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Interview   

Pop Evil : la vie avant la mort


Au-delà de la musique, Pop Evil s’est donné pour mission première de répandre l’espoir et la force, en d’autres termes, de voir la lumière dans l’obscurité, le positif dans le négatif. Alors que Versatile avait été enregistré fin 2019 et début 2020, se prenant la pandémie de plein fouet pour sa sortie, Skeletons, lui, est un pur produit, autant émotionnellement que sur le plan organisationnel, de cette période morose faite de confinements, de craintes et d’incertitudes, notamment pour l’industrie musicale. Voilà de quoi pousser les membres de Pop Evil à se poser une multitude de questions, mais aussi leur offrir une matière première en abondance pour faire ce qu’ils font de mieux. Certes, le titre de l’album et sa pochette avec sa multitude de crânes ont quelque chose de macabre, mais c’est pour dire que « derrière chaque squelette, il y a une histoire et quelque chose qui mérite qu’on en parle », en d’autres termes, qu’il y a une vie avant la mort.

Et justement, c’est pour en parler que nous avons joint le frontman Leigh Kakaty. Il nous raconte la conception d’un album « retour aux sources », émotionnellement parlant, mais qui, à la fois, cherche le compromis entre l’ancienne et la nouvelle école, comme le démontre une musique en tension entre l’organique et le numérique. Une forme de métaphore en soi pour ce besoin d’intégrer malgré eux la technologie, en particulier les réseaux sociaux, dans leur quotidien de groupe. Un entretien dans lequel le frontman se fait toujours aussi loquace sur ses remises en question, sur la carrière du groupe, sur le sens de ses réflexions, etc.

« Maintenant, la présence des réseaux sociaux tient un rôle tellement important que ça ne suffit plus d’être un bon musicien et un bon artiste, il faut aussi presque être une star des réseaux sociaux. »

Radio Metal : A propos de Skeletons, tu as dit que vous aviez « essayé de capturer l’énergie de [v]os concerts ». Vous êtes retournés sur la route en 2021 après un an et demi sans concert. Avez-vous été galvanisés par ce retour sur scène et le contexte qui a rendu ça encore plus spécial ?

Leigh Kakaty (chant) : Il y a clairement une de part de vérité là-dedans. Je sais que quand nous étions dans le dur de la pandémie, nous avions beaucoup de temps, donc en l’espace d’un an et demi, nous avons écrit deux albums. Nous avons écrit Versatile, qui était notre dernier album, et ensuite nous avons écrit Skeletons. Je pense qu’il y avait beaucoup d’énergie refoulée qui est ressortie, beaucoup d’excitation. Nous avions plus de temps pour être en studio. En tout cas de mon point de vue, j’ai l’impression que nous sommes toujours pressés en studio parce que nous devons repartir en tournée pour gagner notre vie, genre : « Ok, allons-y parce qu’après, il faudra qu’on reparte. » Mais là, il n’y avait aucune urgence à repartir en tournée, donc nous nous sommes dit que nous pouvions rester un peu en studio. Ça a été profitable, surtout du point de vue des textes, et nous pouvions vraiment perfectionner les chansons pour nous assurer que c’était l’évolution parfaite pour représenter Pop Evil aujourd’hui, montrer que nous grandissions et nous affirmions, pour ainsi dire. J’ai le sentiment qu’à chaque album, nous essayons de nous surpasser. Il y a tellement de compétition, tellement de super groupes autour de soi, que si on se focalise là-dessus et s’en inquiète, on peut perdre son identité. Pour nous, il s’agit juste d’essayer de vivre dans l’univers de Pop Evil, de constamment essayer de rendre ces albums meilleurs pour les incorporer dans nos concerts et, au final, faire de ces concerts la meilleure expérience possible pour nos fans.

Tu as aussi dit qu’il s’agissait de « tout épurer jusqu’à l’os ». A la fois, vous avez un gros son. Dirais-tu qu’épurer les chansons soit le secret pour qu’elles sonnent massives ?

Je pense qu’il y a différentes façons d’épurer. Ce n’était pas seulement musicalement. Il s’agissait de revenir à nos racines, émotionnellement. C’est lorsqu’on part loin de chez soi… Enfin, il y a même un morceau sur l’album qui s’intitule « Circles ». Quand tu es gamin, tu grandis en voulant faire ça, tu as ces grands rêves, et nous, nous étions dans un environnement très ouvrier, nous avons grandi dans le Michigan, donc il y avait toujours cette idée fausse de se dire que le rock n’ roll allait sauver notre âme. On retrouvait même ce thème dans l’une de nos premières chansons, « A 100 In A 55 ». Nous croyions que si nous parvenions à tourner, ça allait résoudre nos problèmes. La réalité est que l’industrie musicale n’a cessé de changer depuis. Nous y sommes rentrés il y a des années et maintenant, la présence des réseaux sociaux tient un rôle tellement important que ça ne suffit plus d’être un bon musicien et un bon artiste, il faut aussi presque être une star des réseaux sociaux. C’est déjà difficile de tourner et de s’assurer que les concerts sont bons, mais nous n’aurions jamais cru que nous serions en plus obligés de comprendre les réseaux sociaux. Nous ne nous étions jamais souciés de ça quand nous avons débuté.

Donc quand nous disons que nous voulions épurer, c’est aussi pour dire : « Ecoutez, on ne peut pas se soucier de ces choses qu’on ne peut pas contrôler. Prenons un peu de recul, rentrons chez nous dans le Michigan… » De toute façon, j’étais coincé là-bas à cause du Covid-19, pour pouvoir être là pour ma famille et mes amis, et essayer de garder tout le monde en sécurité. Quand nous étions revenus à la maison et qu’on a commencé à nous enlever des choses, que nous ne pouvions pas tourner, que nous ne pouvions pas penser à tout ce qu’il y avait autour de la musique… Je veux dire que je n’avais jamais rien connu de tel depuis que j’étais un jeune adolescent. Depuis le début de mon adolescence, je pouvais au moins aller dans des bars et voir des concerts. Nous ne pouvions même pas faire ça. Il a donc fallu que je me regarde dans le miroir et dise : « Ecoute, as-tu encore vraiment envie de faire ça ? » A mesure que les réponses à ces questions devenaient des oui, « oui, je veux continuer à faire ça », « oui, c’est ce que j’aime, c’est ce que je veux faire », et que ça s’est transformé en temps de studio, il y avait une agressivité qui a émergé et je me suis dit : « Cet album soit s’appeler Skeletons. » On a tous un squelette. On a tous des os dans notre corps ou des démons dans notre tête. Il fallait évacuer toute cette négativité et la transformer en chansons entraînantes et heavy.

On y retrouve quand même certaines thèmes et pensées sombres, mais en essayant de les rendre aussi positifs que possible, afin, avec un peu de chance, d’aider d’autres gens à gérer les crises. Parfois, la seule chose que les gens peuvent comprendre et à laquelle ils peuvent s’identifier, c’est la musique. Quand je repense à mes jeunes années, quand mes parents, les professeurs, les médecins ne pouvaient pas m’aider de quelque manière que ce soit, la musique était toujours là. J’ai désormais cette responsabilité en tant que membre d’un groupe de donner en retour et d’aider d’autres gens, et nous avons tous cette mentalité. C’est genre : « Ecoute, on est furieux, on est en colère, on est frustrés, mais on a quand même envie d’aider quelqu’un. » Le fait que nous ayons ce thème universel commun à nous cinq, c’était très inspirant pour nous y remettre et essayer non seulement de laisser nos émotions sortir, mais de les transformer en positif. C’était un super environnement, pas uniquement pour le groupe, mais aussi pour nos producteurs et nos manageurs. Ça nous a permis de vraiment nous amuser, ce qui a mené à certaines des collaborations que nous avons faites.

« Quand je repense à mes jeunes années, quand mes parents, les professeurs, les médecins ne pouvaient pas m’aider de quelque manière que ce soit, la musique était toujours là. J’ai désormais cette responsabilité en tant que membre d’un groupe d’aider d’autres gens. »

Nombre de ces chansons étaient de simples démos… Encore une fois, je me suis retrouvé dans mon petit cercle d’amis et familial. Quand je leur faisais écouter les démos, ils étaient comme des dingues et ensuite, nous devions retourner en studio pour réenregistrer les morceaux. Je leur refaisais écouter et ils étaient là : « Eh bien, j’aimais beaucoup la démo. » Je me disais qu’il y avait une vérité intéressante là-dedans. Quand nous faisons des albums maintenant, même à commencer par Versatile, nous nous disons : « On arrête de faire ça, on va juste faire les démos. » C’est comme si je te faisais écouter trois chansons et que tu étais là : « Ouah, j’aime beaucoup la chanson numéro deux », il y a quelque chose qui te plaît dedans, donc essayons de comprendre ce que c’est et bâtissons sur cette base. Donc, au lieu de tout réenregistrer… C’est très intimidant quand on fait une chanson ou son premier devoir d’anglais, et qu’on se dit : « Bon, je dois faire quatorze brouillons. » Arrivé au quatorzième brouillon, t’es là : « Oh mon Dieu, je n’arrive plus à réfléchir sur ce sujet. » Donc, encore une fois, nous ne voulions pas trop réfléchir aux choses. Nous voulions juste suivre notre instinct. Nous savons quel genre de musicien nous sommes. Nous savons plus que jamais quel genre de personnes nous sommes hors scène. Donc nous voulions emmener cette assurance et cette excitation dans ces chansons, et les laisser être ce qu’elles sont. Elles sont venues sur le moment, c’est ce que nous avons écrit, boum, nous nous en soucierons quand elles commenceront à avoir leur propre identité et que nous verrons les fans réagir.

Les gens demandent ce que ces chansons signifient. Ceci est mon septième album. Ça n’a pas d’importance ce qu’elles voulaient dire quand elles ont été écrites. Leur sens change à mes yeux à mesure que nous les jouons sur scène. C’est intéressant comme notre perception des chansons peut évoluer. Une fois qu’on les joue, qu’on fait des VIP, qu’on rencontre des fans et des amis et qu’ils nous disent comment elles les ont aidés, notre définition du sens de ces chansons change totalement. Les voir faire partie du paysage de la scène musicale et devenir la propriété d’autres personnes fait partie du plaisir quand on est un compositeur et un musicien qui tourne. Les gens ont le droit d’avoir leur propre relation à ces chansons. Tu leur donnais une certaine définition au départ, mais c’est vraiment cool qu’elles prennent un sens totalement différent. Prends « Torn To Pieces », qui est l’une de nos chansons les plus populaires. Je l’ai écrite tout seul dans un coin quand mon père est décédé, faisant face à cette perte, c’était horrible. Ça peut paraître évident, mais quand tu es dans un moment sombre et que tu as l’impression d’être seul à affronter ça, c’est très rafraîchissant de savoir que d’autres gens se sont sortis de cette obscurité et qu’en fait, tu n’es pas seul, et de voir un sourire ou une larme de joie, et à cet instant, on ne fait qu’un.

Il y a clairement une assurance dans cet album qui, je pense, ne fait que grandir à mesure que Pop Evil évolue. Nous savons qui nous sommes. Déjà, nous avons la chance de pouvoir faire de la musique, mais nous avons aussi la chance de pouvoir créer la musique que nous voulons créer. Il n’y a jamais eu quelqu’un dans un coin qui disait : « Vous devez faire ci, vous devez faire ça. » Nous écrivons ce que nous écrivons et nous avons la chance d’avoir le succès que nous avons, mais nous écoutons aussi nos fans. Nous comprenons qu’ils veulent entendre de grosses guitares étouffées, nous comprenons qu’ils veulent aller au concert, qu’ils veulent être impliqués. Ils veulent être là les cornes levées, ils veulent sauter, ils veulent ressentir cette énergie et chanter en chœur. Donc je pense qu’avec le temps, nous percevons mieux aussi ce que les fans attendent de nous, mais en étant sur cette corde raide où on donne aux fans qui sont là depuis le début ce qu’ils veulent tout en évoluant. On dirait que depuis la pandémie, il y a une toute nouvelle vague de jeunes auditeurs qui arrivent dans le rock et le metal. Il y a une vraie énergie. Je n’ai pas souvenir d’avoir ressenti ça quand nous avons commencé, pas à ce point. Donc, le fait de leur offrir des chansons auxquelles ils peuvent s’identifier… Car il n’y a aucune exposition à la télé, ce n’est pas comme il y a vingt ou trente ans. Donc, devant cette jeune déferlante, il faut savoir parler leur langue. Ils aiment certains sons, et sur ces deux derniers albums, nous avons essayé de comprendre comment ces nouveaux éléments peuvent s’intégrer à notre style, notre son et nos concerts. Ça a conduit à donner un second souffle à nous et notre musique. C’est tellement excitant. Nous n’aurions jamais cru que Pop Evil écrirait ce genre de morceaux quand nous avons débuté, mais c’est le cas, et maintenant que nous avons cet arsenal et que nous savons qu’à l’avenir nous pourrons emmener ça plus loin, c’est excitant, c’est amusant.

J’ai vu chez d’autres camarades et amis qui font ça depuis longtemps un éclat en quelque sorte s’éteindre. C’est important de maintenir l’énergie de l’excitation à un certain niveau, et ces nouveaux éléments permettent de faire ça. Je suis sûr que tu as entendu ton lot de… Enfin, je n’ai pas besoin de citer des groupes, mais ils sonnent pareils à chaque album. C’est très bien, je comprends que des fans aiment ça, mais avec Pop Evil, nous avons la chance d’avoir pu faire évoluer notre son. Au final, tel est notre parcours. Il s’agit de déplacer les pièces de l’échiquier de façon à pouvoir se dire : « Ouah, jamais je n’aurais pensé qu’on serait capable d’écrire cette chanson, mais la voilà. » Il est clair que les membres du groupe ont tous des influences différentes, donc quand tu rassembles tout ça, différentes choses en ressortent, dont certaines que tu ne soupçonnais pas faire partie de ton ADN. Tu joues ces choses en live et tu vois les gens réagir. Je pense que la pandémie et le temps mort qui allait avec nous ont permis de mieux apprécier tout ça que par le passé.

« Depuis la pandémie, il y a une toute nouvelle vague de jeunes auditeurs qui arrivent dans le rock et le metal. Devant cette jeune déferlante, il faut savoir parler leur langue. Ils aiment certains sons, et sur ces deux derniers albums, nous avons essayé de comprendre comment ces nouveaux éléments peuvent s’intégrer à notre style, notre son et nos concerts. »

Tu avais déjà dit par le passé que vous pensez aux fans en écrivant de la musique. Penses-tu qu’à l’inverse de ce que d’autres groupes disent, la composition musicale ne devrait pas être quelque chose d’égoïste ?

Il y a plein de façons de voir ça. Tu penses toujours à tes fans, mais à la fois, c’est délicat car tu veux aussi te stimuler, tu veux emmener tes chansons plus loin, tu veux pousser ta voix. T’es là : « D’accord, je suis un chanteur mélodique. Essayons de faire un truc un peu plus agressif ou un peu plus criard dans l’accroche. Je n’ai encore jamais fait ça. Peut-être que je dois apprendre à crier comme il faut, sans me déchirer la voix, de façon à ce que quand je me mets à chanter, je puisse vraiment le faire. » Ou alors : « Nous avons utilisé ces sons de guitare sur l’album précédent. Ne nous contentons pas de les utiliser de la même façon. » Même si nous pensions à nos fans, nous nous disions : « Bon, les fans aiment ça. D’accord, mais montons les choses d’un cran. Peut-être qu’on n’est pas obligé d’aller aussi loin dans cette direction, peut-être qu’on peut trouver un compromis. » Tu penses à eux, mais tu ne fais pas que penser à eux lorsque tu composes. Tu penses à eux surtout du point de vue de ta performance. « Vont-ils être divertis ? Vont-ils s’impliquer ? » Ça bouge constamment ; tu penses différemment avec chaque chanson. Je ne crois pas qu’on pense tout le temps aux fans quand on essaye d’être créatif et différent, parce qu’à ce moment-là, on ne sait pas si les fans vont aimer ou bien l’accueillir. On prend quand même des risques et on apprend. Si les fans aiment cet album, peut-être que nous pourrons continuer à faire d’autres choses dans cette veine, mais à la fois, qu’est-ce qu’ils n’ont pas aimé ? D’accord, ils n’ont pas aimé ceci. Peut-être que nous éviterons de le refaire sur le prochain album, mais nous l’emmènerons dans une autre direction et nous pouvons être expérimentaux et leur donner l’occasion de ne pas s’ennuyer en ne faisant pas ce à quoi ils s’attendent de notre part. Il y a plein de façons de penser à ses fans quand on fait un album et de faire en sorte que ça reste intéressant pour soi aussi. C’est une évolution que nous cherchons à déterminer à chaque album.

C’est un album agressif et très orienté guitare, mais on retrouve quand même pas mal d’éléments électroniques qui font que votre musique sonne encore très produite. On a parlé par le passé de la dualité qu’on retrouve dans le nom du groupe – le côté pop et le côté metal – et cette dualité vaut aussi pour le rapport entre organique et numérique. Le conflit entre l’humain et la technologie est de plus en plus récurrent. Penses-tu que ce groupe montre qu’il peut y avoir une harmonie entre les deux ?

Oui, tu vois juste. Je pense qu’on voit les difficultés qu’il peut y avoir, surtout pour Pop Evil… Avant, à chaque fois que nous tournions, je faisais des réunions avec mes manageurs, les labels, le groupe, et ça parlait toujours de choses liées à la tournée : « Le matériel est prêt, tout est bon, tout est calé, les tour bus… » Maintenant, c’est à peine si nous ne faisons pas des réunions sur : « D’accord, il faut que la personne qui gère les réseaux sociaux soit présente dans le bus. » C’est fou. S’il y a douze personnes dans un tour bus, c’est normal, mais je dois virer quelqu’un dont j’ai besoin pour le groupe pour faire une place au gars des réseaux sociaux. Je trouve ça dingue. Ces difficultés internes avec la technologie sont devenues incontournables pour nous, d’une certaine façon. Je ne suis pas rentré dans cette industrie pour ça, je voulais juste faire de la musique. Donc, ayant eu à apprendre là-dessus, on voit une agressivité faire écho à ces problématiques dans certaines de ces chansons sur lesquelles on entend plus d’éléments électroniques. Et le matériel devient meilleur. Donc, quand tu rajoutes des éléments, que t’es en train de jouer avec ces machines et que tu pousses des boutons, tu te dis : « Oh ouah, écoute ce son, c’est cool ! Est-ce que ça peut fonctionner avec nous ? » Considérant ce côté marrant en parallèle des difficultés que nous avons à gérer les réseaux sociaux au quotidien, nous avons clairement cherché à mettre en valeur cette sorte de dualité, comme tu l’as dit, entre la vieille école, en épurant la musique, et la nouvelle école.

C’est ainsi qu’on évolue. Quand tu es un nouveau groupe en devenir, qui vient d’arriver, tu ne peux pas juste jouer… Par exemple, si nous jouions la même chose que quand nous venions de fonder le groupe, je ne sais pas si nous serions encore là. Le son évolue, les gens évoluent, et le fait de constamment changer et être à la page, c’est un vrai défi. Ce n’est pas simple. Trouver sa place dans tout ça peut aussi être un défi. Donc, je pense que tu as raison. C’est cool que tu l’aies remarqué. Nous en avons pleinement conscience et nous essayons de jouer sur les deux tableaux, le yin et le yang, le plus et le moins que sont la nouvelle ère et l’ancienne. On voit bien ces gens qui s’accrochent au vieux style, au vieux son, ou peu importe ce que c’est, et puis il y en a d’autres, ceux de la nouvelle génération, qui s’en fichent. Ils ne s’en soucient même pas. Ils sont sur un truc, puis ils passent à un autre. Il est clair que c’est différent, et on voit bien cette sorte de tension au cœur de la musique dans cet album.

« Si un morceau ne paraît pas bien dès le début, souvent ça ne changera rien de lui rajouter des choses, autant passer à une autre chanson. »

Vous avez de nouveau travaillé avec le producteur Drew Fulk, mais autant pour Versatile vous aviez un tas de producteurs, autant pour ce nouvel album, vous avez voulu travailler avec une seule personne. J’imagine que ça fait partie de cette idée de retour aux sources dont tu parlais. Penses-tu qu’il soit nécessaire de s’éloigner de nos racines pour les redécouvrir et les réembrasser avec des yeux et des oreilles neufs ?

Oui. Je pense que c’est important. Tous les groupes ont besoin de s’éloigner de leurs racines pour y revenir, d’une certaine façon. Sur l’album Versatile, nous avions une multitude de producteurs et c’était super. J’étais dans différentes configurations et je faisais une démo ici, une démo là, en prenant ce que je pensais être le meilleur niveau chant. Puis, bien sûr, en tant que groupe, nous utilisions différents éléments, en les assemblant et en nous les appropriant. Mais avec cet album, je me souviens, en parlant à Drew, de m’être dit qu’il avait un truc qui me mettait en confiance et que nous n’avions pas besoin de plusieurs producteurs. Il y avait une envie. Nous avions fait deux ou trois chansons avec lui sur l’album précédent, qui ont eu de très bons retours. Nous avons fait une chanson rap avec lui, « Breathe Again », qui s’est hissée à la première place. Quand je travaillais avec Drew, j’en voulais toujours plus. J’avais l’impression qu’il restait encore des chansons à faire avec lui. Drew a eu l’amabilité de tenter le coup de faire un album complet avec nous. C’était super. Cet album paraît un peu plus cohérent. Je crois que c’est ce que nos fans voulaient de notre part. Même s’il y a des éléments différents, ça sonne comme un seul et même groupe. Ce n’était pas le cas de certaines chansons sur nos albums précédents. Nous avons voulu juguler ça. Nous avons voulu peaufiner chaque détail et nous assurer de faire évoluer notre son pour devenir le groupe que nous voulons être. La pandémie nous a donné beaucoup de temps pour réfléchir à tout ça et Drew a clairement changé la donne pour nous. Evidemment, nous avons aussi fait quelques expériences sur cet album en collaborant avec d’autres artistes. Ce sera intéressant de voir comment cet album sera reçu.

Comme tu viens de le dire, vous avez collaboré avec d’autres artistes sur les trois dernières chansons : Devour The Day, Fit For A King et Zillion. Avez-vous parfois l’impression que le groupe ne suffit pas ou qu’il est trop « restreint » pour satisfaire vos envies d’exploration musicale et de polyvalence ?

Je ne pense à rien de tel. Si on prend l’exemple de Devour The Day, Blake [Allison] est un bon ami à moi. Il était parti en tournée avec nous pour nous aider avec d’autres trucs. Nous avons discuté de cette chanson qu’il avait écrite pour un autre groupe et qui s’intitulait « Wrong Direction ». Je trouvais que ça allait bien avec l’histoire de notre groupe et le fait que son premier groupe nous avait emmenés sur notre toute première tournée. Avec les problèmes qu’il a eus personnellement et les miens dans ce projet, je me disais : « On dirait qu’une mauvaise direction a été prise. Il y a des parallèles. Peut-être qu’on devrait faire cette chanson ensemble. » Il était là : « Je suis partant. Essayons. » Nous avons essayé. Nous avons enregistré des démos et nous avons adoré. J’étais vraiment excité par le refrain. Quand tu entends cette chanson, il est davantage mis en avant lors des accroches, sur le refrain. Je suis suffisamment modeste pour… En fait, je m’en fiche. Je n’ai pas besoin d’être valorisé sur le refrain. Je suis sur l’album, on m’entend assez ! Donc, ayant cette humilité, je pense qu’en tant que groupe, en tant qu’équipe, nous sommes collectivement dans un espace très ouvert pour faire tout ce qu’il y a de mieux pour la chanson.

Concernant Zillion, j’ai travaillé avec lui pendant à peu près un an et demi. J’ai fait une chanson avec lui et il était totalement ouvert. J’avais cette chanson que je trouvais avoir le potentiel pour déchirer. Il m’a donné quelques options dessus, et il a mis dans le mille. Donc j’étais là : « Ouah, en voilà une autre ! » Je sais que pour Fit For A King, c’était un peu de la dernière minute. Nous venions d’enregistrer la musique et nous étions très excités. C’est sans doute l’une des chansons les plus heavy de toute la carrière de Pop Evil. Nous avons posé le chant et Drew a mentionné : « Peut-être que [Ryan] Kirby peut mettre du chant là-dessus. Il serait super sur ce morceau. » J’étais là : « Voyons ce qu’il va en dire. » Littéralement, en vingt-quatre heures, Kirby a écrit et renvoyé toutes les paroles, et ça nous a abasourdis. Nous étions là : « Ouah, c’est génial ! »

C’est extraordinaire, déjà, la façon dont la technologie a changé. On peut s’envoyer des trucs par e-mail. Depuis la pandémie, on n’a pas besoin d’être tout le temps et en même temps ensemble dans une pièce. Les e-mails offrent à tout le monde la possibilité d’être à l’aise dans son propre espace et de livrer, avec un peu de chance, la meilleure version de soi-même en studio. C’était donc, encore une fois, très organique, très naturel, et nous ne réfléchissions pas trop. C’était genre : « Ouais, c’est super. Allez, on y va. » Je pense qu’avec les albums passés, nous réfléchissions trop et ça mène à un environnement très stressant. Nous ne voulions aucun stress avec cet album. Nous étions excités d’être de retour et nous voulions juste faire les meilleures chansons que nous pouvions faire. Si un morceau ne paraît pas bien dès le début, souvent ça ne changera rien de lui rajouter des choses, autant passer à une autre chanson, en écrire une autre. C’était donc vraiment cool la façon dont ces trois-là se sont faites et ça a apporté un côté fun à l’album. Je crois qu’on peut entendre qu’il est différent des autres que nous avons faits.

« Nous pensons à nos familles et à tous ceux qui ont fait énormément de sacrifices et mis leur vie en pause pour que nous puissions continuer à tourner dans le monde et répandre notre musique. Parfois, il y a un grand sentiment de culpabilité. »

A propos de l’artwork et du titre, tu as déclaré avoir conscience que « c’est un visuel morbide, mais [que] derrière chaque squelette, il y a une histoire et quelque chose qui mérite qu’on en parle ». On dirait qu’une nouvelle fois, vous transformez le négatif en positif, comme tu le disais plus tôt. As-tu toujours eu ce regard positif sur les choses ? Est-ce que ça a toujours fait partie de ta personnalité ou est-ce quelque chose que tu as appris avec le temps ?

J’ai essayé d’avoir un tel regard toute ma vie, mais je pense que c’est clairement quelque chose qu’on apprend au fil des années, juste pour se motiver. Pop Evil a encore beaucoup à prouver. Nous ne sommes pas un gros groupe, il y a encore plein de gens qui ne nous connaissent pas, donc ça peut être vraiment épuisant. Avec tout ce que nous avons fait dans notre carrière, il y a un côté : « On devrait être ici, on devrait être là. » Tous les groupes pensent ça, donc c’est très facile de s’apitoyer sur son sort et d’être négatif. Il était donc nécessaire que nous adoptions cette mentalité, en nous disant : « On doit faire notre propre course. Un fan à la fois, et il faut qu’on soit reconnaissant. » Je pense que cette attitude positive est ancrée en nous en tant que groupe, unité, équipe, consistant à être reconnaissant des opportunités qui s’offrent à nous. Au final, nous pouvons faire de la musique, et nous avons pu le faire pendant longtemps, et ce à notre façon. C’est ça le truc, nous ne sommes pas rentrés dans cette industrie pour devenir célèbres ou gagner beaucoup d’argent. Nous voulions juste jouer de la musique et faire autant de concerts que possible. Une chose qui nous excitait était de mettre un spectacle en place et essayer de tourner sur cette base.

Je pense que nous aurions pu avoir plein de raisons d’être négatifs et de rentrer dans cette spirale. Nous avons dû apprendre à être positifs lors des moments difficiles pour nous en sortir et encore exister aujourd’hui. Nous sommes clairement fiers que nous soyons capables d’être suffisamment responsables pour essayer d’amener un peu de positivité dans le monde et auprès de nos fans. Ça ne veut pas dire que nous n’abordons pas des thématiques sombres. Ça ne veut pas dire que nous n’avons pas nos moments de galère, mais quand nous avons une opportunité, rien qu’avec le nom de l’album, comme tu l’as dit, de vraiment vous stimuler autant visuellement que de façon sonore au travers de chansons, nous voulons le faire de façon positive. Ce n’est pas quelque chose qui vient uniquement de moi. C’est le groupe entier. Nous partageons tous ce message, nous avons tous utilisé cette positivité comme une motivation pour avancer.

Dirais-tu qu’on puisse transposer l’idée de cette pochette au metal en général : derrière même le death metal ou le black metal le plus brutal et morbide, il y a de la positivité ?

Oui. Enfin, je ne suis pas familier de ces scènes extrêmes, mais il y a clairement un côté sombre à cet album. Enfin, il est sombre. L’idée de Skeletons est un concept très sombre en général, et ça découle d’un état d’esprit sombre. Les gens ont vécu plein de moments difficiles. Je parle pour nous tous individuellement. En tant que membres d’un groupe, nous avons tous vécu l’enfer, pour ainsi dire, pour être là où nous sommes, chacun de nous. Donc, collectivement, ces thématiques ressortent quand nous écrivons des chansons et des riffs, et certainement quand nous réfléchissions au concept de cet album. C’est aussi le premier album pour lequel nous avions un nom aussi tôt durant le processus, avant qu’il ne soit terminé. Normalement, le nom vient à la fin, quand nous avons une idée de la direction qu’il prend. Honnêtement, ça peut parfois être très stressant. Mais encore une fois, tout ce processus était une expérience très différente. Nous savions que nous revenions à nos racines. Nous savions qu’il le fallait, juste pour avancer, à cause de l’adversité à laquelle nous avons été confrontés durant la pandémie. Il y a le côté metal et nous voulions également vous donner visuellement un côté sombre. Donc oui, je pense qu’il y a du vrai là-dedans aussi.

L’artwork peut rappeler ceux d’Ed Sheeran, avec les signes mathématiques. Je ne sais pas si c’est fait exprès ou si c’est un clin d’œil volontaire, mais vous avez en commun ce don pour la mélodie pop hyper accrocheuse. Est-ce une référence pour toi à cet égard ? Êtes-vous influencés par ce genre d’artiste ?

Je sais qui est Ed Sheeran, mais je ne sais pas… Enfin, je suis chanteur, donc j’ai toujours chanté avec de la mélodie. De même, avec cet album, j’ai expérimenté et emmené mon chant dans des directions différentes. J’ai évolué au fil des années. Je pense que le défi est en partie de voir jusqu’où on peut pousser sa voix. J’ai déjà fait des choses sur les albums passés. Je n’ai pas besoin de les refaire. Quand tu penses à ta setlist, tu as déjà ces chansons dessus. Donc comment peux-tu évoluer et retravailler ton son ? C’est là qu’intervient Drew. Drew était essentiel pour nous assurer que nous emmenions ma voix dans des directions différentes. Il est clair que j’ai déjà entendu la musique d’Ed Sheeran, ses mélodies accrocheuses, mais il y a une tonne de trucs qu’on entend à la radio… Je ne sais pas, parfois tu te contentes de jouer la musique et tu vois ce qui en sort. Et puis je pense que les collaborations ont aidé. C’est sympa de voir comment d’autres chanteurs ou leaders de leur groupe font les choses. Tu peux dire : « Oh, d’accord, c’est différent de ce que je fais. » Evidemment, je peux voir les parallèles avec un chanteur de pop, je comprends, ils chantent avec beaucoup de mélodie, tout comme moi parfois. Je suis moi-même ce genre de chanteur et c’est une force que j’ai depuis le début. Je suis excité à l’idée de voir où ça ira et où nous pourrons emmener Pop Evil et ma voix à l’avenir. Je pense que ça fait partie du défi.

« Tu veux tourner et tu veux que ta musique ait le plus de succès possible. Tu n’as pas envie de laisser ta famille et tes amis pour faire seulement des petits trucs. »

« Paranoid (Crash & Burn) » parle des voix dans notre tête et de la manière positive de les gérer. A ce propos, tu as dit qu’« il y a toujours une manière positive de s’évader de son esprit. Il faut juste trouver la bonne clé pour déverrouiller la porte. » As-tu l’impression qu’autant notre esprit peut être un refuge, autant il peut aussi être un piège ou une prison ?

Bien sûr. Ces voix sont vraiment capables de te faire passer à côté de plein d’opportunités dans la vie. Tu peux choisir de les écouter ou alors de les repousser, de suivre tes rêves et de faire ce que tu as envie et qui te rend heureux. Comme nous en avons parlé avant, avec la situation dans laquelle le monde a été durant les deux ou trois dernières années, j’ai personnellement eu plein de voix dans ma tête. Encore une fois, je ne me suis pas forcé à essayer d’écrire cette chanson. Il s’agit juste de fermer les yeux et tu commences à chanter une mélodie. C’est ce qui en est sorti. Je trouve que c’est intéressant quand les chansons sont écrites comme ça, quand tu peux vraiment plonger profondément dans ton âme et ressentir où la guérison doit commencer pour toi. En tant que chanteur et parolier, quand tu fermes vraiment les yeux et laisses sortir cette émotion, c’est là que la guérison débute. Cette chanson m’a clairement soigné, dès les premiers moments du processus de démo. Evidemment, maintenant qu’elle est sortie et qu’elle a un clip, il y a eu un sacré voyage avec cette chanson très personnelle, mais c’était le point de départ de la guérison pour moi.

Qu’est-ce que les voix dans ta tête t’ont dit au fil des années ?

Plein de choses ! « As-tu envie de continuer à faire ça ? » « Est-ce que ça vaut vraiment la peine ? » « Il est peut-être temps de faire ci ou ça. » « N’es-tu pas trop vieux pour faire ci ou ça avec le groupe ? » La plupart des gens entendent la même chose. Il ne me vient rien de spécifique tout de suite, mais tout ce qu’on peut imaginer a probablement tourné dans ma tête à un moment donné. Quand tu es le chanteur et frontman d’un groupe, tu dois être un leader. Tu dois pouvoir repousser ces voix. Beaucoup de gens comptent sur moi et le groupe, sur le fait que nous fassions ce que nous faisons et que nous persévérions. Nous pensons à nos familles et à tous ceux qui ont fait énormément de sacrifices et mis leur vie en pause pour que nous puissions continuer à tourner dans le monde et répandre notre musique. Parfois, il y a un grand sentiment de culpabilité. Il faut pouvoir rester fidèle à soi-même pour la cause et être respectueux. Mais pour revenir à l’une de tes questions précédentes, sur le fait d’être positif : il faut apprendre comment être inspirant, alors que ça change constamment. Des gens vont et viennent dans ta vie, et tu veux être une meilleure version de toi-même pour eux et pour le groupe, et faire quelque chose de positif de ta vie.

Vous avez une chanson intitulée « Who Will We Become? » dans laquelle tu chantes qu’« on peut choisir qui on va devenir ». Du coup, laisse-moi te poser la question : qui aimerais-tu devenir ?

C’est quelque chose qu’on cherche toujours à savoir, n’est-ce pas ? On veut être un modèle positif dans la scène et faire sa part pour la jeune génération de groupes qui veut s’exprimer. Enfin, au bout du compte, c’est de l’art, et certains aimeront ton art plus que d’autres. Certains n’aimeront pas du tout. Pas de souci. Mais on veut inciter ce jeune public à jouer de la guitare, à prendre des instruments. Je veux que nous fassions notre part et ça pourrait pousser un futur talent à faire cette ascension. Le chemin est long et je pense que dans notre belle scène, les choses sont plus entremêlées que jamais. Il y a plus de mélanges que jamais dans le rock, le metal et même l’alternatif. Il s’agit de rassembler cette famille, cette fraternité de musiciens qui tournent et faire en sorte qu’on se soutienne mutuellement, quand on le peut, que ce soit avec des collaborations ou les tournées en emmenant d’autres gens avec nous, en exposant nos fans à de nouveaux groupes talentueux. Nous voulons participer à maintenir tout ça en vie, faire en sorte que ça continue, parce que je pense qu’avec tous les réseaux sociaux, comme nous en avons parlé plus tôt, c’est très facile aujourd’hui d’appuyer sur un bouton et de se dire qu’on joue de la guitare, « regardez, je joue un solo de guitare », alors qu’ils en jouent le pouce sur un joystick. Encore une fois, je suis de la vieille école dans mes manières, très col bleu. Je trouve qu’il est important de respecter les instruments de musique et de pouvoir être avec un groupe de frères, ou de sœurs aussi, et d’essayer de conquérir le monde avec sa musique. C’est la mentalité avec laquelle j’ai grandi. Il s’agissait toujours d’aller dans le garage de nos parents et d’essayer d’éviter que quelqu’un appelle la police parce qu’on était trop bruyant, et de vivre le rêve. Donc, encore une fois, qui va-t-on devenir ? Répondre à cette question est certainement une part importante de ce que nous essayons de faire. Mais en tant que groupe, en tant qu’équipe, nous essayons laisser notre empreinte.

Tu avais justement dit une fois que tu voulais « que la prochaine génération croie encore ce que [tu] croyai[s] en grandissant dans l’ouest du Michigan, qu’on pouvait investir un garage avec ses potes et conquérir le monde ». Est-ce que conquérir le monde était votre objectif depuis le départ ?

[Rires] Oui, bien sûr ! Tu veux tourner et tu veux que ta musique ait le plus de succès possible. Tu n’as pas envie de laisser ta famille et tes amis pour faire seulement des petits trucs. Ça a été long d’essayer de sortir de chez nous et de laisser notre empreinte. Encore une fois, conquérir le monde est quelque chose qu’il faut faire étape par étape. Le monde est vaste et il y a plein de grands groupes et énormément de compétition. Donc, trouver sa place et survivre fait aussi partie de la conquête du monde. Il s’agit de raconter son histoire avec son art et de partager cet art avec les gens qui veulent l’embrasser.

« Nous essayons de survivre. C’est une industrie difficile. Ça devient plus dur à chaque album, à chaque single. Tu es toujours à une chanson de rentrer à la maison. »

A propos de la chanson « Eye Of The Storm », tu as dit que « peu importe qui on est ou d’où l’on vient, on finit tous à un moment donné par affronter une situation hors de notre contrôle. Parfois, on dirait que c’est désespéré, mais ça ne l’est pas. Il y a un chemin pour sortir du chaos et de la confusion. » As-tu le souvenir d’un moment où le groupe a été dans une situation désespérée quand il y avait en fait un chemin pour sortir du chaos ?

Oui, la pandémie ! C’était une période effrayante. Nous venions de terminer un album et tout notre investissement l’année précédente avait été tourné vers celui-ci, et ensuite, nous nous sommes retrouvés à avoir peur qu’il ne sorte même pas. Nous ne savions même pas ce que nous allions faire. Des chansons sont sorties, en tout cas ici aux Etats-Unis, de manières différentes. « Eye Of The Storm » est sortie il y a près d’un an, un an avant l’album. Il a fallu que nous sortions des choses plus fréquemment pour rester dans l’actualité à cause du temps mort. Ce qui est difficile avec ça est que tu sors des chansons en n’ayant aucun moyen de les jouer en live. C’est donc dur parfois pour les fans d’être excités ou de s’intéresser à des chansons quand ils ne peuvent pas aller les voir et entendre en concert. Je pense que c’était clairement l’épreuve la plus récente que nous avons affrontée en tant que groupe. Nous avons dû nous poser ces questions. « Va-t-on encore faire ça ? » Plein de gens et de musiciens ont trouvé des boulots dans le monde réel, avec un salaire stable, et ne sont pas revenus. C’est une période qui a fait très peur. Ça semble aller mieux maintenant, bien sûr, mais au moment où on le vivait, c’était terrifiant. C’est peut-être de là que vient cette chanson.

Enfin, il y a des tonnes de moments désespérés dans notre carrière. Je me souviens du moment où nous avons changé de label. On aurait dit qu’on allait nous mettre au placard. J’ai brûlé le contrat avec l’ancienne maison de disques. Je lui ai mis le feu sur scène. C’était une période vraiment effrayante. Encore un fois, il fallait en tirer du positif et s’en sortir. Notre label actuel est venu à la rescousse. Nos rêves étaient menacés à l’époque. On passe par plein de moments de ce genre. Mais certainement, quand « Eye Of The Storm » a été écrite, c’était vers la pandémie. Il a fallu que nous nous convainquions que nous allions nous en sortir, que ça irait mieux. Finalement, deux ans et demi plus tard, la chanson était faite. Je pense qu’elle a donné beaucoup d’espoir, non seulement à nos fans lorsqu’elle est sortie, mais à nous aussi pendant que nous l’écrivions, pour nous dire : « Oui, c’est le bon chemin. Il faut continuer. » Cette chanson a été monumentale pour nous donner un élan en sortant de la pandémie. Quand je repense à notre carrière, c’était l’une de ces chansons nécessaires et importantes pour non seulement notre carrière mais aussi notre vie. Je suis reconnaissant que nous l’ayons dans notre discographie.

La dernière fois que nous nous sommes parlé, j’avais fait remarquer que l’idée de survie était présente dans plusieurs chansons de Versatile, et elle est encore très présente aujourd’hui dans « Worth It », « Raging Bull » et « Circles ». Au final, dirais-tu que Pop Evil est une musique de survie ?

Oui. Nous essayons de survivre. C’est une industrie difficile. Ça devient plus dur à chaque album, à chaque single. Tu es toujours à une chanson de rentrer à la maison. Il y a beaucoup de survie là-dedans, en tout cas. Cette industrie est impitoyable. C’est très dur, tu veux survivre. Tu dois écrire des chansons qui sont à l’épreuve du temps, pour ainsi dire. On peut ressentir la pression car aujourd’hui plus que jamais, ce n’est pas facile d’obtenir une tournée. Les choses sont chères. Il n’y a pas beaucoup d’endroits où jouer. Les gens, à commencer par les fans, n’ont plus beaucoup d’argent à dépenser dans des places de concert. Tu veux faire ce qu’il faut pour qu’ils viennent te voir jouer. Ça peut clairement être intimidant quand on regarde le tableau d’ensemble. On voit très bien ce genre de thématique sur la survie dans ces deux albums.

As-tu des modèles en matière de survie ?

Oui. Je regarde beaucoup le sport. Je suis à fond dans le football américain, et je soutiens les Detroit Lions qui perdent tout le temps. Ça m’a toujours inspiré et, pour être honnête, c’est peut-être ce qui me donne cette persévérance, cette envie de continuer à me battre, parce que j’ai grandi en suivant une équipe – qui est mon équipe locale – qui n’a jamais gagné le Super Bowl. Ils n’ont jamais vraiment atteint les barrages. Mais j’ai toujours gardé espoir : « L’année prochaine, ils y arriveront. C’est la bonne année ! » Ils perdent tout le temps, mais je m’en fiche, je vais continuer à les soutenir. C’est mon équipe. Probablement qu’avec cette identité de persévérance, qui pousse à ne pas abandonner, on peut créer sa propre destinée. Il faut juste continuer à grandir, à avancer à son rythme et à s’améliorer.

« Je suis à fond dans le football américain, et je soutiens les Detroit Lions qui perdent tout le temps. Ça m’a toujours inspiré et, pour être honnête, c’est peut-être ce qui me donne cette persévérance, cette envie de continuer à me battre. »

Il y a cette idée de survie, mais aussi de guerre dans « Who Will We Become? », « Sound Of Glory » et « Skeletons ». Ce mot – guerre – a pris une nouvelle réalité, surtout pour nous en Europe, avec ce qui se passe en Ukraine. Evidemment, vous utilisez ce terme au sens figuré, mais penses-tu que ces chansons ont aussi un sens dans ce genre de situation ?

Oui. S’ils écoutent de la musique, bien sûr. Il y a de la positivité à en tirer. J’ai l’impression qu’on est toujours en train de se battre, que ce soit à son boulot pour avoir un peu plus d’argent, pour survivre dans l’industrie musicale, ou pour survivre au sens propre dans une situation de guerre comme ce qui est en train de se passer en Ukraine. Je serais honoré d’apprendre que des gens ont écouté ça de façon positive à un moment où ils en ont eu besoin. Ce serait clairement l’honneur ultime. Il y a clairement une référence. On doit tous affronter ça quand on met les infos et qu’on regarde tout ce qui se passe dans le monde. Nous essayons juste de rendre les gens heureux. Quand on voit toutes les tensions qui existent, c’est assurément quelque chose qu’on retrouve dans notre musique. Nous faisons face à ça en tant que personnes, dans notre vie privée, donc ça se ressent dans la musique.

Tu as déclaré par le passé que tu pensais aux fans en écrivant de la musique et tu as dit plus tôt que tu les écoutais. Penses-tu qu’à l’inverse de ce que d’autres groupes disent, la composition musicale ne devrait pas être quelque chose d’égoïste ?

Il y a plein de façons de voir ça. Tu penses toujours à tes fans, mais à la fois, c’est délicat car tu veux aussi te stimuler, tu veux emmener tes chansons plus loin, tu veux pousser ta voix. T’es là : « D’accord, je suis un chanteur mélodique. Essayons de faire un truc un peu plus agressif ou un peu plus criard dans l’accroche. Je n’ai encore jamais fait ça. Peut-être que je dois apprendre à crier comme il faut, sans me déchirer la voix, de façon à ce que quand je me mets à chanter, je puisse vraiment le faire. » Ou alors : « Nous avons utilisé ces sons de guitare sur l’album précédent. Ne nous contentons pas de les utiliser de la même façon. » Même si nous pensions à nos fans, nous nous disions : « Bon, les fans aiment ça. D’accord, mais montons les choses d’un cran. Peut-être qu’on n’est pas obligé d’aller aussi loin dans cette direction, peut-être qu’on peut trouver un compromis. » Tu penses à eux, mais tu ne fais pas que penser à eux lorsque tu composes. Tu penses à eux surtout du point de vue de ta performance. « Vont-ils être divertis ? Vont-ils s’impliquer ? » Ça bouge constamment ; tu penses différemment avec chaque chanson. Je ne crois pas qu’on pense tout le temps aux fans quand on essaye d’être créatif et différent, parce qu’à ce moment-là, on ne sait pas si les fans vont aimer ou bien l’accueillir. On prend quand même des risques et on apprend. Si les fans aiment cet album, peut-être que nous pourrons continuer à faire d’autres choses dans cette veine, mais à la fois, qu’est-ce qu’ils n’ont pas aimé ? D’accord, ils n’ont pas aimé ceci. Peut-être que nous éviterons de le refaire sur le prochain album, mais nous l’emmèneront dans une autre direction et nous pouvons être expérimentaux et leur donner l’occasion de ne pas s’ennuyer en ne faisant pas ce à quoi ils s’attendent de notre part. Il y a plein de façons de penser à ses fans quand on fait un album et de faire en sorte que ça reste intéressant pour soi aussi. C’est une évolution que nous cherchons à déterminer à chaque album.

Interview réalisée par téléphone le 2 mars 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Nick Fancher.

Site officiel de Pop Evil : popevil.com

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