Eh oui, Motörhead souffle sa quarantième bougie cette année. Quarante ans au service d’un rock n’ roll immédiatement reconnaissable qui a tant inspiré. Et c’est un peu une ode à cette formule magique que nous offre le trio cette année avec son nouvel opus Bad Magic. Une formule peut-être pas aussi rigide qu’on pourrait le croire au vu de la diversité que le combo s’y autorise au sein d’un même carcan. C’est là tout l’équilibre de Motörhead, dont nous parlait déjà Mikkey Dee à l’époque d’Aftershock, il y a deux ans : savoir produire du neuf en parvenant toujours à faire la même chose. Et, à en croire le guitariste Phil Campbell, avec qui nous avons taillé le bout de gras, nos a priori sur Motörhead et sa musique ne sont pas toujours fondés.
Campbell nous parle donc de ce nouvel opus, sur lequel chacun a semble-t-il donné de sa personne et qui a été directement composé sur le vif, en studio, et nous donne son sentiment sur les quarante ans de Motörhead, avec un petit détour par la case santé.
« Les gens croient que c’est facile. Ils peuvent essayer de faire des trucs à la Motörhead mais ce sera nul à chier ! »
Radio Metal : Bad Magic a été composé et enregistré live en studio, et ce pour la première fois avec ce line-up. Peux-tu nous dire comment vous avez travaillé dans ce contexte ? Et ce que vous avez ressenti ?
Phil Campbell (guitare) : C’était vraiment bien, en fait ! Au lieu de composer des chansons dans la salle de répétition pendant, genre, six ou huit semaines, nous avons directement été en studio. Lorsque nous avions de bonnes idées, nous pouvions les enregistrer tout de suite et nous pouvions construire à partir de ça. Si nous voulions essayer une idée, nous pouvions l’enregistrer et tout de suite entendre comment ça sonnait. C’était donc vraiment excitant ! Parfois, si tu composes des trucs dans la salle de répétition, et qu’il se passe deux mois avant d’entrer en studio, tu peux te retrouver à en avoir marre des chansons ! Alors que lorsque tu les enregistres immédiatement, et que tu peux changer des choses, c’est assez palpitant. Nous étions donc contents de procéder ainsi ! Ça a bien fonctionné et je pense que ce sera la bonne manière de faire pour l’avenir, vraiment. C’est ainsi que nous devons faire les choses.
Dirais-tu que ça a rendu la musique d’autant plus instinctive ?
Ouais, en quelque sorte. C’était plus instinctif, plus palpitant. Nous pouvions modifier des choses n’importe quand, dès que nous le souhaitions. Nous pouvions essayer quatre idées différentes et ensuite revenir le jour suivant… C’était juste là ! C’était tout sur un plateau, en gros. C’est comme ce que vous pourriez appeler une table sonore « à la carte » [NDLR : en français dans le texte], un menu « à la carte ».
Mikkey Dee nous a dit que lorsque vous travaillez avec Motörhead, vous ne prévoyez rien, vous ne savez pas exactement ce que vous allez faire. Par le passé vous avez essayé de prévoir les choses et procéder comme les groupes normaux le font, et ça n’as pas fonctionné. Comment l’expliquer ?
Eh bien, rien ne se passe jamais comme prévu, alors nous ne prévoyons rien. Nous nous contentons de composer et enregistrer les meilleures chansons possibles pour Motörhead. Nous ne composons pas pour les fans, nous ne composons pas des chansons pour les journalistes, nous ne composons pas des chansons pour la famille ou des amis… Nous composons pour nous trois ! Moi-même, Lemmy et Mikkey, nous composons la musique que nous aimons. Autrement, si tu composes pour d’autres gens, il se peut que quelqu’un dise : « Oh, c’est bien, Phil. » Et ensuite, quelqu’un d’autre dira : « Ah, je n’aime pas ça ! » Et alors tu es là : « Qu’est-ce qui est bon ? Qu’est-ce qui est mauvais ? » Alors nous composons simplement ce que nous aimons. Je pense que c’est ainsi qu’apparaît l’essence la plus pure dans la musique. Autrement, tu te retrouves avec ce paquet d’idées diluées venant d’autres gens ; il n’y a rien d’authentique là-dedans. Enfin, c’est ma vision personnelle.
Mikkey nous a aussi dit que la chose la plus difficile à faire était de composer de nouvelles chansons qui sonnent pareil et que Motörhead avait un cadre très limité au sein duquel travailler. Comment faites-vous cela en fait ?
Ouais ! Je ne sais pas ! On ferme les yeux et on croise les doigts ! Je vois ce que tu veux dire, ouais. Nous pouvons sortir du spectre, nous pouvons mettre des violons, du piano, du saxophone, des guitares acoustiques, des harmonies et des chœurs mais pour les chansons rock, il faut qu’il y ait un certain punch. Le son doit être d’une certaine manière. Et c’est difficile… C’est de plus en plus dur chaque année d’essayer de rendre ça palpitant et de faire de bonnes chansons. Je ne dis pas que c’est plus facile avec le temps, ça ne l’est pas, mais nous pensons y être parvenus et, quoi qu’il en soit, nous sommes tous très contents de l’album. Nous espérons que les autres gens l’aimeront, c’est tout. Si ce n’est pas le cas, nous l’aimons quand même. Et nous en ferons un autre dans deux ans, j’imagine.
N’est-ce pas parfois un peu frustrant en tant que musiciens d’avoir à travailler dans un cadre limité ou bien, au contraire, est-ce un défi ?
C’est un défi. Je travaille avec plein d’autres musiciens. Je fais des trucs sur des albums d’autres gens et je fais mes propres trucs, mais c’est assurément un défi avec Motörhead. Les gens croient que c’est facile. Ils peuvent essayer de faire des trucs à la Motörhead mais ce sera nul à chier ! Les bons trucs vraiment cool à la Motörhead, c’est un défi, mon ami, ouais.
« Les gens croient juste que nous sommes des macaques en cage qui jouent de la guitare, de la basse et de la batterie. Mais nous sommes bien plus que ça. »
L’album regorge de morceaux bien rock, mais il y a aussi une ballade dénommée « Till The End » où Lemmy dévoile totalement son côté le plus sensible. Dirais-tu que Lemmy est plus sensible que ce que les gens pourraient penser ?
Il est bien plus sensible que ce que les gens pourraient penser ! Nous n’avions pas prévu de faire une ballade. J’étais dans le studio un jour, j’étais juste en train de faire l’andouille et j’ai trouvé ces accords, et j’ai écrit la chanson à partir de ça. Pendant des lustres Lemmy ne l’a pas aimé. Il a écrit des paroles mais je crois qu’il a ensuite tout changé. Il n’aimait vraiment pas la chanson mais nous y avons travaillé. Lemmy est clairement plus sensible que ce que les gens s’imaginent, ouais. Nous le sommes tous bien plus. Nous sommes bien plus que l’image que les gens se font de nous, tu sais. Les gens croient juste que nous sommes des macaques en cage qui jouent de la guitare, de la basse et de la batterie. Mais nous sommes bien plus que ça. Ouais, c’est une bonne question en fait !
D’un autre côté, vous avez une chanson comme « Chocking On Your Screams » qui sonne comme le parfait opposé, où Lemmy sonne vraiment diabolique… Est-ce que ces deux extrêmes représentent la diversité du répertoire de Motörhead ?
C’est effectivement diversifié. Nous pouvons vraiment tout jouer ! Nous sommes Motörhead ! Nous pouvons jouer tout ce que nous voulons et ce sera toujours Motörhead. Ca ne sonnera peut-être pas comme Motörhead mais ce sera Motörhead. Nous contribuons tous à la musique. J’écris la majorité de la musique et le reste des garçons… Tu sais, nous emportons tout ça de notre côté et faisons le reste. Mais Lemmy écrit les paroles. Il est responsable des paroles simplement parce que, crois-moi, moi et Mikkey, nous sommes bien incapables d’écrire des paroles, ce serait embarrassant ! Et ça fonctionne bien ainsi ! Mais, ouais, nous sommes capables de pas mal de choses en fait ! Et puis aucun de nous n’est bon au golf ! Aucun de nous n’est bon golfeur, donc voilà [petits rires].
Il y a d’ailleurs une palette vocale assez étendue sur cet album. Est-ce que Lemmy a voulu jouer un peu plus avec sa voix cette fois-ci ?
Ouais, il a travaillé dur dessus Lem ! Il a fait pas mal de trucs et il a passé plusieurs mois à faire le chant. Nous faisions quelque chose et disons « c’est pas mal », et ensuite il n’était pas content [et il fallait qu’il le refasse]. Il s’est vraiment cassé le cul là-dessus ! Lorsqu’il commençait tout juste à faire le chant, ça ne sonnait en rien comme aujourd’hui. Nous l’avons construit. Simplement, tu continues à créer jusqu’à trouver quelque chose qui te satisfasse et obtenir le résultat final. Il a travaillé comme un dingue, ouais ! Tu sais, ce n’est pas facile ! Pas facile du tout !
Comment le guitariste Brian May s’est-il retrouvé à poser un solo sur « The Devil » ?
J’ai pendant de nombreuses années harcelé Brian pour le convaincre de travailler avec Motörhead. Il était aussi très occupé. Il est l’une des personnes les plus occupées que j’ai jamais rencontrée ! Mais cette fois-ci, j’ai dû le convaincre par la force et il a dit : « Envoie-moi un morceau ou deux pour voir si j’aime bien. Si j’estime pouvoir ajouter quelque chose, je le ferais. » Nous lui avons donc envoyé le morceau qui aujourd’hui s’intitule « The Devil » et il a tout de suite adoré. Il a adoré le riff pêchu et à quel point c’était solide. Nous sommes vraiment honorés. C’est assez difficile à croire que nous avons Brian May sur notre album, car le mec est très talentueux. C’est un talent incontournable à la guitare. C’est un type super sympa. Je ne connais personne qui ait quoi que ce soit de mal à dire à propos de Brian May. Nous étions donc vraiment chanceux et puis Brian en est lui-même aussi content. Donc, tout le monde est content ! Brian aime Motörhead et nous aimons Brian et Queen. Donc, c’est cool ! J’ai vraiment hâte que l’album sorte et que le monde entier puisse l’entendre ! Ca sort le 28 août, je crois, donc il ne reste plus très longtemps. Ça arrive bientôt !
Vous avez aussi repris le classique des Rolling Stones « Sympathy For The Devil ». Comment vous êtes-vous retrouvés à reprendre cette chanson ? Surtout dans la mesure où Lemmy est plus connu pour être un fan des Beatles que des Rolling Stones…
Je crois que c’était le catcheur Triple H, le gars de la WWE, il faisait un genre de projet… Tu sais, nous avons fait quelques projets avec Triple H par le passé et il voulait que nous enregistrions des chansons. Il y avait juste quelques idées, il nous a donné une liste et celle-ci était une de celles pour lesquelles nous pensions que ça pouvait valoir le coup. Et je trouve que ça fonctionne vraiment bien ! Nous sommes restés fidèles à l’original mais ça sonne aussi comme si Motörhead y avait apposé sa marque. Et j’ai enfin pu mettre du piano sur un album ! Ce dont je suis plutôt content. Celle-ci possède aussi environ seize pistes de guitare ! Il y des tonnes de guitares là-dessus ! Il y en a de partout ! Il y a deux semaines de guitare lead là-dessus ! Environ quarante jours à travailler sur les leads ! [Petits rires] Je trouve que ça a bien marché. Est-ce que tu l’aimes bien ? Est-ce que tu trouves que ça fonctionne ? Tu sais, moi non plus je ne suis pas un grand fan des Stones… Les paroles, je n’y ai jamais trop prêté attention auparavant avec les Stones mais elles sont bien ! Je pense que c’est sans doute Jagger qui a écrit les paroles. Mais ça le fait bien. C’est une bonne chanson pour faire la fête ! Je trouve que c’est une bonne chose à jouer pendant une fête !
« Je ne pensais pas que je serais encore dans le groupe après autant de temps ! Je pensais qu’on allait me virer après six mois, grand maximum ! »
Cette année marque les quarante ans de Motörhead. Quel est ton sentiment à ce propos ? Ne te sens-tu pas parfois submergé par cette quantité phénoménale de chansons que vous avez à votre actif ?
Je ne me sens pas submergé mais je me sens assez fier de tout ce que nous avons fait. Ca submerge, ouais, dans une certaine mesure mais c’est ce que nous faisons ! C’est notre gagne-pain, c’est notre travail. Ça fait du bien ! C’est une bonne chose pour nous de célébrer quarante ans mais nous n’essayons pas d’en faire tout un plat, vraiment. Nous avons accompli beaucoup de choses. C’est bien d’avoir une quarantième année. Mais ce n’est pas hyper important. C’est juste un an de plus, j’imagine. Mais c’est bien de se savoir un peu apprécié. Nous allons essayer de faire quelque chose d’un peu spécial sur les concerts mais nous ne sommes pas encore certains de quoi. Nous sommes encore en train de travailler pour prévoir quelque chose de spécial. Il n’y aura pas trop de trucs spéciaux mais nous en ferons un peu. Ce ne sera pas comme les quarante ans de Kiss ou quoi que ce soit du genre ! Kiss sont toujours en train de se séparer pour ensuite revenir, n’est-ce pas ?
De quoi te souviens-tu de l’époque où tu as rejoint le groupe en 1984 ?
Je ne pensais pas que je serais encore dans le groupe après autant de temps ! Je pensais qu’on allait me virer après six mois, grand maximum ! Tu ne sais jamais, tu ne peux pas tellement prévoir ! Tu vis au jour le jour. Et un jour se change en quarante ans ! Tant que tu fais de ton mieux, tu t’amuses. Nous sommes des musiciens qui voulons jouer de la musique, nous avons de la chance de pouvoir jouer de la musique dans nos vies, tous les jours. Donc c’est bien !
Motörhead a sorti un album tous les deux ans environ, depuis ses débuts. Après quarante ans et vingt-deux albums, n’avez-vous pas parfois envie de ralentir ?
L’année prochaine, c’est ce que nous ferons ! Je leur ai dit que l’année prochaine, au lieu de faire cent-vingt concerts comme cette année, je voulais en faire la moitié. Je veux faire, genre, soixante ou soixante-dix concerts, bien moins. Nous avons fait un album cette année et nous avons, genre… Je ne sais pas combien de concerts nous avons faits, nous en avons tellement fait… Nous avons une tournée de sept semaines aux US qui commence lundi et ensuite le Motörboat, et ensuite nous avons quatre semaines de repos, et ensuite un autre mois en Europe… C’est beaucoup ! Nous avons besoin d’une pause. Je pense que nous pouvons continuer pendant encore pas mal d’années si nous n‘y allons pas comme des dingues. Si nous faisons encore des albums et soixante concerts à l’année, alors je crois qu’avec un peu de chance nous pourrons continuer pendant encore un bon nombre d’années ! C’est mon opinion personnelle.
D’ailleurs, lorsqu’on voit Motörhead sur scène, il y a Lemmy qui se tient derrière son micro presque tout du long et Mikkey qui est derrière sa batterie, donc tu es le seul qui court sur scène. Est-ce que tu te sens avoir pour responsabilité de faire le show, visuellement ?
J’essaie mais j’ai un truc à mon poignet maintenant. Ça montre combien de kilomètres j’ai couru pendant le concert ! Ceci dit, c’est bien. Ça m’empêche d’être trop fainéant et de trop grossir, lorsque je cours un peu ! J’ai ce qu’ils appellent un Fitbit, que tu mets sur ton poignet, et ça te dit ton rythme cardiaque et combien de pas tu as fait durant la journée et combien de kilomètres tu as couru, donc après le concert je regarde ça. Je prends mon pouls après le show et avant. C’est assez intéressant.
En parlant de santé, Motörhead a dû annuler les Monsters Of Rock en avril en raison, une fois de plus, de soucis de santé de Lemmy, ce qui a encore inquiété les fans. On dirait que ces problèmes de santé deviennent de plus en plus fréquents aujourd’hui, donc comment va-t-il ?
Lem va bien là tout de suite. J’imagine que les problèmes de santé de n’importe qui ne vont qu’en augmentant avec l’âge. Mais nous avons fait tous les concerts cet été. Donc nous avons pris une petite pause de trois semaines. Nous avons juste été au Japon avec les Foo Fighters, nous avons fait Séoul, en Corée du Sud. Mais, ouais, Lem va bien, nous sommes prêts à repartir maintenant. Mais comme je l’ai dit, l’année prochaine nous irons un peu plus doucement plutôt que de faire les fous. Lem va vraiment bien, ouais ! Tu peux te rendre compte qu’il a chanté à fond sur le nouvel album. Tu peux facilement te rendre compte qu’il se porte bien. Il n’aurait pas chanté comme ça s’il n’allait pas bien, vraiment.
Interview réalisée par téléphone le 12 août 2015 par Nicolas Gricourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Motörhead : www.imotorhead.com.
Quand P. Campbell parle de Lemmy, on dirait Michel Sapin en train de commenter les chiffres mensuels du chômage.
[Reply]