La France a peur, peur d’une spécialité bien de chez nous. Bien sûr, ça ne doit pas affoler les médias internationaux plus occupés par le froid polaire qui assaille l’Amérique, alors qu’en Hexagone, par cet hiver très doux ne donnant aucun flocon à commenter au « 20 heures », on n’a que de la quenelle à décortiquer. Antisémite ? Anti-système ? On ne va pas s’encroûter sur un média avant tout musical dans ce débat qui s’éteindra sous les prochaines neiges ou avec l’éclosion des premières primevères.
En outre, on n’évoquera qu’en une phrase le sujet « quenelle ou pas quenelle » (on la voit vraiment partout, même là où elle n’y est pas, une vraie paranoïa) sur l’affiche du concert de Korn à Paris en mai, illustrée par une photo promo du groupe qui date de plusieurs mois avant que ce débat prenne cette ampleur en France et dont Jonathan Davis se moquerait sans doute bien s’il en avait connaissance.
Le fait est que la quenelle, aujourd’hui, ça se cuisine à toutes les sauces, pas besoin de raison pour en lâcher une sur la table dans n’importe quelle conversation. Tout est propice à la quenelle, parce que c’est dans le vent, c’est in, c’est hype (même Varg Vikernes en a fait une « pour la liberté d’expression », c’est dire !), elle a remplacé les duck-faces sur Instragram et supplanté le hashtag Nabila sur Twitter. On peut même rebondir dessus pour parler d’autre chose (non, pas sur Nabila !). Donc, rien de tel pour récupérer un peu d’attention quand ça fait quelques mois (et c’est long dans une société de l’immédiat !) qu’on ne s’est pas trop fait remarquer, comme le fameux collectif Provocs Hellfest, en avance sur les hirondelles cette année, qui ne veut rien louper du phénomène pour relancer sa bataille.
Même si chacun a compris depuis belle lurette que ce « Collectif pour un festival respectueux de tous », il vaut mieux le laisser gentiment faire et dire (liberté d’expression toujours), d’autant plus que ça pourrait manquer à beaucoup s’il n’y avait plus de bien-pensance en face pour donner tout son charme à un peu d’hétérodoxie, il n’empêche que le discours déployé pour mettre encore des bâtons (brindilles) dans les roues de l’un des événements musicaux les plus populaires de France n’a jamais été très fin, atteignant même des sommets l’an dernier en jouant avec le délit d’usurpation d’identité, en bricolant une contrefaçon de courrier du maire de Clisson. Et en 2014, plutôt que de lutter avec les pouvoirs en place, l’idée serait plutôt de suivre le sillage d’un homme haut placé, pour voir si sa cause (l’interdiction du Hellfest) ne peut pas être annexée à celle d’un politique.
Ainsi, le 7 janvier 2014, le Collectif, jamais le dernier pour faire faire une pirouette à la logique, publie un article commençant par un rappel des faits qui occupent l’actu :
« Il est beaucoup question en ces jours de la circulaire Valls demandant aux Préfets et aux Maires de faire interdire les spectacles de Dieudonné dont le premier a lieu à Nantes cette semaine. L’argument principal mis en avant par le Ministre est le « risque de trouble à l’ordre public » auquel il ajoute un autre argument, à savoir : « propos attentatoires à la dignité de la personne, composante de l’ordre public » . Quant aux avocats de Dieudonné, ils mettent en avant le principe de « liberté d’expression ». »
Mais ça dérape en osant un parallèle périlleux (Rémy Julienne n’aurait pas osé cette cascade là), mais « manifestement », il fallait le faire :
« Comme il y a manifestement des parallèles à faire entre cette circulaire et le contenu anti-chrétien du Hellfest que nous condamnons, avec comme facteur aggravant le fait que le Hellfest est subventionné par les pouvoirs publics au nom de la liberté d’expression, on est en droit d’attendre de Monsieur Valls la même prise d’initiative envers le Hellfest qui n’en est pas à ses premiers provocations et dérapages. »
Eh oui, car le gros problème du Hellfest, plus que les « provocations et dérapages » (constatés chaque année par Provocs Hellfest, qui n’en loupe pas une et que personne d’autre ne voit), c’est la persécution des chrétiens, et ça, Manuel Valls semblerait l’avoir oublié, pour ne se concentrer que sur un seul gêneur (et tout ceux qui le suivent ou l’imitent) qui encombre plus le champ politique, qui met du poil à gratter dans le débat public, sans parler des Femens qui se retrouvent mises dans le même paquet, allez savoir pourquoi :
« Mais la fin de la circulaire (page 3) mentionnant les comportements antisémites ou antimusulmans mais pas les comportements anticatholiques ET le Ministre n’ayant pris aucune initiative concernant les femen… on ne peut que douter de cette issue et constater une moralité publique à géométrie variable par ceux-là mêmes qui se prévalent d’être les protecteurs de cette morale publique ! »
Enfin, si finalement, le rejet de l’interdiction du spectacle, le 9 janvier, par le tribunal administratif de Nantes, permettait, pendant un instant, de conclure que l’appel d’air ouvert aux prohibitionnistes de tout poil comme Provocs Hellfest soudain bouché repoussait l’interdiction du Hellfest à la Saint-glinglin, quelques heures plus tard, le Conseil d’Etat a annulé cette décision du tribunal, ne pouvant « écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine ».
Dans sa lutte contre l’anti-sémitisme, le gouvernement offre donc une nouvelle voie pour ceux qui, criant leur souci d’équité, souhaitent l’adapter à l’anti-christianisme et donc servir à un collectif comme Provocs Hellfest, qui cherchent tout ce qu’ils peuvent pour atteindre leur but (comme en dénonçant la non-publication des comptes du festival). Dans une dernière mise à jour du 8 janvier de leur article, les rédacteurs de Provocs Hellfest tenaient à « rassurer » leurs lecteurs sur le sujet de l’interdiction de concerts de « groupes considérés comme anti-chrétiens », dans la lignée de ce « spectacle d’un humoriste considéré comme antisémite » : « des posts relatifs à certains groupes viendront mais l’heure n’est pas encore venue ». Alors, à défaut de faire annuler le Hellfest, viseront-ils les genoux, en déstabilisant sa programmation, en réclamant l’annulation de tout ce qui n’aurait pas l’air assez catholique sur leur affiche ? Mais encore faut-il savoir distinguer ce qui serait un véritable appel à la haine et atteinte à la dignité des hommes et des femmes de confession chrétienne et ce qui n’est qu’une critique de la religion en tant que telle, bien évidemment autorisée par la liberté d’expression. En tout cas, notre Ministre de l’Intérieur ne se doute peut-être pas encore de tous ceux qui, comme Provocs Hellfest mais aussi ceux qui se sentiront offensés par des caricatures ou autre (cf. le cas Charlie Hebdo que l’on a connu par le passé), tenteront d’utiliser cette affaire pour s’engouffrer dans la brèche, par souci d’ « équité »…