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Live Report   

Puscifer ou le mirage d’Arcosanti


Plus aucun concert. Une injonction implacable qui dépasse toujours l’entendement malgré les mois qui s’écoulent. Devant cette asphyxie qui perdure, certains artistes s’essayent à de nouvelles formes de spectacle live plus ou moins élaborées. Et si plusieurs groupes vont au plus simple en retransmettant leur prestation de manière âpre et parfois maladroite, d’autres artistes s’emploient à proposer « autre chose ». Quelque chose qui tient plus du propos cinématographique, à condition d’avoir l’intention, et les moyens. Puscifer s’inscrit dans cette dernière direction et livre ainsi son dernier album, Existential Reckoning, au travers d’une performance live à la fois sonore et esthétique d’un perfectionnisme imposant, au beau milieu de l’Arizona aride à l’Arcosanti. Dans sa promotion, Puscifer cultivait déjà l’ambivalence puisqu’il était impossible de savoir avec certitude s’il s’agirait d’un live diffusé en direct ou d’une performance partiellement préenregistrée. Keenan reste en cela amplement fidèle à sa réputation de phénomène insaisissable ; au public de se faire sa propre idée.

Après une intro-clin d’œil à Billy D, personnage live du frontman errant en plein désert, c’est « Bread And Circus » qui émerge du silence et tisse avec une certaine bizarrerie mêlée de délicatesse le nouvel univers digital de Puscifer. Très rapidement on se laisse envelopper par Maynard James Keenan et Carina Round dont les chants superposés hypnotisent et guident aisément au travers des multiples samples évoquant le thème extraterrestre, thème qu’on découvrira sous-jacent à l’album entier. Parfois distillées comme des ponctuations rythmiques « urgentes » (« Bullet Train To Iowa »), parfois simplement fleuves (« Personnal Prometheus »), les voix de ces deux artistes se complimentent ici encore avec une maîtrise résolument impeccable. Mais cette subtilité vocale familière est également rejointe en contrepoint par une alchimie instrumentale d’une efficacité redoutable dans ses interventions rock plus mordantes, les morceaux « Grey Area » ou « Fake Affront » faisant office de jalons en la matière. Evoquant tantôt un survol, tantôt une tempête qui gronde, mais toujours avec une stabilité qui s’étire, Existential Reckoning s’éloigne indéniablement du côté poussiéreux et frontal de Conditions Of My Parole et apporte une musique plus vertigineuse, jamais étriquée. Mention spéciale au multi-instrumentiste Mat Mitchell qui sculpte les sonorités digitales de chaque morceau avec finesse et identité.

Visuellement et musicalement, le concert de Puscifer est d’une propreté qui force la déférence. Devant tant de finitions, il apparaît clair que certains éléments ont été préenregistrés tellement la performance artistique et la production sont millimétrées. Mais impossible de déterminer ce qui tient de l’éphémère et ce qui appartient à la production. Les voix ne frôlent jamais le manque de justesse, les instruments sont parfaitement coupés et mixés. Seules les personnes ayant déjà pu façonner leurs oreilles au son de l’album sorti le même jour peuvent saisir les quelques ajustements des musiciens. On perçoit alors l’ampleur du travail colossal qui est fourni pour parvenir à un tel résultat, qu’il n’est pas question ici de proposer un live juste « un peu mieux produit ». Il s’agit bien d’autre chose, que peu de groupes sont capables de créer. Dans un cadre nocturne dont on ne distingue les contours qu’à partir des flashs lumineux, les Américains se drapent dans un voile mystérieux où l’équivoque prédomine. Costumes noirs, chemises blanches, lunettes de soleil ; la panoplie de l’individu interchangeable renforce la thématique de la pop-culture ovni et du thème de l’enlèvement. On comprend au fur et à mesure que la scène est construite en étoile, chaque compartiment renfermant un musicien exécutant stoïquement sa partie, telles des cages de verre abritant des spécimens à étudier. Carina Round et Maynard James Keenan sont au centre : deux marionnettes aux comportements successivement inquiétants, mélancoliques, délicats, ridicules, mais toujours incarnées.

Le morceau Personnal Prometheus opère une bascule significative dans le set. Succédant au burlesque « Bullet Train To Iowa », sa progression est plus sérieuse et presque incantatoire. Son final vocal suspendu est sans conteste le point d’orgue émotionnel de toute la prestation éphémère de Puscifer. Arrivent ensuite des morceaux plus tranchés comme « Postulous » et la perle frénétique « Fake Affront » qui n’est pas sans rappeler un certain « The Remedy » sur le précédent Money Shot ou « The Doomed » dans le dernier A Perfect Circle avec la voix funambule et sifflante de Keenan. Au fur et à mesure qu’on touche à la fin du set, la lumière change, le décor se fait plus visible, le soleil apparaît à l’horizon. Ce voile nocturne qui se dissipe en à peine quelques minutes joue une ultime fois avec la crédulité du public : quelle part du concert a-t-on réellement vue se dérouler sous nos yeux ? « No more real, no more lie, this is the age of confusion », nous disait Maynard dans « Grey Area » après tout…

Photos : Mitra Mehvar.



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