Près de deux mois après la sortie de leur nouvel album Hello Karma!, Ju Cassarino et Julian Gretz, respectivement chanteur-guitariste et bassiste de Psykup, reviennent sur les conditions particulières de leur création.
Pour ce second opus après une pause de neuf ans, soit le cinquième album studio de leur carrière, les éternels adolescents de Psykup ont cru voir enfin leurs planètes s’aligner. Mais entre une fin d’enregistrement précipitée, une tournée reportée et le fonctionnement de l’industrie musicale bouleversé par des contraintes encore plus restrictives qu’avant la crise, il leur a fallu adapter leurs envies.
Si certaines décisions ne sont pas faciles à prendre, c’est avec un certain recul et l’assurance d’un retour de karma positif qu’ils envisagent leur futur. Dans cet entretien, ils restent confiants sur l’avenir grâce au soutien d’une équipe soudée. Ils expriment aussi l’espoir que les publics sauront comprendre l’importance de leur rôle, pour épauler les artistes qui tentent des moyens d’expression transitoires en s’adaptant à ces temps compliqués. Loin d’avoir épuisé leur flamme créatrice, Ju et Julian confirment que le chemin qu’ils ont emprunté, depuis leurs débuts et sur cet album en particulier, est une expérience passionnante.
« Personnellement, je défends un son très old school par rapport au metal actuel – c’est-à-dire que le metal actuel en général m’ennuie. On a perdu la culture du riff et on est passé dans la culture du son. »
Radio Metal : Comment ça va et comment a été reçu l’album jusqu’à présent ?
Julian Gretz (basse) : Franchement, c’est plutôt bien. De ce que nous voyons sur les réseaux sociaux, et même dans la presse, les critiques sont super chouettes. Les fans comme les chroniqueurs ont l’air assez contents, j’ai même vu que certains disaient que c’était le meilleur album depuis L’Ombre Et La Proie, donc ça fait chaud au cœur.
Julien Cassarino (chant & guitare) : Oui, nous avons eu beaucoup de retours. Assez régulièrement, des gens viennent nous dire que ça faisait longtemps qu’ils espéraient un album comme celui-là. Même si l’album d’avant a été très bien reçu, c’était une transition, et je pense que nous avons trouvé un son plus assis, dans la vision que je voulais pour la suite. Les gens sont très réceptifs à l’exécution, à la production, au son, etc. Nous avons la chance d’avoir un public qui communique. Vu que nous ne pouvons pas jouer, ni voir les gens en vrai, ça nous fait plaisir d’avoir des retours directs sur ce que nous créons.
Dans les conditions actuelles, vous avez plusieurs fois décalé la date de sortie de l’album…
Oui, l’album devait sortir en fin d’année 2020, et il n’est sorti que début 2021 malheureusement. Nous avons hésité, mais au final nous avons décidé de nous arrêter sur cette date de sortie, parce que c’est l’album du moment. Il ne voudra plus dire grand-chose dans six mois, ou dans un an. Si nous attendons que tout reparte, il n’y aura plus de sortie, et les gens vont se retrouver sans album à se mettre sous la dent.
Julian : Et puis quand tu décales une sortie d’album de six mois, tu n’es plus en phase avec la musique. Tu es à un autre moment de ta vie. Il vaut mieux le sortir quand tu te sens en phase. Entre tout, nous y avons quand même passé un an. Il y a eu le premier confinement au début des prises de chant, et nous étions au travail depuis un moment. Donc il fallait qu’il sorte. Par exemple, Gojira a retardé plusieurs fois sa sortie d’album, et puis à un moment donné ils ont décidé de le sortir, sinon ça ne rime à rien. En parallèle, ils sont déjà en train d’en faire un autre. Je pense que c’est la bonne façon de faire. Nous savons que l’album sera diffusé majoritairement sur les réseaux et internet, mais au moins ça fait passer le temps aux gens dans cette sale période.
Le son de Psykup a évolué en vingt-cinq ans de carrière, mais on sent que votre musique a une connexion avec son époque. Est-ce que la recherche de modernité est un facteur de la réflexion artistique de Psykup ?
Ju : Un peu oui. Personnellement, je défends un son très old school par rapport au metal actuel – c’est-à-dire que le metal actuel en général m’ennuie. On a perdu la culture du riff et on est passé dans la culture du son. Aujourd’hui, n’importe qui chez soi peut faire des enregistrements avec un son énorme, qui donne l’impression de prendre une masse sonore. On trouve l’intention sonore, mais sans recevoir du riffing ou de la musicalité, ces éléments qui me parlaient quand j’étais jeune. Sans dire qu’il n’y a plus rien de bien, parce que ce n’est pas vrai, mais maintenant on peut tout enrober avec du gros son, et ça va avoir l’effet voulu, faire headbanger tout le monde. Mais je recherche une écriture différente. Au niveau de la production, nous sommes restés longtemps sur nos vieilles méthodes, et puis nous avons voulu passer un cap. Nous en avons beaucoup parlé avec Julian et Victor [Minois, guitare], et nous avons essayé de moderniser le son de Psykup. Nous voulions que les gens puissent l’écouter sur leur chaîne ou sur internet sans se dire que nous faisions partie du passé. Déjà que le groupe a un certain âge, si nous restions enfermés dans notre son, ça aurait pu être un peu vintage, mais nous ne pouvions pas rivaliser avec les productions énormes qu’on entend tous les jours. Nous avons beaucoup échangé avec Fred [Duquesne, producteur] pour garder un côté organique. La batterie est triggée par exemple, mais nous avons gardé le son chaleureux des amplis à lampe. Même si nous n’avons pas pu faire tout ce que nous voulions à cause de la situation, comme réamper les guitares, Fred s’est débrouillé. Je pense que tu peux écouter Psykup au milieu de morceaux actuels et que le son ne va pas trop dénoter. C’était un but pour nous.
Julian : Nous avons choisi Fred parce qu’il sait faire de grosses productions où tout est lisible. Ce n’est pas comme un Converge, où il faut avoir l’oreille entraînée à aller chercher les informations dans une mixture sonore assez agressive. Fred fait des productions très aérées et audibles, c’est en ça que nous avons recherché une qualité supérieure. Moi, à la basse, j’ai essayé de rapporter une octave plus grave, avec un accordage en ré. De mon côté, c’est le seul élément qui se rapproche du metal actuel. Il permet de bien contraster avec les riffs de Ju, qui sont incisifs. Sur les autres albums, la basse n’était pas au même endroit, donc là on a cette couche de grave en plus. Dans une grosse partie du metal moderne, je ne parle pas de prog mais plutôt de djent, tout ce qui est assez violent, c’est beaucoup de rythmique. Les riffs sont tellement compliqués que ce ne sont plus des riffs. C’est là que l’écriture de Ju est intéressante pour moi, il propose un riff et nous construisons le morceau autour.
« J’aime bien quand les gens se disent au premier abord que mes textes sont idiots, et découvrent au fur et à mesure qu’ils ont du fond et qu’il faut aller le chercher. […] Il ne faut pas se fier aux apparences. Le metal, et la musique en général, est un milieu d’apparence. C’est ce qui m’en a détourné, parce que ça a pris parfois le pas sur la musique elle-même. »
Outre le son et les compositions, il y a dans cet album un propos qui résonne avec l’actualité de l’humanité. Certaines préoccupations écologiques, entre autres. Est-ce que Psykup a toujours été un groupe avec ce type de message, ou est-ce qu’il l’est devenu avec Hello Karma! ?
Ju : Je pense que Psykup s’est toujours positionné en marge des messages classiques du metal. Nous avons toujours été en décalage, avec du second degré. Déjà sur le précédent album, la pochette était bien imbécile, mais il y avait un message derrière. C’était l’idée de bouleverser un environnement aseptisé, mais avec cet écart auquel on tient. Les gens y voyaient un hippopotame qui pète en sautant dans une piscine, mais il y avait un message en plus. Quand j’ai une idée de pochette, j’en discute avec Jouch (qui s’occupe des graphismes, NDLR), et avec les autres, nous voyons ce qui en ressort. Mais j’aime faire passer une idée sans qu’elle soit assénée au marteau. J’ai envie que les gens aillent creuser, et voient l’humour autant que la signification profonde. Pour Hello Karma!, j’ai lu dans une chronique qu’un mec avait trouvé la pochette anti-écolo, donc je ne comprends pas, mais je pense qu’il n’a pas saisi. Ce sujet-là nous a rattrapés, ce qu’il se passe avec la planète, ça fait un moment qu’on nous y sensibilise. Le nom de l’album et la pochette sont arrivés bien avant la crise. Mais quand nous nous sommes partagés les morceaux avec Matthieu [Miegeville, voix] et que nous avons écrit dans notre coin, nous nous sommes rendu compte que nous avions des textes qui allaient dans cette direction. Naturellement nous sommes allés vers ce sujet, même si nous avons bien sûr gardé notre côté couillon.
Dans cet album il y a un message écologique, mais qui est aussi et surtout un message humain. Quand tu vois comment les gens s’écharpent sur internet, en commentaires, comme la pensée négative est devenue décomplexée… C’est quelque chose qui m’effraie énormément. Plus tu envoies de mauvaises ondes autour de toi, plus ça va te revenir dans la face à un moment. Sans être mystique ou religieux, je crois vraiment aux énergies et à l’importance de ce que tu dégages avec les gens. Le morceau « Nice To The Bones » en parle, pour moi c’est la force de la bienveillance qui sauvera le monde. Dans mon idéal, les gens sont bienveillants les uns avec les autres, se comprennent quand ils ne sont pas pareils, discutent quand ils ne sont pas d’accord. En réalité, ça ne marche pas à chaque fois, mais je suis touché quand je vois des gens qui pourraient ne pas se comprendre trouver un axe pour y arriver. Le message que nous voulons transmettre, c’est qu’il est possible de construire un monde différent. Peut-être qu’on doit en passer par le chaos, la destruction de tout, comme la fin de Fight Club… On se prépare des jours bien sombres, mais ça sera peut-être pour du mieux. Avec cette pochette, on nous reproche de vouloir nous asseoir et contempler la fin du monde. Si nous pouvons l’éviter, c’est mieux, mais c’est peut-être ce qui arrivera.
Julian : Cette pochette c’est un signal pour dire : « Attention, ça brûle, mais ça sera pire si ça continue. » Mais c’est positif aussi. Dans le groupe, certains sont devenus papas. Quand tu deviens parent, ton premier réflexe c’est de te projeter vers l’avenir, et donc de trouver du positif pour la suite. C’est pour cette raison que la pochette est lumineuse, presque flashy, parce que nous avions aussi envie d’espoir. Nous parlons de Greta [Thunberg], de la jeunesse qui a une autre sensibilité. C’est catastrophiste mais positif mais dans le sens où il y a une issue, même si elle est urgente à trouver.
Dans les textes et dans la pochette, on sent plusieurs niveaux d’interprétation possibles, une dualité entre l’autodérision et l’abîme existentiel. Vous avez ça en vous, avec Matthieu, ou c’est toi, Ju, qui es plus d’un côté, Matthieu plus de l’autre ?
Ju : C’est un peu des deux. Matthieu et moi, nous avons des écritures différentes. Il a des textes plus sombres et plus frontaux, moi j’aime être plus poétique et plus détourné. Même pire, j’aime bien quand les gens se disent au premier abord que mes textes sont idiots, et découvrent au fur et à mesure qu’ils ont du fond et qu’il faut aller le chercher. Ça doit être mon côté Colombo, je pense. Brice [Sansonetto, batterie] est fan de ce personnage aussi, qui a l’air complètement benêt et qui piège tout le monde à la fin. Il ne faut pas se fier aux apparences. Le metal, et la musique en général, est un milieu d’apparence. C’est ce qui m’en a détourné, parce que ça a pris parfois le pas sur la musique elle-même. Refused a réussi à briser tout ça, à une époque. Quand ils se sont pointés avec leurs looks de premiers de la classe, j’ai trouvé ça génial. Il a eu aussi Meshuggah qui a détourné les clichés du metal avec une certaine ambiance mystique, ou Gojira encore une fois, qui a montré qu’il était possible de faire une pochette d’album avec une baleine et des couleurs beiges, soit pas du tout l’imagerie du metal. D’ailleurs, Joe [Duplantier] m’a dit que dans certains endroits, l’album est sorti dans un fourreau noir pour que le public ne soit pas perdu…
Avec Matthieu, nous nous complétons. Nous ne pourrions pas faire un album uniquement frontal ou uniquement décalé. Ce qui m’intéresse, c’est notre association, l’équilibre qu’on trouve entre nos deux manières d’écrire et les morceaux différents que ça crée. Je tends le bâton pour me faire battre quand j’écris des morceaux comme « Masturbation Fail », où nous le répétons quarante-cinq fois. Le but est de faire rire, mais il y a aussi un sens plus profond. C’est un morceau sur la mort du sexe dans le couple et sur la masturbation mentale, dont nous avons pu subir certains effets pervers à un moment dans Psykup. Nous essayons d’être plus instinctifs dans nos compositions et dans la globalité du projet, de moins réfléchir. Cet effort donne des morceaux plus courts, plus ramassés, plus directs et une autre façon d’envisager notre musique. Je suis content quand les gens me disent qu’ils n’écoutaient pas Psykup mais qu’ils s’y intéressent maintenant, parce qu’ils comprennent mieux ce que nous voulons faire. Je pense que d’avoir eu de la fraîcheur dans le groupe, avec Julian et Victor, nous a apporté un recul sur ce que nous voulions véhiculer, en images et en textes.
« Ce que j’aime dans le nouveau Psykup, c’est cette multiplicité des facettes qu’on retrouve dans la vie. Je trouve cet album plus humain et à l’image de l’humanité. »
Le travail de concision que vous avez fait dans Hello Karma! est en partie dû à leur regard ?
Julian : Je ne sais pas si c’est vraiment ça, mais ce que j’aime dans le nouveau Psykup, c’est cette multiplicité des facettes qu’on retrouve dans la vie. Je trouve cet album plus humain et à l’image de l’humanité. On y trouve du frontal, du rigolo, de l’émotionnel… Cette nouvelle concision, cette nouvelle sobriété me parle plus. Je préfère qu’on comprenne directement la direction. C’est un album que j’écoute encore beaucoup et avec plaisir, alors que nous y avons beaucoup travaillé. Je trouve qu’il sonne plus vrai, même par rapport au précédent. Il exprime des sentiments de la vie de tous les jours et musicalement, il montre un équilibre intéressant. C’est agréable de constater cette évolution lumineuse et positive.
Vos publics savent que vous adorez décloisonner les genres, intégrer des éléments qu’on n’a pas l’habitude d’entendre dans le metal, comme cet accordéon et cette partie klezmer dans Hello Karma!. A l’époque vous aviez qualifié votre style d’« autruche-core ». Est-ce que vous êtes toujours en accord avec cette appellation ?
Ju : Je sais que ça gonfle Matthieu, mais moi je n’ai pas spécialement de souci avec ça. C’était une blague au départ, on nous demandait de porter une étiquette. A une époque nous avions même appelé notre musique « metal ? », mais les gens ne comprenaient pas. C’était la mode de mettre « core » après tout, pour plaisanter nous avons lancé « autruche-core » et ça a marché, parce que l’autruche était l’emblème du groupe. C’était un pied de nez à la classification, ça ne voulait rien dire, et en même temps ça avait une symbolique forte pour nous. Même si nous avons appris plus tard que les autruches ne mettent pas la tête dans le sable pour se cacher mais pour surveiller leurs œufs… C’est Julian qui a proposé de porter de nouveau cet emblème, moi je n’y pensais pas forcément.
Julian : C’est peut-être dû au fait que je sois extérieur au groupe, mais je sais que pour plein de gens, moi y compris, l’autruche symbolisait très bien Psykup. C’est un oiseau qui part dans tous les sens quand il se sauve, il peut donner l’impression de faire n’importe quoi, d’être décalé. Ça fonctionne avec la musique et l’image du groupe. Aussi, on peut dire ce qu’on veut sur le metal, mais c’est une des musiques les plus tolérantes. Tu peux tout métisser, tu peux faire du flamenco, du rap, de l’électro, du celtique… Le metal accepte tout. Cet oiseau symbolise bien ce mélange. Il est présent à différents endroits sur Terre, c’est le plus gros oiseau de la planète, il est puissant et agressif, donc il me semblait être l’animal totem parfait. J’ai trouvé que c’était pas mal de remettre cette autruche au goût du jour, comme vous le verrez sur les concerts. En France, quand tu connais un peu le milieu du metal et que tu vois une autruche, tu sais de qui ça parle.
Ju : C’est vrai que c’est un animal très agressif, ça court derrière les voitures comme dans Jurassic Park et ça peut te démolir !
Au début de Psykup, vous aviez plein d’envies différentes, c’est ce qui donne cette impression d’effusion et de mélange ?
Il y a eu des caps. J’ai commencé juste avec un bassiste, Brice et Yannick [Tournier]. Yannick nous a fait avancer vite parce qu’il avait déjà fait de la musique, il avait de l’expérience. Et à partir du moment où je me suis mis un peu plus à la guitare, j’ai commencé à écrire. Yannick aussi, et nous avions des influences différentes donc nous avons beaucoup réfléchi et passé un temps astronomique en répétition… Et ça a fait un mélange. Le premier morceau sur lequel j’ai commencé à me lâcher c’était « Time In Space », c’est d’ailleurs là que j’ai trouvé mon cri. Après j’ai écrit « L’Autruche », quand j’avais autour de dix-sept ans, et j’ai compris que c’était ce qui m’intéressait. Avec Yannick nous avons bifurqué à ce moment-là, nous n’étions plus sur la même longueur d’onde. Mais ce premier album était un mélange de tout ce que nous écoutions. Avec le temps ça a beaucoup évolué, et c’est sûr que je ne réécrirais pas du tout les mêmes albums. Sur certains morceaux, je ne comprends même pas ce que j’ai voulu faire. C’est un historique très particulier, avec plein de changements de line up, une grande pause… Nous ne devrions même pas être là. Mais ce qui nous a tenus, c’est que Brice, Matthieu et moi, nous avions la foi dans le projet. J’ai beaucoup poussé, parce que c’est mon bébé.
Julian : C’est la vie d’un groupe, la passion. Vous ne lâchez rien.
Ju : Oui c’est sûr, parce que nous nous sommes pris quelques tartes aussi. Mais j’ai cette foi de me dire que les choses ne sont pas là pour rien. Jusqu’au jour où la vie te dit non, ça n’ira pas plus loin, là il faut peut-être l’entendre, mais en attendant… Là nous pourrions nous dire que pour une fois, les planètes s’alignent, mais nous ne pouvons pas faire de tournée ? Ça veut dire que nous ne passerons jamais un cran ? Ou alors tu peux prendre ça de manière combative. J’ai mes moments d’abattement, on en a tous, mais nous avons aussi une équipe. Julian est très positif, très lucide, c’est salutaire d’avoir quelqu’un comme lui à tes côtés.
« Que les gens achètent l’album, c’est super, mais ce ne sera pas suffisant, à cause de tout l’argent investi. […] Si les publics qui ont vu plein de live-stream hésitent à aller en concert physique, par peur du virus ou de se mêler au monde, on va vraiment être mal. »
D’ailleurs, vous aviez une tournée qui devait débuter en mars, jusqu’à la fin de l’année, comment vous envisagez ces dates ? J’ai vu que vous n’étiez pas très favorables au live-stream…
C’est vrai, mais nous commençons à en parler, par la force des choses. Si nous avons le choix, nous préfèrerons jouer devant un public assis et masqué plutôt qu’en live-stream, parce que les gens seront présents et que nous pourrons parler avec eux. Ils seront plus en mesure de comprendre notre propos. Nous avons travaillé d’arrache-pied pour ce show. De toute façon, c’est ambigu de sortir un album dans ce contexte. Nous avons pris la décision de ne pas retarder plus la sortie de l’album, mais nous espérions secrètement, comme beaucoup de monde, que les concerts pourraient reprendre plus tôt. Notre tourneur est dépité, il se questionne même sur son métier, il travaille énormément, mais c’est l’embouteillage. Il est possible que nous nous retrouvions à défendre cet album en 2022… Nous avons extrêmement envie d’y aller, mais nous n’y pouvons pas grand-chose, donc nous nous résignons. Nous allons faire notre possible pour faire exister cet album, avec des clips notamment, pour que le public ait des sucreries à se mettre sous la dent. Nous avons tellement investi d’énergie que c’est un peu écœurant, mais c’est la vie.
Julian : C’est même inédit dans l’histoire de l’humanité ! Si nous pouvons jouer en octobre-novembre, nous aurons de la chance. Mais nous réfléchissons aussi en fonction du business du groupe. Nous avons tout donné, et nous sommes dans le rouge au niveau des comptes, donc il faut que nous puissions vendre pour récupérer un peu de sous, en essayant de trouver un compromis pour que ce soit possible tout en satisfaisant le public. Nous devons trouver des solutions pour pouvoir faire un autre album derrière, parce que si tout s’arrête, nous ne pourrons pas continuer. Ce n’était pas notre plan de base, mais si nous trouvons une idée à la Psykup nous n’hésiterons pas, et ce sera une cartouche de plus pour tenir jusqu’à la reprise des concerts.
Et quelque part c’est l’occasion de réfléchir à des nouveaux moyens d’expression qui permettent de rentrer en contact avec le public…
Ju : Oui, mais je pense aussi qu’il faut que les gens acceptent la transition. Il va y avoir des moyens alternatifs de jouer de la musique, et il faut que le public suive et supporte un minimum ce qu’il peut se passer. Comme disait Julian, si nous voulons continuer à faire des albums, il y a une réalité encore plus dure qu’avant. On avait l’habitude de se plaindre du téléchargement, par exemple, mais nous avons évolué en fonction de ce nouveau moyen de diffusion, même si nous sortons quand même un CD dans les bacs. Que les gens achètent l’album, c’est super, mais ce ne sera pas suffisant, à cause de tout l’argent investi. J’ai entendu dire que certains refuseraient d’aller voir un concert assis, mais il faut bien se dire que nous ne serons pas debout dans les salles avant longtemps. Aller voir un groupe en concert assis, c’est montrer un soutien fort. Même si ça ne nous fait pas marrer, et que ça ne fait marrer personne, d’ailleurs. Je ne sais pas pour l’industrie musicale, mais j’ai peur pour le cinéma par exemple. On s’est tellement habitués à regarder Netflix de notre canapé que l’inconfort d’une salle, où tu peux tomber sur un mec qui mange son popcorn, ça peut refroidir pas mal de monde. J’ai peur qu’on n’aille pas dans les salles, même si elles rouvrent. L’époque dématérialise tout. On faisait des blagues en disant que le jour où on pourra télécharger du pain, les gens arrêteront d’aller chez le boulanger, mais c’est vrai ! On est conditionné à ne pas sortir de chez soi, et je m’inclus dedans. Déjà que je ne sors pas beaucoup, je pense que quand tu as tout à portée de main, ça devient dangereux. C’est pareil pour le live-stream.
Je ne jette la pierre à personne, on est conditionné à choisir la facilité. Mais c’est un avenir peu glorieux, je trouve. Ça va nous amener à quoi ? À une société orwellienne ? Je trouve génial qu’on puisse avoir une vitrine sur le monde, faire une interview à distance, acheter ce qu’on veut en ligne, écouter toute la musique du monde, regarder tous les films qu’on veut… Mais la réalité humaine et financière derrière est un peu flippante. Si pour les concerts c’est pareil, que les publics qui ont vu plein de live-stream hésitent à aller en concert physique, par peur du virus ou de se mêler au monde, on va vraiment être mal. Je ne veux pas être négatif, mais c’est un vrai sujet de débat. C’est comme les gens qui ne vont qu’en gros festival pour voir les groupes, et qui ne vont pas le reste de l’année dans leurs villes, dans les petites salles, où ces mêmes groupes sont en tête d’affiche. Alors que c’est beaucoup plus important. Pour toutes ces situations, c’est une question de dosage. Je ne donne de leçon à personne, chacun fait ce qu’il veut, mais il y a une réalité. Si les groupes qui tournent dans les salles ne ramènent personne, le programmateur ne leur fera plus confiance, et les places sont chères, encore plus aujourd’hui.
Julian : C’est vrai, mais en même temps les petits à qui je donne des cours n’attendent que ça, d’aller voir des concerts. Ils ont dix/onze ans et dès qu’ils aiment un peu le rock ou le metal, ils comprennent que c’est fait pour le live. La musique en général est faite pour le live, tu partages beaucoup plus d’émotions dans une salle, un stade, une arène, que derrière ton écran.
« La notion d’algorithmes me hérisse, et surtout que nous en soyons dépendants. Je ne suis pas complotiste ni parano, j’ai l’impression qu’on peut résister à ça autrement. »
Vous avez l’air de ne pas avoir trop confiance en l’humanité…
Ju : Si, j’ai confiance, ce qui m’inquiète plus c’est comment on la conditionne. Les gens qui utilisent leur pouvoir de conditionner peuvent m’inquiéter. On l’a vu dans la gestion de la crise, l’humain passe après plein de choses. J’ai un côté très naïf, j’aimerais vraiment un monde de bisounours, mais la réalité te rattrape. Nous avons appris à être patients. Nous avons la chance d’avoir un public fidèle, qui a toujours été là, qui donne beaucoup, qui communique, donc ça me rassure. Ça pourra nous donner de la solidité pour la suite. Mais comme nous ne sommes ni connus ni inconnus, quelque part entre les deux, tout peut s’écrouler ou monter d’un coup… Tool peut sortir un album tous les mille ans, avec de gros moyens, ils ne craignent rien. Eux ils peuvent attendre tranquillement que la crise sanitaire soit terminée, et ça repartira. D’un autre côté, cette crise a aussi développé la créativité. Je rêverais de trouver une idée, un truc virtuel qui serait intéressant pour nous, un palliatif à la situation pour les groupes… Mais pour l’instant je n’ai pas trouvé. Le mec qui réussit à inventer ça, il a tout gagné.
Julian : Je pense qu’on va avoir droit à des purs albums dans les années à venir. C’est ce qui est génial aussi, le temps s’est arrêté, certains artistes ont pu stopper le cercle écrire – tourner – écrire – tourner, ils se sont concentrés sur l’écriture et la composition. A notre niveau avec Fred au mixage, nous avons pu travailler un mois entier, tout peaufiner… C’est un régal de bénéficier de ces conditions. Donc on tire du positif.
Ju : Ce que tu dis est vrai, la spirale d’écriture et de tournée peut faire perdre de la qualité. Quand tu écris un album en tournée, tu es épuisé, donc tu vas à la facilité. Certains groupes ont un studio d’enregistrement dans leur tour-bus, donc ils enregistrent en permanence. Mais avec la fatigue… En plus tu as des délais à respecter. Nous avons pris le temps de faire cet album correctement, c’est pour ça que je n’ai pas envie qu’on me dise que je dois réécrire à toute vitesse, pour rester visible.
Vous disiez que vous continueriez à faire vivre Psykup tant que cette aventure vous exciterait, est ce que c’est toujours le cas aujourd’hui ?
Julian : Oui, Psykup nous excite toujours, parce que nous réinventons un peu le groupe à chaque étape. Nous avons fait un nouvel exercice de style sur cet album, avec des chansons de trois minutes. Et il y a encore plein de choses à faire, à expérimenter. Ju commence à s’investir sur la création des clips, c’est une force en plus qui vient nourrir l’univers, qui continue de grandir. Par la suite, peut-être que certains fans voudront de nouveau des morceaux plus longs, ça peut nous donner des idées… Je me dis que nous n’allons pas nous ennuyer. Le but est d’être ouvert, de continuer à piocher dans tous les styles, c’est ce qui rend le projet excitant. Comme dans un couple ou en cuisine, il faut de nouveaux ingrédients. Je pense que Psykup sait bien pimenter sa musique.
Un conseil à donner aux musiciens, musiciennes et publics pour réussir à garder la flamme en cette période ?
Ju : Si je dois donner un conseil, c’est vraiment d’être soi-même et de s’écouter, sans suivre une mode ou penser en termes de marketing. C’est ce qui a tué beaucoup de groupes, qui se sont perdus. Quand tu avances dans ce milieu, il y a de plus en plus de gens qui viennent te dire que tu peux faire mieux, te donner des conseils, t’expliquer ce que tu devrais faire. C’est dur de pérenniser un groupe, il faut se renouveler, tout en gardant un cap. Mais quand je compose, je ne pense pas à ça. Je pense aux auditeurs. Spielberg disait : « Je fais les films que j’ai envie de voir. » De mon côté j’essaye de faire la musique que j’ai envie d’entendre. Tout simplement parce que la première excitation, c’est moi tout seul devant mon ordi, la deuxième c’est quand je montre le résultat aux copains, et quand ça plait à des gens derrière, c’est le mieux. Nous nous passons le témoin de l’excitation. C’est pour ça que les concerts sont importants, quand cette espèce de frénésie générale et géniale se crée. Je vois beaucoup de jeunes demander ce qu’il faut faire pour marcher, mais ce sont des mauvaises questions. Il faut se faire plaisir avant tout. On nous a dit que sur cet album, nous avions fait des chansons plus courtes pour passer à la radio, mais c’est vraiment mal nous connaître [rires]. Après je trouve très difficile de faire des morceaux calibrés pour la radio, bien faits, fédérateurs, et sans tomber dans la facilité. Il existe des morceaux qui y parviennent sans donner l’impression qu’il y a une formule. Et là, ça me fascine. Des artistes ont prouvé que c’était possible, comme Björk, Massive Attack ou Dead Can Dance. Ils arrivent à avoir des morceaux qui cartonnent, et en même temps qui sont très personnels. J’aimerais que nous arrivions à passer ce cap. Ces albums que tu peux réécouter à l’infini, plein de tubes et sans être de la soupe, c’est le Graal. C’est un niveau de maturité différent, c’est peut-être une question d’entourage aussi, qui donne certaines clés… Mais on a tous été fascinés par un morceau de metal hyper bien produit et écrit, où tu te dis qu’il n’y a rien à jeter, que c’est parfait.
« Björk, Massive Attack ou Dead Can Dance. Ils arrivent à avoir des morceaux qui cartonnent, et en même temps qui sont très personnels. J’aimerais que nous arrivions à passer ce cap. Ces albums que tu peux réécouter à l’infini, plein de tubes et sans être de la soupe, c’est le Graal. »
Julian : Ça me fait penser à Korn, encore une fois, c’est complètement barré et pourtant, ça marche du feu de dieu. Avec cette voix, ce son de basse ultra-piquant, je n’aurais pas misé là-dessus, mais en fait c’est universel. Je ne pense pas qu’ils aient voulu lancer la mode du jogging à trois bandes, c’était des mecs dans leur quartier qui ont fait de la musique, et ça marche. Si tu fais de la musique qui vient du cœur et qui t’éclate, ça va être communicatif et rayonner sur tout le monde.
Donc vos conseils pour les musiciens, c’est de rester eux-mêmes, et pour les publics, soutenir les musiciens qui restent eux-mêmes par tous les moyens possibles ?
Ju : Oui c’est un bon résumé. Je comprends qu’il faut faire des choix quand tu es public, tu ne peux pas tout acheter. Chacun fait ce qu’il veut. Mais il faut que les gens aient tous les sons de cloche, les tenants et les aboutissants du milieu. Je pense que ce qui nous a fait beaucoup de mal, c’est qu’il y avait une langue de bois tenace à une époque, une image à tenir. Il fallait faire rêver le public. C’est sûr que quand tu commences à parler comme nous parlons, tu ramènes à une réalité qui est démythifiée.
Julian : C’est moins glorieux c’est sûr.
Ju : Il faut trouver le compromis, parce que les groupes qui pleurent tout le temps, ça ne me plaît pas non plus. Il y a eu des abus, et les gens ne sont pas des vaches à lait. Maintenant que plus de groupes disent cette réalité financière, peut-être qu’il y a une prise de conscience de la part du public. Après on est en pleine récession, on ne sait pas ce qu’il va se passer demain, ça peut être incroyable…
Julian : Je trouve qu’il y a vraiment une similitude avec l’alimentation. On sait qu’il faut acheter local, consommer local, et c’est pareil pour les groupes autour de chez soi. C’est encore plus important aujourd’hui de penser comme ça, plutôt que de viser systématiquement les grosses machines qui tournent toutes seules de toute façon. C’est l’avantage d’internet, la mode peut tomber sur n’importe qui à n’importe quel moment. C’est le côté cool de Spotify…
Ju : Mais il faut que les gens aient l’information, sinon tu te fais éclipser. Pour ça, il faut toujours mettre plus d’argent… Je suis persuadé que la musique de Psykup se diffuserait si les gens avaient l’information. J’ai confiance en la qualité de la musique, des gens avec qui je suis, mais comment faire pour exister ? J’en parle sur « Nothing To Sell », qui dit que j’en ai marre de toujours avoir quelque chose à vendre, mais on est obligé. C’est le paradoxe quand tu es musicien, que tu es professionnel ou que tu veux le devenir. Tu réalises qu’il va toujours falloir vendre. C’est l’aspect le plus rébarbatif du métier. Je parle de la vente pure, de réfléchir en termes d’algorithmes, de sponsorisation… Nous avons été obligés de nous y mettre avec Julian, parce que personne n’allait le faire à notre place, mais la notion d’algorithmes me hérisse, et surtout que nous en soyons dépendants. Je ne suis pas complotiste ni parano, j’ai l’impression qu’on peut résister à ça autrement.
Un belle note positive pour terminer…
Psykup c’est ça, normalement c’est un groupe qui tire vers le haut, alors nous allons essayer de rester positifs malgré tout.
Vous avez quelque chose à ajouter ?
Juste dire merci à toi et aux gens qui continuent à faire exister Psykup. Sans tous ces gens qui parlent du groupe sur internet, sur les réseaux, dans les médias, il n’y aurait plus rien. Grâce à ça, nous pouvons continuer à faire vivre les choses malgré tout. Parler de l’album, du groupe, ça nous fait patienter en attendant de pouvoir revenir sur scène, on espère le plus rapidement possible.
Interview réalisée par téléphone le 4 mars 2021 par Léa Cuny-Bret.
Retranscription : Léa Cuny-Bret.
Photos : Angel Fonseca (1 & 5), CitizenJiF (2), Pierre Wetzel (7) & Joel Ricard (3 & 6).
Site officiel de Psykup : www.psykup.net
Acheter l’album Hello Karma!.