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Interview   

Protest The Hero et les traces du passé


Parfois il faut un gros coup dur pour véritablement passer à l’âge adulte. C’est ce qui semble être arrivé à Rody Walker, chanteur de Protest The Hero, après s’est explosé la voix il y a deux ans alors qu’il devait de manière imminente rentrer en studio pour enregistrer le nouvel album Palimpsest. Avant, Rody Walker était un chanteur naturellement doué mais négligent avec ses cordes vocales et sa santé. Après, c’est devenu un chanteur adulte, regrettant l’insouciance de ses jeunes années, mais professionnel, prenant mieux soin de l’instrument qui lui permet de vivre du seul métier qu’il connaît. Il faut dire qu’en parallèle, l’arrivée de son premier enfant a contribué à lui faire prendre encore plus conscience de l’importance de sa carrière.

On ne peut donc que se réjouir que Palimpsest voie finalement le jour, avec un Rody Walker plus en forme que jamais, se frayant habilement un chemin à travers la frénésie guitaristique de ses collègues. Un album complexe et paradoxalement catchy, dont la dimension orchestrale apporte un peu plus de grandeur et sa thématique sur l’histoire américaine un peu plus de profondeur. Nous en discutons ci-après avec le chanteur jovial, qui n’hésite pas à se confier.

« Soit tu nous apprécies parce que tu aimes écouter les petits détails, soit tu nous apprécies parce que tu as une mauvaise capacité de concentration et que tu aimes que ça change constamment [rires]. »

Radio Metal : Votre précédente sortie était un EP initialement basé sur un système abonnement et distribué via Bandcamp, sortant chaque mois d’octobre 2015 à mars 2016 une nouvelle chanson. C’était une approche résolument moderne de distribution de la musique. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Rody Walker (chant) : C’était une expérience vraiment unique. Ceci dit, nous n’allons pas la réitérer, c’était juste pour expérimenter, trouver des manières nouvelles et excitantes de non seulement créer de la musique mais aussi de la sortir. Il n’y a pas assez de gens qui expérimentent. C’était vraiment amusant pour nous d’être sous pression. Ça ne représentait pas énormément de boulot non plus. Un jour par mois, je devais aller au studio, chanter une chanson, et ce qui est génial, c’est qu’au lieu de nous asseoir dessus pendant des mois et des mois et d’avoir hâte que les gens l’entendent, ça sortait direct ! Nous allions en studio, nous enregistrions la chanson, nous la mixions et la masterisions, puis nous la sortions. On peut voir instantanément les réactions des fans. A cet égard, si on parle de chiffres et ce genre de charabia, ça a été un vrai succès.

Le financement participatif de l’album Volition et l’abonnement pour Pacific Myth ont tous les deux été des succès. On dirait que Protest The Hero est un groupe qui peut vraiment compter sur son public…

Exactement. Nous ne pourrions pas faire ça sans les fans, évidemment. Il faut des fans qui achètent tes trucs pour que tu puisses continuer. J’aime à penser que nous entretenons une relation très rapprochée avec nos fans. Personnellement, je me mets en quatre pour répondre à tout le monde sur mon Instagram personnel et sur celui du groupe. J’ai une chaîne Twitch sur laquelle je vais trois fois par semaine, c’est là que j’ai l’occasion de rencontrer les fans et de parler avec eux, et d’apprendre à les connaître. Certains deviennent même de vrais amis proches. Je pense que nous avons une relation bien plus rapprochée avec nos fans que beaucoup de groupes.

Pourquoi ne pas avoir poursuivi sur la voie du financement participatif pour votre nouvel album Palimpsest ?

C’est intéressant, parce que je sais qu’à bien des égards, nous avons l’air de revenir à une sortie d’album plus traditionnelle avec celui-ci. En Europe et au Royaume-Uni, nous sortons l’album via Spinefarm Records, ce qui est très traditionnel, mais nous avons signé un contrat de distribution à l’époque de Volition que nous devons honorer. Cependant, en Amérique du Nord, nous sortons l’album via une compagnie qui s’appelle Sheet Happens qui a été créée et lancée par notre guitariste. Par ce biais, nous continuons à sortir nos albums de manière insolite. D’un côté c’est une sortie relativement traditionnelle, de l’autre c’est aussi une sortie indépendante en Amérique du Nord.

Plein de gens disent que le fait de sortir single après single – comme vous l’avez fait avec Pacific Myth – représente l’avenir. Cependant, Palimpsest est dans un format album traditionnel. Est-ce que ça signifie que pour vous, malgré l’expérience de Pacific Myth, le format album a encore un bel avenir ?

Je pense que oui. Je connais plein de gens qui disent que sortir des singles ou des EP c’est l’avenir. Bring Me The Horizon ou un groupe comme ça a dit qu’ils ne sortiront plus d’album, et pas de souci. C’est un groupe qui a beaucoup de succès, peut-être qu’ils auront encore plus de succès en faisant ça. Cependant, je trouve qu’il y a quelque chose de merveilleux dans un album. Il se peut que nous sortions des singles – nous travaillons actuellement sur une chanson liée au concept de Palimpsest et que nous sortirons potentiellement en tant que single plus tard –, mais ça ne remet pas en cause le fait que nous allons sortir d’autres albums. Nous sommes toujours prêts à expérimenter et repousser les limites de ce qu’on peut et ne peut pas sortir. Cependant, je pense qu’il y a quelque chose de merveilleux dans le fait de sortir un album et de l’écouter pendant une heure. Sortir des singles et des EP, c’est pour les groupes très populaires. Ils ont des millions d’auditeurs et ces auditeurs écoutent une ou deux chansons à la fois et ensuite ils passent à autre chose. Alors que je pense que les fans de notre groupe – qui fait bien plus partie d’une niche –, même s’ils sont bien moins nombreux, écoutent notre musique en doses plus concentrées.

D’un autre côté, des groupes très populaires comme Metallica ou Iron Maiden ont dernièrement sorti des doubles albums.

C’est très juste. Je parlais davantage du public plutôt pop. Il est clair que Bring Me The Horizon franchit un seuil en allant atteindre l’univers de la pop. Ce public cible, en particulier, semble avoir une capacité de concentration bien plus faible. Ça a l’air super négatif dit comme ça mais ce n’est pas mon intention. C’est juste qu’ils ont une pléthore de choses parmi lesquelles choisir et ils savent exactement ce qu’ils veulent, ils n’ont pas envie d’entendre deux fois le même artiste. Ils veulent entendre des artistes différents jouer à chaque fois la même chose [rires].

J’imagine, effectivement, que si quelqu’un écoute votre musique, qui est très complexe, c’est qu’à la base il a une bonne capacité de concentration…

Ça marche dans les deux sens avec nous. Soit tu nous apprécies parce que tu aimes écouter les petits détails, soit tu nous apprécies parce que tu as une mauvaise capacité de concentration et que tu aimes que ça change constamment [rires].

D’après Luke Hoskin, Palimpsest était « de loin l’album le plus difficile sur lequel [le groupe a] travaillé ». Et ça a été d’autant plus difficile pour toi, personnellement, pour plusieurs raisons. D’abord, durant la dernière tournée, juste avant que tu ne commences à enregistrer, tu t’es explosé la voix et tu as eu beaucoup de mal à la retrouver. Comment as-tu vécu cette situation ?

C’était une période bizarre. Après la partie nord-américaine de la tournée [des dix ans] de Fortress, je suis revenu à la maison, et j’étais incapable de chanter la moindre note. Ma voix se cassait, mon falsetto n’arrêtait pas de déraper, tout sonnait un peu comme du yodel, je n’arrivais pas à contrôler les cassures dans ma voix. C’était vraiment casse-pied. Je crois que c’est un problème que de nombreux chanteurs d’opéra ont rencontré et surmonté d’une manière. Ce sont des chanteurs bien plus attentifs que moi. C’est quelque chose que j’ai fait examiner, j’ai dû aller voir plein de médecins pour vérifier qu’il n’y avait, en réalité, aucun dégât dans ma gorge ou sur mes cordes vocales. C’est une question d’âge et d’usage excessif. J’ai mis beaucoup de temps pour retrouver ma voix, ça m’a pris deux ans de travail mais j’y suis arrivé. Pour ces raisons, je suis très fier de Palimpsest.

« Je pensais que j’étais foutu, que j’allais devoir être serveur dans un bar. J’allais envoyer un CV qui dit : ‘Je suis chanteur, je n’ai jamais rien fait d’autre !' »

As-tu un moment donné songé à jeter l’éponge ou pensé que la musique ou le groupe, c’était fini pour toi ?

Il y a eu plus que quelques moments, et c’était terrifiant. Nous avons fondé ce groupe quand nous avions douze ans et maintenant, nous sommes au milieu de notre trentaine, et je n’ai pas fait d’études post-secondaires. Je suis diplômé du lycée avec un jeune enfant et une jeune famille. J’étais sur la touche du seul boulot que je savais faire – c’était terrifiant ! C’est pourquoi j’ai dû travailler si dur. J’ai obtenu ma Smart Serve, qui est un peu la licence de barman à Ontario. Je pensais que j’étais foutu, que j’allais devoir être serveur dans un bar. J’allais envoyer un CV qui dit : « Je suis chanteur, je n’ai jamais rien fait d’autre ! » J’ai approvisionné des rayons d’épicerie pendant deux semaines quand j’avais seize ans et ensuite nous sommes partis en tournée [rires]. Songer à ça était terrifiant pour moi et c’est en partie ce qui m’a poussé à redoubler d’efforts et à m’assurer d’y arriver.

Quel genre d’exercices as-tu fait durant ton coaching et tes répétitions pour retrouver ta voix ?

Il y avait beaucoup de travail sur le falsetto, les voix très aiguës, et c’était bizarre. L’idée était de renforcer le falsetto mais aussi les cordes vocales de façon que ma voix ne dérape plus sans le vouloir. Tu peux demander à Tony [Anthony K, le producteur] quand il était là ou à mon chien, j’allais à l’étage au-dessus quand il venait pour enregistrer et je faisais ces bruits aigus vraiment ignobles pendant environ une demi-heure et ensuite je commençais à échauffer le reste de ma gorge. Je déteste ça, ça me donne envie de gerber. A mesure que tu t’échauffes, tu montes dans les aigus et tu en arrives à un point où ça devient presque comme un sifflet pour les chiens. Ça craint, j’ai horreur de ça mais c’est aussi comme ça qu’on a identifié que ma voix n’avait pas été endommagée. J’ai passé beaucoup de temps à m’échauffer, laisser refroidir, et soigner ma voix dans l’intérêt de cet album, plus que je ne l’ai jamais fait dans ma carrière. J’ai toujours été un chanteur cavalier, je m’échauffais n’importe comment entre les cigarettes et les bières [petits rires]. Maintenant, je vieillis, je dois me débarrasser de toutes ces mauvaises habitudes et commencer à me concentrer sur le chanteur que j’ai envie d’être, parce que c’est un travail maintenant, malheureusement.

J’ai parlé à plusieurs reprises avec Matt Heafy de Trivium de sa voix qu’il s’est lui-même explosé en 2014. C’était très difficile, déroutant et frustrant pour lui de réapprendre à crier et chanter, mais au final, il voit ça comme une partie importante de sa vie dont il en est ressorti plus fort en tant que chanteur. Penses-tu que ça a eu ou ça pourrait avoir le même genre d’effet positif sur toi et ta voix ?

Il y a absolument un effet positif. Je suis un chanteur qui fait désormais bien plus attention. Après, à savoir si ça a fait de moi un meilleur chanteur, c’est dur à dire. Je pense que je serai toujours jaloux d’une ancienne version de moi-même qui était capable de chanter avec une aisance absolue, pour qui aucune note n’était inatteignable et tout était facile, ce jeune homme qui, un peu par hasard, s’est mis à chanter correctement. Aujourd’hui, je dois prendre soin de mon instrument. Avec ce que je fais maintenant, j’aurai plus de longévité, mais bon sang, qu’est-ce que j’aimerais faire ce que je faisais à l’époque ! [Rires]

As-tu échangé avec d’autres chanteurs qui ont vécu la même expérience ?

J’ai parlé à des chanteurs qui ont vécu bien pire. Un ami à moi qu’on appelle Cheech – Michael Cicca – chante dans le groupe Mandroid Echostar qui est un autre groupe canadien – un groupe et des mecs merveilleux. Sa voix s’est éteinte sans raison particulière et il dû subir une opération. Il a vu le même médecin de la gorge que moi, elle s’appelle Jennifer Anderson, ce qui est assez drôle parce que ça sonne comme Pamela Anderson ou Jennifer Aniston [rires]. Il me racontait ce que ça lui faisait et il disait : « Tu sais ce que ça fait quand tu te réveilles en tournée, que tu te dégages la gorge et qu’il y a un souffle avant d’obtenir un son ? Et tu te demandes si tu vas pouvoir chanter ce soir-là ? » Je connaissais très bien ce sentiment, c’est quelque chose qu’on ressent constamment en tournée quand on est chanteur, et il a poursuivi : « Je ressens ça tous les jours chez moi. Je ne me demande pas si je vais pouvoir chanter, je me demande si je vais pouvoir parler. » Ça m’a vraiment secoué. Il vivait quelque chose de bien pire que moi et je me sentais mal pour lui, qu’il ne puisse pas parler à ses enfants et à sa femme. Si ça m’arrivait, je laisserais tomber le chant. Je détesterais endommager ma voix et me blesser au point de perdre ma capacité à parler ou à chanter à voix basse pour mon enfant. Le chant n’est pas important à ce point pour moi.

La seconde chose qui t’a donné du fil à retordre est le fait que ton premier enfant allait venir au monde. Tu t’es construit un studio dans ton propre sous-sol pour t’assurer de ne pas laisser ta femme seule avec un enfant. Peux-tu nous décrire cet environnement studio que tu t’es construit ? Comment l’as-tu arrangé ?

C’est vraiment merdique [rires]. Il n’y a pas de cabine, c’est juste une pièce avec une isolation et installation sonore de fou. Le microphone est sur le côté, il y a un petit truc de réverbération sonore derrière, et c’est tout ! J’ai terminé un espace qui n’était pas fini dans mon sous-sol de manière à pouvoir y enregistrer convenablement. J’ai mis des installations électriques bizarres un peu partout pour pouvoir me brancher à peu près n’importe où dans la pièce. Je me suis presque tué deux ou trois fois. La pièce sert désormais de studio et quand viendra le moment de vendre ma maison, je démonterai tout et dirai que c’est une salle de jeu [petits rires]. Ça n’a pas pris longtemps et je suis content de l’avoir fait parce que nous avons eu des complications après la naissance de mon fils et il fallait que je sois présent. Ce studio est important pour moi et c’est aussi de là que je fais tous mes streaming sur Twitch, ce qui fait aussi une autre forme de revenus pour ma famille. Et j’ai adoré ça ! C’est super. Le simple fait de pouvoir monter à l’étage et voir ma femme et mon fils, avoir ma famille près de moi, j’ai beaucoup apprécié. Au final, lorsqu’on est en studio, on se saoule toute la journée et toute la nuit, et ensuite t’es là : « Bordel, comment vais-je bien pouvoir rentrer chez moi ? » Donc il faut prendre un taxi pendant environ une heure. Alors que là, je peux faire tout ce que je veux. Une fois qu’on a fini de faire des prises, je peux aller boire un paquet de bières, m’évanouir par terre et me réveiller là, je suis chez moi ! [Rires]

« Je serai toujours jaloux d’une ancienne version de moi-même qui était capable de chanter avec une aisance absolue, pour qui aucune note n’était inatteignable et tout était facile, ce jeune homme qui, un peu par hasard, s’est mis à chanter correctement. »

Comment as-tu collaboré avec tes collègues depuis ton studio personnel ? Ça n’est pas devenu une expérience solitaire par moments ?

J’ai l’habitude de travailler seul. La toute dernière chanson – qui s’avère être la toute première chanson sur l’album – que nous avons faite pour Kezia – notre premier album – était la première chanson pour laquelle j’ai écrit le chant seul. La chanson s’appelle « No Stars Over Bethlehem », je l’ai écrite tout seul, dans le sous-sol de mes parents, quand j’avais dix-huit ans. A partir de cet instant, je n’ai plus collaboré avec personne sur la composition du chant pour Protest The Hero. Ce n’est donc pas incongru pour moi, je ne souffre pas de solitude, je trouve ça même plutôt cathartique. Ma passion, ce n’est pas chanter ou me produire sur scène, ma passion c’est composer du chant et de la musique, j’adore ça. Je préfère que ce soit quelque chose de solitaire, mais collaborer ne me pose pas de problème non plus… Je crois. Je ne l’ai jamais fait, donc… [Rires]. En fait, de façon générale, nous ne passons pas beaucoup de temps ensemble. Nous avons eu une seule réunion de groupe durant les six derniers mois et avant ça, la dernière fois que je les ai vus était en septembre [rires]. Je vis dans une ville différente, Mike vit dans une province différente. Nous sommes éparpillés dans Ontario et le Québec. Donc la majorité de la composition musicale que nous avons faite ensemble a été faite par internet. Nous nous adaptons à notre époque.

Généralement, le fait d’avoir un premier enfant change radicalement notre vie. Qu’en est-il de toi ? Comment est-ce que ça a changé ta vie ?

Il est clair que ça a changé beaucoup de choses dans ma vie. Je pense avoir fait des changements assez positifs chez moi avant sa naissance. Dans les années avant sa naissance, j’ai commencé à faire de l’exercice et à soulever des poids, j’ai arrêté de boire et de fumer, et d’être ce genre de mec. Enfin, je n’ai pas arrêté de boire, désolé : j’ai arrêté de boire autant [rires]. Devenir une meilleure personne, une bonne figure paternelle, impliquait de grands changements pour moi et j’y étais plus ou moins préparé. Cependant ça change ta vie d’une manière qu’on ne réalise pas vraiment. Après sa naissance, j’ai développé un peu d’anxiété concernant ma propre mortalité. Je m’inquiète de ce qui arriverait à ma famille si je mourrais. C’est quelque chose qui ne m’avait jamais traversé l’esprit avant ! Je m’en fichais un peu avant, rien n’avait d’importance [rires]. Or maintenant quelque chose a de l’importance.

As-tu fait des choses avant qui auraient pu te tuer ?

Oh, mon Dieu, oui ! [Rires] Je ne pense pas que ce soit nécessaire que je rentre dans les détails, mais j’ai commencé à tourner quand j’avais seize ans. J’ai passé la majorité de ma vie d’adulte à voyager avec mes cinq meilleurs amis, à nous bourrer complètement la gueule partout où nous allions. Il est clair que j’ai vécu quelques moments où j’ai risqué ma vie. Mais pas de détail… Il y a plein d’événements dont je pourrais parler mais je ne préfère pas que l’information soit divulguée et que mon fils tombe un jour dessus [rires].

Vois-tu le groupe différemment, maintenant que tu as un « projet » plus important, pour ainsi dire, dans ta vie, c’est-à-dire le fait d’élever un enfant ?

Je vois le groupe différemment. Je le vois à la fois comme étant moins important et plus important. Avant, ça ne me posait pas de souci d’être super pauvre, ça n’avait pas d’importance parce qu’il n’y avait que ma femme et moi. Je me disais : « Peu importe ! Qu’est-ce que ça peut faire d’avoir de l’argent ? » Des gens nous escroquaient tout le temps, ça nous chagrinait mais à la fois nous nous en fichions un peu. Alors qu’aujourd’hui, c’est très important que le groupe fonctionne non seulement en tant qu’exutoire créatif mais aussi en tant que véritable entreprise. C’est un peu triste à dire, c’est un peu la mort de mon enfance, mais c’est aussi la raison pour laquelle c’est important que le groupe reste indépendant et que nous ayons la main dessus. Je connais de plus jeunes groupes qui sont super excités par le fait de signer sur un label ou avec des agents. Ils croient qu’ils ont du succès parce que des gens restent accrochés à eux, alors que ce sont en réalité des gens qui leur retirent quelque chose. Ces gens leurs prennent une partie du gâteau sans faire grand-chose. Mon conseil pour tous ceux qui veulent être dans un groupe ou faire quelque chose : restez aussi indépendants que possible, donnez aussi peu de vous-mêmes que possible. Je crois qu’il y a ceux qui font de l’argent et ceux qui prennent de l’argent. En majorité – ce n’est pas un commentaire sur la société –, l’industrie musicale est une sangsue qui suce la vie et l’argent des artistes.

Est-ce que le fait d’avoir ton premier enfant a impacté ton approche des textes de cet album, d’une manière ou d’une autre ?

Pas particulièrement. Il y a quelques rares exemples où ça a eu un impact. Il y a une chanson à propos de Baby Face Nelson et ils parlaient du fait qu’il avait été enveloppé dans une couverture et abandonné devant une église, et au lieu de dire « enveloppé » j’ai dit « langé ». Ce sont des exemples très spécifiques qui montrent comment le fait d’avoir un enfant a eu un impact. Il est aussi possible que j’aie gagné un peu en compréhension et que ça ait impacté l’écriture. Par exemple, la mère qui a ses enfants suspendus à ses épaules et qui fait tout ce qu’elle peut pour subvenir aux besoins de sa famille durant la Dépression. Je comprenais un peu mieux grâce à mon propre fils. J’imagine qu’il y a eu des impacts sur les textes de cet album que je dois encore identifier.

« Mon conseil pour tous ceux qui veulent être dans un groupe ou faire quelque chose : restez aussi indépendants que possible, donnez aussi peu de vous-mêmes que possible. Je crois qu’il y a ceux qui font de l’argent et ceux qui prennent de l’argent. En majorité, l’industrie musicale est une sangsue qui suce la vie et l’argent des artistes. »

On a parlé de tes propres épreuves, mais l’album a apparemment subi de nombreux délais et obstacles. Quels ont été les autres problèmes auxquels le groupe a été confronté ?

Il n’y avait pas tant de… Les instrumentaux ont été faits quand mon problème de voix est survenu et nous avons dû laisser l’album en plan. Je crois que quelque chose comme ça ne nous était jamais arrivé. En fait, il y avait deux ou trois autres problèmes. Le producteur principal, Derya Nagle, qui joue de la guitare dans le groupe Good Tiger, a été expulsé du Canada pendant que nous étions en train d’enregistrer [rires]. « Expulsé » n’est pas le bon mot, mais il vient du Royaume-Uni et il est en train d‘essayer d’obtenir la nationalité américaine. Pour l’obtenir, il faut y vivre. Si tu es ailleurs, ils ne te la donneront pas, et il ne pouvait pas revenir au Canada. Il est certain que c’était un problème compliqué. Il y avait quelques petits trucs. Deux enfants sont nés, un de moi et un de mon guitariste. Désolé, ça donne l’impression que c’est nous qui avons accouché ! [Rires] C’est nos femmes qui leur ont donné naissance. Mais il n’y avait pas de plus gros problème que celui de ma voix. Tout le reste a été fait, le timing aurait été super si j’avais pu enregistrer quand nous étions initialement censés enregistrer, mais malheureusement, il m’a fallu plus de deux ans pour retrouver ma voix.

Penses-tu que le fait d’avoir dû laisser l’album en plan pendant aussi longtemps t’a permis de peaufiner tes lignes de chant ?

D’ordinaire, c’est ce que j’aurais fait, mais c’est arrivé à un point où j’ai chanté les chansons dans ma tête pendant si longtemps que j’en ai eu marre d’elles. J’ai passé un petit moment, probablement presque un an, à ne travailler que sur ma voix, sans penser du tout aux chansons. Quand c’est revenu et que j’ai pu m’y remettre, je les ai parfaites et j’étais content du résultat.

Le communiqué de presse dit que « tandis que le dernier effort de Protest The Hero était un projet conçu pour limiter le groupe dans sa tendance à trop réfléchir aux moindres détails, Palimpsest est assurément l’opposé ». Qu’est-ce qui vous a poussés à ce revirement ?

La composition de cet album a été traitée comme celle de n’importe autre album. Nous avons été dans la sur-analyse avec tous nos albums passés. Peut-être que celui-ci l’a été dans une direction différente. Alors qu’habituellement les guitaristes posaient une progression d’accord pour les refrains, les couplets ou que sais-je encore, pour ensuite les remplir de riffs qui courent sous n’importe quelle ligne de chant qui était potentiellement là, dans ce scénario, tout a été exclu jusqu’à ce que le chant ait été écrit pour la chanson. Après coup, s’ils avaient l’impression que c’était nécessaire, ils rajoutaient ces parties. C’est un peu à ce moment-là que la sur-analyse a eu lieu au cours de ce processus. Je ne pense pas en être responsable. Comme toujours avec notre musique, Luke est un vrai perfectionniste, il passe le moindre détail au peigne fin.

Apparemment, « chaque idée du nouvel album a dû se battre pour trouver sa place, jusqu’au séquençage final des chansons », avec des « discussions interminables ». Ce n’est pas dur pour les nerfs au bout d’un moment ?

Non. Nous avons ces discussions et nous avons des désaccords. Il y a un disque de face B qui s’appelle Fabula & Syuzhet et je ne suis pas d’accord sur les chansons qui sont présentes dessus. Je trouve que ces deux chansons auraient dû être sur l’album, je les adore, et il y a deux autres chansons qui, selon moi, auraient dû être sur la face B. Mais c’est une vraie démocratie, nous avons voté et mon vote était minoritaire. Il y a eu des discussions musclées et des moments difficiles, mais au bout du compte, je suis très content de l’album. Si nous le sortons et si tout le monde sur Terre dit : « C’est nul, je le déteste », je m’en fiche ! Ça ne change pas grand-chose pour moi et je vais me remettre à composer d’autres musiques. Je ne me sens pas stressé en sortant cet album. Il sort dans neuf jours et ce jour-là, je vais lever mon verre de bière, boire un coup, et probablement jouer à The Last Of Us 2 parce qu’il sort le même jour. Je suis presque plus excité par ça ! [Rires]

Le risque d’être trop maniaque n’est-il pas de perdre la spontanéité qui souvent profite aux chansons ?

Peut-être, mais notre truc a toujours un peu été de la spontanéité manufacturée. Depuis que nous sommes adolescents, les gens nous demandent sans arrêt : « Comment vous souvenez-vous de toutes ces parties ? Ça a l’air d’être tellement spontané ! » Mais ça ne l’est pas. C’est toujours de la mémorisation et du travail méticuleux. C’est toujours le fruit d’un travail en amont. La réalité est que je crois que personne dans le metal progressif a la capacité d’être très spontané. Tout est très travaillé et décidé à l’avance. Il n’y a pas tellement de place pour la spontanéité et ce serait génial qu’il y en ait plus, mais ce n’est pas comme ça que ça se passe pour nous ou pour plein d’autres groupes.

Quand on t’avait parlé à l’époque de Volition, tu nous avais dit que depuis Scurrilous, vous vous concentriez « davantage sur la composition en tant que telle et le fait d’écrire une bonne chanson, et non une chanson folle ». Penses-tu que malgré la sur-analyse, vous êtes quand même parvenus à rester focalisés sur l’écriture de bonnes chansons ou bien y a-t-il eu des moments où tu avais l’impression que vous perdiez de vue cet objectif ?

C’est une très bonne question. Il y a clairement eu des moments où j’étais en train de composer le chant pour les chansons et où je me suis dit : « Bordel mais c’est quoi cette chanson ? Dans quelle direction elle va ? » Je ne la comprenais pas, mais au moment de finir le chant, j’ai plus ou moins trouvé la chanson là-dedans. Il est clair que par moments, je me suis dit que c’était hideux niveau composition. Mais au final, je ne crois pas que ça l’était, c’est juste que je ne comprenais pas. Je pense que les chansons en soi – pas au niveau des textes, mais de la musique – possèdent une narration logique d’un bout à l’autre. Elles ont occasionnellement une structure plus traditionnelle, parfois elles n’en ont pas, mais quand c’est le cas, les chansons ont toujours une narration mouvante mais fluide. Je pense que c’est un aspect important de la composition. D’un autre côté, qu’est-ce qu’une bonne chanson ? Qu’est-ce qu’une mauvaise chanson ? Ce n’est pas à moi de le dire. Une bonne chanson est une chanson qu’on aime.

« Il est clair que par moments, je me suis dit que c’était hideux niveau composition. Mais au final, je ne crois pas que ça l’était, c’est juste que je ne comprenais pas. »

Cette musique est clairement très complexe et dense. Comment parviens-tu à trouver ta place avec le chant ? Quelle est ta méthode pour construire tes lignes de chant avec toute cette frénésie guitaristique ?

[Petits rires] Ce n’est pas facile. Je pense que c’est une compétence que j’ai développée au fil du temps. J’arrive à faire abstraction de certains trucs que font les guitares pour prêter attention à la progression. Au lieu d’entendre les notes aiguës qui filent à cent à l’heure, j’entends juste la progression qui évolue en dessous. C’est un style d’écriture très zen, même si je ne suis absolument pas quelqu’un de très spirituel. Ça me vient tout seul. Si je dois y travailler, si je dois compter ou quoi que ce soit, alors c’est quelque chose qui généralement ne finit pas sur l’album. En général, ça me vient naturellement. J’ai entendu certaines personnes dire que je chante contre la musique, et je pense que ce n’est pas totalement faux, mais nous essayons d’écrire des trucs de manière qu’il y ait une logique. Si ça fonctionne, ça fonctionne ; si ça ne fonctionne pas, ça ne fonctionne pas. Mais généralement ça fonctionne ! [Rires]

Il y a une partie de chant sur « The Fireside » qui est incroyablement rapide…

Oui, ce n’était pas facile ! [Rires] Il y a une quantité démentielle de mots, je crois qu’il y a soixante mots alors que ça ne dure qu’environ treize secondes. Quand j’ai écrit ça, je me suis marré et j’ai envoyé la pré-production aux gars, et ils étaient là : « C’est vraiment horrible ! » [Rires] Mais c’est intéressant. Plein de gens m’ont demandé : « Comment vas-tu faire ça en concert ? » Nous avons déjà joué quinze fois cette chanson et j’ai réussi à chanter ce passage. Ça fait partie de mes manières d’essayer de repousser mes limites, aussi stupide que ça puisse paraître. J’ai voulu mettre là-dedans des cris et du chant punk hardcore super rapide. J’ai voulu faire un débit aussi rapide que j’en étais capable, sans tomber dans le domaine du rap-metal dans lequel, occasionnellement, des groupes font l’horrible erreur de tomber [petits rires]. C’est l’un de mes passages préférés dans l’album, c’est tellement particulier, j’adore.

Palimpsest est très technique, comme toujours avec Protest The Hero, mais il a aussi un côté très accrocheur et accessible, grâce notamment à nombre de tes mélodies de chant. Comment expliquer ce paradoxe ?

Nous avons toujours travaillé en suivant le principe prévalent que la musique technique ne doit pas forcément être difficile à écouter. Je sais qu’il existe des gens qui adorent écouter des trucs hyper techniques qui sont durs à écouter, comme Cacophony ou Spiral Architect, des trucs qui sont techniques au point où ça n’existe que pour l’analyse, pas le plaisir. Nous aimons les trucs techniques et le côté kitsch. Nous aimons des groupes comme Choke qui ont des chansons simples et accessibles et des passages où tout d’un coup on réalise qu’ils font quelque chose de compliqué. Même si nous faisons constamment des choses compliquées, je ne crois pas qu’il faut forcément que ce soit difficile à écouter. Je crois vraiment qu’il faut que ce soit accessible à l’auditeur. Il y a plein de gens qui, en entendant notre musique, l’éteindront immédiatement. Cependant, je pense que si n’importe qui écoutait suffisamment longtemps et entendait un peu la mélodie, il pourrait bouger la tête sur la musique. C’est ce que j’essaye d’offrir, quelque chose au milieu du chaos pour que les gens agitent leur tête.

Ça me fait penser à une discussion que j’ai eue avec Sascha Dunable d’Intronaut. A propos de leur dernier album, qui est assez technique mais possède également un côté accrocheur, il a dit : « Je trouvais que c’était un joli yin et yang, le fait d’avoir des accroches faciles dans le chant, simplement pour contrebalancer la folie de la musique. Il s’agit de donner aux gens une sorte de récompense pour tous les efforts qu’ils font pour écouter cette musique. » Est-ce que c’est un peu une question de récompenser l’auditeur pour vous aussi ?

C’est un point de vue et une manière d’expliquer les choses très intéressants. On dirait qu’il faudrait peut-être que je pose une oreille sur Intronaut. Je ne vois pas forcément ça comme une récompense. Ou plutôt je vois ça comme une récompense pour moi-même. Le groupe me récompense par moments en me donnant de jolis passages dégagés, comme la fin de « From The Sky ». J’essaye de faire en sorte que chaque passage que je chante soit aussi accrocheur que possible. Qu’y a-t-il de plus marrant à écouter qu’une ligne vocale accrocheuse ? C’est vraiment ce que j’aime dans la musique.

C’est aussi peut-être ce qui permet à l’auditeur de trouver son chemin dans la musique…

C’est également une merveilleuse analogie. Il y a une forêt tordue et le chant a tendance à être la lumière qui vous guide pour la traverser [rires].

Vous avez enrichi votre musique d’une nouvelle dimension en lui ajoutant une véritable couche orchestrale. Comment est-ce que ça s’est fait ?

Je pense qu’on en revient à ce que je disais à propos de l’espace qu’ils m’ont laissé pour faire de gros refrains. Au lieu de remplir l’espace de riffs gratuits, ils ont laissé de l’espace pour le chant et ont joué les accords, donc ça se prêtait très bien à un côté symphonique. Mais nous avons toujours été intéressés pour faire ce genre de chose. En l’occurrence, Fortress a pas mal de trucs orchestraux, cependant la majorité est synthétique. Au fil des années, nous nous sommes fait un très bon ami qui s’appelle Milen Petzelt-Sorace. Je l’ai rencontré dans le métro un jour, nous avons été boire quelques bières et j’ai appris qu’il jouait du violon. Depuis nous sommes devenus des potes de binouze, c’est lui qui s’est chargé des orchestrations sur cet album. Nous ne pouvions pas être plus heureux de ce qu’il a fait. Au départ, c’était un fan du groupe, donc il a une profonde compréhension de ce que nous faisons et de ce que nous voulons faire, et de la trame qui constitue nos chansons. Sa contribution à l’album était très naturelle. Nous lui avons donné carte blanche. Nous lui faisons confiance et nous le connaissons. Nous savions aussi que s’il faisait quelque chose de vraiment affreux, nous pouvions lui demander de le refaire et qu’il le referait. Mais en réalité, il est revenu avec le résultat et c’était génial ! Il n’avait besoin d’aucune instruction. Il a fait un boulot magique, selon moi.

« Nous avons toujours travaillé en suivant le principe prévalent que la musique technique ne doit pas forcément être difficile à écouter. »

D’un autre côté, cette couche orchestrale ne submerge pas le reste du groupe, sauf sur quelques finals grandioses qui appuient le côté dramatique et cathartique de la musique. Etait-ce un équilibre délicat à trouver ?

Je pense que oui mais quand on travaille avec les bonnes personnes, ces dernières trouvent elles-mêmes l’équilibre. Peut-être que Milen a mis bien plus d’orchestrations sur les chansons que je ne l’ai réalisé, mais ensuite, quand nous avons envoyé l’album à remixer par Simon [Grove], Simon a trouvé l’équilibre. Ce n’est pas tant nous qui trouvons l’équilibre que le mec qui mixe l’album. Et je pense que parfois il faut être pompeux avec les orchestrations. La fin de « From The Sky » est pompeuse, par exemple, et je trouve que c’est génial. Il y a plein de parties où c’est beaucoup plus subtil, au point où les gens ne remarqueraient même pas. Encore une fois, Milen a tout fait lui-même, mais il me parlait tout au long de son travail et il essayait de d’accentuer le chant, les textes et les guitares. Il m’a montré toutes ces magnifiques parties à mesure qu’il avançait, il savait exactement quoi faire, il savait quoi accentuer et quoi minimiser. C’est un magicien !

L’album contient trois interludes au piano et orchestraux : « Harborside », « Mountainside » et « Hillside ». Ils sont clairement bienvenus : ce sont des genres de havre de paix pour recharger les batteries…

Absolument. L’un a été écrit par Luke, l’un a été écrit par Tim [Millar] et un autre par Milen. Nous avons toujours inclus des interludes dans notre musique. Ça a toujours paru important parce que quand on épure quelque chose pour ne faire plus rien d’autre que du piano et de la guitare, quand ça revient et que c’est heavy, ça sonnera deux fois plus heavy que si on avait continué à enchaîner des morceaux rapides et heavy d’un bout à l’autre du disque. C’est aussi une manière de laisser l’auditeur battre en retraite.

Pacific Myth était le dernier album du groupe avec Cam MacLellan à la basse et vous avez désormais Eric Gonsalves en tant que bassiste de tournée, mais vous n’avez officiellement toujours pas de bassiste de studio. Qui a donc enregistré la basse sur Palimpsest ? Il fait du joli slapping sur « Reveries » et du joli tapping sur « Gardenias »…

C’est Cam ! [Rires] Notre ami Todd [Kowalski] de Propagandhi a joué la basse sur la chanson « The Canary ». C’était un invité spécial et c’est quelque chose que nous avons toujours voulu faire. Ça tombait bien parce que nous n’avons pas de bassiste permanent. Cam s’est occupé du reste. C’est très facile pour lui. Nous lui avons simplement envoyé les chansons, il les a apprises, il a enregistré ses parties de basse et il les a renvoyées. Ça ne lui fait ni chaud ni froid, il s’en fiche. Nous lui avons envoyé de l’argent il a dit « merci ». C’est un bassiste tellement doué que c’est trop facile pour lui, ce qui fait que c’est aussi facile pour nous. Eric est un très bon bassiste aussi, c’est notre bassiste de tournée – un mercenaire si tu veux. C’est un petit gars talentueux. « Petit gars » peut paraître très condescendant mais bon sang il ne pèse que 65 kilos, c’est un petit gars ! [Rires] Il peut tout jouer. Je suis sûr que nous pouvons lui montrer n’importe quelle partie de cet album et qu’il la maîtrisera. Il est fantastique !

Pourquoi est-ce que ça a été aussi difficile pour Protest The Hero de stabiliser la place de bassiste depuis le départ d’Arif Mirabdolbaghi il y a six ans ?

Je ne pense pas que nous le voulions. Nous ne voulons pas un autre bassiste. Si Cam voulait réintégrer le groupe, nous accepterions dans la seconde, mais il a d’autres plans et nous ne lui en voulons pas. Il tourne avec Billie Eilish et fait du son pour tous ces énormes artistes. C’est génial, nous sommes fiers de lui et contents pour lui. Avec le départ d’Arif, nous avons dit au revoir à l’un de nos meilleurs amis et bassistes, pareil pour Cam, donc ça ne nous intéresse pas d’avoir quelqu’un d’autre. Ça ne nous intéresse pas d’intégrer quelqu’un dans le groupe et qu’il s’empare d’une partie de notre cœur, pour finalement s’enfuir à nouveau avec. Nous sommes contents tels que nous sommes. Je ne pense pas que nous aurons un jour un autre bassiste permanent. Nous sommes contents avec Eric en tant que bassiste de tournée et Cam en tant que bassiste de studio.

L’album s’intitule Palimpsest. Un palimpseste peut faire référence à quelque chose qui est réutilisé ou modifié mais contenant quand même des traces visibles de sa forme précédente, ou bien une œuvre d’art qui a plusieurs niveaux de significations, de styles, etc. empilés. On dirait bien une définition de ce qu’est Protest The Hero. Penses-tu que votre œuvre, de Kezia jusqu’à Palimpsest, est un empilement constant de nouvelles couches ?

Oui et non, parce qu’il y a une évolution, même si elle est parfois légère. L’idée du palimpseste est d’outrepasser le passé avec très peu d’éléments restants de ce passé. Or notre passé nous tient à cœur. On peut entendre le reflet de notre enfance dans la quantité de rythmes punk qu’on trouve dans l’album, ou dans ce passage où je débite les paroles aussi vite que je peux. C’est notre petit côté punk rock qui ressort et c’est notre propre histoire que nous faisons ressortir. Mais absolument, je pense que le titre fonctionne non seulement pour la révision historique que cet album représente, mais aussi de manière plus globale, vis-à-vis du groupe en général. Mais en premier lieu, le titre fait référence au concept de l’album. Ce sont des moments importants de l’histoire américaine, de l’année 1919 jusqu’à l’entrée des Etats-Unis dans le Seconde Guerre mondiale. C’est une réflexion sur ces moments mis en rapport avec notre présent, sur la manière dont ces moments sont peut-être perçus différemment après le passage du temps et la révision de l’histoire.

Penses-tu que nous vivons une époque historique actuellement ?

Sans l’ombre d’un doute. La pandémie mise à part, il se passe actuellement le plus grand mouvement de l’histoire des droits civiques. C’est un moment puissant et important, et c’est important de choisir soigneusement son camp. Plein de gens se sont retrouvés du mauvais côté de l’histoire, en s’associant au racisme, plus ou moins contre leur gré. Malgré tout, il faut être idiot pour ne pas réaliser que se détourner du mouvement Black Lives Matter – à cause de rien de plus que l’émotivité blanche – c’est du racisme.

« J’adore Taylor Swift. Je suis un de ses grands fans. Elle est énorme et joue un rôle important dans le mouvement #MeToo. Sa musique est géniale et elle la compose elle-même. Elle est comme très peu d’autres stars pop-rock. J’adore sincèrement Taylor Swift. »

Peux-tu nous donner quelques exemples de parallèles que tu dresses entre des événements historiques américains et ce qui se passe aujourd’hui ?

La chanson « The Fireside » parle du statut du pays pendant que la Dépression perdurait et qu’ils entraient dans la Seconde Guerre mondiale, qui dans mon esprit a consolidé le pays comme une machine qui bénéficie de la guerre. Ça a sorti l’économie de la mouise et ils sont depuis lors dans un état perpétuel de guerre – que ce soit justifié ou pas – et ceci, selon moi, est vraiment un reflet de ce qui se passe de nos jours. La chanson sur le mont Rushmore parle des droits indigènes et de l’état du traitement des indigènes nord-américains, et pas grand-chose a changé. Le mont Rushmore a été construit sur Black Hills, qui était promis à perpétuité aux aborigènes de là-bas et qui leur a finalement été retiré volontairement parce qu’ils y ont trouvé de l’or, et ils ont voulu graver les visages de leurs leaders dedans. Ce genre de chose se produit constamment et de plus en plus, à mesure que les aborigènes de nos nations sont poussés en marge de la société, ignorés et maltraités.

As-tu une passion particulière pour l’histoire américaine ?

Je suppose. Certains Américains verront cet album comme étant un point de vue particulièrement négatif, même si je fais également référence à des moments très positifs. Ils ne le prendront pas très bien parce que je ne viens pas des Etats-Unis. Mais c’est quelque chose qui me passionne parce que ça nous affecte tous. L’histoire continue des Etats-Unis c’est vraiment l’histoire mondiale. Les mouvements des droits civiques ont commencé aux Etats-Unis mais ça s’est étendu au monde. On voit des marches Black Lives Matter partout à Toronto et à Oshawa. J’ai vu aux informations qu’il y a partout des mouvements Black Lives Matter. C’est important de reconnaître que ce n’est pas de la politique, ce sont des droits humains, et la façon dont les Etats-Unis nous affectent tous d’une certaine manière.

Etant canadien, penses-tu avoir un regard particulier sur les Etats-Unis ? Vous avez un regard extérieur mais à la fois, vous êtes leurs voisins…

Nous sommes des genres de voisins par rapport à eux mais je ne sais pas si notre lien avec eux est plus profond ou plus creux que celui de n’importe qui d’autre. Peut-être que les Canadiens voyagent beaucoup plus là-bas que le reste du monde, mais je pense que nous sommes tous affectés par les décisions qu’ils prennent. A cet égard, je ne crois pas que le Canada soit unique. Je ne crois pas que le Canada soit unique à de nombreux égards, pour être honnête avec toi, mais c’est un autre sujet.

Est-ce que ce concept a impliqué beaucoup de recherche de ta part ?

Oui, ça a nécessité trop de recherche ! [Rires] Je suis diplômé du lycée, je n’ai fait aucune recherche sur quoi que ce soit de manière aussi approfondie depuis environ 2004. J’ai passé beaucoup de temps le nez dans des livres, alors que je préfère boire une bière ! Je plaisante. Au final, ce sont des choses que je trouve très importantes. J’ai fait certaines recherches sur internet, d’autres dans des livres et des podcasts. L’inspiration et l’information viennent de partout. Ce que je pense être très important de faire aujourd’hui, c’est de vérifier que l’information est irréfutable et correcte. Quand je donne des opinions, c’est important de les présenter comme des opinions. Trop de gens donnent des opinions comme si c’étaient des faits – et ce ne sont pas des faits. Il y a des gens qui répandent des mensonges et qui les font passer pour des faits. C’est important pour moi, surtout aujourd’hui, de m’assurer que ce sont des informations factuelles et que, quand c’est une opinion, le fait que ce soit une opinion est très clair. J’ai vu une vidéo hier d’un gars qui prétendait que George Soros finançait Black Lives Matter via Antifa. Ce sont des spéculations non documentées en provenance des médias de la droite alternative, tout ça est non fondé et ce n’est pas une source valable d’information. C’est effrayant que les gens sortent ce genre de choses aujourd’hui, car plein de gens le croient.

Sur l’illustration de l’album, le drapeau américain fait évidemment directement référence au concept, mais que représentent les animaux ? Y a-y-il un lien avec La Ferme Des Animaux de George Orwell ?

Il n’y a pas de référence spécifique à La Ferme Des Animaux, mais tout ce qui est sur l’illustration représente quelque chose dans les chansons. Martin Wittfooth, qui a fait cette œuvre, a été très précis et spécifique, nous avons eu de nombreuses conversations au sujet des textes de l’album. Il a inclus énormément de choses et caché de nombreux œufs de Pâques. Si tu regardes dans l’arrière-plan de l’image, tu peux voir le zeppelin Hindenburg et le port de Boston après la grande inondation de mélasse. Il y a tellement de petits détails là-dedans que ce serait difficile de tous les passer en revue en interview.

Pour finir sur un autre sujet, la biographie sur la page Facebook du groupe est sans doute la plus originale qu’un groupe ait faite et est « ridiculement longue », comme mentionné à la fin. Qui a écrit cette logorrhée ?

Jusqu’à aujourd’hui, je n’avais pas réalisé qu’elle était encore là ! Je vais te dire qui l’a écrite : Taylor Swift ! [Rires] Il y a de ça de nombreuses années, j’étais en train de mettre la biographie du groupe et j’ai été sur le site web de Taylor Swift. J’ai copié-collé toute sa biographie et en haut, j’ai supprimé son nom pour mettre le nôtre, et j’ai fait pareil à la fin. Je n’ai jamais lu tout le texte. C’est marrant parce que ça dit : « Salut ! Mon nom est Protest The Hero, j’ai 21 ans et j’aime ce qui scintille. » La blague s’estompe très vite quand on lit quelques phrases et réalise que c’est bien trop long pour être lu. Ceci étant dit, j’adore Taylor Swift. Je suis un de ses grands fans. Elle est énorme et joue un rôle important dans le mouvement #MeToo. Sa musique est géniale et elle la compose elle-même. Elle est comme très peu d’autres stars pop-rock. J’adore sincèrement Taylor Swift.

Trouves-tu de l’inspiration dans sa musique ?

Il est certain que je trouve de l’inspiration dans sa musique et ses mélodies. C’est important d’assimiler toute sorte de musique. Il est clair que la pop est facile à assimiler. Ceci étant dit, j’ai arrêté d’écouter ses albums à peu près à l’époque de Speak Now, mais je trouve son nouvel album fantastique !

Tu sais que tu vas te faire cracher dessus par un certain nombre de tes fans après avoir dit ça ? [Rires]

Pas de problème, je m’en fiche ! Je ne crois pas aux plaisirs coupables. Je ne ressens aucune culpabilité à apprécier ce que j’apprécie.

Interview réalisée par téléphone le 10 juin 2020 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emilie Bardalou.
Traduction : Nicolas Gricourt.

Site officiel de Protest The Hero : protestthehero.ca

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