2019 aura marqué le monde du death metal au moins pour un événement majeur : le retour discographique de Possessed qui signe avec Revelations Of Oblivion son premier disque de compositions originales en 32 ans. Possessed, c’est ce groupe de la baie de San Francisco qui a posé les bases du death metal tel qu’on le connaît aujourd’hui. Un pionnier.
Alors, pour marquer l’événement, nous avons profité d’avoir Jeff Becerra au bout du fil pour qu’il partage avec un nous trois ans d’histoire, son histoire, celle de Possessed, mais aussi, par extension, celle du death metal. Ainsi, il nous parle des trois premiers disques du combo, des moments de débauche pendant l’enregistrement de Seven Churches (1985) et de ses poulets apeurés à l’implication de Joe Satriani pour l’EP The Eyes Of Horror (1987), en passant par un problème de son sur le pourtant classique Beyond The Gates (1986).
« J’appelle cet album Seven Chickens, car à chaque fois que nous jouions, ces putains de poulets déguerpissaient totalement apeurés à l’autre bout du ranch. »
« Je me souviens de tout de l’époque Seven Churches. Je m’en souviens comme si c’était hier, c’était putain de cool. Nous avons été à ce studio qui s’appelait Prairie Sun, en Californie. Vous savez, la Californie est le premier Etat pour ce qui du business de la marijuana. Au studio, ils avaient des barils de deux cents litres qui en étaient remplis. Ils avaient des distributeurs de Coca-Cola, sauf qu’il n’y avait que de la bière, c’était de la Heineken. J’avais aussi acheté une bouteille de 1,75 litre de rhum Bacardi 151 Proof. Nous avons été au studio – je me souviens, j’avais seize ans –, nous avons enregistré, nous avons joué les chansons, nous avions un son qui déchire… Nous avons fait tout l’album comme un album live. Evidemment, nous avions Randy Burns à la console, et il était phénoménal. C’était probablement la première personne au monde qui a vraiment compris ce que nous essayions de créer. Je ne sais pas s’il était dans un groupe ou pas, mais nous lui avons dit ce que nous voulions, et il l’a fait. C’était la première personne qui n’a pas essayé de changer notre son ou de le rendre plus commercial. Plein de producteurs n’arrivent pas à se remettre du volume des guitares ou du chant, mais Randy a déchiré et réalisé un véritable album de death metal. Le studio était à Cotati, au milieu d’un élevage de poulets. Il y avait donc un vaste champ rempli de poulets, ainsi que de chevaux. Dès que nous allumions les guitares, ils couraient tous à l’autre bout du champ jusqu’au mur opposé. C’est pour ça que j’appelle cet album Seven Chickens, car à chaque fois que nous jouions, ces putains de poulets déguerpissaient totalement apeurés à l’autre bout du ranch. C’était vraiment marrant.
Lorsque est venu le moment de faire le chant, il y avait cette cabine en verre, c’était comme si on était dans un aquarium, et ça me stressait, car je prenais de la drogue, je prenais des méthamphétamines, et je devenais tellement nerveux que je n’arrivais pas à me détendre et à réellement m’inspirer du diable quand tout le monde me regardait, j’avais l’impression d’être un poisson rouge [petits rires]. Donc, je leur ai demandé de bloquer la vue des fenêtres avec des cartons, ensuite nous avons installé des lumières rouges, et il n’y avait plus que moi avec ma bouteille 151, personne ne pouvait me voir. J’ai beuglé les chansons, j’ai lâché tout ce que j’avais. C’était une expérience très cathartique ! Aussi absurde que ça puisse paraître, je pouvais ressentir la puissance du diable. Chaque fois que je chante, je peux ressentir qu’il y a une espèce de force malfaisante surnaturelle qui s’empare de moi, et ça sonne super. Peut-être n’est-ce que mon esprit, mais je le ressens vraiment. Ça me vient comme un coup de tonnerre, et là ma voix fait [growl], et j’adore le sentiment que ça me procure, ce lien avec le diable. C’est la guerre entre Dieu et le diable qui se déroule dans ma tête, métaphysiquement parlant, et ensuite ça se transforme en quelque chose qu’on pense être réel, mais il se peut que ce soit une guerre spirituelle dans notre tête. Je pense que c’est un processus très important chez Possessed. En tout cas, ça l’est pour moi.
« A l’époque, nous trouvions que le chemin le plus direct menant à Satan était de prendre de la drogue et des narcotiques. C’était presque comme une expérience religieuse. »
Nous avons aussi fait la fête avec Blue Cheer : nous avons fait un jour de pause, ou bien c’était après une des sessions, et quelqu’un a dit : « Apparemment les gars de Blue Cheer ont envie de passer nous voir. » Nous nous sommes donc détendus avec les mecs de Blue Cheer, nous avons pris des champignons, de l’acide, sniffé de la drogue et bu, et ensuite nous étions complètement défoncés. Tout le monde voulait faire la fête avec nous. De temps en temps, Debbie [Abono, la manageuse] essayait de se joindre à nous – elle était plus âgée –, là, j’ai dû la porter sur mon épaule jusqu’à chez elle [petits rires]. Je me souviens d’elle en train de vomir dans mon dos. C’était vraiment marrant, d’être sous l’effet des champignons, de l’acide et de la méth. Mais la plupart du temps, nous avons fait l’album en étant sobres. Nous étions défoncés seulement à quelques occasions, pour les parties qui en avaient besoin. A l’époque, nous trouvions que le chemin le plus direct menant à Satan était de prendre de la drogue et des narcotiques. C’était presque comme une expérience religieuse. Evidemment, maintenant je ne prends plus ça, mais j’ai trouvé d’autres manières de convoquer le diable.
Nous avons également réalisé Beyond The Gates, le second album, à Prairie Sun, mais cette fois c’était avec Carl Canedy. Larry [LaLonde] s’était chargé d’une grande partie de la composition, et lui et Mike Torrao voulaient que les guitares sonnent comme Metallica, or moi je voulais que ce soit plus heavy. J’ai donc pris Carl à part et j’ai dit : « Je veux un son de guitare qui soit vraiment hyper heavy, distordu et effronté. » Il a dit : « D’accord. » Donc nous avons passé un accord dans le dos des autres. Et sans surprise, à la fin de l’enregistrement de Beyond The Gates, les pistes de guitare étaient plus heavy que tout ce que nous ayons pu faire, de loin. C’était bien plus heavy que Seven Chuches. Plus tard, durant le mixage, quelque chose est allé horriblement de travers et nous avons perdu ces pistes de guitare, ce son, et nous nous sommes retrouvés avec un son tout maigre. Mais de bien des façons, je pense qu’essentiellement, les compositions se suffisent à elles-mêmes. Car Beyond The Gates reste mon album préféré, même si le mix et le mastering sont partis de travers. Carl s’en est excusé plus tard, et j’ai dit : « Tu n’as pas à t’excuser. L’album s’est vendu plus que tous nos autres disques ! » Beyond The Gates était la plus grande réussite commerciale pour Combat cette année, mieux que Megadeth et que tout le monde. Cet album a battu tous les records, comme Seven Churches. Ces deux albums étaient deux grands succès. Je ne sais pas comment Eyes Of Horror a marché – pas aussi bien je pense, même s’il a bien marché. A l’époque, tout le monde achetait les albums physiques. Les albums se portaient bien. Les musiciens avaient un produit. Alors que maintenant, on a le téléchargement et ce genre de chose, ce qui n’est pas une mauvaise chose : je récupère toujours de l’argent avec chaque téléchargement, et chaque stream nous permet de gagner un peu d’argent aussi. Je ne fais pas ça pour l’argent, mais les artistes doivent quand même payer leurs factures pour pouvoir être des artistes. On gagne tout juste de quoi vivre.
« L’une des conditions pour que Larry rejoigne Possessed était [qu’]il devait se débarrasser de son acné, faire pousser ses cheveux et prendre des cours de guitare, car c’était comme un diamant brut. Larry avait un grand talent naturel, mais il avait besoin d’être affiné. »
Pour The Eyes Of Horror, je n’ai presque pas vu Mike Torrao en studio. Nous ne nous entendions plus vraiment à l’époque. Pour autant, nous avons utilisé notre studio le plus high tech. Nous l’avons fait aux Fantasy Studios. Pour ceux qui ne connaissent pas : c’est le plus haut bâtiment à Berkeley. C’est là qu’ils enregistrent un tas de films. Ils ont un putain de studio d’enregistrement qui est monstrueux et super cher. Je crois que nous avons dépensé 85 000 dollars pour faire cinq chansons là-bas, et c’était énorme dans les années 80 ! David Lee Roth était d’un côté, Night Ranger était de l’autre côté. Ils ont fait le film Le Patient Anglais là-bas. C’est un gros studio pour les films, les BO et les albums. Nous avons fait appel à Joe Satriani pour la production. A l’époque, il donnait des cours pour 20 dollars la demi-heure, et Larry connaissait un gars de Fiat Music, c’est là où tout le monde allait prendre des cours. Il y avait deux gars là-bas : un gars qui s’appelait George Cole, du Berkeley Square (un club de musique, ndlr), et Joe Satriani, des Squares de Berkeley, mais là c’était le nom de son projet. Je ne sais pas pourquoi cette petite ville avait de si talentueux guitaristes, mais il se trouve qu’ils étaient là, et ça a vraiment changé la structure de notre monde. Les gens disaient : « Pourquoi avez-vous autant de groupes ? » Metallica, Exodus, Green Day, Possessed, Primus, Blind Illusion, The Greg Kihn Band… Il y a tellement de groupes liés à ce tout petit magasin de musique déglingué ! Cet Italien (James J. Fiatarone, propriétaire de la boutique, ndlr) était vraiment génial. Son truc c’était vraiment de brancher les gosses à la musique, il avait cette petite pièce où on pouvait aller pour prendre des cours. C’est là que j’ai acheté ma première guitare, ma première basse. Il vendait des copies de basses qui étaient tout aussi bonnes, si ce n’est meilleures, que les Fender et Gibson, mais comme c’étaient des copies, on pouvait acheter un instrument pour à peine 110 dollars et commencer à apprendre à jouer sur un vrai instrument, bien accordé.
Donc Larry a rencontré Joe. L’une des conditions pour que Larry rejoigne Possessed était… Je ne sais si tu dois le mettre dans ton article, mais il devait se débarrasser de son acné, faire pousser ses cheveux et prendre des cours de guitare, car c’était comme un diamant brut. Larry avait un grand talent naturel, mais il avait besoin d’être affiné. Avec Joe Satriani en tant que professeur, on a vu Kirk Hammett passer de très bon guitariste à un guitariste phénoménal. On a vu Steve Vai faire la même chose. Donc c’était un vrai coup de maître de se rapprocher de Joe Satriani, Larry a progressé de façon exponentielle. En un an à prendre des leçons, Larry est devenu Larry. Joe ne t’enseignait pas, il t’apprenait à devenir toi-même ; il accentuait ton talent naturel. Donc avoir obtenu l’accord de Joe Satriani, via l’ami de Larry, pour produire notre disque était vraiment un joli coup pour nous, et il l’a fait pour quelque chose comme 6000 dollars. Il l’a fait comme une grande faveur. J’ai juste dit : « Fais tout ce que tu veux, Joe, mais ne prends pas de guitare, car sinon on aura l’air de gamins de trois ans avec des mains cassées. » Il ne prend pas de drogue et ne boit pas d’alcool. Il a vraiment essayé de s’impliquer – je ne sais pas si le death death le branchait vraiment – et il nous a mixés comme il imaginait que ça devait sonner. J’aimais beaucoup ce son, car ça sonne différent de Seven Churches et de Beyond The Gates. Je trouve que nos trois disques de l’époque sonnent complètement différents, avec un contenu complètement différent, donc on ne nous catégorisait pas comme étant un groupe qui ne joue qu’un type de chanson. C’était l’idée, nous ne voulons pas qu’on nous réduise à une musique à la « Burning In Hell », nous voulons pouvoir étendre nos horizons et ne pas être mis dans une case, où les gens s’attendent à un death metal standard.
Pour finir, je veux dire que je n’ai pas envie de dire du mal des anciens gars. Plein de gens veulent me résumer à qui j’étais quand j’avais seize ans et disent : « Oh, fais de bons albums, ne déconne pas ! » Mais ce n’est pas ainsi que fonctionnent les artistes, je vais faire ce que je veux faire. Les gens croient que j’ai encore seize ans, mais c’était il y a une éternité, et j’aime toujours ces gars. Qu’eux m’aiment ou pas, je m’en fiche. Je suis reconnaissant pour les opportunités qu’ils m’ont offertes, et j’adore ces gars, et je ne leur souhaite que le meilleur. Je n’apprécie pas forcément l’un d’entre eux en particulier, mais je l’aime parce qu’il a été mon frangin dans ce groupe. »
Propos recueillis par téléphone le 1er avril 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Julien Morel.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Site officiel de Possessed : possessedofficial.com
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Super intéressant!
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