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Interview   

Possessed rebâtit sa cathédrale


Si l’on peut trouver un bel exemple de résilience dans la grande famille du metal au sens large, c’est bien celui de Jeff Becerra. En 1989, deux ans après avoir vu le groupe en lequel il tenait tant se désagréger, pris pour cible dans un braquage, il se retrouve paraplégique. Puis, en pleine dépression, il laisse la drogue et l’alcool le consumer à petit feu, avant de reprendre sa vie en main. Son récit, qu’il nous raconte en début et fin d’interview, est poignant.

En filigrane de cette remontée des abysses : sa passion indéfectible pour Possessed, le groupe qui a donné au death metal son nom et ses principales caractéristiques, inspirant l’un de ses premiers disciples, un certain Chuck Schuldiner. Trente-deux ans après le split du groupe, le voilà qui, triomphant, fait son retour discographique avec Revelations Of Oblivion. Un album trempé dans la fournaise originelle du death metal, satanique à souhait, même si Jeff Becerra, en tant que croyant (il a même songé à devenir prêtre dans sa jeunesse !), reconnaît lui-même la complexité de sa relation à Dieu et à Satan. Jeff Becerra nous raconte.

« Depuis les années 80, l’intelligence de notre public s’est développée de manière exponentielle. Dans les années 80, je ne pense pas que ça aurait fonctionné. Donc étant de la vieille école, j’étais inquiet à l’idée que les gens ne puissent voir au-delà de la chaise et apprécier la musique, ou qu’ils se moquent de moi. Mais quand je suis revenu, tout le monde était très réceptif. Ils sont devenus dingues ! »

Radio Metal : En 2007, vingt ans après la séparation du groupe, tu as décidé de rejouer sous le nom de Possessed. Qu’est-ce qui t’a donné l’envie et la force de retourner sur scène après tant d’années, notamment compte tenu de ta condition physique ?

Jeff Becerra (chant) : C’est mon groupe. Evidemment que j’ai envie de garder mon groupe. Ce n’est qu’un changement de line-up, les autres gars m’ont quitté, donc… Mais ma condition avait beaucoup à voir avec ça. On m’a tiré dessus à deux reprises lors d’un braquage, j’ai une balle coincée dans ma colonne vertébrale, et je suis devenu paraplégique. Ça m’a vraiment plombé psychologiquement, et je ne l’ai pas très bien géré durant les cinq premières années. En gros, j’ai essayé de me saouler et droguer à mort. Quand ceci n’a pas marché… Honnêtement, un jour, j’ai pris une bouteille de whisky et je suis sorti sur la terrasse devant ma maison, c’était une belle journée, les nuages laissaient passer les rayons du soleil, alors j’ai fracassé ma bouteille de whisky, j’ai roulé huit kilomètres avec ma chaise roulante jusqu’au collège communautaire local et, par la grâce de Satan, ils procédaient à des admissions. Ce qu’ils m’ont dit est que, pour cette réinsertion en tant que personne handicapée, je devais passer un test de QI. Je l’ai réussi haut la main, ils ne m’ont pas fait payer les frais de scolarité, et j’ai commencé le cursus. C’est un peu ce qui m’a sauvé. A l’université, j’ai fait mes quatre ans en trois ans et demi, j’étais membre de l’Alpha Gamma Sigma Honor Society les deux premières années, puis je suis allé à l’université d’Etat de San Francisco et j’ai été président de ma classe. Je ne récoltais que des A, j’étais le webmaster, et j’étais aussi dans la Golden Key Honour Society.

Ça m’a vraiment redonné confiance en moi. J’avais toujours voulu faire ça, toutes ces choses, en tant qu’homme, donc ça a participé à me remettre en état, à me remettre en selle. Mais Possessed était toujours ce qui me motivait. Je recevais des milliers de lettres – les gens écrivaient encore des lettres à l’époque – et colis, et des cassettes démo. Les gens me demandaient de revenir, littéralement, par milliers, et plus tard par e-mail. C’était donc mon moteur. Et puis, bien sûr, je me suis marié et j’ai eu quelques magnifiques enfants, et j’ai trouvé un boulot. J’étais le vice-président de l’United Healthcare Workers Union, j’ai donc eu une belle carrière. Mais la volonté de relancer Possessed était toujours très vive, si bien que j’ai quitté mon boulot et remonté le groupe. Ça a toujours été le plan, mais je voulais être prêt. Il m’a fallu dix-sept ans et demi pour me ressaisir, afin de remonter Possessed.

Avais-tu une quelconque appréhension à remonter sur scène en chaise roulante ? Ce n’est pas forcément très courant…

Étonnamment, depuis les années 80, l’intelligence de notre public s’est développée de manière exponentielle. Dans les années 80, je ne pense pas que ça aurait fonctionné. Donc étant de la vieille école, j’étais inquiet à l’idée que les gens ne puissent voir au-delà de la chaise et apprécier la musique, ou qu’ils se moquent de moi ou je ne sais quoi, des trucs stupides de ce genre. Mais quand je suis revenu, tout le monde était très réceptif. Ils sont devenus dingues ! J’ai fait deux ou trois concerts, genre en tant qu’invité, juste quelque chose comme trois chansons, et le public a pété un câble ! Nous faisions salle comble, ensuite nous avons commencé à faire nos concerts normaux, et nous avons abouti au Wacken Festival, il y avait dans les cent dix mille personnes, ils scandaient tous mon nom, les gens devant pleuraient, c’était très émotionnel. C’est là que j’ai su que ça allait bien se passer et que ça allait fonctionner, et c’est là que je me suis attelé à retrouver le vrai Possessed, les vrais membres… Car nous jouions en drop de Si, et nous ne jouions pas les chansons correctement, elles sonnaient pareil, mais elles n’allaient pas. Donc, ce que j’ai fait est que j’ai gardé notre batteur et j’ai commencé à chercher les membres qui constitueraient le noyau dur, jusqu’à retrouver le vrai Possessed. Ensuite, nous avons tourné pendant douze ans, juste pour qu’ils puissent bien s’imprégner de ce qu’était Possessed. Ces gars sont vraiment des génies, ce sont des vétérans, ce ne sont pas des gamins. Nous avons pu retrouver l’atmosphère et le feeling, et ça semblait être dix fois meilleur que toutes les autres versions de Possessed. C’est de loin la meilleure version de Possessed, et j’en suis très content.

A l’origine, en 2007, tu jouais avec les musiciens de Sadistic Intent, et ensuite tu as constitué le line-up actuel. As-tu essayé, à un moment donné, de contacter Larry Lalonde, Mike Torrao et Mike Sus pour cette reformation ?

Bien sûr, j’ai essayé de les contacter, mais ils ne sont pas réceptifs à cette idée. Mike Sus ne joue plus, Larry est dans Primus et Mike Torrao a juste envie d’être un gars normal, il n’a pas envie de tourner dans un groupe. Tout le monde fait son propre chemin. Quand Larry est parti, il a dit qu’il voulait rejoindre Blind Illusion, qui est devenu Primus, et je respecte ça car c’est un artiste. C’est dans la nature de n’importe quel groupe, il y a un flot d’entrées et sorties. Je parie que tu ne peux pas nommer un seul groupe existant depuis trois décennies qui n’a connu aucun changement de line-up. C’est dans la nature d’un groupe, c’est toujours comme ça que les groupes fonctionnent. Il faut respecter le parcours de chacun. Ce sont mes frangins, j’adore ces gars, et je soutiens quelle que soit la direction qu’ils veulent prendre.

En 2012, tu avais déjà annoncé être en train de travailler sur de la nouvelle musique, et que tu avais les structures de base écrites pour trois chansons. Mais ce n’est qu’en 2017 que tu as signé chez Nuclear Blast pour un nouvel album, qui au final sort deux ans plus tard. Pourquoi cet album a-t-il pris autant de temps à se faire ?

L’album en soi, nous l’avons enregistré en quinze jours et après c’était fini. Mais il y a beaucoup de choses autour de la sortie d’un album majeur comme celui-ci, il y a beaucoup de préparation, de relations publiques, de promotion – je suppose qu’on ne dit plus « relations publiques » –, de data mining, en plus de s’assurer que ça sort mondialement et pas juste pour tes amis Facebook. Nous aurions pu le sortir plus tôt et atteindre des milliers de gens, mais nous essayons d’atteindre des millions, et une partie du processus consiste à constituer des paquets promo, organiser la période avant la sortie et faire monter la médiatisation. J’ai confiance en Nuclear Blast car ils sortent énormément d’albums, et ils ont dit : « C’est notre métier, croyez en nous et soyez patients. » Nous avons aussi eu un retard avec l’illustration ; c’était presque bon mais ça restait encore un peu indistinct, et j’ai presque refusé l’illustration initiale, et ensuite Z (Zbigniew M. Bielak, ndlr) – je l’appelle Z parce que je ne sais pas prononcer son nom, le gars qui a fait les albums de Ghost – a dit : « Donne-moi une semaine de plus, et je corrige ça. » Nous étions sur le point de faire appel à l’artiste de Slayer pour obtenir une seconde pochette, mais une semaine plus tard, Z est revenu avec cette pochette monstre qui était tout ce que je voulais qu’elle soit, et donc nous avons fini par faire ça avec Z. C’était encore quelques mois de plus de retard, et une fois que ceci était en place, tout l’engrenage était prêt, et la machine s’est mise en route.

« Quand tu entends Possessed, ça sonne comme Possessed, et c’est important pour moi, car je ne veux pas détruire mon futur en abandonnant mon passé. »

Est-ce une grosse pression d’essayer d’être à la hauteur d’une attente de trente-deux ans ?

Ça a été trente-deux ans de préparation. Je veux dire par là que je n’ai jamais arrêté de croire en Possessed, et ça ne m’a jamais effleuré l’esprit de ne pas reformer Possessed. Donc, durant tout ce temps, j’ai écrit des paroles et de la musique, je me suis préparé, et j’ai fait plusieurs projets en parallèle. Je n’ai donc jamais complètement quitté la scène. J’ai été en studio plusieurs fois. Ça a été un processus, comme je l’ai dit, rien que pour être de nouveau apte physiquement et mentalement, mais pour ce qui est de la pression, je n’ai jamais vraiment ressenti la pression parce que, certes, j’essaye de jouer des choses que le public aimera, mais en tant qu’artiste, je ne m’arrêterai jamais de créer. Si les gens aiment, tant mieux, s’ils détestent, ils peuvent aller se faire foutre !

L’album s’intitule Revelations Of Oblivion et commence par la chanson « Chant Of Oblivion ». Serait-ce un commentaire sur le groupe revenant après des années dans l’oubli ?

Non, mais si tu as remarqué, l’intro, c’est vraiment « Fallen Angel » réarrangée de façon orchestrale [fredonne l’intro]. Tu connais cette partie ? J’ai écrit ce morceau et j’ai dit : « Faisons une intro à partir de ‘Fallen Angel’, en la rendant effrayante et en faisant un clin d’œil au vieux Possessed, et un prélude au nouveau Possessed. » Ou le vrai Possessed, comme j’aime l’appeler, parce qu’il a fallu passer par vingt-cinq membres pour trouver ce line-up, et ça a été une quête sans fin pour moi, car je voulais le groupe parfait, qui constituerait la famille parfaite, la fratrie parfaite. Nous mourrions littéralement les uns pour les autres ! C’est quelque chose que je n’ai jamais connu avant, et ça a toujours été un de mes rêves, le fait d’avoir un groupe qui s’entend parfaitement et fonctionne comme une famille. Mais Revelations Of Oblivion a commencé avec un concept de base, qui était une église, et c’est ce que la pochette représente, la nouvelle église de Possessed.

Initialement, le concept de base était que la vie serait… Je regardais cette série télé qui s’appelle Lucifer, et j’ai pensé : auparavant, les gens avaient peur du diable, ils savaient que Dieu était bon et que Satan était mauvais, et il n’y a rien entre les deux. Mais maintenant, Satan et Lucifer sont devenus si banals qu’ils ne font même plus peur. Si tu parles de religion, tout le monde te regarde comme si t’étais un cinglé. Si tu parles du diable, ils sont là à faire le signe du diable, « hail Satan ! », etc. Je me suis demandé : qu’est-ce qui se passerait dans notre monde imaginaire s’il n’y avait ni religion ni Dieu et qu’il n’y avait que Satan ? Donc, Revelations parle de la fin du monde, de l’Apocalypse et de la fin des temps, et j’ai metallisé ça de façon à ce que ce soit super satanique. A mesure que j’écrivais, il y a plusieurs concepts qui ont été incorporés ensuite, des choses comme les corps-ombres, les réunions du un pour cent de l’humanité qui dirige réellement le monde, ils se réunissent tous en peignoir, font des orgies, prennent de la drogue et de l’alcool, et ils organisent le destin du monde. Il y a aussi des chansons qui parlent de Lucifer comme étant la nouvelle technologie, ou l’inverse, on aurait un 666 sur le poignet ou la main gauche, ou dans une puce comme c’est déjà le cas, d’une certaine façon, car tout le monde tient un téléphone portable dans sa main gauche, qui est un peu le marionnettiste qui nous dit quoi penser ou comment se comporter, quoi acheter, ce dont on a envie, ce qu’on a besoin de faire. Je ne possède pas de téléphone portable, justement pour cette raison. J’ai aussi beaucoup étudié l’occultisme obscur, comme les Sept Archontes de l’Enfer, ou les Dix-Huit Niveaux de l’Enfer, et ces cultes qui font appel à des archanges pour les protéger pendant qu’ils créent un cercle de convocation et faire venir de puissants démons pour la connaissance, la sagesse et le pouvoir. Des trucs cool comme ça ; il y a tout un tas de sujets différents là-dedans.

Tu n’arrêtes pas de parler de « vrai Possessed » pour évoquer le line-up actuel : tu veux dire que ce groupe est en fait plus Possessed que le Possessed originel ?

Oh, bien plus ! Ces gars sont bien plus à fond dans ce qu’est Possessed. Ce n’est pas quelque chose qu’ils font, c’est quelque chose qu’ils incarnent.

Une chose qu’on remarque tout de suite est à quel point Revelations Of Oblivion sonne comme du Possessed classique, y compris au niveau du son, de la production. Etait-ce ton but de faire que cet album soit une suite directe à Beyond The Gates ? Etait-ce important de conserver une cohérence et une continuité totale entre cet album et là où vous vous êtes arrêtés il y a plus de trente ans ?

Eh bien, c’est toujours moi ! C’est comme ça que j’écris et chante, et je parie que les gens reconnaîtront ma vraie influence sur Possessed, parce que même si je ne composais pas beaucoup pour les premiers albums – je ne m’occupais que des paroles –, il y avait beaucoup de restructuration. Ceci est moi, et je vais toujours sonner comme moi, car j’essaye de ne pas aller chercher des influences musicales à l’extérieur, j’essaye de faire en sorte que ça vienne du cœur. J’ai écrit cinquante pour cent de la musique et tous les textes. Je pense qu’en travaillant avec Daniel Gonzales, nous avons été capables de vraiment saisir ce feeling, et comme nous avons tourné en jouant les vieux morceaux durant les douze dernières années, tout le monde était vraiment dans le bain, et véritablement dans l’esprit de Possessed, véritablement le groupe du futur. Pour répondre à ta question, j’ai eu plusieurs longues discussions avec les gars, des centaines même, à propos de l’expression et des rythmiques, et pour leur montrer exactement comment jouer les chansons, et s’assurer que… Tu sais, Motörhead sonne comme Motörhead, Mercyful Fate sonne comme Mercyful Fate, et Possessed fait partie de ces groupes : quand tu entends Possessed, ça sonne comme Possessed, et c’est important pour moi, car je ne veux pas détruire mon futur en abandonnant mon passé.

Nos fans aiment Possessed, donc je voulais leur donner la version la plus authentique qui soit de Possessed, mais pas forcément en sonnant années 80. Nous avons fait cet album à quatre-vingt-dix pour cent en analogique, donc nous poussions nos amplis et nous n’avons même pas cherché à bidouiller la rythmique. Nous avons enregistré la batterie dans une pièce prévue à cet effet, et il n’y a rien de technologique dans quoi que ce soit, si ce n’est que nous avons un petit peu triché en utilisant Pro-Tools, et quelques effets digitaux en sortie, mais comme je l’ai dit, quatre-vingt-dix pour cent de l’album est fait à la vieille école. Si nous sonnions aussi daté auparavant, c’était à cause du matériel avec lequel nous étions obligés de travailler. Nous n’essayions jamais de sonner daté, nous essayions de sonner aussi moderne que possible. Possessed a toujours été un groupe qui va tirer profit au maximum de tout ce qui nous donnera un meilleur son. Nous n’allons pas niveler par le bas pour notre public, parce que notre public est super intelligent – il sait faire la différence entre de la merde et de la bonne came !

« Je me suis dit qu’à chaque fois que quelqu’un écoute une chanson de Possessed, et prend son pied dessus, le diable obtient son dû en prenant une petite part de l’âme de cette personne. »

Comment comparerais-tu la façon dont ces chansons ont été composées et enregistrées à la façon dont les deux premiers albums ont été faits il y a plus de trois décennies, quand tu n’étais encore qu’un adolescent ? L’approche et l’état d’esprit étaient-ils différents ?

Oui, nous avions seize ans sur Seven Churches. Evidemment, nous avons beaucoup vieilli, j’ai cinquante ans maintenant. On ne peut faire autrement qu’emmagasiner plein de choses pendant ce laps de temps, durant ces trente-deux années. L’une des choses que j’ai apprises était que c’est bien plus facile de travailler avec de vrais musiciens qui savent vraiment ce qu’ils font. Aujourd’hui, dès que tu as un guitariste, il ne se contente pas d’écrire et de jouer de la guitare, il produit, fait l’ingénieur, enregistre, il sait tout sur tout. Les gosses d’aujourd’hui ont beaucoup à offrir, donc ça facilite grandement le processus. Ils sont aussi très rapides, dans la mesure où j’ai juste à leur envoyer l’album ,et dès qu’ils auditionnent, ils connaissent l’album. Quand je leur envoie des pistes de guitare, je les mets sur un quatre-pistes, et quand ils arrivent en répétition, ils savent quoi jouer, tout le monde est en place. La première fois que nous jouons une nouvelle chanson, ça sonne bien. Ça n’était jamais comme ça avec le vieux Possessed. Il fallait que nous répétions pendant trois heures, les lundis, mercredis et vendredis pour travailler dessus, car personne ne savait comment écrire ou lire la musique, personne ne connaissait la théorie ou quoi que ce soit de ce genre. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, on a des professionnels. Ces gars sont tous des vétérans et des rock-stars, et ils ont grandi en écoutant Possessed et en apprenant les chansons de Possessed. C’est le genre de gars qui, quand ils écoutent une chanson de Possessed ou d’Iron Maideon, ne font pas que l’écouter, ils apprennent à la jouer. Ces gars s’y connaissent à fond, et c’est une combinaison parfaite pour le groupe, c’est quelque chose que j’ai recherché toute ma vie. C’est un honneur et un plaisir de jouer avec ces gars.

L’album a été entièrement composé et produit avec le guitariste Daniel Gonzales. Comment décrirais-tu votre relation créative ?

Elle s’est mise en place à la fois par nécessité et de façon très organique. Ce qui s’est passé est que nous avons essayé de composer chacun de notre côté et ça ne marchait pas. Toutes les chansons étaient envoyées à la poubelle. Ce que j’ai très vite appris à propos de Dan est que ça fonctionne bien quand on lui soumet des éléments avec lesquels composer et à arranger. Donc ce que j’ai fait est que je lui ai envoyé douze groupes de riffs que je pensais pouvoir former une chanson, et ensuite il les assemblait, les réajustait pour qu’ils soient propres et bien, et ça devenait les chansons. Nous avons vite compris que c’était notre méthode de composition et que c’est ce qui fonctionnait pour nous. Une fois que cette méthode était mise en place, nous avons commencé à débiter les chansons.

Vous avez travaillé avec le producteur Peter Tägtgren sur cet album. A propos du choix de Peter, tu as déclaré que « puisque [vous] n’avi[ez] pas sorti de nouvel album en plus de trente ans, c’était essentiel de trouver la bonne personne. Le nom de Peter n’a cessé de revenir. » Pourquoi son nom en particulier revenait-il ?

J’étais le producteur exécutif ; Dan et moi étions les coproducteurs. Peter était le producteur de studio. Ce qui s’est passé est que j’ai dressé une liste… Comme ça faisait longtemps que je n’avais pas été dans la scène, je ne connaissais rien en matière de producteurs, donc je me suis renseigné sur les meilleurs producteurs de death metal, et le nom de Peter n’arrêtait pas d’apparaître parmi d’autres. Donc j’ai dressé une liste de dix producteurs qui revenaient sans arrêt et j’ai envoyé cette liste à Gerardo Martinez, qui est le président de Nuclear Blast USA, et j’ai dit : « Peux-tu obtenir certains de ces producteurs ? » Il a dit : « En fait, on travaille avec huit d’entre eux ! » Il m’a renvoyé la liste des huit parmi lesquels je pouvais choisir, ensuite je l’ai apporté à mon groupe et Daniel Gonzales, en particulier, a dit : « Peter est fan de Possessed depuis longtemps, depuis qu’il est gosse. Il connaît le groupe, il connaît le metal, c’est un super producteur et je pense que ce serait celui avec qui on pourrait travailler de la façon la plus organique. » Dan a produit notre démo, il est très bon avec Pro-Tools et le mixage, donc il en sait un rayon sur cette technologie, donc je lui fais confiance. Donc j’ai demandé à Gerardo si Peter serait disponible et j’ai reçu un appel environ quinze minutes plus tard et il a dit : « Peter est partant ! Il est à six cent soixante-six pour cent partant, il veut le faire. » A cette époque, Peter était encore en retraite, donc il est sorti de sa retraite pour produire le nouvel album de Possessed, voilà à quel point c’était important pour lui. Travailler avec Peter, c’était… oh mon Dieu ! C’était tellement bon ! Il était d’un grand soutien, plein de sagesse. Nous n’avions pas à attendre après lui pour enregistrer des trucs, il était très rapide, très efficace, et nous pouvions nous concentrer uniquement sur la musique, ce qui l’a rendue tellement meilleure.

Plus tôt, tu parlais des thèmes de l’album, et de la notion de peur qui était un temps associée à l’idée du diable. Penses-tu que la racine de tous les problèmes liés à l’humanité aujourd’hui provient, quelque part, du fait qu’on ait démystifié le personnage religieux du diable, et qu’on n’en ait plus peur ?

Je crois que le diable est réel et qu’il va et vient sur Terre. Evidemment, on ne peut pas croire au diable sans croire en Dieu, mais je crois que les gens sont capables de tous les maux du monde sans avoir besoin du diable pour ça. Je pense que le diable est souvent utilisé comme une excuse, et qu’il y a simplement des gens très mauvais dans le monde aussi. Et puis c’est bien plus amusant de chanter à propos du diable. Bien sûr, je suis particulièrement fasciné par l’occulte et le diable. Je pense l’avoir vu plusieurs fois ; j’ai vu le diable et le pouvoir qu’on peut acquérir de sa part. J’ai essayé de le convoquer : j’ai dessiné un pentagramme par terre et placé des éléments sur les côtés, j’ai chanté des chants archaïques et je l’ai fait apparaître. J’ai fait apparaître des démons et ensuite le diable, mais les démons étaient très effrayants. J’ai une relation personnelle… J’ai toujours été assez proche du diable. J’ai eu ces visions. Je suis un mec étrange, je ne prends pas de drogue, je ne bois pas – ou en tout cas très rarement –, je suis sobre, mais j’ai eu ces visions. Je sais que j’ai vendu mon âme il y a longtemps, et l’autre soir j’ai eu une vision comme quoi le diable obtient toujours ce qui lui est dû de façon assez brutale. Evidemment, ce n’était qu’un rêve, mais je me suis dit qu’à chaque fois que quelqu’un écoute une chanson de Possessed, et prend son pied dessus, le diable obtient son dû en prenant une petite part de l’âme de cette personne. J’ai toujours vu Possessed ainsi, comme s’accaparant de petits bouts d’âme petit à petit. Mais le diable, je sais qu’il déteste l’humanité, donc ce n’est pas forcément une bonne chose, mais c’est juste très cool de chanter à son sujet.

« Je suis complexe : je ne peux pas juste dire que j’aime Dieu et que je hais Satan, ou que j’aime Satan et que je hais Dieu, c’est plus une relation d’amour-haine. »

Irais-tu jusqu’à dire que le diable est en fait plus utile pour maintenir la paix dans le monde que Dieu ?

Je crois que le diable te donnerait seulement autant de pouvoir que tu lui en donneras. Je crois que Dieu te donnera du pouvoir librement. Je ne sais pas si je veux qu’on cite ça, car ça ne fait pas assez Possessed, mais je dirais que la peur du diable est presque inexistante aujourd’hui, et je pense que les gens devraient y prêter plus attention, car dès qu’on dit « faites ce que vous voulez », et que vous vous octroyez le contrôle et dites « je peux gouverner ma propre vie », plein de gens ne sont pas totalement équipés pour ça. Oui, je pense que la peur du diable est assez utile.

Comme tu l’as dit, on ne peut pas croire au diable sans croire en dieu. Du coup, quelle est ta relation à Dieu ?

Elle est assez branlante aujourd’hui, mais quand j’étais plus jeune, je voulais être un prêtre catholique, mais j’ai un peu perdu ma foi. Evidemment, je m’efforce toujours de trouver toutes sortes d’exutoires surnaturels, mais à cet égard, l’absence de Dieu se fait toujours pesante, et je pense que c’est ainsi que fonctionne la foi. Je ne veux pas avoir l’air d’un chrétien, mais je pense que l’espoir et la foi sont très importants. Sans espoir et sans foi, bordel, à quoi bon ?

La religion peut d’un côté servir de boussole pour guider les gens dans la bonne direction, mais c’est aussi une doctrine qui nous a valu de nombreuses guerres au fil de l’histoire. C’est d’ailleurs une ambivalence qu’on semble retrouver dans les textes de certaines de tes chansons dans cet album…

J’ai beaucoup réfléchi à ça, genre : « Dieu a-t-il fait plus de mal ou de bien ? » Et honnêtement, je ne connais pas la réponse à cette question. Je sais qu’il a engendré beaucoup de mauvaises choses, avec les guerres saintes, les Arabes qui détestent les Juifs, les Américains qui détestent les Musulmans… Beaucoup de haine dérive de ces livres, et je pense que certaines personnes ne savent tout simplement pas lire. J’ai vraiment eu beaucoup d’angoisse, de démons et de haine par rapport aux religions organisées, et aux dieux, et je pense que ça se voit. Je suis complexe : je ne peux pas juste dire que j’aime Dieu et que je hais Satan, ou que j’aime Satan et que je hais Dieu, c’est plus une relation d’amour-haine.

A propos de l’illustration, le communiqué de presse dit que celle-ci « raconte une histoire très détaillée ». Du coup, quelle histoire cette illustration raconte-t-elle pour toi, et comment as-tu travaillé avec l’artiste sur cette œuvre pour implémenter cette histoire, qui fait par ailleurs référence à certaines paroles dans les chansons ?

Initialement, j’ai eu cette idée via une conversation que j’ai eue quand j’ai rencontré Jaap Wagemaker, en Allemagne, le manageur A&R de Nuclear Blast Europe. Il est venu à notre concert en Allemagne, nous étions en coulisses avec un tas de filles qui se faisaient signer les nichons, nous buvions de la bière, etc. C’était très sympa [rires]. Nous avons commencé à parler du titre que nous pourrions donner à l’album. Il était là : « Pourquoi pas quelque chose comme The Eighth Church ? » J’étais là : « C’est très sympa mais je pense que c’est un petit peu too much. Mais ce qu’on pourrait faire… » Car initialement, notre album Seven Churches avait pour illustration une église satanique avec une sorte de nonne qui pendait sur une chaîne suspendue à un vieux chêne et tenue par un hibou, et il y avait des pierres tombales avec les noms des membres du groupe dans un cimetière devant l’église et des pentagrammes incrustés dans les vitraux. J’ai dit : « J’aimerais faire de cette église la huitième église dans ce second avènement de Possessed. » Jaap était très réceptif à cette idée, donc j’ai raconté mon concept à Z, l’artiste. Il est venu à ma rencontre en Pologne sur la même tournée et m’a apporté un genre de calendrier montrant un tas de ses croquis et œuvres, j’étais épaté ! Il est tellement méticuleux. J’étais impressionné par la qualité de son architecture. Donc je lui ai demandé de faire cette église, mais je voulais qu’elle ait l’air d’une cathédrale catholique massive avec une allure un peu byzantine, mais rendue totalement satanique, avec des putains de vitraux diaboliques, des démons convoqués, Pazuzu, Lucifer, des archanges, des anges, des diables, etc., et en mettre de partout. Il a fait plusieurs esquisses qui n’avaient rien à voir avec ça, et je les ai refusées. Il en a fait une qui était une poupée vaudou constituée de tous les cultes et religions du monde, et j’ai dit que ce n’était pas ce que je recherchais. Il en a fait quelques autres et j’ai dit : « Non, restons sur mon idée. » Je pense qu’il était un peu intimidé par la taille de l’église, mais ensuite, il a commencé à dessiner et y mettre son cœur, et petit à petit, l’église a pris forme. Je disais des choses comme le fait que ce n’était pas assez satanique, il fallait qu’il rajoute des diables, il fallait que ce soit encore plus exagéré, etc. Le produit final est ce que tu vois ; entre Z et moi, nous avons créé cette église monstrueuse.

Z voulait vraiment obtenir un exemplaire de l’album en avance, or nous étions très secrets avec ça, donc nous lui avons fait signer un contrat de confidentialité, et je lui ai envoyé tous les textes – il voulait surtout les textes – et la musique, car c’est aussi un fan. Donc nous lui avons envoyé ça et il était épaté. C’est là qu’il a commencé à incorporer une grande partie de la structure des textes dans des sens cachés et dans l’église, et je pense que je vais laisser les auditeurs les chercher, mais c’est un peu comme une version satanique d’Où Est Charlie ?. Si on lit les textes et recherche de petites clés dans les vitraux, l’architecture, la symbologie et ce genre de chose, c’est assez marrant. C’est amusant de regarder la pochette de l’album tout en écoutant la musique pour voir si on ne remarque pas quelque chose. Et il y a plein de sens cachés dans les textes aussi ! Un tas de trucs à lire à l’envers, tous les tant de mots ça crée une phrase, etc. J’ai toujours beaucoup aimé les messages subliminaux et cachés, et les paroles qui semblent vouloir dire une chose mais en réalité veulent dire complètement autre chose.

« Il semblait que tous ces groupes avaient une ligne imaginaire qu’ils ne franchiraient pas. Nous voulions pulvériser cette ligne et la franchir, en allant plus vite, en étant plus sataniques et plus heavy, afin de devenir le groupe le plus heavy au monde. »

Parlons maintenant un peu de l’histoire du groupe. Tu as inventé le terme « death metal » avec la chanson « Death Metal » parue pour la première fois sur la démo de 1984. Que mettais-tu derrière ces mots ?

L’idée était que Venom avait Black Metal, il y avait le speed metal, il y avait le thrash metal, et à l’époque, ce que nous faisions était extrêmement différent. Aujourd’hui, évidemment, il y a plein de groupes de death metal, mais à l’époque, à la racine du death metal, nous voulions promouvoir Possessed comme étant quelque chose de complètement unique. On avait l’impression d’être en pleine révolution. A l’époque, il y avait des groupes comme Exodus, et Metallica, la scène underground de la Bay Area, et ils essayaient d’être meneurs et de se surpasser les uns les autres dans une compétition amicale. L’une de nos forces motrices était que nous voulions participer à cette révolution ; nous voulions faire quelque chose de nouveau et d’excitant. Il semblait que tous ces groupes avaient une ligne imaginaire qu’ils ne franchiraient pas. Nous voulions pulvériser cette ligne et la franchir, en allant plus vite, en étant plus sataniques et plus heavy, afin de devenir le groupe le plus heavy au monde. C’était notre intention originelle, dès le premier jour de Possessed. C’est donc ce que nous avons fait et nous avons dit que nous allions appeler notre style du death metal. Nous avons fait la promotion de Possessed comme étant un groupe de death metal, pour la première fois dans l’histoire – nous étions le seul groupe de death metal sur la planète, pendant des années. Nous n’avons pas créé tout le death metal, mais nous étions le premier groupe de death metal au monde, et nous étions les premières personnes à incorporer le chant façon Macaron Le Glouton (en référence au personnage de la série Sesame Street, aussi appelé Cookie Monster, en anglais, ndlr), avec la batterie façon machine à pop-corn, pour chanter de manière très agressive et intense à propos du diable, et en étant ouvertement satanistes. A l’époque, je crois que personne ne discutera le fait que nous étions largement au-dessus, plus durs et plus rapides, plus sataniques que n’importe quel autre groupe au monde. A l’époque, personne ne voulait reconnaître le death metal, ils continuaient à nous qualifier de thrash metal. Donc, notre révolution et notre véritable lutte étaient en partie de faire en sorte qu’on reconnaisse Possessed comme étant un groupe de death metal. Pendant des années, personne ne voulait le reconnaître. Donc c’était une vraie victoire quand les gens ont commencé à nous qualifier de death metal.

Puis, bien sûr, peu de temps après, il y a eu d’autres groupes de death metal. A l’époque, je pensais que nous allions être connus comme étant LE groupe de death metal, c’est-à-dire que Possessed serait le seul groupe de death metal au monde. Donc, lorsque Chuck [Schuldiner] est venu et a demandé ma permission d’appeler Death du death metal… Car Chuck avait déménagé, et je lui ai servi de mentor ; il a déménagé au fan club de Possessed avant de former Death, quand il était encore dans Mantas. Il a vécu dans la maison Possessed (la maison de Krystal Mahoney, le président du fan club de Possessed, ndlr) pendant des années, à Antioch, en Californie, et je me souviens qu’il me jouait des riffs, et c’était la première personne à vraiment s’intéresser à toute cette idée du death metal. Donc, quand il m’a demandé s’il pouvait appeler Death du death metal – car à l’époque, comme je l’ai dit, nous étions le seul groupe de death metal –, évidemment j’ai été honoré et flatté. J’adorais ce gars, et bien sûr j’ai dit oui. Je me souviens quand il bossait sur ses morceaux avant Scream Bloody Gore, qui est sorti des années plus tard, il me faisait passer les premiers enregistrements, quand il était avec nous à la maison du fan club de Possessed. Il me faisait écouter ça et disait : « Jeff, écoute ça, ça sonne exactement comme toi ! » Il en était tellement fier, et j’étais tellement putain de fier de lui. Je ne pourrais jamais dire suffisamment de bien de Chuck. C’était le second groupe de death metal. Plein de gens s’appropriaient notre feeling, mais lui, c’était la première personne à aller promouvoir son groupe comme du death metal, comme une progéniture. Je pense que c’était le début de la seconde vague de death metal, et c’était le début de la révolution, car il faut plus que Possessed pour créer un style, et entre Possessed et plus tard Death, c’était le début du véritable mouvement death metal.

La même année que vous avez sorti la démo Death Metal, Death a sorti sa démo Death By Metal. Puis Chuck Schuldiner a été surnommé le parrain du death metal et il y a toujours eu ce débat sans fin pour savoir quel groupe entre Possessed et Death avait vraiment inventé le death metal…

Je suis sûr que Chuck lui-même te dirait que c’était des années après. Mantas n’était certainement pas un autre groupe de death metal. Ils jouaient, genre, des reprises de Judas Priest et Iron Maiden, et un peu de hard rock, mais il n’y avait pas la batterie rapide, ce n’était pas ouvertement satanique, il n’y avait pas du tout les composants du death metal, loin de là. Ce n’était pas un groupe de death metal, et Chuck aurait été le premier à l’admettre. Il a dit dans d’innombrables magazines qu’il avait principalement été influencé par moi, et il le disait à tout le monde autour de lui ; historiquement, on peut le documenter. Seven Churches a été entièrement écrit en 82. Donc, nous donnions déjà des concerts et tournions déjà avec les morceaux de Seven Churches en 83. Je sais que les gens n’arrêtent pas de dire que Mantas, c’était soit en 83, 84, 85 ou 86, mais je connais bien la chronologie, car 83 était un nombre magique et je me souviens de cette époque, et il est certain que Chuck ne connaissait même pas le terme death metal ou la musique death metal avant de me connaître. Et puis plus tard, parce qu’à un moment donné c’était devenu très à la mode, c’était très en vogue dans les magazines d’appeler… Même si nous avions écrit Seven Churches avant même que tout le monde sache qui était Slayer, Show No Mercy battait Seven Chruches dans la presse. Ça donnait l’impression aux gens qu’ils étaient les premiers, mais c’était en vogue de qualifier Possessed de clone de Slayer. Et ensuite, parce que Chuck avait dit dans plein de magazines que son influence était Possessed, ils ont commencé à qualifier Death de clone de Possessed. Je pense que ça l’a vraiment blessé, et il a commencé à prendre ses distances avec Possessed et le death metal, et il a commencé à se qualifier de metal progressif, et à changer un petit peu. Chuck a toujours dit dans les magazines qu’il n’était pas à l’aise quand les gens l’appelaient le parrain du death metal, car c’était le truc de Jeff, et c’est là qu’il a emprunté le style.

« J’ai été surpris et choqué de voir tant de groupes essayer de voler mon histoire. A l’origine, plein de groupes fuyaient le nom death metal, parce que j’étais une sorte de paria à l’époque, et voir ces groupes revenir plus tard et commencer à revendiquer mon histoire, je trouve que c’est ignoble, ça fait d’eux des poseurs et des putains de menteurs. »

Je trouve juste ça tellement ridicule que les gens ne serait-ce que… Il existe trop de gens qui s’en souviennent, et ce n’est tout simplement pas vrai. Autant j’adore Chuck, et autant je respecte tout ce qu’il a apporté au death metal, aucun discrédit à son égard, mais il n’était certainement pas le premier. Je veux dire que j’ai inventé le terme death metal, avant ça n’existait pas. Il n’aurait même pas connu les mots death metal sans moi. Nous avons inventé le premier son death metal, qui évidemment s’est transformé en plusieurs choses aujourd’hui, mais tout le monde savait que Possessed était le premier groupe de death metal, mais ensuite, après que je me sois fait tirer dessus, je suis revenu dix-sept ans et demi plus tard, et j’ai été surpris et choqué de voir tant de groupes essayer de voler mon histoire. A l’origine, plein de groupes fuyaient le nom death metal, parce que j’étais une sorte de paria à l’époque – ce n’était pas quelque chose qui était largement accepté –, et voir ces groupes revenir plus tard et commencer à revendiquer mon histoire, je trouve que c’est ignoble, ça fait d’eux des poseurs et des putains de menteurs.

Tu as même écrit la chanson « Burning In Hell » dès 1979 !

Oui, j’ai écrit ça quand j’avais onze ans. Mon frère m’avait donné une magnifique édition de l’anthologie d’Edgar Alan Poe, avec des liens en cuir, des feuilles d’or, etc. J’ai lu ça du début à la fin plusieurs fois, et j’étais vraiment fasciné par Poe et H.P. Lovecraft, et Stephen King, et Bram Stoker, tous ces écrivains de littérature horrifique vraiment cool, et bien sûr j’ai grandi en regardant les films de créatures, comme ceux avec Vincent Price, Christopher Lee, Béla Lugosi, etc. J’ai toujours adoré ce côté sombre. Et évidemment, j’adorais Sabbath, Mercyful Fate, Venom, Motörhead, etc. J’ai toujours voulu être dans un groupe nettement plus heavy, et avec Blizzard, je voulais que nous soyons plus heavy, et eux voulaient continuer à jouer des reprises, puis les mecs ont commencé à prendre de l’acide et à jouer des chansons de Grateful Dead. Et moi, je n’arrêtais pas de dire : « C’est quoi ce bordel ? Il faut être plus heavy ! » J’ai fini par me faire virer de Blizzard à cause de ça, et c’est là que Possessed a commencé. C’était le groupe avec lequel j’ai pu faire tout ce que je voulais faire.

T’attendais-tu à ce que le death metal prospère toujours trente-cinq ans plus tard ?

C’était ce que je visais. Nous essayions de lancer un tout nouveau style, nous essayions d’être les premiers, et nous espérions que ça décolle, mais honnêtement, lors de nos premiers concerts en tant que groupe de death metal, de nombreuses personnes sortaient et se moquaient de nous, ou nous tournaient le dos. Les gens n’étaient presque pas prêts pour ça, sauf un tas de gars punk hardcore, et plein de mes amis hardcore, ils ont mis en place un rassemblement, et rapidement après la sortie de cette première démo, ça s’est répandu comme un feu de forêt, ça a vraiment commencé à exploser, et c’est parti de zéro pour atteindre un millier en un an, et Possessed est devenu global. Pas global dans le sens où nous vendions des millions d’albums, mais global dans l’underground.

Que penses-tu de la scène death metal en 2019 ?

Je l’adore. Ils font leur version du death metal. Ma version est différente parce que je suis l’original, et j’ai l’impression qu’il y a bien plus de compétition aujourd’hui, avec plein de super groupes, donc ce n’est pas aussi facile, car nous ne sommes pas le seul groupe de death metal. Je vais relever le défi et faire de mon mieux pour rester au niveau de ces gosses et, je l’espère, continuer mon histoire qui s’est arrêtée si abruptement, car je n’avais jamais eu l’intention d’arrêter. Je suis reconnaissant d’avoir l’opportunité de continuer l’histoire de Possessed, et montrer aux gens que je n’en avais pas fini, et que j’ai bien plus à dire. Mais j’adore tous ces groupes. Ceci dit, je pense que plein de groupes tombent dans le piège de la standardisation, quand ils disent que le death metal consiste en telle et telle partie, et personnellement, je préfère avoir bien plus de mélodie et de musicalité. Nous avons déjà été le groupe le plus heavy du monde, donc maintenant, je voulais amener quelque chose de bien plus musical, avec lequel les gens pouvaient s’éclater, vraiment rentrer dedans et apprécier, mais tout en restant mon style de death metal. Mon style de death metal, c’est en partie thrash, en partie black metal.

Quelles étaient les circonstances de la séparation du groupe en 1987 ?

Je me suis rendu en répétition, comme n’importe quel autre jour normal, tout le monde était silencieux, j’étais prêt à envoyer la sauce, et Mike Torrao et Mike Sus sont venus à moi et ont dit : « Larry arrête, il rejoint Blind Illusion. » Larry jouait toutes les rythmiques et tous les solos sur album, donc il était très central, il composait bien plus de musique, et les Mike trouvaient la tâche trop monumentale, de trouver un nouveau guitariste et reconstruire le groupe, et moi j’étais là : « Non, on va trouver un nouveau guitariste et continuer. » Et eux étaient là : « Il n’y a pas que ça, on veut vivre une vie normale. » Il y a deux types de personnes. Ce n’est pas facile de tourner dans un groupe de death metal, ce n’est pas facile de jouer dans un groupe de death metal, c’est quelque chose que les gens soit adorent, soit détestent. Certaines personnes ont l’impression que ça donne de la valeur à leur vie, et d’autres que ça dévalorise leur vie normale. Je peux totalement le comprendre, nous l’avons tous pensé, mais pour moi, le death metal est la seule voie à suivre. Ils voulaient retourner à leur vie normale. Mike a un business d’aménagement paysager avec son père qui fonctionne très bien, il se fait beaucoup d’argent, et Mike Sus voulait continuer à l’université d’Etat de San Francisco et se concentrer sur ses études. A ce moment-là, nous avions tourné intensivement et rapidement, ça ne faisait que quelques années que nous étions ensemble, et j’ai eu l’impression qu’ils s’étaient épuisés dessus. Je dois respecter leur parcours. J’adore ces gars, je leur souhaite tout le meilleur du monde, et je ne pourrais dire suffisamment de bien d’eux. C’était mes frères. Quand Mike et Mike ont dit qu’ils voulaient simplement avoir des vies normales, je les ai suppliés de rester, mais ils ne voulaient pas et je comprenais pourquoi ils voulaient arrêter. Donc ils ont continué leur route, et j’ai continué la mienne.

« Je n’en veux pas à ces gars [qui m’ont tiré dessus]. Je sais qu’ils ont eu une vie merdique. Je les ai seulement vus en cour supérieure, mais ils ont eu une enfance vraiment perturbée. Je pense juste qu’ils étaient victimes des circonstances et de leur éducation. »

Comme tu l’as mentionné, Larry LaLonde est parti faire carrière avec un tout autre type de groupe : Blind Illusion dans un premier temps puis Primus. Qu’as-tu pensé de cette décision de sa part ? Etais-tu surpris ?

Non, je sais que Larry était toujours à fond dans Frank Zappa, King Crimson, Jimi Hendrix, etc. Il faisait du metal, mais ce n’est pas quelque chose qu’il ressentait vraiment. Il s’impliquait vraiment à cent dix pour cent avec Possessed, évidemment, mais je sais que Larry a toujours eu d’autres aspirations, et ça ne m’a pas surpris. Si ça n’avait tenu qu’à moi, nous aurions pris un autre guitariste et continué, car à cette époque, nous étions au coude à coude avec Slayer, nous marchions très bien, et j’ai le sentiment que nous aurions pu devenir un de ces super groupes, comme Slayer, ou Megadeth, voire Metallica. Mais notre carrière a été écourtée, et avant de pouvoir nous reformer, on m’a tiré dessus, et ça a bousillé ma vie pendant dix-sept ans et demi.

J’ai lu que tu avais songé auditionner pour Metallica quand Cliff Burton est mort…

Effectivement, j’y ai songé, mais j’avais la tête trop préoccupée par d’autres choses, donc je ne l’ai pas fait. Et aussi, Possessed, c’est mon truc. C’est trop dur d’abandonner mon groupe ; Possessed a toujours été tout ce que je voulais. Jamais je ne l’abandonnerai. Possessed a commencé avec moi, et il finira avec moi. A moins que mon fils me succède quand je serai mort, Jeff Junior. Je sais que ça énerve plein de gens, mais c’est mon groupe, je peux faire tout ce que je veux. Je suis le leader du groupe. C’est comme ça que ça marche. Regarde Chuck ! Chuck a traversé un enfer avec ses guitaristes, ou Dave Mustaine, ou n’importe quel groupe de metal. Il faut trouver la bonne combinaison. Si tu n’arrives pas à trouver la bonne combinaison, c’est impossible de tourner, c’est impossible de travailler ensemble ; il faut trouver les gens qui s’entendent bien. C’est le seul but et la seule obligation du leader, quel que soit le groupe, afin de créer la meilleure musique possible.

En 1989, comme tu l’as déjà mentionné, on t’a tiré dessus lors d’un braquage et ça t’a paralysé le bas du corps. Quels sont tes souvenirs de ce jour lorsque ta vie a été bouleversée ?

J’avais un business de construction. Etant mexicains, nous faisons tous du ciment… Non, je blague [rires], mais beaucoup de Mexicains font du ciment, et j’ai appris de mon père qui a lui-même appris de son père. Donc j’avais ce business de construction, j’avais travaillé quelque chose comme treize heures ce jour-là et j’ai fait une pause pour aller me chercher un paquet de cigarettes. Je crois que j’avais retiré cent dollars, et quand je suis sorti, deux gars à capuche ont déboulé et l’un d’eux s’est mis à pointer un neuf millimètre contre mon ventre et l’autre me braquait à cinq mètres. J’étais acculé, je ne pouvais pas fuir. J’imagine que je me suis opposé à eux et je ne voulais pas leur donner mon argent. J’aurais probablement dû leur donner l’argent mais, au final, ils en ont eu marre et le gars a appuyé sur la détente de son neuf millimètre contre mon ventre. Le gars à cinq mètres avec le calibre 22 a tiré en direction de mon front, j’ai brandi ma main en mode défensif et la balle a tapé sur la bague à mon doigt et a rebondi en arrière, loupant mon front. Donc je pense que j’ai ainsi évité que la balle atteigne mon crâne. Puis je me suis écroulé. Je savais que j’étais paralysé mais du sang giclait de mon doigt comme dans un film des Monty Python, et le premier gars avec le neuf millimètre a mis son flingue contre mon front et il s’est enrayé ! Donc il claquait le côté de son flingue et essayait de me tirer dans la tête, mais ça ne marchait pas. Puis les deux gars ont déguerpi. Quand ils étaient à dix mètres de moi, son flingue s’est désenrayé et c’était genre : « Bam ! Bam ! Bam ! Bam ! » Ils tiraient tout ce qu’ils pouvaient dans ma direction, avec les balles qui sifflaient autour de moi ; heureusement, aucune autre balle ne m’a touché. Puis ils ont pris la fuite. J’ai attendu environ quarante-cinq minutes jusqu’à ce qu’une fille arrive. J’ai dit : « Hey, appelle les secours ! » Elle a dit : « Je ne peux pas, je vis dans le coin. Ces mecs vont me faire la peau ! » J’ai dit : « Je te donne dix dollars ! » Elle était là : « Dix dollars ? » J’ai donc plongé ma main qui n’était pas blessée dans ma poche, je lui ai filé ces fichus dix dollars, et environ dix minutes plus tard, un flic est arrivé en crissant des pneus et il était là : « Bordel de merde ! C’est ma première fois en solo ! Je flippe à mort ! J’y crois pas ! » J’ai dit : « Appelle une ambulance. » Nous avons donc attendu encore vingt minutes et une ambulance est arrivée et m’a emmené à l’hôpital John Muir pour blessures graves. J’ai commencé alors une rééducation qui a duré six mois.

Penses-tu encore souvent à ce jour-là ?

Parfois, quand on me pose la question, mais ça ne me dérange pas vraiment. Je n’en veux pas à ces gars. Je sais qu’ils ont eu une vie merdique. Je les ai seulement vus en cour supérieure, mais ils ont eu une enfance vraiment perturbée. Je pense juste qu’ils étaient victimes des circonstances et de leur éducation. J’ai eu une mère et un père vraiment bons, et j’ai eu une famille très solide, or ce n’est pas le cas de tout le monde. Donc ouais, j’y pense, mais ça ne me torture pas l’esprit ou quoi.

Vois-tu le fait que tu sois parvenu à remonter sur scène comme un message d’espoir ?

Je ne pense pas que je fais quoi que ce soit que toi ou quiconque ne feriez pas. Si on te met à terre, soit tu agis pour vivre, soit tu te laisses mourir, et si tu as la volonté et la motivation, alors tu vas de l’avant. C’est vraiment tout ce que tu peux faire.

Interview réalisée par téléphone le 1er avril 2019 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Julien Morel & Nicolas Gricourt.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Hannah Verbeuren (1, 2, 5, 7 & 8).

Site officiel de Possessed : possessedofficial.com

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