiste, est un grand fan de Pestilence, déjà, et il voulait montrer qu’il pouvait aussi faire un court solo comme ça. Il voulait dépasser ce que ces gars ont pu faire, donner sa propre approche de l’exercice. Je lui ai donné l’occasion de le faire. Ça donne une petite respiration à l’album, et il y a des gens qui jouent de la basse qui apprécient vraiment ce genre de chose. C’est un morceau vraiment sympa, mais ce n’est pas comme : « Il faut qu’on le fasse parce qu’on l’a fait sur Testimony ». Ça n’a pas été fait comme ça, mais lui, en tant que fan, il a dit : « Est-ce que je peux faire une partie comme ça ? » Et je lui ai répondu : « Mec, si tu ne joues pas les mêmes notes, tu peux faire tout ce que tu veux ! »

Cette année marque les trente ans du premier album de Pestilence, Malleus Maleficarum. Durant ces trente années, Pestilence a énormément évolué, traversé des phases, etc. mais malgré tout, vois-tu un terreau commun entre le Pestilence de 88 et celui d’aujourd’hui, pas seulement en terme de musique mais aussi d’état d’esprit ?

Non, il n’y a plus de terreau commun, car à l’époque, j’étais beaucoup plus jeune, et j’écoutais du metal, du speed metal et du thrash. J’écoutais tous ces styles, et les façonnais dans ma propre musique, et c’est comme ça que Malleus a été créé. Je n’avais pas vraiment d’individualité, j’étais moi-même davantage un fan. Je me fichais d’aller à l’école, je me fichais d’aller en boite. J’essayais juste de faire de la musique. Je me fichais de l’argent et du côté business des choses, c’était bien plus libre. Aujourd’hui, je suis bien plus contrôlé, et je sais ce qu’il en coûte d’y arriver ou ne pas y arriver, d’avoir les bonnes exigences et prendre les bonnes décisions. Je n’aurais pas été capable de ça étant plus jeune.

« Je ne suis pas un dictateur, je ne dis pas à ces gars comment jouer de leurs instruments, tant qu’ils ne font pas de conneries avec la structure de la chanson. »

Juste imagine toi à 16 ans, ou 17 ou 18. Tes buts et ce que tu veux faire dans la vie, c’est très différent de quand tu as 48 ou 49 ans. Donc ça se reflète aussi dans la musique. Si tu es disposé à ouvrir ton esprit et élargir tes horizons en tant que musicien, tu apprendras ton instrument et essaieras de devenir un meilleur musicien. Malleus était bon pour son époque, mais Hadeon est à des années lumières devant cet album. C’est comme ça. Pour plein de fans de la vieille école, le second et troisième album sont ceux qu’ils préfèrent parce qu’ils ont grandi avec. C’est comme regarder un album photo, et quand tu vois une certaine image, ça te confère un sentiment particulier. Donc lorsque tu écoutes Testimony, ça te confère le même genre de sentiment, renvoyant à quand tu étais plus jeune, et tu sortais, picolais, fumais des joints avec tes potes, et tu t’éclatais à faire la fête tout le temps, n’est-ce pas ? Et maintenant, peut-être que tu as dans la quarantaine, tu as des gamins, des responsabilités au travail et ce genre de choses. Donc, évidemment, l’état d’esprit est différent. Je veux dire, comment pourrais-je avoir l’état d’esprit d’un ado de 16 ans ? Ce serait dingue.

Donc même musicalement, pour toi ce sont deux groupes différents ?

Clairement, oui. Ça ne te fait pas ça quand tu regardes des photos de toi quand tu avais 16 ans ? Tu es là : « C’est moi ça ? J’avais cette tête ? » C’est exactement pareil.

Tu as toujours insisté sur le fait que tu as toujours été le seul compositeur dans le groupe et que personne d’autre n’a jamais contribué à ce niveau. Penses-tu que, si quelqu’un d’autre avait contribué à la composition, ça aurait compromis l’intégrité de Pestilence ?

Alors ça n’aurait plus été Pestilence, non ? Pourquoi faire des compromis si la musique est de grande qualité et les gens apprécient jouer dans le groupe, jouer ces chansons ? Ces chansons sont de très grande qualité et… Oui, Patrick Uterwijk a écrit quelques riffs, peut-être une petite poignée sur la totalité des albums, et Marco [Foddis] a fait tous les textes et ce genre de choses, mais c’est moi qui écrivais les parties de batterie et les parties de basse. Déjà, j’ai toujours géré Pestilence, avec toutes les idées. Donc, afin que le style reste pur, authentique et fidèle au nom Pestilence, qu’il ne soit pas contaminé, je continue à faire la musique, à faire ma musique. Il semble qu’il y ait des mecs qui veulent faire de la musique avec moi, et je ne suis pas un dictateur, je ne suis pas le genre de mec qui se prend pour le patron et personne n’a le droit de dire quoi que ce soit. Lorsque la structure de la chanson est faite, et je la donne à ces gars, ils sont libres de faire ce qu’ils veulent avec, du moment que la structure reste intacte.

Et à un niveau plus humain, ça ne te manque pas une collaboration plus appuyée quand vous faites des albums, genre en étant tous ensemble dans une pièce ?

Eh bien, essaye de mettre quatre grands esprits ensemble, qui ont tous des opinions différentes. Regarde la politique, regarde l’UE, ce sont de grands esprits, ils ont tous fait des études, ils sont tous assis là… Ça devient le chaos, et ensuite il faut trouver… Disons qu’il y a quatre gars dans un groupe, et deux gars ont une idée, et les deux autres ne l’aiment pas. Est-ce qu’on la bazarde parce que ces deux ne l’aiment pas ? Alors il faudrait parler de ce qu’est la démocratie dans un groupe. Si les idées sont vraiment super, alors la personne en question devrait lancer son propre groupe.

Je veux dire que même en terme d’enregistrement, je sais que vous faites tout plus ou moins chacun de votre côté. N’aimerais-tu pas que vous soyez tous ensemble comme un groupe, et être là quand ils enregistrent leurs parties ?

Oui, mais c’est comme ça que j’ai toujours procédé, que ce soit sur Doctrine, Resurrection ou Obsideo, toujours. Je n’ai jamais fait autrement. Oui, Patrick jouait les chansons live, mais j’enregistrais les chansons en studio, toutes les parties, droite et gauche, je faisais tout. Et pour les autres gars, je leur donne la liberté de faire ce qu’ils veulent et je dis : « Convainquez-moi avec ce que vous avez fait ! » Pour Hadeon, ils m’ont totalement convaincu. Les solos de Santiago sont extraordinaires et créent un énorme contraste avec mes solos, donc je trouve que la combinaison marche assez bien. Et le son et le jeu de basse de Tilen sont superbes, donc je n’ai rien à redire à ce sujet. C’est pour ça que j’essaye toujours d’avoir les meilleurs musiciens possibles, pour pouvoir lâcher prise, pour qu’ils puissent comprendre ma musique, et que je n’ai pas à trop expliquer. Je crois que la musique, c’est plus du feeling, ce n’est pas « parlons-en », comme dans une discussion ou quoi, ce n’est pas du tout comme ça que ça marche. Oui, en ce sens, c’est le groupe de Patrick Mameli, je le comprends, mais je ne suis pas un dictateur, je ne dis pas à ces gars comment jouer de leurs instruments, tant qu’ils ne font pas de conneries avec la structure de la chanson. C’est très simple ; c’est comme ça que fonctionne Pestilence, c’est pour ça que Pestilence est ce qu’il est. Il y a eu de nombreux musiciens, comme, par exemple Jimi Hendrix. Jimi Hendrix jouait sa musique. Le bassiste jouait probablement les parties parce qu’il lui a dit de jouer comme ça. Miles Davis, il disait même en live : « Ok, maintenant vous jouez ci, et maintenant vous jouez ça, » et ça sonnait putain de génial ! Ce n’est pas si inhabituel en musique, le fait d’avoir un mec principal dans le groupe qui maintient le style en vie. J’adorerais que ça reste ainsi, car ça me correspond.

Interview réalisée par téléphone le 16 mars 2018 par Nicolas Gricourt.
Transcription : Julien Morel.
Traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Pestilence : www.pestilence.nl.

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