
Placé en 8eme et dernière position de l’album, « Emerald » est un titre intense. Le ton et l’ambiance y sont beaucoup moins joviales que sur « The Boys Are Back In Town ». Il en va de même pour les paroles : il n’est plus question ici d’amitié virile dans les pubs de Dublin, mais bel et bien de guerre. L’enjeu de cette guerre semble être l’Irlande (« Emerald » dans le texte) et on imagine facilement l’ennemi servir la couronne Anglaise.
Musicalement, c’est tout simplement grandiose. Le titre débute avec un riff de guitare imparable sur lequel vient se greffer la voix de Phil Lynott : « Down from the glen came the marching men / With their shields and their swords / To fight the fight they believed to be right / Overthrow the overlords ». La batterie entre dans la danse et le titre part. D’un côté la section mélodique composée de Lynott (chant), Gorham et Robertson (guitares) nous gratifient de mélodies imparables, entêtantes, poignantes et à la fois diablement énergiques. De l’autre, le duo rythmique Lynott (basse) / Downey (batterie) insuffle une dynamique, une puissance et un groove fou au morceau. Le groupe enchaîne sur un break instrumental où la batterie se fait presque tribale avant de reprendre sur un couplet toujours aussi dévastateur. Après 1 minute 30 d’intensité sur le couplet, nos quatre dublinois se lancent un second break…qui s’étendra jusqu’à la fin du titre.
Tout d’abord un pont calme qui remplit parfaitement son rôle de transition entre les deux faces de cette pierre précieuse. La seconde face est encore plus brute, moins polie. Il s’agit d’un duel enflammé entre nos deux guitaristes. Mais cette partie n’a pas à être commentée : elle doit être écoutée, les guitares parlent d’elles-même (sans oublier la basse et la batterie qui, loin de se mettre en retrait, continuent leur travail rythmique exemplaire). La symbiose entre les instruments atteint ici son paroxysme. Peu surprenant quand on sait que c’est le seul titre du disque écrit par nos quatre musiciens.
Il est des titres dont on fait des singles, d’autres des chef d’oeuvres. Au final, même si ce morceau n’est pas le plus emblématique de ce Thin Lizzy cuvée 1976, ni le titre ayant permis à Jailbreak de devenir le succès commercial qu’il a été, il n’en demeure pas moins un des plus marquants de l’album. Si ce n’est LE plus marquant.
Plusieurs groupes ont tenté de le réadapter, de le remettre à leur sauce. S’il est plutôt facile à jouer, rendre hommage à l’interprétation originale l’est beaucoup moins.
Ainsi, au rayon des hommages ratés, on trouve la version de Skyclad :
Parue en 2003 sur le CD hommage a Thin Lizzy « A Tribute to The Wild Ones », cette version est un désastre. Le Groove est absent, l’émotion aussi. Kevin Ridley (chant) en fait des tonnes à tel point qu’il en devient insupportable. Quant au duel final, on a droit a des plans mille fois utilisés, sans saveur ni classe. Reste la violoniste qui s’efforce tant bien que mal de sauver l’entreprise du naufrage. Mais malgré quelques-unes de ses interventions certes inspirées, il ne reste pas grand chose à retenir de cette émeraude bien trop grossière pour avoir une quelconque valeur.
Heureusement, d’autres artistes ont su retailler cette pierre pour lui donner l’éclat qu’elle mérite. Ainsi, Gary Moore[/urlb] a lui aussi joué aux apprentis joailliers avec, disons le franchement, plus de talent :
Il faut avant toute chose savoir que Gary Moore et Phil Lynott ont tous deux commencé leur carrière en temps que professionnels au sein de Skid Row (l’irlandais, pas l’américain). Les deux comparses sont restés proches et, durant les années 70, il n’était pas rare que le sieur Moore rejoigne Thin Lizzy sur scène. La mort de Phil Lynott en 1986 a fortement touché Gary qui lui dédia son album « Wild Frontier » (1987) ainsi que cette reprise d’Emerald. L’hommage est ici beaucoup plus palpable que chez Skyclad et on sent que Gary y a mis de ses tripes. Malheureusement, elle n’est pas non plus exempte de défauts, comme cette production trop lisse ou ce sentiment que le guitar hero joue le duel de guitare… seul ! Mais ce que la chanson perd en puissance, en rugosité et en groove, elle le gagne en émotion et cette reprise demeure une des meilleures.
Cependant, en 2003, une bande d’énervés venue des USA va tout casser. Mastodon décide d’enregistrer sa version du chef d’oeuvre de 1976 et le transcende intégralement :
Rares sont les reprises capables de s’élever au niveau de l’originale. Plus rare encore sont celles capables, en plus, d’y apporter quelque chose. Pourtant, à l’occasion d’un split avec American Heritage, Mastodon enregistre sa version d’Emerald. Ce split enregistré sur un picture-disc 7 » est distribué de manière confidentielle et vite épuisé. Cependant, en 2003, Relapse Records, le label du groupe décide d’utiliser cette reprise pour la réédition de luxe de Remission, leur premier album paru l’année précédente. Placée en piste bonus pour clore l’album, cette reprise réussit le coup de maître de reprendre tous les éléments qui ont fait la force du titre original sans donner l’impression d’un simple copier coller.
Ils se sont même permis de rajouter quelques éléments amplifiant l’aspect percutant du titre original. Ainsi, on est en premier lieu heureux de retrouver une production rugueuse. Les guitares sonnent définitivement rock, la voix est claire et puissante. La section mélodique remplit parfaitement son rôle sur la première partie de la chanson. La session rythmique est, quant à elle, follement groovy. Il est impressionnant de voir à quel point le jeu atypique de Brann Dailor (batterie) colle bien au morceau de Thin Lizzy.
Mais le moment fort de cette reprise reste incontestablement le duel qui, comme dans un fameux Western de Sergio Leone, se passera à trois. En effet, la batterie semble s’être invitée et prendra une place plus importante que dans l’originale. Elle répond a chacun des assauts des six cordes pour un final furieux et jouissif, au moins digne de l’originale. Cette reprise est une franche réussite. Pour la petite anecdote, sachez que les guitaristes du groupe ont pu, cette année, jammer sur cette chanson avec Scott Gorham (un des guitariste de Thin Lizzy pour ceux qui n’auraient pas suivi).
Pour clore cet article, voici les paroles pour que toi, auditeur, tu puisses aussi chanter et danser sur la version qui te fait le plus vibrer. Tous en choeur :
Down from the glen came the marching menWith their shields and their swords
To fight the fight they believed to be right
Overthrow the overlords
To the town where there was plenty
They brought plunder, swords and flame
When they left the town was empty
Children would never play again
From their graves I heard the fallen
Above the battle cry
By that bridge near the border
There were many more to die
Then onward over the mountain
And outward towards the sea
They had come to claim the Emerald
Without it they could not leave
P.S. : Cet article n’est pas exhaustif et ne présente pas toutes les reprises de cette chanson culte (telle celle volontairement omise de Dragonlord où le groupe de black sympho s’embourbant dans le power mélodique, flingue en même temps la reprise, sa crédibilité et son album (oui, d’un certain point de vue, c’est un bel exploit)).
Ils sont vraiment trés fort, faut l’admettre. Le batteur est vraiment monstrueux (tant sur ce titre que sur els autres d’ailleurs).
Mais bon, quand on a une chanson de cette qualité comme base de travail, dur de rater le morceau repris (même si la reprise est une franche trahison de l’originale ^^)
[Reply]
Merci pour cette découverte, je me suis écouté la version de Mastodon et effectivement le jam final pique les yeux et les oreilles!
[Reply]