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Interview   

Princesses Leya : il y a bien longtemps, dans une galaxie débile, très débile…


Princesses Leya est né d’une blague (le contraire aurait été étonnant) et la blague a pris de l’ampleur. A tous les niveaux, puisque d’un sketch de cinq minutes, le projet est devenu un univers avec un spectacle live d’une heure quinze, un album, des vidéos, des vignettes.

L’Histoire Sans Fond est une aventure où, tels Rick & Morty, Schoumsky, Dédo, Cléo et Fifou se retrouvent propulsés suite à un mauvais jeu de mots sur Chlamydia 4, une planète d’une stupidité abyssale. Nous vous laisserons le plaisir de découvrir par vous-mêmes le reste de cette histoire généreuse en vannes et en références, saupoudrée de quelques compos et reprises. Attention néanmoins, le rythme est effréné et c’est revendiqué, à la manière d’un Francois Pérusse ou des Donjons de Naheulbeuk.

Nous avons voulu en savoir plus sur la manière dont les Princesses Leya aiment faire rire, raconter une histoire et, indirectement, faire passer des messages plus sérieux.

« Il y a une petite référence aux Deux Minutes du Peuple de François Pérusse, car il y avait une densité là-dedans, un rythme, ça va à dix mille à l’heure, il ne s’arrête pas pour le rire, c’est « tu adhères » ou « tu adhères pas » à ce rythme, mais c’est un truc qui me fait kiffer. […] Soit tu prends le train avec nous, soit malheureusement tu regardes passer. »

Radio Metal : Comment est né le projet Princesses Leya ?

Antoine Schaumsky (guitare & chant) : Dans un projet purement capitaliste, dans l’idée de faire fortune dans un album de rock en 2021, j’avais fait un business plan pour être sûr que nous nous approprions plein de références culturelles et amassions le plus de gens vers notre projet. Mais, la réalité, c’est un projet de gosse, dont je rêve depuis très longtemps, de mélanger humour et metal. J’ai proposé ce projet à Dédo il y a deux ans et demi et effectivement, au début nous avons commencé gentiment en disant : « Voyons déjà si ça fait marrer les gens sur dix minutes avant de s’emballer à faire un spectacle, des albums, etc. » Il y a eu une soirée spéciale, nous avons monté une formule de dix minutes où il y avait déjà « Makeba » qui existait et quelques vannes qui se lançaient dans le spectacle. C’est la réaction à la fois de nos potes humoristes et des spectateurs ce soir-là qui nous a fait dire qu’il y avait peut-être un truc à creuser. Là, nous nous sommes mis à bûcher comme nous le faisons d’habitude dans nos spectacles d’humour, à penser vraiment une trame, à faire la chose sérieusement, tout en restant sur un esprit débile, mais quand même avec un petit travail derrière qui est un peu plus que de la blague entre deux chips.

Au départ, le projet était donc exclusivement live, un truc de dix minutes comme tu disais, et là vous en avez fait un album d’une heure. Comment le processus de passer du live à l’album s’est passé ?

Nous ne voulions pas retranscrire exactement la même chose que sur scène. Ce sont les chansons qui font le lien entre le spectacle et cet album, mais nous nous sommes dit que ce serait plus intéressant pour les gens qui nous connaissent déjà d’avoir une autre aventure, avec d’autres blagues, pour éviter qu’ils aient l’impression que nous leur ressassions la même salade. Nous nous sommes demandé comment, avec les chansons que nous avions déjà dans le spectacle, construire un autre scénario. Nous avons pris le parti de prendre le film de genre, l’univers parodique des aventuriers inter-dimensionnels. Nous avons fait appel à toute notre culture de cinéphiles pour parodier les films de science-fiction et d’heroic fantasy. Nous avons pris ce biais-là et nous avons assemblé le puzzle après.

Concrètement, dans votre collaboration à tous les quatre, qui fait quoi au niveau de l’écriture, de la musique, de l’histoire ?

Princesses Leya, c’est un projet que je mène depuis le début sur le concept et l’écriture, et que je produis. Sur l’écriture, c’est une collaboration avec Dédo, à qui je soumets toujours la matière première et sur laquelle il amène sa patte à lui, son humour absurde. Nous affinons tout tous les deux. Sur les chansons, c’est très collégial. La plupart des chansons, c’est Dédo qui les écrit, à quelques exceptions près. Il y a deux ou trois chansons qui viennent de moi et après, Dédo les remanie à sa sauce. Les arrangements, c’est un truc que nous faisons vraiment à quatre, où j’arrive avec des propositions de riffs, de mélodies, mais qui passent à la moulinette du groupe. Le rendu final est un travail très collégial.

Dédo, ton activité principale, c’est humoriste. Des projets qui naissent d’une blague et qui, petit à petit, prennent de l’ampleur et deviennent sérieux, c’est ton quotidien. Comment tu fais le tri entre toutes ces idées de blagues que tu peux avoir j’imagine à peu près tout le temps, pour choisir ce sur quoi tu vas travailler pour en faire un vrai projet ?

Dédo (chant) : Si tu parles de la discipline du stand-up, c’est souvent des choses sur lesquelles tu as déjà réfléchi en amont par rapport à des thématiques et que tu testes ensuite en live. Soit je le fais en scène ouverte, soit je place des petits morceaux dans mon spectacle qui est déjà écrit, et je place de nouvelles choses en me disant qu’au pire, si ce n’est pas encore complètement aiguisé, ça ne sera pas long et j’aurai le temps de voir ce qui marche et ce qui marche un peu moins bien. C’est du travail d’affinage régulier que tu testes avec les gens. S’il n’y a pas les gens, ça peut être marrant dans ta tête et tu te rends compte que ça ne l’est pas forcément devant eux, parfois juste parce que tu ne trouves pas la bonne passerelle pour faire passer ton idée ou que ce sont juste des mots qui ne collent pas, et que ça marche moins bien. C’est un travail, que tu reprends régulièrement pour le stand-up. Après, pour le reste, ça dépend. J’ai écrit un programme avec Yacine Belhousse qui s’appelle « L’Histoire racontées par des chaussettes » où nous réfléchissons à des thèmes qui peuvent coller en termes de grandes inventions ou de faits historiques marquants et nous y rajoutons notre vision un peu absurde qui passe le tout à la moulinette derrière. Et puis des fois, juste, tu ne sais pas. J’ai sorti une BD [White Spirit] dans la collection [Une case en moins] de Davy Mourier, c’était une nouvelle que j’avais écrite quand j’avais 21 ans et que j’avais mise dans mes cartons. Je me disais que ça resterait peut-être à l’état d’embryon, à ce niveau-là ça me suffisait. Puis Davy était venu me voir en me demandant si j’avais des projets qui pourraient coller, j’ai ressorti cette nouvelle que j’ai retravaillée pour en faire un scénario de bande dessinée, et ça a donné ça. C’est bien aussi de se faire surprendre. Typiquement, pour les Princesses Leya, ça a été la même chose, dans le sens où Antoine était venu me voir avec cette envie et cette idée. Ça m’a plu et nous avons pu collaborer. D’un passage de cinq minutes, c’est devenu un spectacle live d’une heure quinze, et un album qui traite d’une autre histoire. Nous sommes contents de pouvoir vivre ce projet sur les différentes plateformes, dans l’espoir de pouvoir continuer, que ce soit à travers l’album parce que nous allons avoir des pastilles en animation qui vont mettre en images les parties sketchées que tu as entendues sur l’album, et puis d’autres projets que nous avons dans les tuyaux, en espérant que nous ferons peut-être un volume d’eux ou autre chose, des BD, des séries… Disons que la matière, nous pouvons l’avoir pour beaucoup de choses, ensuite c’est comment la transformer, par quel biais. Pour l’instant nous sommes obligés d’attendre pour la scène mais nous essayons de faire vivre autrement le projet.

« J’aime bien l’idée qu’on soit quelque part obligés de faire asseoir les gens pour se concentrer sur l’écoute d’un album. Ce qu’on n’arrive plus à faire, parce que maintenant tu es très vite parasité, parce que tu vas être sur ton téléphone ou tu vas faire autre chose… Là, tu es obligé, pendant une heure, de te concentrer si tu veux vraiment avoir accès à cet univers. »

Ce premier album est un album généreux en termes de vannes, de références, de reprises… Il y a une vraie abondance. Comment êtes-vous arrivés à une telle abondance ?

Antoine : Nous ne savons pas si nous ferons d’autres albums plus tard, nous avons pensé ce truc-là en nous disant que nous avions la chance de faire un album dans notre vie, ce qui est un fantasme d’ados. Nous nous sommes dit que nous allions donner tout ce que nous aimions, nos influences, nos délires, en espérant que ça rencontre des oreilles qui prennent ça positivement. Nous n’avons pas réfléchi en nous disant qu’il fallait absolument tout mettre, c’est juste que nous avions ça à dire à ce moment-là. Et nous avons sacrifié des choses, mais je pense que ça correspond à nos carrières, à la fois d’artistes et de personnes.

Dédo : C’est ce que nous aimons musicalement et dans l’humour. Nous voulions que ce soit un album qui représente complètement ce qu’est le projet sur scène, comme sur CD. Le projet sur scène, c’est un vrai concert et à la fois un spectacle, une pièce de théâtre, un truc un peu dense, et l’album, c’est un peu la même chose. C’est effectivement assez généreux dans ce que c’est, mais nous l’avons fait de la manière la plus digeste possible. Je pense que nous sommes généreux dans le bon sens du terme, sans vouloir trop en faire. Nous avons justement, malgré tout, essayé d’alléger suffisamment pour que les gens puissent se dire : « Ok, on a eu vraiment beaucoup, mais on en veut encore. »

Antoine : Il y a une petite référence aux Deux Minutes du Peuple de François Pérusse, car il y avait une densité là-dedans, un rythme, ça va à dix mille à l’heure, il ne s’arrête pas pour le rire, c’est « tu adhères » ou « tu adhères pas » à ce rythme, mais c’est un truc qui me fait kiffer. Le train démarre, et ça ne s’arrête jamais.

Cléo Bigontina (basse) : Le fait qu’il y ait de la quantité sur l’album, ce n’est pas genre nous sommes enfermés pendant trois mois en studio pour tout faire. Ça s’est fait au fil du temps. Il y a des morceaux qui ont été enregistrés et ensuite remasterisés pour l’album, bien avant que nous fassions les dernières sessions studio. C’est le parcours du groupe qui s’est construit depuis deux ou trois ans.

Antoine : Tu as deux ans de conneries, de choses que nous nous sommes dites en tournée. C’est une synthèse de ce qui nous est arrivé en deux ans, musicalement, de conneries, etc. Ca a donné ça. Deux ans, c’est long pour une gestation, donc c’est normal que ça fasse un gros bébé !

Dédo : C’est comme les baleines, non ? Il n’y a pas des animaux qui font des gestations de deux piges ?

Antoine : Je vais regarder sur Wikipédia combien temps prend une baleine, mais est-ce que c’est vraiment le thème de l’émission ?

Dédo : C’est le bébé d’un très gros mammifère, nous ne savons pas encore lequel !

Quand on écoute l’album, il y a ce passage qui s’appelle « Bibliothèque Paf » où les personnages sont en train de réfléchir à des idées. J’ai l’impression que ce passage, dans l’histoire, raconte ce que vous, vous avez fait, et ce petit moment de tri que vous avez dû faire entre telle et telle idée…

Antoine : Quand on a dû couper des choses dans les sketchs surtout, oui, il y a eu des moments où nous nous sommes demandé ce qui était important, et en général, nous avons essayé de privilégier les choses qui faisaient avancer l’histoire. Nous sommes très friands de blagues gratos juste pour la déconne, mais les choix que nous avons dû faire, c’était voir ce qui ralentissait l’histoire et les sketchs dans l’évolution des personnages. Sinon il y a des sketchs qui faisaient vraiment dix minutes.

Dédo : Nous avons dégraissé au maximum pour que ça ne soit pas un peu trop dur. Si jamais ça durait deux heures, même si c’est très bien, au bout d’un moment tu t’essouffles un peu. Nous avons voulu rester le plus rythmés possible, en alternant au mieux les parties sketchées et les morceaux. Les morceaux sont assez courts, et nous ne voulions pas que les sketchs fassent vingt minutes pour contrebalancer le truc. Nous avons cherché avant tout à trouver le juste équilibre entre parties sketchées et morceaux de l’album. Nous pensons y être arrivés. J’espère, en tout cas.

« Globalement, il y a une crétinisation du monde qui est réelle, et surtout de gens qui ont beaucoup d’influence. C’est ça qui fait peur, le fait que des gens qui ont beaucoup de pouvoir sur leur communication arrivent à sortir des choses complètement débiles. »

Tu as évoqué les Deux Minutes du Peuple. Il y a d’autres influences qui nous viennent quand on écoute Princesses Leya. On entend un peu les Donjons de Naheulbeuk ou l’influence d’Ultra Vomit dans le côté mash-up et reprises revisitées. Aviez-vous ces influences en tête quand vous avez créé ce projet ou bien était-ce un truc complètement unique qui mélangeait la musique, les blagues, sans prendre en compte une seule seconde les influences ?

Antoine : Tu cites le Donjon de Naheulbeuk, je le revendique à mort. J’ai bossé dessus sur une adaptation en série et j’ai fait les voix de certains personnages sur l’adaptation. C’est un truc que j’avais en tête, parce que c’est une grosse référence dans la parodie des univers Seigneur Des Anneaux, heroic fantasy, et comment plonger des personnages complètement teubés dans une quête magique. C’est une très grosse référence. Après, là où nous nous en détachons, c’est que ce n’est pas un barbare, une elfe, un magicien et un aventurier, mais quatre musiciens un peu cons, avec des caractères un peu différents. C’est un Donjon de Nauheulbeuk musical et un peu plus sous speed ; je ne sais pas si tu te souviens du rythme des Donjons de Naheulbeuk, mais il aimait bien prendre son temps. C’est pour ça que je parlais de François Pérusse, c’est que nous sommes plus sur le rythme de François Pérusse que celui des Donjons. Ce sont des influences qui font partie de notre ADN. Les Donjons de Naheulbeuk, Douglas Adams, Terry Pratchett, ces auteurs de bouquins hyper parodiques sur le milieu SF, c’est aussi des trucs qui font partie de nous et que nous kiffons à mort. Forcément, ça transpire dans cette aventure.

Dédo : Nous ne pouvions pas non plus occulter Ultra Vomit, sachant que nous sommes en France. Evidemment, ils étaient là depuis très longtemps et ils le font très bien. Là où je pense que nous nous affranchissons un peu de ça – et nous sommes d’accord avec le groupe – c’est qu’eux, c’est beaucoup plus un vrai concert avec des blagues à l’intérieur. Nous, c’est vraiment plus à l’équilibre entre des morceaux concerts et une vraie trame scénarisée et théâtralisée. Même si nous sommes vraiment des cousins, il y a quand même une différence là-dessus. Je trouve que nous nous rapprocherions un peu plus – en tout cas par rapport à la série qui en a été faite – de Flight Of The Conchords, qui met en lumière des morceaux pour les rendre cohérents avec la trame narrative de chaque épisode. Nous nous rapprochons un peu plus de ça, en tout cas dans la construction des choses, de mon point de vue.

Une petite influence de Rick & Morty – cette série qui est devenue populaire sur Netflix – où on voit ces personnages qui passent leur temps à se balader dans des mondes parallèles, dans des dimensions complètement débiles ? Quand je pense à l’univers de la planète Chlamydia 4, je pense à Rick & Morty qui utilisent leurs petits pistolets et arrivent dans une dimension où tous les personnages ont des culs à la place de la tête…

Antoine : Tu nous fais plaisir parce que c’est la première fois qu’on nous sort cette référence, mais je crois que nous sommes tous extrêmement fans de cette série. Ce serait faux de te dire que nous avons pensé à ça en écrivant ce truc, mais évidemment, c’est l’humour, le ton, les ruptures… Le rythme de Rick & Morty est hystérique ! Il y a des moments où tu pètes un câble tellement c’est débile. L’épisode du cornichon, tu es en PLS de bonne heure.

Dédo : Ça va très loin aussi dans l’absurde. Ils ne se disent pas : « Est-ce que là, on ne va pas perdre les gens ? » Là-dessus aussi, nous ne nous sommes jamais dit : « Est-ce que là, il n’y en a pas qui vont rester sur le bas-côté ? » Soit tu prends le train avec nous, soit malheureusement tu regardes passer. Je suis très fan du travail de Dan Harmon. Même ce qu’il faisait sur Community, c’était déjà, dans une moindre mesure, quelque chose de très frénétique et d’hyper marrant. Si jamais d’autres font cette comparaison, nous serons très contents, c’est évident.

Cléo : Tu peux prendre le train quand même. De temps en temps tu fais une sieste, mais tu passes un bon moment quand même !

Dédo : Bien sûr ! Au pire, ce n’est pas grave, nous repasserons peut-être par la gare et tu le récupèreras derrière.

Ce qui est sympa aussi dans ce rythme frénétique, c’est se dire qu’on peut se faire une deuxième écoute et redécouvrir des trucs.

Oui. Ce n’était pas un but avoué, mais c’est vrai que quand il y a de la générosité dans les textes, ça prête plus facilement matière à pouvoir les réécouter et à y revenir plus facilement, parce que tu as envie de découvrir les subtilités que tu n’as peut-être pas eues du premier coup. Nous avons peut-être aussi cette chance : ça va être plus simple pour les gens d’y retourner qu’un truc que tu écoutes en diagonale en te disant : « Ce n’est pas grave, la vaisselle est finie… »

Antoine : J’aime bien quand nous utilisons le mot « subtilité » en parlant de notre projet !

Dédo : Il faut se concentrer un peu sur l’écoute, parce que sinon tu vas passer à côté de l’histoire. J’aime bien l’idée qu’on soit quelque part obligés de faire asseoir les gens pour se concentrer sur l’écoute d’un album. Ce qu’on n’arrive plus à faire, parce que maintenant tu es très vite parasité, parce que tu vas être sur ton téléphone ou tu vas faire autre chose… Là, tu es obligé, pendant une heure, de te concentrer si tu veux vraiment avoir accès à cet univers. Nous espérons que les gens prendront la peine de le faire, mais je pense que si vraiment, ils le font, ils ne seront pas déçus du voyage.

« On nous a demandé si avec l’album nous avons peur de nous prendre des taquets, etc. Ça aussi, ça fait partie d’une espèce d’ère de débilité mentale, ce truc de sauter sur le râble de tous les humoristes qui font des blagues, sous couvert de : « Il ne faut pas rire de telle communauté si vous n’en faites pas partie ». »

Je partage avec vous l’expérience que j’ai eue en préparant l’interview. Quand je fais des interviews, j’ai l’habitude d’écouter le disque de l’artiste et, naturellement, de faire mes questions en même temps. Or là, je n’y arrivais pas : à un moment, tu es obligé de t’arrêter, car pour peu que tu prennes le temps d’écrire ta question pendant que tu as une chanson ou un sketch qui passe, tu as raté deux trains. Ça encourage à se dire : « OK, je lâche ce que je fais, et j’écoute. »

Antoine : C’est exactement dans ces conditions que nous aimerions que les gens se mettent pour l’écouter correctement, parce que pour nous c’est un film ou une série, un truc où tu décroches le reste et tu ne fais pas trois trucs en même temps pour l’apprécier. Vu qu’en ce moment, il n’y a plus de spectacles vivants, ça offrait la possibilité de te dire que tu coupes avec ta vie pendant une heure, une heure et demie, deux heures, et tu te places vraiment dans une ambiance. C’est le plus difficile quand tu es confiné chez toi et que tu ne peux pas sortir, le fait d’arriver à ne pas faire dix mille trucs en même temps et de profiter vraiment d’un univers qu’on te propose. J’espère que les gens arriveront à faire comme toi, à se dire : « Je lâche mon téléphone et je me concentre. »

Cléo : Pour ceux qui sont vraiment réticents à juste écouter, il y aura les petites capsules avec dessins animés.

Antoine : Oui, sur YouTube. Tous les sketchs que tu as entendus vont avoir leur petite animation. Malgré tout, ça reste plus agréable d’écouter un truc avec un support visuel. Et aussi, ça correspond à ce que nous aimons. Nous aimons la BD, nous aimons le dessin, le cartoon, etc. Quand tu as engagé Brigitte Lecordier pour un truc comme ça, ça aurait été étrange de ne pas faire de cartoon.

Dédo : Encore une fois, ça ne peut que servir l’histoire, dans le sens où si tu sais que tu peux la redécouvrir sous un autre media, c’est-à-dire avec des moments d’animation, tu vas pouvoir y retourner une troisième fois et encore y voir de nouvelles choses. Nous sommes gagnants. Le but du jeu c’est de faire en sorte que les gens puissent en tirer un maximum de plaisir. Si jamais c’est suffisamment généreux pour ça, nous espérons que les gens nous le rendront en venant nous voir en live ou en achetant nos albums par exemple, ce serait sympathique !

Généralement, dans des concepts-albums traditionnels, on a beau être motivé par l’histoire qu’ils nous racontent, malgré tout, le principal, ça reste la musique. Or il y a dans votre album une manière de découper les chansons et les sketchs qui fait qu’on est toujours plus ou moins dans l’histoire ; la chanson ne nous sort jamais complètement de l’histoire. Est-ce qu’il y a eu une vraie réflexion pour savoir comment placer les chansons dans la setlist de l’album ?

Antoine : Oui, c’est l’histoire du puzzle dont on parlait tout à l’heure : trouver comment agencer les choses pour qu’à la fois les gens puissent toujours écouter de manière segmentée – s’ils veulent uniquement écouter « Ustensiles », ils le peuvent – et que les chansons amènent toutes un truc dans la narration qui fait progresser les héros. C’est comme ça que nous avons raccroché les wagons, en disant que telle chanson amène sur tel événement.

Dédo : Ça donne du sens à l’histoire et le track-listing n’est pas fait par hasard non plus. Il y a des morceaux qui se prêtaient un peu plus à l’introduction de l’histoire et d’autres qui étaient plus conclusifs. Finir sur « Tue Tes Parents », ça marchait bien par rapport à ce que nous racontions. Nous avons travaillé en amont sur tous les détails pour que tout prenne sens. Nous espérons que les gens s’en rendront compte.

Les personnages sont travaillés, ils ne sont pas juste spectateurs de ce qui se passe, ils ont tous une personnalité. Dédo, ton personnage râle énormément sur les jeux de mots de ses comparses. Cléo, c’est un personnage très engagé sur tout un tas de sujets dont le féminisme. Ces personnages sont-ils des versions un peu exagérées de vous-mêmes ?

Cléo : Il y a un peu de ça.

Dédo : Il y a un peu de nous dans chaque personnage.

Antoine : Dans la vie, Dédo est vraiment très réfractaire aux jeux de mots. Moi, j’ai une facilité à me vautrer dedans. Cléo, évidemment, n’a pas de basse qui fait lance-flamme.

Cléo : Dans la vie je fais griller des chamallows…

Antoine : L’appropriation culturelle, le patriarcat et tout ça, ce sont de vrais sujets que nous abordons dans le groupe régulièrement.

« Quand nous disons que Jeff Beck fait du blues, et que finalement le blues ça vient des champs de coton, ça vient de la souffrance des Noirs, donc est-ce qu’un Blanc peut jouer du blues ? C’est cette discussion qui arrive tellement on va maintenant dans l’extrême en disant qu’il faut remettre en valeur les souffrances d’autrui. »

Concernant le thème global de l’album, cette planète complètement décérébrée, gérée par une société qui endort les gens avec le marketing et la musique de merde qui est produite par l’algorithme Obispo : ce n’est finalement pas qu’une blague. Plus je vous entends parler, plus j’ai l’impression que c’est un message que vous voulez faire passer…

Il y a une grosse référence, c’est Idiocracy, et l’année dernière, au moment où nous écrivions l’album, tous les jours tu ouvrais les news, tu avais une info qui était désespérante de connerie sur un président américain qui incite ses compatriotes à boire de l’eau de javel pour le Covid-19. Le lendemain, tu as Afida Turner qui dit qu’elle s’intéresse aux présidentielles. Le gouvernement qui n’arrête pas de changer d’avis sur des trucs de fous. Globalement, il y a une crétinisation du monde qui est réelle, et surtout de gens qui ont beaucoup d’influence. C’est ça qui fait peur, le fait que des gens qui ont beaucoup de pouvoir sur leur communication arrivent à sortir des choses complètement débiles. Oui, c’est une espèce de crainte du monde dans lequel on arrive. Même avec l’humour : on demande souvent si, maintenant, les humoristes peuvent rire de tout, on nous a demandé si avec l’album nous avons peur de nous prendre des taquets, etc. Ça aussi, ça fait partie d’une espèce d’ère de débilité mentale, ce truc de sauter sur le râble de tous les humoristes qui font des blagues, sous couvert de : « Il ne faut pas rire de telle communauté si vous n’en faites pas partie ». Maintenant, on coupe direct la parole aux gens et à des artistes sous couvert d’une espèce de bien-pensance. Je prends l’exemple du sketch sur l’appropriation culturelle : quand nous disons que Jeff Beck fait du blues, et que finalement le blues ça vient des champs de coton, ça vient de la souffrance des Noirs, donc est-ce qu’un Blanc peut jouer du blues ? C’est cette discussion qui arrive tellement on va maintenant dans l’extrême en disant qu’il faut remettre en valeur les souffrances d’autrui. Derrière un combat qui est extrêmement légitime, tu as affaire à des gens qui deviennent de plus en plus extrêmes et on prive les autres d’empathie. Je pense sincèrement que la musique, il n’y a pas à dire qui a le droit d’en jouer ou pas. Le blues naît d’une souffrance, mais il y a des sentiments qui sont partagés par tout le monde. La jalousie, la sensation d’avoir été humilié, etc. c’est des sentiments premiers, et tu n’as pas à dire que parce que tu n’es pas de telle ou telle communauté, tu n’as pas le droit d’en parler. N’importe qui peut connaître le sentiment d’humiliation dans sa vie, peu importe son genre, sa sexualité, son origine ethnique, etc.

Cléo : Ca dépend comment tu en parles. Par exemple, on ne peut pas parler du racisme anti-Blanc. Si tu es un homme blanc, par exemple, tu ne pas dire que tu vas rire d’une chose qui va concerner la communauté noire ou alors les femmes… Tu ne peux pas rire d’une souffrance que toi-même tu n’as pas vécue.

Antoine : Tu vois, tu es en train d’assister à un débat qui est vraiment dans l’album. Nous ne sommes pas toujours d’accord avec Cléo. C’est le principe de Southpark et des Simpson. Si on prend le sujet de la cause noire : est-ce qu’en tant que Blanc, tu n’as pas le droit du tout de faire des blagues sur le racisme qu’ont subi les Noirs ? Moi, je pense que c’est d’une connerie extraordinaire. Le racisme, c’est quoi ? Le rejet de l’autre, la peur de l’autre, la méconnaissance de l’autre. C’est un sujet qui est beaucoup plus général, et donc se moquer du racisme, tu peux le faire peu importe ta couleur. C’est faux de dire que parce que tu es un Blanc…

Cléo : Mais oui, on peut se moquer du racisme.

Antoine : Oui, mais utiliser le biais de la souffrance noire pour en parler, ce n’est pas un contresens et ce n’est pas une réappropriation ou un mépris de la souffrance des Noirs. Tu te sers de leur histoire, parce qu’elle est réelle, elle a existé, ils ont été des esclaves, et ce n’est pas parce que tu parles des esclaves noirs en étant blanc que tu méprises leur souffrance.

Je vais réorienter le sujet sur quelque chose de plus concret sur la réalisation de l’album, qui a été confiée à Pierre Danel, de Kadinja. Quel a été son impact sur cette production ?

Sept cordes au lieu de six ! [Rires]

Dédo : Ça change beaucoup de choses mine de rien.

Antoine : En vrai, sans déconner, c’est un arrangeur de fou. C’est un mec qui a une oreille extraordinaire et puis qui a tout de suite compris le délire dans lequel nous étions, et qui nous a tirés vers le haut et nous a poussés à l’exigence. Il disait : « D’accord, vous êtes des rigolos, vous faites rire les gens, mais il y a de la musique, il ne faut pas qu’on vous prenne pour des rigolos. Donc on va traiter ça sérieusement. » Il nous a fait bosser, il a proposé des arrangements qui, techniquement, n’étaient pas ce que nous faisons forcément d’habitude. D’où l’apparition de sept-cordes sur certains morceaux pour donner encore plus d’ampleur, de force, d’impact sur les morceaux.

Dédo : Ou droper par moments l’accordage pour être un peu plus sur quelque chose de « dark » et d’épais.

Cette exigence qu’il vous a amenée, c’est un truc que vous aviez un peu sous-estimé, du fait que vous vouliez faire un truc drôle ou vous l’aviez déjà un petit peu ?

Antoine : Nous l’avions déjà un petit peu, parce que quand nous avons fait le Warm-Up Hellfest avant, nous savions que nous allions faire des Zenith, des salles de ouf, que nous allions jouer avec des pointures – Dagoba, c’est des musiciens de dingo, Ultra Vomit pareil, Mass Hysteria, Tagada Jones, etc. Il était hors de question que nous arrivions sur scène en passant pour des rigolos. C’est pour ça aussi que nous avons Cléo et Fifou [Xavier Gauduel] qui sont des vrais musiciens, techniciens, avec nous. Nous voulions une assise vraiment très pro, très carrée. Dédo et moi, nous sommes des amateurs éclairés depuis longtemps, mais là, nous nous sommes mis au niveau pour attaquer la scène. Et puis tu as l’école de la scène aussi : en un an et demi, deux ans, nous avons fait beaucoup de dates et forcément, tu sors avec d’autres techniques et tu t’améliores à force de pratique. Pierre, ce qu’il a fait en studio, c’est qu’il ne nous a pas lâchés. Il ne se contentait pas juste d’une bonne prise. Il fallait que ce soit une très bonne prise.

Interview réalisée par téléphone le 17 février 2021 par Philippe Sliwa.
Retranscription : Claire Vienne.
Photos : Thomas O’Brien.

Site officiel de Princesses Leya : www.princessesleya.com



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