Tout comme le cosmos que le chanteur Morean aime évoquer dans ses textes, le temps séparant les albums de Dark Fortress est en constante expansion. La faute à ce qui, paradoxalement, fait la force du groupe : ses membres dont les savoir-faire respectifs sont très demandés. Six ans se sont donc écoulés depuis Venereal Dawn pour aboutir à un huitième album, Spectres From The Old World, ce qui fait dire au guitariste-compositeur V. Santura que ce pourrait être le dernier, tant cela devient de plus en plus difficile de mettre le processus de studio en branle.
Pourtant, l’inspiration est loin d’être tarie : c’est à peine un an après la sortie de Venereal Dawn que V. Santura a connu un épisode créatif intense pendant lequel une bonne moitié des chansons de l’album lui sont venues. Des chansons qui embrassent un black metal plus abrasif et glacial en écho à certains albums passés du groupe. Mais c’était sans compter sur une seconde session créative qui, deux ans plus tard, est venue enrichir et compléter le recueil d’élans plus épiques et progressifs.
Dans l’entretien ci-après, V. Santura revient en détail sur la genèse de Spectres From The Old World, depuis son étincelle initiale jusqu’à la production, le mixage et le mastering qu’il a intégralement géré lui-même en tant qu’ingénieur-producteur de renom, évoquant toutes les difficultés qui se sont dressées sur leur chemin. On en profite également pour parler de sa vision du black metal et de ses autres projets, comme le Requiem de Triptykon ou son nouveau groupe grungy Rootbrain.
« Tout d’un coup, ces riffs principaux me sont venus. J’ai eu une décharge d’adrénaline. C’était presque comme si j’étais sous l’effet d’une drogue. »
Radio Metal : Tu as déclaré qu’en 2015, tu as connu « une période de quelques mois où les idées d’une grande partie de l’album sont venues très naturellement. [Tu n’as] pas eu à les forcer ». Avec le recul, sais-tu d’où est venu ce flot d’inspiration à ce moment-là ?
V. Santura (guitare) : Si je le savais, je pourrais toujours essayer de reproduire ce genre de scénario pour être créatif ! Je ne sais pas ce qui s’est passé. Parfois, il faut juste suivre le mouvement et en profiter, mais pourquoi cette inspiration est venue à ce moment-là ? Honnêtement, je ne peux pas te dire. Ce serait très intéressant que je le découvre [rires]. Très souvent, je jouais de la guitare le soir ou à un autre moment, une idée me venait et je me saisissais de cette idée. C’était un peu magique. Evidemment, c’était aussi un moment où je gardais mes idées en permanence dans ma tête et où je ne cessais de penser à l’album. Mais c’est arrivé comme ça.
Tu as aussi dit que la chanson « Coalescence » « a posé les bases et est une des chansons clés. » Pourquoi était-ce une chanson clé ? Comment le reste s’est-il développé à partir de cette chanson ?
C’est une chanson clé pour moi surtout parce que c’était la première chanson que j’ai écrite. C’était très spontané. Quand j’ai écrit cette chanson, je jouais sur ma guitare branchée dans mon ampli et j’avais un enregistreur qui tournait. J’ai commencé à jouer et pendant que je jouais, je m’enregistrais. Tout d’un coup, ces riffs principaux me sont venus. J’ai eu une décharge d’adrénaline. C’était presque comme si j’étais sous l’effet d’une drogue, d’une certaine façon. Ces riffs qui sont sortis de nulle part sonnaient super sombre et glacials. Ils évoquaient un certain sentiment que je voulais recréer depuis longtemps, or là, c’est venu tout seul. Quand c’était fini, cette chanson était probablement la raison principale pour laquelle j’ai été si inspiré. Je voulais continuer dans cette veine et écrire plus de musique, parce que j’étais hyper-excité par cette première chanson, donc j’ai commencé à écrire plein d’autres musiques. C’est probablement pourquoi c’est la chanson clé, car c’est par là que l’inspiration pour l’album est venue.
Tu viens de dire que ça évoquait « un certain sentiment que [tu] voulais recréer depuis longtemps ». C’est quelque chose qui t’avait manqué ?
Par exemple, il y a le titre d’ouverture sur l’album Séance, intitulée « Ghastly Indoctrination », qui a toujours été une de mes chansons préférées de Dark Fortress, et je trouve que ces deux chansons se rapprochent, en termes d’émotions. Honnêtement, j’ai essayé d’écrire quelque chose comme ça sur Ylem et Venereal Dawn, une chanson extrêmement rapide, sauvage et glaciale. Je n’ai jamais réussi, parce qu’on ne peut pas se forcer à écrire quelque chose comme ça si ça ne vient pas naturellement. Avec « Nascence » et « Coalescence », c’est venu tout seul, et c’est pourquoi j’étais si excité.
Tu as choisi d’organiser la tracklist des six premières chansons dans l’ordre chronologique exact dans lequel tu les as écrites. Penses-tu qu’ainsi ces chansons racontent une histoire ou une sorte de voyage ?
Une sorte de voyage, je dirais, oui. Pas forcément une histoire, mais c’est un voyage musical, c’est sûr. Je le décrirais assez simplement : « Nascence » et « Coalescence », qui sont considérées comme une seule grande chanson, quand elles étaient finies, j’avais un certain feeling. Je savais que « Coalescence » finissait d’une certaine manière, donc je me suis demandé : « A quoi devrait ressembler la chanson suivante ? Qu’est-ce que j’aimerais entendre après cette chanson rapide, plein de blast beat, qui est extrêmement sauvage et froide ? » Je me suis dit : « Peut-être qu’un truc mid-tempo, très groovy irait bien. » Voilà comment j’ai trouvé la chanson suivante. C’était le cheminement de pensée pour chaque chanson que j’ai composée. Je répondais directement à la chanson précédente, en me demandant quel type de chanson on devrait avoir ensuite afin d’obtenir la meilleure variation dans l’album, et afin d’avoir à la fois un fil conducteur et un joli contraste pour que ça reste intéressant. C’était mon idée là-derrière.
Ces premières chansons sont principalement old school et rentre-dedans, si on compare à là où vous nous aviez laissés avec Venereal Dawn, qui était votre album le plus progressif à ce jour. Est-ce que ça pourrait être une contre-réaction ?
Clairement ! Je suis absolument d’accord. C’était peut-être inconscient, mais c’était aussi une décision consciente de faire un album qui soit de nouveau plus agressif, plus court et plus compact, notamment à cause des albums que j’ai faits avant. Je veux dire que nous avons fait Venereal Dawn et Ylem avec Dark Fortress, et les deux sont deux albums très longs et progressifs. Puis j’ai aussi joué dans Triptykon, et nous avons fait Melana Chasmata et Eparistera Daimones, qui sont aussi deux albums très épiques et longs. Quand tu as participé à quatre gros albums comme ceux-ci, en tant que musicien, à un moment donné, tu as vraiment envie de faire autre chose. C’est pourquoi le nouvel album de Dark Fortress s’est avéré assez différent du précédent, je pense. J’ai ressenti un besoin de quelque chose de rapide, de direct et de plus agressif à nouveau.
« Je suis un ingénieur audio professionnel et je travaille en studio toute la journée. […] Quand tu as travaillé toute la journée en studio, la dernière chose que tu as envie de faire après avoir enfin fini de travailler, c’est de retourner en studio pour enregistrer d’autres chansons. »
Beaucoup de gens s’attendaient sans doute à ce que vous développiez le côté progressif de Venereal Dawn, donc c’est aussi une manière de surprendre.
Exactement. D’une certaine façon, on peut le critiquer en disant que c’est un pas en arrière, parce que stylistiquement, l’album revient un peu à la période Séance et Eidolon, je pense. Néanmoins, ça reste une évolution, parce que nous avons quand même grandi un peu en tant que compositeurs. Mais oui, c’est toujours sympa de surprendre les gens [rires] et faire quelque chose d’inattendu.
Le premier lot de chansons est donc arrivé en 2015. Pourquoi ça ne s’est-il pas tout de suite traduit par l’enregistrement de l’album ?
Le truc, c’est que j’étais très inspiré pour écrire la musique, mais je n’étais pas vraiment inspiré pour l’enregistrer. Ce sont deux choses différentes, aussi absurde que cela puisse paraître. Je suis un ingénieur audio professionnel et je travaille en studio toute la journée. Mon boulot principal c’est d’enregistrer, mixer et masteriser d’autres groupes. Quand tu as travaillé toute la journée en studio, la dernière chose que tu as envie de faire après avoir enfin fini de travailler, c’est de retourner en studio pour enregistrer d’autres chansons. Tu as envie de faire complètement autre chose. J’apprécie toujours beaucoup de jouer de la guitare et, par exemple, je vais me promener dans la nature, je marche un peu, je fais du sport ou alors je glande sur le canapé à regarder la télé, peu importe. Honnêtement, je n’étais pas très motivé à enregistrer ces chansons. Je n’avais donc que des démos très grossières de ces six chansons sur mon smartphone, que j’enregistrais dès que j’avais une idée, et le reste, je le faisais constamment tourner dans ma tête. Je disais à mes collègues dans le groupe : « Eh, j’ai un paquet de nouvelles chansons », mais je ne pouvais jamais leur faire écouter, parce que je n’avais pas enregistré de vraie démo. A un moment donné, notre nouveau claviériste a dit : « Mec, il faut vraiment qu’on se voie maintenant. Je vais réserver des vols et on se retrouvera pour une semaine ou dix jours à ton studio, et tu enregistreras les idées que tu as. » Et c’est ce que nous avons fait.
L’autre chose, c’est aussi que je ne veux pas commencer à travailler sur un album de Dark Fortress quand je n’ai qu’un jour ou deux par-ci par-là. C’est inutile parce qu’il faut beaucoup de temps pour vraiment plonger dans le cosmos. Je savais qu’il fallait que je prenne deux semaines, mais ça n’était pas facile à faire à l’époque, car je travaillais tout le temps, et quand enfin je ne travaillais pas, je ne voulais pas faire le même type de travail que celui que je fais habituellement. Le groupe a perdu un peu de temps, mais c’est comme ça. C’était en septembre 2017 que nous avons enfin enregistré les pré-productions et les démos des six ou sept chansons que nous avions. Puis ceci a amené à une autre phase très créative durant laquelle plus ou moins le reste de l’album a été écrit, dans les semaines et mois qui ont suivi.
La seconde moitié de l’album a une approche un petit peu différente, plus expérimentale et plus dans la veine de Venereal Dawn. Ça a dû être le résultat d’un processus et d’inspirations assez différents. Comment comparerais-tu la composition de cette seconde moitié à la première ?
C’était une phase différente. C’était deux ans plus tard et j’étais probablement dans un autre état d’esprit à ce moment-là, mentalement et émotionnellement, et d’autres idées sont venues. Quand j’écris de la musique, ce n’est pas un processus très intellectuel, pour être honnête [petits rires]. Je laisse venir. C’est comme un pêcheur assis au bord d’une rivière qui lance son appât dans l’eau et voit quel genre de poissons mord à l’hameçon, et il le sort de l’eau. C’est aussi ce qu’il se passe avec la créativité : tu envoies tes pensées dans l’univers et tu vois quel genre d’idée nage dans les parages, et tu les attrapes et tu en fais quelque chose. C’est comme ça que je fais. Il y a beaucoup d’inconscient là-dedans. Parfois, quand les gens me demandent comment j’écris ma musique, j’ai du mal à l’expliquer et y mettre des mots [petits rires].
Ceci étant dit, les deux dernières chansons, ce n’est pas moi qui les ai écrites, ou en tout cas pas seul. « Swan Song » a été plus ou moins entièrement écrite par notre autre guitariste, même si nous l’avons arrangée ensemble, ainsi qu’avec notre batteur. Le dernier morceau, « Nox Irae », est basé sur une vieille idée. Je ne sais pas quel âge a cette idée du riff principal – plus de dix ans, c’est sûr – et c’est aussi un riff de notre autre guitariste. Ce riff traînait depuis de nombreuses années et nous n’avons jamais pu en faire une chanson, car j’ai toujours eu l’impression que ce riff était une partie de fin. Je l’ai toujours associé à une idée de fin du monde, il avait quelque chose de très final, pour moi. Donc je me suis toujours dit qu’il fallait que ce soit la conclusion d’une chanson, mais nous n’avons jamais écrit la chanson qui mènerait à cette partie finale. Puis je me suis dit : « Pourquoi est-ce qu’on n’utiliserait pas ça comme conclusion de l’album ? Ce serait parfait pour ce type d’album de finir sur un sentiment de fin du monde. » Nous en avons donc fait une outro, plus ou moins arrangée tous ensemble.
A ce stade, est-ce que tu te reconnaissais toujours dans le premier lot de chansons, dans la mesure où deux ans s’étaient écoulés ?
Complètement ! D’une certaine façon, ces chansons sont restées présentes dans ma tête durant tout ce temps. Je n’ai même pas eu à les répéter ou quoi que ce soit. Il fallait juste les sortir et les mettre sur un disque dur pour que les autres puissent enfin écouter ce que j’entendais dans ma tête. Mais je pouvais toujours totalement m’identifier à elles et encore aujourd’hui, elles ont gardé leur fraîcheur.
« C’est comme un pêcheur assis au bord d’une rivière qui lance son appât dans l’eau et voit quel genre de poissons mord à l’hameçon, et il le sort de l’eau. C’est aussi ce qu’il se passe avec la créativité : tu envoies tes pensées dans l’univers et tu vois quel genre d’idée nage dans les parages, et tu les attrapes et tu en fais quelque chose. »
Dirais-tu que la première partie est plus instinctive et la seconde plus cérébrale ?
Non. Je pense que les deux sont instinctives, pour être honnête. Enfin, évidemment… La musique de « In Deepest Time » venait aussi de la phase de 2015. C’est juste que « Isa » et « Pulling At Threads » qui sont avant dans la tracklist ont été écrites plus tard et ont été insérées là. Après la première session d’enregistrement démo, il y avait une autre chanson qui était plus punk et black n’ roll qui a été écartée de l’album, car quand nous l’écoutions, nous trouvions qu’elle n’avait pas le côté grave et sérieux des autres chansons et que peut-être elle aurait paru décalée sur l’album. Alors j’ai contemplé l’album, et je me suis dit qu’il manquait une grosse chanson vraiment épique. L’album n’avait pas encore de chanson à la « On Fever’s Wings » ou « The Valley ». C’est pourquoi j’ai travaillé sur « Isa » comme étape suivante. Je suis très content du résultat, mais ça a été un travail un peu difficile, car je me disais : « Je veux écrire une chanson plus longue, plus époque, lente et accordée bas. »
Qu’allez-vous faire de la chanson qu’il vous reste et que tu viens de mentionner ?
Rien ! [Rires] Enfin, honnêtement, avec les deux ou trois derniers albums, il y a plein de restes qui pourraient remplir un autre album complet, mais ces chansons n’ont pas été utilisées principalement parce que… Pour certaines, l’idée n’était tout simplement pas assez bonne. En fait, il y a une chanson qui nous reste des sessions de Venereal Dawn et je regrette beaucoup que nous ne l’ayons pas faite à l’époque, car je la trouve géniale. Elle était super agressive et rapide, et c’est quelque chose qui manquait un peu à Venereal Dawn. Nous ne l’avons jamais faite et j’ai réécouté les démos, et je me suis dit : « C’est quoi ce bordel ?! Pourquoi on ne l’a pas faite ? » Je suis encore convaincu que c’était une excellente chanson, mais j’avais aussi le sentiment qu’elle n’aurait pas convenu au nouvel album, Spectres From The Old World, parce qu’elle avait une autre atmosphère, elle procurait un sentiment différent. Je n’arrivais pas à l’imaginer dans le nouvel album. Lorsqu’une chanson est écartée d’un album, il est probable qu’elle ne sortira jamais, ou peut-être de nombreuses années plus tard – ça peut aussi arriver. Par exemple, si on prend la chanson « Evenfall » sur Ylem, nous l’avons enregistrée en 2009 et l’album est sorti en 2010, et la majorité de la musique de cet album a été écrite en 2008 et 2009, mais la musique de cette chanson, je l’ai écrite en 2003 ou 2004. C’est juste qu’à cette époque, ça ne collait pas à Dark Fortress, mais cinq ou six ans plus tard, je me suis dit : « Ah ! Peut-être que c’est le bon moment pour cette chanson », et ça l’était ! Donc on ne sait jamais !
Comme les deux moitiés de l’album viennent, plus ou moins, de deux sessions et sont un peu différentes, dirais-tu que cet album est plus comme deux EP rassemblés ou vois-tu quand même un lien ou une cohérence entre les deux moitiés ?
Oui, je pense absolument qu’elles sont liées et qu’il y a une cohérence. Je vois plutôt ça comme les deux faces d’un vinyle. Enfin, au final, c’est devenu un double vinyle à cause des limites du format. Si chaque face avait fait eu une minute en moins, nous aurions pu tout mettre sur un seul vinyle, ce qui était le souhait d’origine, mais ensuite nous avons changé une petite chose dans « Pali Aike » et la chanson a été rallongée de vingt ou trente secondes, et puis nous avons ajouté l’outro, « Nox Irae », et c’est devenu légèrement trop long. Mais j’ai toujours vu ça comme un LP avec une face A et une face B, et la face B commencerait avec « Isa ».
Spectres From The Old World est le premier album avec le claviériste Phenex, même s’il est dans le groupe depuis fin 2015. Selon toi, qu’a-t-il apporté au groupe ?
Je crois que la chose la plus importante que Phenex a apportée au groupe, c’est son enthousiasme, sa flamme et sa motivation. Il m’a vraiment botté le cul et encouragé. C’était l’aspect le plus important, l’énergie qu’il a apportée. C’était un fan de Dark Fortress quand il a rejoint le groupe, donc il adore la musique et je pense aussi qu’il la comprend très bien. C’était vraiment sympa et agréable d’arranger le clavier avec lui. Il y a une grande partie des claviers qu’on entend dans l’album dont je ne me souviens même pas si c’est moi qui ai trouvé l’idée ou lui. C’était un travail et un effort partagé. C’est vraiment cool quand une coopération se passe comme ça et on ne se souvient même plus de qui est à l’origine de quelle idée.
Tu as déclaré que faire le chant du refrain d’« In Deepest Time » « était l’une des tâches les plus difficiles ». Pourquoi ?
Je ne sais pas si c’était vraiment difficile. Je pense que ce n’était pas tant à cause de l’enregistrement que de la composition de la ligne de chant, car je crois que c’étaient les toutes dernières parties de chant ou paroles qui ont été écrites. Morean avait presque tous les textes prêts quand il est arrivé en studio, mais pas pour cette chanson. Je voulais aussi lui donner une certaine liberté avec les lignes de chant, même si je savais plus ou moins où devait intervenir le chant et quel type de chant il fallait, mais avec ce refrain, je savais exactement quelle approche il devait avoir. Il fallait que ce soit vraiment énorme et que ça porte toute la chanson, mais je n’avais pas écrit de ligne de refrain concrète. Enfin, j’avais certaines idées mais je voulais aussi voir quelles étaient les idées de Morean et où elles nous mèneraient. C’était l’affaire d’une journée environ pour développer la mélodie de ce refrain. Avec les premières idées, j’étais là : « Nan, je ne sais pas. Je ne suis pas très convaincu. » Puis, c’était : « D’accord, maintenant on va dans une meilleure direction. » Et finalement : « Putain, ouais ! C’est exactement comme ça qu’il faut que ce soit ! » C’était un moment très excitant quand nous avions enfin terminé la composition. C’était peut-être l’une des choses qui m’ont pas mal stressé, car nous n’avions plus beaucoup de temps et c’était une partie très importante pour moi. Maintenant, au final, ça s’avère être une de mes chansons préférées, rien que pour ça !
« Imagine juste être dans la nuit arctique, sur une glace éternelle et au-dessus de toi, tu vois le ciel noir, mais ce n’est pas un noir oppressif ou négatif, c’est un noir étincelant qui dégage quelque chose de vraiment divin et sacré. C’était le genre d’image que j’avais à l’esprit [en composant cette musique]. »
Les enregistrements ont été réalisés en plusieurs sessions disjointes. Ce n’était pas difficile dans ces circonstances de suivre les enregistrements ?
Non. En fait, je préfère même que ça se fasse en plusieurs sessions plutôt que de tout faire en une seule et même session. C’est bien d’enregistrer la batterie, puis faire une petite pause, puis enregistrer les guitares, puis faire autre chose, puis faire la basse, etc. A chaque étape, on peut de nouveau avoir un regard objectif et ne pas trop nous noyer dans le cosmos. C’est très fatigant quand on travaille six à huit semaines sur un seul projet chaque jour. Ça peut vraiment rendre fou. Je pense que ça facilite la tâche quand on part faire autre chose entre les sessions. Enfin, ce qui serait très difficile serait d’enregistrer la batterie de deux chansons, puis faire autre chose, et deux mois plus tard enregistrer la batterie d’une autre chanson et la guitare d’une chanson, et ensuite deux mois plus tard reprendre l’enregistrement des guitares ou autre chose. Là ce serait très mauvais, mais nous avons enregistré la batterie en une grosse session – enfin, deux sessions dans ce cas – et ensuite j’ai enregistré la guitare en une autre grosse session, et ainsi de suite. Du coup, on se concentre étape par étape, on garde la fraîcheur d’esprit ; on peut conserver un maximum de concentration pendant cinq ou six jours, puis prendre du recul, faire une pause et faire autre chose. Je pense que c’est mieux que de travailler pendant six à huit semaines, car comment peut-on maintenir toute notre concentration sur une durée aussi longue ? Je pense que c’est presque impossible. Donc je préfère opérer comme nous l’avons fait.
Tu as été l’ingénieur de studio et tu as produit, mixé et masterisé l’album toi-même. C’est généralement peu recommandé que la même personne s’occupe de toutes ces étapes. N’y avait-il pas des moments où tu as eu du mal à avoir l’objectivité et le recul nécessaires pendant le mixage ou le mastering ?
Les trois premiers jours de mix, oui. C’était un peu pénible parce qu’habituellement, quand je mixe quelqu’un d’autre, je suis très rapide à obtenir le son de base et une bonne fourchette de mix qui me plaît pour la première chanson. Généralement, ça ne me prend que quelques heures, mais avec cet album, ça m’a pris trois jours. C’est seulement le soir du troisième jour que j’ai pensé pour la première fois : « Ouais, maintenant ça sonne comme il faut. » J’ai donc eu trois jours de frustration, mais après que cette étape initiale était terminée, après que j’ai surmonté cet obstacle, le mixage s’est passé de manière fluide, comme c’est censé se passer. Donc oui, comme tu l’as dit, ce n’est peut-être pas toujours recommandé de tout faire soi-même, mais ça a aussi beaucoup d’avantages. Si tu embauches quelqu’un d’autre pour faire le mix… Je veux dire que je sais comment je veux que Dark Fortress sonne et nous avons un certain budget. Si nous donnions le mix à quelqu’un d’autre, avec le budget que nous avons, nos albums seraient de la même qualité que nos clips : ils sont pas mal, mais ils ne sont pas excellents [petits rires]. En nous occupant de ça nous-mêmes, je peux m’assurer que nous faisons un superbe album. Enfin, j’aurais aimé avoir eu trois à six mois entre l’enregistrement et le mixage, et pas seulement deux semaines, parce qu’alors ça aurait été plus facile de prendre du recul et retrouver une objectivité. Néanmoins, je pense être assez satisfait du mix.
Le thème général de l’album est « la durée de vie du cosmos, de sa création à sa mort dans un lointain futur, vu sous la perspective du cosmos lui-même », mais étant donné le titre de l’album, Spectres From The Old World, quel est ce « vieux monde » auquel vous faites référence ?
Le vieux monde, je pense, fait simplement référence au vieux monde de Venereal Dawn. Venereal Dawn était une histoire conceptuelle et lors de la conclusion, ce monde prend fin et l’œil narratif plonge dans un rayon de lumière pure. Donc Spectres From The Old World fait référence à la dernière rémanence de ce vieux monde où Venereal Dawn s’est terminé.
Ce vieux monde pourrait-il aussi être les racines du black metal et peut-être de Dark Fortress en tant que groupe ?
On peut l’interpréter comme ça. Ça n’était pas l’idée de départ mais, bien sûr, en dehors du véritable sens, c’est aussi un titre qui laisse intentionnellement de la place à l’interprétation. Si les gens ont différentes interprétations, celles-ci sont vraiment les bienvenues. Et oui, le vieux monde peut aussi renvoyer à nos origines musicales. J’aime cette interprétation ! Ça colle bien.
Morean a fait un voyage au Chili, où « les confins du monde aident énormément à donner l’illusion qu’on foule la surface d’une planète étrangère », comme il l’a décrit. A quel point ce voyage a été impactant pour cet album ?
Je pense qu’il a été extrêmement important pour le côté graphique, pour tout l’artwork. La photo au milieu du livret, où on voit un paysage de montagne et une pleine lune qui se reflète sur l’océan Arctique, c’est dur à décrire mais c’est le genre d’image que je voyais constamment dans ma tête, et c’est le genre d’atmosphère que je voulais donner à la musique. Quand j’ai écrit la musique de « Nascence » et Coalescence », ce que je voyais c’était : imagine juste être dans la nuit arctique, sur une glace éternelle et au-dessus de toi, tu vois le ciel noir, mais ce n’est pas un noir oppressif ou négatif, c’est un noir étincelant qui dégage quelque chose de vraiment divin et sacré. C’était le genre d’image que j’avais à l’esprit, et quand j’ai vu cette photo en particulier, c’était exactement ça. J’étais là : « Wow, je n’ai jamais vu une image qui exprimait mieux ce que j’ai ressenti quand j’ai écrit cette musique que cette photo. » C’est ainsi que nous avons eu l’idée d’utiliser les photos de Morean. Si tu as le mediabook, on y trouve une très belle photo pour chaque chanson. D’une certaine façon, nous avons trouvé pour chaque chanson une photo qui possédait une atmosphère ou une forme d’expression que je pouvais relier à la musique ou aux paroles. En plus, je pense que ce voyage a été très important pour lui, pour qu’il se libère l’esprit et renouvelle son inspiration.
« Quand on crée de la musique et si on a de la chance, on entre dans un état de flux où on oublie tout ce qui nous entoure. C’est un petit peu comme de la méditation. »
C’est un bon photographe…
Oui, je pense qu’il a un bon appareil photo, et si on a un bon appareil photo, une bonne motivation et un œil correct, on peut prendre de très bonnes photos [rires]. Soit dit en passant, il faut aussi préciser que toutes les photos n’ont pas été prises par Morean. Certaines photos ont été aussi prises par sa femme. Elle mérite aussi qu’on lui accorde du crédit. Je crois même que c’est elle qui a fait la photo d’illustration, la grotte de glace.
Cet album est rempli de thèmes liés à la cosmologie, la philosophie et la science, comme c’est généralement le cas avec Morean. Il a « développé un intérêt énorme et actif pour les mécanismes physiques du cosmos et de notre planète ». Partages-tu cet intérêt ?
Un petit peu mais je ne vais pas aussi loin que lui. J’aime regarder des documentaires sur l’espace de temps en temps, mais il s’intéresse beaucoup plus que moi à ce sujet. Je trouve la cosmologie et toutes ces théories et concepts sur l’univers vraiment fascinant, mais quand il s’agit de physique plus poussée, de la théorie des cordes, etc., je dois admettre que je suis largué [rires].
Je sais que Morean a une vision parfois spirituelle de ces thèmes mais aussi de la musique. Vois-tu également quelque chose de spirituel dans l’acte de création musicale ?
Il y a toujours quelque chose de spirituel. Quand on crée de la musique et si on a de la chance, on entre dans un état de flux où on oublie tout ce qui nous entoure. C’est un petit peu comme de la méditation. Donc c’est effectivement une expérience spirituelle. On canalise des sentiments, des émotions et des énergies un peu obscures qu’on ne peut vraiment nommer, et on les met dans quelque chose de concret, qui est la musique. Il y a clairement un aspect spirituel là-derrière.
Six ans sont passés depuis Venereal Dawn, évidemment parce que dans ce groupe vous êtes tous impliqués et occupés dans divers domaines de la musique – la composition, la production, en tant que musiciens de session, etc. Dirais-tu que c’est à la fois une malédiction et une bénédiction, parce que d’un côté, ça fait que vous avez du mal à vous réunir, mais d’un autre côté, il y a beaucoup de savoir-faire et de compétences dont le groupe peut profiter ?
Oui, je suis d’accord. C’est une malédiction et une bénédiction. C’est très important de travailler avec de bons musiciens et je ne voudrais pas perdre ça. Si nous avions travaillé seulement avec des gens du même village ou de la petite ville d’où je viens, je n’aurais pas trouvé… Il n’y a pas de Morean et de Seraph à Landshut pour le moment [rires]. Le plus important est de travailler avec des gens avec lesquels on se sent à l’aise de travailler et qui sont de chouettes gars sur le plan personnel. Ce n’est pas si facile de trouver de bonnes personnes, et il se trouve que c’est ce que nous avons. Il est évident que les bonnes personnes sont généralement demandées, donc c’est compréhensible que les membres du groupe soient convoités et fassent plein d’autres choses. C’est sûr que c’est difficile de prioriser, mais quand nous travaillons sur le groupe ensemble, alors durant cette période particulière, le groupe est la priorité. Et l’expérience que nous avons implique que nous sommes des musiciens expérimentés et évidemment, Dark Fortress en bénéficie, car si nous étions des bleus, la musique ne sonnerait pas comme elle sonne, je pense.
Dark Fortress prend de plus en plus de temps entre ses albums et on dirait que vous avez eu du mal à enfin faire Spectres From The Old World. Ne crains-tu pas parfois pour l’avenir du groupe, que vous ne parveniez pas à refaire un album parce que c’est trop difficile de composer avec les plannings de tout le monde et de toi-même te poser dans un studio en dehors de ton travail ?
Oui. Bien sûr que j’ai cette crainte. Au fil du temps, j’ai très souvent eu le sentiment que Spectres From The Old World serait la dernière fois où nous serions capables de réaliser un tel album avec ce groupe de personnes, car ça a engendré beaucoup de frustration. Néanmoins, j’adore cet album. Je veux dire que tout le monde dit que le nouvel album est le meilleur, et je crois que c’est le meilleur de nos albums. Mais honnêtement, je ne suis pas sûr que nous serons capables de refaire ça une fois de plus. J’avais l’impression que c’était la dernière fois que nous étions capables de faire un album qui soit vraiment extraordinaire.
Et sortirais-tu un album si tu ne pensais pas qu’il est extraordinaire ?
Non. Je ne ferais pas ça [rires].
« J’ai très souvent eu le sentiment que Spectres From The Old World serait la dernière fois où nous serions capables de réaliser un tel album avec ce groupe de personnes. »
Dans cet album, on entend au moins deux approches différentes du black metal. A l’époque de Venereal Dawn, Morean a dit que « à savoir si c’est du black metal ou pas, tout dépend de ce que tu mets derrière ce terme ». Du coup, comment définis-tu le black metal ?
Ma définition du black metal est assez simple et presque stupide, parce que pour moi, tout est dans le nom. Il y a deux mots : noir et metal. Donc pour moi, il faut que ce soit de la musique qu’on peut lier au mot « noir », ce qui signifie qu’il faut que ce soit sombre, sinistre et un peu malfaisant. Il y a du black metal que je perçois, musicalement, d’après les émotions qu’il transcende, comme sonnant un peu inoffensif. Ça me fait dire : « Désolé, ce n’est pas du black metal pour moi. » Il ne s’agit pas forcément de vénérer Satan ou pas, ou de faire semblant de vénérer Satan ou pas, parce que ce n’est pas l’idée pour moi et parfois ces discussions sont un peu ridicules, si tu veux mon avis. Pour moi, il s’agit des émotions contenues dans la musique et de savoir si on peut les lier au mot « noir ».
Morean regrettait aussi que le black metal soit devenu si dogmatique. Tu es d’accord avec lui ?
Absolument. Le metal est devenu très dogmatique. Je ne parle pas forcément de ce qui se passe dans le black metal aujourd’hui, mais ce qui se passe dans le metal plus commercial est très prévisible et manque un peu du danger qu’il a eu par le passé, surtout dans les années 80 et 90. Il y a plein de nouveaux albums dans le metal qui sonnent comme des produits. Ce n’est que du design, c’est conçu pour séduire un certain public… Je n’aime pas vraiment ça. S’il y a quelque chose d’inhabituel et un certain danger dans la musique, c’est ça qui m’intéresse.
Tom Warrior, avec qui tu joues dans Triptykon, est l’un des véritables pères du back metal et il n’a jamais été conservateur ou dogmatique…
Exactement !
Penses-tu que quelqu’un comme lui représente l’essence du black metal ?
Plus que tous ces artistes conservateurs. Oui, absolument. Il y a ces mots clés, comme « liberté », « individualisme », etc. Il faudrait s’y tenir. En fait, je suis un grand fan de South Park, j’ai vu tous les épisodes. Il y en a un à propos des gothiques et ils disent : « Si tu veux être anticonformiste, tout ce que tu dois faire, c’est porter les mêmes vêtements que nous et faire exactement les mêmes choses que nous » [rires]. C’est super drôle parce qu’ils tapent dans le mille. Quand un style de musique se définit par son côté rebelle et par le fait d’être véritablement soi-même et tout, puis qu’à la fois, il faut porter exactement tels habits et tel type de couleur, et penser comme ci, et si tu ne fais pas ça, alors tu n’es pas trve… C’est quoi ce bordel ?! C’est contradictoire.
En avril 2019, tu as pris part à un événement très spécial, en interprétant le Requiem de Celtic Frost au Roadburn, dont l’enregistrement va sortir en mai. Nous avons pu en parler en détail avec Tom Warrior le lendemain de la prestation, mais peux-tu nous raconter ta propre expérience ?
La composition de base a été faite par Tom. Après que Tom eut fini la composition, Morean et moi avons été impliqués. Morean a fait tous les arrangements classiques et moi j’étais tout le temps là, à donner mon avis, des idées, etc. J’ai perçu ça comme un projet très difficile, mais quand nous étions enfin en Hollande, à répéter avec l’orchestre, ça s’est avéré être une expérience vraiment extraordinaire. Avant de faire le concert à proprement parler, nous avons fait deux jours de répétitions avec l’orchestre. L’atmosphère était super et il y avait un respect mutuel, quelque chose auquel je ne m’attendais même pas. J’avais l’impression que de nombreuses personnes dans l’orchestre ont sincèrement apprécié de jouer ce morceau, parce que c’était différent. Je pense que c’était fondamentalement différent de tout, dans une certaine mesure, parce que c’est une musique classique très moderne et contemporaine avec un groupe intégré. Ce n’est pas un groupe de metal typique par-dessus lequel on a ajouté un peu d’orchestre qui joue grosso modo la même chose qu’un clavier aurait normalement jouée. Non, c’est vraiment intégré dans l’orchestre. Très souvent, le groupe joue un rôle très insignifiant dans l’orchestre et les percussions et rythmes sont les instruments principaux. Je veux dire que dans le second mouvement, qui dure trente-cinq minutes et qui s’intitule « Grave Eternal », il y a au moins quinze à vingt minutes où la guitare ne joue pas, mais ça sonne quand même comme Triptykon. C’est ce qui était incroyable : il y a plein de parties où on n’a que de la batterie, peut-être de la basse, et puis l’orchestre, et pourtant ça sonne quand même heavy. Ça m’a stupéfié.
Puis, bien sûr, je me suis occupé en grande partie de toute la post-production, j’ai fait le mix et tout. C’était très excitant. Au début, c’était très dur de gérer toutes ces prises et la tonne de pistes qu’il y avait, mais ça prenait petit à petit de l’ampleur avec chaque étape du travail que nous faisions sur le mix et la post-production. C’était un travail presque addictif. Je ne pouvais presque pas m’arrêter, parce que c’était trop palpitant de voir cette pièce de musique prendre forme. Maintenant que c’est terminé, je suis très content du résultat final. J’ai hâte que ça sorte ! Je suis très curieux de voir comment ça sera perçu par le public, parce que je peux imaginer que certaines personnes l’adoreront, mais je peux aussi imaginer que certaines personnes le détesteront et diront : « C’est quoi ce truc ? C’est chiant ! » Je sais qu’on va voir ce type de commentaires, mais moi je l’adore ! [Rires]
« Il y a plein de nouveaux albums dans le metal qui sonnent comme des produits. Ce n’est que du design, c’est conçu pour séduire un certain public… Je n’aime pas vraiment ça. S’il y a quelque chose d’inhabituel et un certain danger dans la musique, c’est ça qui m’intéresse. »
Il arrive vraiment aujourd’hui que des gens soient déçus par ce que fait Tom ?
Peut-être pas les fans, mais… Enfin, si on remonte aux années 80 lorsque Celtic Frost a sorti Into The Pandemonium, je parie que c’était un album qui a vraiment divisé les gens et que certaines personnes l’ont détesté quand elles l’ont entendu ; si elles voulaient juste entendre un autre « Into The Crypts Of Rays » ou « Circle Of The Tyrants », il se peut qu’elles aient été déçues. Néanmoins, je trouve que c’est de la musique très intéressante, si on l’écoute avec attention et qu’on y est prêt. Ça peut être très gratifiant, si tu t’embarques dans le voyage.
Tom nous a dit qu’il avait commencé à travailler sur le troisième album de Triptykon. Il nous avait dit que l’objectif était de l’enregistrer en 2019 et le sortir en 2020. Où en est ce projet ?
Ouais… Nous ne l’avons pas enregistré en 2019 ! [Rires] A cause de ce genre de chose, je me refuse à faire la moindre déclaration à propos de l’album. Je pense que la meilleure approche est de faire l’album et se taire à son sujet. Quand nous aurons presque fini le mix, alors nous pourrons dire au monde : « Au fait, nous avons un nouvel album qui arrive. » Mais avant ça, je refuse de faire la moindre prévision sur la sortie du prochain album. La seule chose que je peux prédire, c’est que le Requiem sortira le 15 mai prochain.
Tu as intégré un groupe baptisé Rootbrain. Que peux-tu nous dire à son sujet ?
C’est un nouveau groupe et nous n’avons encore rien sorti officiellement. En fait, un bon ami à moi, de Finlande, Tuomo [Räosänen] – il est bassiste et joue dans un groupe qui s’appelle Kuolemanlaakso et que j’ai produit –, a fondé un nouveau groupe. Il y a quelque temps, lui et notre batteur Toni [Ronkainen] et Sami [Helle], le guitariste, sont venus chez moi enregistrer le premier album. Et c’est pendant les enregistrements que je suis devenu un membre du groupe [rires]. Je ne m’y attendais pas. Ils étaient en train d’enregistrer les pistes principales – batterie, guitares rythmiques et basse – et j’ai commencé à vraiment adorer, car j’aimais beaucoup les chansons, le groove, la puissance et l’énergie de la musique. Puis est arrivé le moment d’enregistrer les guitares leads. Sami est un super guitariste rythmique mais pas vraiment un guitariste lead, donc Tuomo m’a demandé si je voulais jouer la guitare lead sur l’album. J’étais là : « Ouais… D’accord… Je ne m’y suis pas vraiment préparé, mais essayons. » Je me suis vraiment éclaté lors de cette session.
Une fois les chansons enregistrées, les gars m’ont demandé : « Maintenant que tu as enregistré les guitares pour l’album, pourrais-tu t’imaginer jouer ces chansons en live quand le moment viendra ? » Je me suis dit : « D’accord, oui, je peux très bien m’imaginer », car ce sont de très bon amis à moi et j’ai adoré l’énergie du groupe. Mais ensuite, il y avait encore la question de savoir qui allait chanter. Nous avions tous un gars en tête, il s’appelle Jules Näveri. Nous avons fait des enregistrements tests avec lui et j’étais complètement scotché quand je l’ai entendu chanter. Je pense littéralement que c’est le meilleur chanteur avec qui j’ai travaillé. Lorsqu’il a enregistré la première chanson, je n’arrivais pas à le croire, j’en avais la chair de poule. J’étais tellement impressionné que je me suis dit : « C’est tellement bon qu’il faut que j’en fasse partie. »
Nous avons sorti deux chansons sur internet, sur YouTube, et nous allons bientôt sortir notre troisième chanson. Puis nous allons voir pour parler avec des labels et, j’espère, sortir un album plus tard cette année. Mais musicalement, c’est assez différent de ce qu’on a l’habitude d’entendre de ma part. Ça ne sonne pas du tout comme Triptykon ou Dark Fortress. C’est aussi parce que je ne suis pas vraiment encore impliqué en tant que compositeur dans le groupe. Mais je décrirais la musique comme un mélange de musiques des années 90 avec un côté grunge. Ce n’est pas vraiment un groupe de grunge, c’est un groupe de metal, mais avec un côté Alice In Chains. J’adore !
Sur la page Facebook du groupe, vous appelez ça du « black grunge de Seattle, en Finlande »…
Exactement ! [Rires] On voit qu’il y a un peu d’humour noir et tordu dans le groupe et c’est aussi un aspect que j’aime bien. Il faut venir de Seattle pour faire du grunge, mais c’est de là que nous venons : Seattle, en Finlande [petits rires].
Tu as donc Dark Fortress, Triptykon, Noneuclid et maintenant Rootbrain…
Oui, mais pour être honnête, Noneuclid n’est plus actif depuis très longtemps et je ne pense pas que nous allons rejouer avec ce groupe. Malheureusement, parce que c’était très cool, mais je pense aussi que les idées que Morean mettait dans Noneuclid à l’époque, il les met maintenant dans Alkaloid, son nouveau groupe qu’il a avec Hannes Grossmann. C’est le cercle parfait de personnes, je trouve. C’est là qu’ils peuvent faire ce genre de chose.
« Quand un style de musique se définit par son côté rebelle et par le fait d’être véritablement soi-même et tout, puis qu’à la fois, il faut porter exactement tels habits et tel type de couleur, et penser comme ci, et si tu ne fais pas ça, alors tu n’es pas trve… C’est quoi ce bordel ?! C’est contradictoire. »
Malgré tout, n’as-tu pas hésité à former encore un nouveau projet ?
Absolument. Je n’aurais jamais pensé faire ça. La raison pour laquelle j’ai rejoint Rootbrain, d’abord, comme je l’ai dit, c’est parce que j’aime la musique, j’aime beaucoup les gars, et je ne suis pas obligé d’être un compositeur dans le groupe. Toutes les tâches qui pèsent sur mes épaules dans Dark Fortress, je ne suis pas obligé de les faire dans Rootbrain. Donc en gros, c’est un groupe dans lequel je prends simplement ma guitare, je viens et je joue. C’est pour ça que je peux le faire. Mais bien sûr, dès que je m’implique plus dans un groupe, j’endosse plus de responsabilités, donc on va voir comment ça évolue. Je pense que c’est possible à faire, il s’agit juste de bien prévoir les choses. Pour le moment, tous les plans que nous avons tombent à l’eau. Aujourd’hui, nous avons annulé nos concerts pour la sortie de l’album de Dark Fortress à cause de ce putain de coronavirus, l’Inferno Festival a été annulé, le weekend dernier nous étions censés jouer à Nantes avec Triptykon et ça a été annulé… Tout est annulé. Nous avons planifié beaucoup de choses en avance pour toute l’année 2020 avec Dark Fortress et maintenant on sait qu’on ne peut rien planifier. Tout est imprévisible.
C’est dur pour tous les groupes et les gens de la scène aujourd’hui, tous leurs plans sont chamboulés…
Ce qui est dingue, c’est que notre claviériste ne peut même pas sortir de chez lui, il est en quarantaine, parce qu’il vit en Norvège et qu’il est revenu de tournée en Europe, et en Norvège ils ont dit que tout le monde qui a été hors de Scandinavie doit rester en quarantaine pendant quatorze jours. Il ne peut donc même pas partir de chez lui maintenant [rires] et il ne pouvait pas voyager pour aller aux répétitions à temps. C’est un désastre pour les groupes, mais c’est surtout un désastre pour tous les indépendants qui travaillent dans ce business. Imagine les salles de concert. Elles n’ont aucun revenu pendant plusieurs semaines ou mois. Je ne sais pas combien vont faire faillite à cause de ça, c’est horrible.
Vous avez ressorti les trois premiers albums de Dark Fortress : Séance pourrait-il être le prochain à recevoir ce traitement ? Car je sais que cet album a été important pour toi…
Oui, j’adore Séance, mais la raison pour laquelle nous avons sorti nos trois premiers albums est qu’ils n’étaient plus disponibles, on ne pouvait plus les acheter. Les contrats avec les anciennes maisons de disques étaient arrivés à échéance, c’est donc pour ça que nous avons ressorti ces albums. Mais en ce qui concerne Séance, l’album est toujours disponible, non ? Parce qu’autrement, il faudrait le ressortir [rires]. Mais sinon, ressortir l’album n’est pas nécessaire tant qu’on peut encore l’acheter. Si on prend Stab Wounds, par exemple, il n’y avait plus aucun moyen de l’acheter depuis 2014, il n’était pas en ligne, comme sur Spotify ou autre – on pouvait juste l’obtenir sur eBay – et c’était très important pour moi de rendre nos vieux albums de nouveau accessibles pour ceux qui veulent les écouter. Séance, on peut encore l’acheter ou l’écouter sur Spotify et un peu partout, donc je ne crois pas que nous le ressortirons.
D’ailleurs, qu’est-ce qui fait que Séance est un album si important pour toi ?
Parce que c’était le seul album avec lequel j’ai été satisfait dès l’instant où il était terminé. Peut-être que c’est juste pour ça. Quand nous avons fini Profane Genocidal Creations, notre second album, nous étions totalement mécontents de celui-ci. Nous le détestions presque, parce que le résultat n’est pas ce que nous espérions. Ensuite, Stab Wound était le premier album que j’ai produit, et il sonnait correctement, mais je n’ai jamais été vraiment content du mix que j’ai fait sur cet album. Alors qu’avec Séance, tout était bien. J’adore les atmosphères et le feeling de cet album. C’était aussi un de ces albums où j’étais extrêmement inspiré, où l’inspiration est venue naturellement, nous n’avons rien eu à forcer. J’étais encore un jeune ingénieur audio à l’époque et c’était la première fois que j’arrivais à obtenir un mix et un master dont j’étais très satisfait. J’avais l’impression que nous avions accompli le meilleur album que nous pouvions accomplir à l’époque. C’est pourquoi j’aime toujours autant Séance. De même, ce qui est drôle avec cet album, c’est qu’habituellement, quand un album est terminé, je ne peux pas l’écouter pendant un certain temps, j’ai vraiment besoin de prendre du recul, parce que je l’ai tellement entendu que ça me rend malade, j’en ai marre, mais quand Séance était terminé, je l’écoutais tout le temps, je l’adorais ! Je ne m’en lassais pas.
D’un autre côté, c’était un peu la fin d’un chapitre de Dark Fortress, vu que c’était le dernier album avec le chanteur Azathoth…
Oui, mais à l’époque, nous ne le savions pas. Ce n’était pas prévisible. Je n’ai jamais vu cet album comme la fin d’un chapitre, parce que c’était aussi une sorte de départ : c’était le premier album que nous avons fait pour Century Media. Pour moi, Dark Fortress Mk II a commencé avec Stab Wounds, parce que c’était, pour moi, l’album avec lequel nous avons défini notre style. Musicalement et niveau composition, Séance et Eidolon sont assez liés, mais bien sûr, le changement de chanteur était un grand changement. Mais toute la musique d’Eidolon était écrite avant que notre chanteur ne parte.
Interview réalisée par téléphone le 13 mars 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Dark Fortress : www.darkfortress.org.
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