Le lendemain du show donné par Rage à Paris, en ouverture de Helloween, ce n’était pas la grande forme pour le chanteur-bassiste, leader du trio allemand, Peavy Wagner. « Nous sommes tout juste rentrés de Paris il y a une heure et c’est dingue parce que je n’ai pas dormi la nuit dernière, si ce n’est, à tout casser, une heure de sommeil, » nous avoue-t-il un peu penaud. Et c’est vrai que via la caméra vidéo, sur Skype, nous le voyons dans le noir, avec de petits yeux qu’il peine à maintenir ouvert, cherchant ses mots, affichant un sourire gêné mais néanmoins sympathique et une certaine bonhomie. « Merci pour la patience dont tu fais preuve face à l’idiot endormi, » s’amusera-t-il d’ailleurs. L’entretien ne partait pas forcément dans les meilleures conditions qui soient mais finalement, nous rentrons dans le vif du sujet et Peavy reprend progressivement ses esprits.
Il faut dire que le fait d’évoquer son ancien collègue guitariste Victor Smolski le sort très vite de sa torpeur et échauffe son esprit. On l’avait bien compris en interrogeant celui-ci il y a quelques mois, les deux musiciens ne se sont pas quittés en très bons termes. Peavy nous donne donc sa version de l’histoire, réagissant notamment aux propos très durs que Smolski nous avait confié à son égard et que nous lui opposons. Il est intéressant de voir comme certains propos se rejoignent malgré les divergences de points de vue voire l’animosité que chacun a à l’égard de l’autre. Et c’est en recoupant les deux interviews que l’on commence à mieux saisir cette profonde incompatibilité qui a fissuré la relation entre les deux hommes, jusqu’à l’antipathie. Dans ce genre de cas de figure, bien souvent la réalité n’est jamais seulement d’un côté ou de l’autre mais au milieu.
Toujours est-il que Victor Smolski s’épanouit désormais dans son propre projet Almanac, tandis que Peavy Wagner semble vivre une renaissance avec ses nouveaux compagnons de route au sein de Rage, des amis de longue date, le guitariste Marcos Rodriguez et la batteur Vassilios Maniatopoulos alias Lucky, avec qui il s’apprête à sortir un nouvel album, The Devil Strikes Again, qui devrait ravir les fans du Rage plus traditionnel et direct des années 90.
« Il n’y avait aucun besoin de réinventer Rage et de changer quoi que ce soit dans le son. Rage a toujours été connu et apprécié pour être un groupe de metal pur et dur […]. Mon intention était de retrouver ce groupe qui a été perdu. »
Radio Metal : Tu as déclaré qu’avec ce nouvel album, The Devil Strikes Again, tu voulais « délibérément t’appuyer sur l’énergie et l’esprit de [vos] albums classiques des années 90. » pourquoi ?
Peter « Peavy » Wagner (chant & basse) : Ce n’était pas vraiment l’objectif au départ de faire quelque chose qui sonnait comme dans les années 90. Le truc, c’est que je voulais capturer à nouveau ce type d’énergie et d’atmosphère pour lesquelles Rage était connu il y a longtemps. Car avec le line-up que nous avions avant, lorsque nous avions ce guitariste, Victor Smolski, dans le groupe, le son a un peu changé pour devenir plus progressif. Il frimait davantage à la guitare, tout le temps, et ce n’est pas ainsi que le groupe sonnait, par exemple, dans les années 90. Rage est un groupe assez vieux, tu sais, et qui était très bien établi bien avant [que Smolski ne soit dans le groupe]. Le son typique de ce groupe et ce pour quoi il était apprécié était déjà là. Il n’y avait aucun besoin de réinventer Rage et de changer quoi que ce soit dans le son. Rage a toujours été connu et apprécié pour être un groupe de metal pur et dur, jouant des trucs qui vont droit au but, en ayant ces parties additionnelles avec des éléments thrashy et des chansons plus directes. En gros, mon intention était de retrouver ce groupe qui a été perdu. Car plein de fans réclamaient ce genre de musique. C’est ce qu’on me disait partout, tu sais. Les gens savent que Rage est mon groupe et ils aimaient comment je le faisais marcher.
Est-ce que ça veut dire que tu n’étais pas content de cette direction plus progressive que le groupe avait emprunté ces dernières années ?
Non, pas vraiment, car ce n’était pas le son original de Rage. Je veux dire que la musique était très bonne et nous avons fait de bons albums et tout mais ce n’était pas vraiment la façon dont je voulais que ce soit. C’était surtout Victor, lorsqu’il était dans le groupe, qui essayait tout le temps de tout pousser un peu dans cette direction. Donc lorsque j’ai arrêté de travailler avec lui, je me suis dit qu’il était temps de revenir là où j’en étais avant, ce avec quoi je me sentais mieux. Et ça n’a rien à avoir avec de la nostalgie, car c’est simplement ainsi que je fais la musique, que je compose, que j’aime jouer, que je sonne.
Les chansons sur cet album sont heavy et accrocheuses. C’est ainsi que doit être Rage ?
Exactement ! C’est mon style. C’est ainsi que j’écris la musique et que je voulais qu’elle soit. C’est une progression naturelle pour moi.
Tu as aussi déclaré que « ça faisait longtemps que [tu n’avais] pas été si inspiré et ne [t’étais] pas senti aussi libéré pendant la composition. » Comment se fait-il que tu te sentais si contraint avant ? Je veux dire que tu as toujours été le leader de ce groupe…
Ouais mais Smolski ne le voyait pas ainsi. Il voulait être le leader ! [Rires] Il voulait que ce truc soit son groupe et simplement m’utiliser comme chanteur. Parfois il y avait d’ailleurs des frictions. Ce n’était pas très facile par moment… [Petits rires]
Mais que s’est-il passé concrètement ? Car tu as parlé de Victor mais le batteur André Hilgers a également quitté le groupe…
Non, ce n’est pas que qui que ce soit a quitté le groupe. Je me suis séparé des deux gars ! Je leur ai dit qu’ils étaient renvoyés. André était aussi un problème pour moi. André a été amené dans le groupe par Victor et il n’a jamais vraiment été mon choix, à titre personnel. Ça allait, tu sais. Ce n’est pas un mauvais batteur. Je n’ai jamais vraiment eu de relation personnelle avec lui. Et puis, avec la situation telle qu’elle était il y a deux ou trois ans, je me sentais malheureux, je me sentais comme un étranger dans mon propre groupe et j’ai commencé à me dire que j’allais avoir cinquante ans et que je détestais ma situation dans la vie ! Je ne l’aimais plus. Je me disais : « Comment puis-je continuer ? » Qui sait combien de temps je vais pouvoir encore faire ça, jouer du metal et tout ? Donc je me suis rendu compte qu’il fallait que je change ma vie pour redevenir heureux, retrouver une situation où j’aimais ce que je faisais. Il n’y avait plus aucun intérêt à ce que je fasse ce que je faisais, donc j’ai voulu tout recommencer. Je ne voulais simplement plus jouer avec ces deux types. Je ne pouvais juste plus être dans un groupe avec eux. Il n’y avait plus de respect dans le groupe, ils me traitaient comme des connards, tu sais. Comme je l’ai dit, je me sentais comme un étranger dans mon propre groupe, ils voulaient me pousser vers la sortie ou je ne sais quoi. Les deux ont rejoint mon groupe, et non l’inverse ! Ce n’est pas comme si c’était moi qui avais intégré leur groupe ! [Petits rires]
Était-ce déjà ainsi lorsque l’ancien batteur Mike Terrana était dans le groupe ?
Ouais, avec Mike c’était également difficile. Mais le sentiment général était un peu plus équilibré parce que Mike était aussi un fort caractère, ce qui calmait un peu les ardeurs de Smolski. Tous ces mecs ont de trop gros égos et c’est difficile de travailler avec des gens qui ne te respectent pas et ne respectent pas ce que tu as fait, ce que tu as déjà accompli avec ton groupe et ta musique. Met-toi un instant à ma place : tu as fondé un groupe en 1984 et tu as développé ce groupe pour qu’il devienne un groupe international populaire et ensuite, pour une raison ou une autre, tu intègres de nouveaux musiciens et ces musiciens qui rejoignent ton groupe commencent à te traiter comme un idiot ! [Petits rires] Ils veulent s’emparer du groupe ! Alors qu’est-ce que tu aurais fait ?
« Il y a deux ou trois ans, je me sentais malheureux, je me sentais comme un étranger dans mon propre groupe et j’ai commencé à me dire que j’allais avoir cinquante ans et que je détestais ma situation dans la vie ! »
Mais comment as-tu pu endurer ça pendant autant d’années ?
Je veux dire que ce n’était pas tout le temps mauvais. C’était un lent processus. Les choses ont empiré. Et puis, une autre chose est probablement que je suis un stupide idiot. Je ne voyais plus les choses. En fait, je me pose également cette question parfois « Comment ai-je pu le supporter pendant aussi longtemps ? » [Rires] Je suis désolé, c’est peut-être une réponse stupide. Peut-être que tu ne me comprends pas vraiment et tu te dis « est-ce que ce type est bourré ? » ou je ne sais quoi [petits rires].
Pour te dire la vérité, nous avons parlé à Victor il y a quelques mois et il t’a lourdement critiqué. Il disait que ces dernières années, tu avais « totalement arrêté de [t]’intéresser à la musique, à composer, à essayer d’être bon, à jouer et à apprendre, » et que tes prestations en concert était vraiment mauvaises…
Ce n’est pas vrai ! Bien sûr que j’ai perdu intérêt à travailler avec lui. Ce n’est pas que j’ai perdu intérêt à faire de la musique ou composer ou travailler dans le groupe. C’est juste que je ne voulais plus travailler avec lui, c’est ça le truc. Ce mec se croit le centre de l’univers. Il ne peut imaginer qu’il puisse être un gros emmerdeur pour d’autres gens [petits rires]. Je déteste laver mon linge sale en public. Hier, nous avons fait plein d’interviews à Paris, et certains de tes collègues m’ont aussi dit qu’il disait du mal de moi, ce qui est assez triste. Je ne veux pas dire du mal de lui et tout. C’était correct ce qu’il a fait [dans le groupe] mais à un moment donné, il fallait que ça finisse, lorsque ça ne fonctionnait plus. C’est exactement ce que j’ai fait. J’ai mis fin à une relation qui ne marchait plus. J’ai arrêté ça et j’ai reconstruit Rage pour que ça redevienne un groupe qui fonctionne pour moi, personnellement, où je pouvais à nouveau faire de la musique créative. Car cette situation ne marchait plus et ce n’était assurément pas de ma faute. Ce n’est pas que j’ai tout fait foiré ou je ne sais quoi. Le problème était que Smolski n’est pas un joueur en équipe, il ne peut pas travailler en équipe. Il ne peut pas travailler pour quelque chose, il ne fait que travailler pour lui-même. Ce n’est pas une critique, c’est un simple fait, selon moi. Je ne veux pas le blâmer pour ça, pas de souci. Donc c’était probablement mieux que nous ne travaillions plus ensemble. Il a son propre projet maintenant où il peut imposer ses règles et faire tout ce qu’il veut, et il n’a plus à faire de compromis avec qui que ce soit. Être le guitariste de Rage n’était simplement pas le bon boulot pour lui [petits rires]. C’est un peu triste qu’il dise du mal de moi parce que c’est juste stupide. Ce n’est pas vrai que j’ai foiré quelque chose. J’ai fait de mon mieux pendant quinze ans pour coopérer avec lui et je lui ai donné cinquante pour cent de ce que je possédais, en gros. Il s’est fait pas mal d’argent durant toutes ces années qu’il a passé avec Rage, il avait un bon revenu pendant quinze ans et il avait une tribune pour être reconnu des gens dans le monde entier. Ce n’est simplement pas juste de m’accuser d’avoir bousillé quelque chose. C’est lui qui avait rejoint mon groupe, comme je l’ai dit avant, et pas l’inverse.
Il disait aussi qu’il « y avait trop de réflexions commerciales », que tu voulais jouer de vieux trucs parce que c’était plus simple et que ça vendait mieux…
Des réflexions commerciales ? Je ne pense jamais en terme commercial. Je veux être heureux avec ce que je fais. Il n’y a de pensée commerciale dans aucune de ces [chansons]. Je ne sais pas. J’ai toujours la passion de ce type de musique et je ne l’ai jamais perdue. C’est mieux pour moi de ne plus avoir à travailler avec ce gars parce qu’il n’était pas mon ami et il n’était simplement pas intéressé par les choses que j’aime. Il voulait faire ses trucs. Il travaillait toujours pour lui-même et pas de problème, il peut le faire. Je ne veux plus parler de ce type, il n’a aucune importance. Il y avait déjà un Rage avant lui et il y aura un Rage après lui. Il n’était qu’une petite partie de toute l’histoire du groupe. Il n’a pas tant d’importance.
Il t’a aussi accusé de ne pas t’entraîner à la basse. Du coup, je suis obligé de te demander : quelle est ta relation à ton instrument aujourd’hui ?
Lorsqu’il dit des choses comme ça, je ne peux que lui répondre : « Va te faire foutre ! » Qu’est-ce qu’il en sait si je m’entraîne ou pas ? Il n’en a aucune idée ! Il n’a rien à voir avec ma vie et il n’a pas la moindre idée de ce que je fais à la maison. Bien sûr que je m’entraîne sur mon instrument ! C’est des conneries ! Et je ne me vois pas uniquement comme un bassiste, je suis aussi guitariste. Et bien sûr, je n’ai pas perdu la passion de la musique, de faire de la musique, de jouer de mon instrument, de composer. C’est quelque chose de très important pour moi, le fait de composer des chansons. Je ne peux m’imaginer vivre sans écrire de la musique, sans composer, sans jouer de mon instrument parce que ceci a toujours été et sera toujours une part importante de mon expression dans la vie. C’est donc vraiment gênant d’entendre de la merde pareille, surtout venant de sa bouche. Il ferait mieux de balayer devant sa porte avant, et ne pas débiter des conneries sur des gens qu’il n’a jamais compris et ne comprendra jamais. Bon sang, quelles conneries ! [Rires]
Est-ce que les chansons « My Way » et « Back On Track » pourraient être des déclarations sur ta nouvelle situation, le fait d’être de retour sur le droit chemin, à faire les choses à ta façon dans Rage ?
Ouais, en gros ces paroles expliquent ceci. Ça parle d’un nouveau commencement. C’est clair que c’était probablement inspiré par ma nouvelle situation ici, car je suis vraiment heureux maintenant. Les gens avec qui je travaille désormais sont mes amis depuis longtemps. Par exemple, notre batteur Lucky, je le connais depuis 1988. Aussi Marcos, c’est mon ami depuis plus de huit ans. C’est simplement une situation meilleure et plus saine pour moi. Je m’amuse, je suis inspiré, j’ai retrouvé la passion de la musique, du metal et pour ma propre vie. Je suis donc vraiment content de ma décision.
« Ce mec [Victor Smolski] se croit le centre de l’univers. Il ne peut imaginer qu’il puisse être un gros emmerdeur pour d’autres gens [petits rires]. »
Lucky était en fait l’ancien technicien batterie de Chris Efthimiadis qui a joué dans Rage entre 1988 et 1999 et qui joue actuellement avec toi dans ton autre groupe Refuge, et Marcos était en fait dans un groupe qui s’appelle Soundchaser qui a ouvert pour Rage sur la tournée des trente ans. Etait-ce un critère important pour toi, le fait soit qu’ils aient été fans, soit qu’ils faisaient déjà partie de la famille Rage ?
Ça aide beaucoup que les deux soient des fans de Rage, qu’ils aiment vraiment et respectent la musique et mon héritage. Ca fait qu’il est bien plus facile pour eux d’être dans ce groupe. Pour moi, une chose qui était très importante lorsque je recherchais de nouveaux musiciens, c’était d’être entouré de gens avec qui j’avais une relation personnelle. Comme je l’ai dit au début, ils étaient déjà mes amis depuis bien avant et c’est pourquoi j’ai eu l’idée de travailler avec eux. C’est quelque chose de complètement différent par rapport aux gens avec qui je travaillais avant. Ce n’est pas juste une collaboration de business. Nous sommes quoi qu’il arrive amis et maintenant, nous travaillons aussi ensemble, ce qui, évidemment, est une toute autre approche par rapport à ce que nous faisons. En plus, Marcos et Lucky étaient fans de Rage, de la musique de Rage depuis leur adolescence. Ils savent tout de Rage. Ils connaissent chaque chanson. Ils aiment vraiment les chansons que j’ai écrites précédemment au cours de toute ma vie. C’est bien plus facile pour un mec comme Marcos… Par exemple, j’ai composé tout l’album avec Marcos. Nous avons fait ensemble le travail créatif pour cet album. Et, évidemment pour un mec comme lui, c’est bien plus simple d’adapter son style, d’écrire dans le style du groupe. Il n’y a pas non plus pour lui de raison de changer quoi que ce soit dans le style d’origine de ce groupe parce qu’il chante et compose déjà dans cette veine. C’est probablement pourquoi les nouvelles chansons sonnent plus familier, comme par exemple les trucs de Black In Mind et ce que j’ai écrit à cette époque. Car c’est comme ça qu’il ressent les choses.
Seulement cinq mois se sont écoulés entre l’annonce du départ de Victor et d’André de Rage et l’annonce du nouveau line-up, et vous voilà seulement un an plus tard avec un nouvel album. Voulais-tu ne pas perdre de temps ?
Oh, nous avons pris beaucoup de temps ! En fait, il était clair dès que j’ai quitté Victor et André que je voulais travailler avec Marcos et Lucky. C’est juste que nous avons l’annoncé un peu plus tard parce que, tout d’abord, nous voulions tout clarifier et pendant une année, je voulais mettre Rage un peu en veilleuse pour avoir plus de temps pour jouer avec Manni [Schmidt] et Chris [Efthimiadis] en tant que Refuge. Je voulais juste profiter de cette année sans avoir la pression de sortir d’autres trucs avec Rage. C’est donc pourquoi j’ai attendu un moment avant d’annoncer le nouveau line-up. La matière pour l’album était grosso-modo écrite arrivé au mois d’avril ou mai de l’année dernière. Nous avons commencé à enregistrer les trucs en septembre l’année dernière. Ça aurait pu déjà être sorti, tu sais, mais le fait de sortir ça le dix juin, c’était une décision de Nuclear Blast. Mais tout ça me va bien parce que du coup, ce n’est pas trop stressant pour moi [petits rires].
Tu as dit que tu avais composé l’album avec Marcos. C’était une collaboration à cinquante-cinquante ?
La plupart des squelettes des morceaux sont venus de moi d’abord. Ensuite nous avons commencé à jouer avec nos idées à tous les deux et il faisait des suggestions qui collaient parfaitement aux trucs que j’avais. Et au bout d’un moment, nous modelions les choses et au final, ça sonnait tellement Rage que je me suis dit que nous allions officiellement créditer ça comme, par exemple, Lennon/McCartney l’ont fait avec les Beatles ; toutes les chansons qui étaient composées étaient créditées Lennon/McCartney, peu importe qui a effectivement écrit quoi. C’était ça l’idée. A partir de maintenant, tous les trucs sur lesquels je vais travailler avec Marcus seront toujours crédités Wagner/Rodriguez, comme une marque de fabrique. Donc si je devais y réfléchir, essayer de me souvenir exactement quelle idée vient de qui, je ne pourrais pas te le dire là tout de suite. C’était vraiment un bon travail d’équipe, un bon binôme et c’était très amusant et beaucoup de plaisir d’écrire ces chansons.
Charlie Bauerfeind a produit beaucoup d’albums de Rage, dont les trois derniers. Comment se fait-il que tu ne sois pas retourné le voir cette fois ?
J’ai demandé à Charlie au début mais il n’avait pas le temps, il était occupé avec Blind Guardian et ne pouvait pas trouver une fenêtre de temps pour travailler avec nous. Je me suis dit : « Ok, je trouverais quelqu’un d’autre. » Et je me suis souvenu de mon vieux pote Dan Swanö – je le connais depuis environ vingt ans – et je lui ai demandé s’il voulait travailler avec nous, en tant qu’ingénieur et pour mixer les trucs. Et il a beaucoup aimé l’idée et je trouve qu’il a fait un boulot remarquable ! Dan travaille un peu différemment par rapport à Charlie Bauerfeind. Charlie édite toutes les pistes de batterie, par exemple, et met des samples sur la batterie et donc c’est un peu une manière moderne de produire. Dan a fait une production très naturelle. Tout sonne vraiment frais et naturel et, à la fois, très puissant. J’aime beaucoup son mix.
« Les gens avec qui je travaille désormais sont mes amis depuis longtemps. […] Je m’amuse, je suis inspiré, j’ai retrouvé la passion de la musique, du metal et pour ma propre vie. »
Dans le nouvel album, il y a plusieurs chansons qui font référence à l’obscurité (“Spirits Of The Night”, “Times Of Darkness”, “The Dark Side Of The Sun”, “Deaf Dumb Blind”). D’où te vient ce goût pour l’obscurité ?
Je suis comme ça ! D’ailleurs, là tout de suite je suis assis dans le noir ! [Rires] (NDLR : Il avait une caméra et nous confirmons, il était bien dans le noir total parce que son écran d’ordinateur s’était mis en veille). J’ai probablement un caractère sombre. Ce sont juste des trucs à propos desquels j’aime écrire. Lorsque tu passes en revue tous les trucs que j’ai écrits au cours de ces trente années, il y a plein de chansons dans cette veine. J’ai toujours abordé ces thématiques un peu sombres. C’est juste le genre de merde que j’ai dans la tête [petits rires]. Même lorsque je suis très heureux et que je passe un moment agréable, j’écris surtout à propos de ce genre de choses. Je n’ai jamais écrit à propos de choses joyeuses. Je ne sais pas. C’est ma façon de m’exprimer, je suppose. La plupart des trucs que j’écrits, je les écrits avec mes tripes. Il y a une chanson, « Times Of Darkness », qui est lié à l’histoire, ça parle de la Guerre de Trente Ans, mais la plupart des autres choses, ce sont plus des sentiments que j’ai sur le moment, des visions que j’ai ou une inspiration venant de personnes dans ma vie.
L’album s’appelle The Devil Strikes Again et le diable est un personnage récurrent dans ta musque. Qu’est-ce qu’il représente pour toi ?
Le diable est une image pour l’aspect sombre de ton propre esprit, ton propre côté sombre. C’est le côté sombre et incontrôlable de ton esprit [petits rires].
L’édition limitée de l’album contient un disque bonus comprenant des reprises de Rush, Skid Row et Y&T. Pourquoi avoir fait le choix de ces chansons ?
Chacun de nous a choisi l’une de ses chansons préférées qu’il aimerait reprendre. J’ai choisi la chanson de Rush « Bravado ». Elle a une signification très personnelle, c’est une chanson très spéciale pour moi. Lucky a choisi la chanson de Skid Row et Marcos celle de Y&T. Il n’y a pas de sens plus profond, c’est juste que chacun de nous aimions ces chansons en particulier. Nous avons une longue liste de chansons et nous avons fini par enregistrer celles-là. Nous les avons utilisées comme morceaux bonus mais au début, nous ne savions pas du tout si nous allions les utiliser. Nous n’avions pas prévu grand-chose pour ces trucs. La maison de disques a réclamé des chansons bonus, donc nous nous sommes souvenus que nous avions enregistré des versions de ces chansons.
Tu as dit que la chanson de Rush avait une signification personnelle pour toi. Peux-tu nous en dire plus ?
Eh bien, c’est très privé ! [Petits rires] Ca a à voir avec mon premier mariage. C’est juste que lorsque cet album de Rush est sorti (Roll The Bones, 1991, NDLR), il m’a beaucoup impressionné à l’époque, à ce moment de ma vie. En fait, il y a des chansons qui représentent la bande son de ma vie. Je ne sais pas si tu ressens la même chose mais pour ma part, j’ai toujours des chansons en particulier qui sont liées à des moments particuliers de ma vie. Dès que je les entends, le sentiment de cette époque me revient. Voilà comment cette chanson est devenue importante pour moi. Je pense que c’est normal, tout le monde à sa propre bande-son pour sa vie.
Et quelles ont été les chansons les plus importantes de Rage dans ta vie ?
Celle-là est difficile à répondre…
Tu as tant de chansons et d’albums…
Ouais. Rage est le groupe de metal qui a sorti la plus grande quantité d’albums de tous ! [Petits rires] Ca fait déjà vingt-trois albums ; c’est monumental ! Donc je ne peux pas vraiment mentionner seulement une chanson qui serait la plus importante pour moi. En gros, elles sont toutes mes bébés.
Mais je suppose que les chansons des années 90 provoquent plus de passion chez toi…
Non. Les trucs que je compose aujourd’hui et que j’ai fait durant les quinze dernières années sont également importants pour moi. Ce n’est pas comme si je n’avais pas travaillé ou composé durant les quinze dernières années. Tous les trucs que j’ai écrits dans ma vie ont une signification pour moi, bien sûr, parce que ce sont tous des images de moi. Donc c’est difficile de mentionner une chanson en particulier qui aurait un sens et une importance plus profonds pour moi que les autres.
« Si je fais un autre album orchestré, ce sera plus dans [la] direction [de l’album XIII]. Je n’ai pas besoin de chanteuses dans le groupe ou des trucs comme ça [petits rires]. »
En décembre de l’année dernière, vous avez célébré les vingt ans de l’album Black In Mind. Qu’est-ce qu’il représente pour toi ?
C’est l’un des plus grands classiques de Rage de tous les temps. Celui-ci et l’album XIII étaient les albums les plus vendus de Rage. Et plein de gens me demandaient de rejouer ces chansons sur scène, ce qui n’a presque jamais été fait. Il n’y avait que deux chansons au cours de ces quinze ou seize dernières années qui se retrouvaient parfois sur les setlists. Donc l’idée était d’amener tout l’album sur scène et c’est ce que nous avons fait sur quelques dates, et c’était très apprécié des fans.
Cette année marque les vingt ans de l’album Lingua Mortis, qui était la première collaboration avec un orchestre. Allez-vous également célébrer ceci ?
Ça n’aurait pas de sens parce que nous sortons tout juste un véritable album de heavy metal. Ça ferait donc trop d’arriver avec les deux choses. Je veux dire que ce truc qui consiste en une rencontre ente le metal et le classique ou un orchestre, qu’en fait nous étions les premiers, en tant que groupe de metal, à faire dans les années 90, ça n’était jamais prévu pour être un groupe en soit, à mon avis. C’était toujours comme un truc spécial en plus du reste, la cerise sur le gâteau. Donc faire revenir ça aujourd’hui, ce serait un peu trop tôt. Ça n’aurait pas de sens de faire les deux en même temps. Mais bien sûr, ce n’est pas totalement oublié, c’est juste en suspend pour l’instant. Donc peut-être que nous ferons quelque chose avec des orchestrations à nouveau à l’avenir mais pas tout de suite, pas cette année.
Que penses-tu avec le recul du projet LMO que vous avez fait ? Car, musicalement, c’était un peu le bébé de Victor, d’une certaine façon…
Non, ça ne l’était pas [petits rires]. C’était prévu pour que ce soit une collaboration à cinquante-cinquante qu’au final il a refusé de faire. Je n’ai pas exactement aimé le résultat, tu sais, car il a essayé de complètement m’écarter de l’équation. Au final, ça a, pour certaines parties, évolué dans des directions musicales qui ne correspondaient plus exactement à ce que j’aimais. Je pense qu’il voulait simplement me voler le nom [petits rires]. Je ne sais pas. C’était correct mais je le vois un peu différemment. La façon dont j’aime cette rencontre entre metal et classique… Je l’ai fait sur l’album XIII, par exemple, et c’est ainsi que je pense ça devrait sonner et c’est ainsi que ce sera à l’avenir. Si je fais un autre album orchestré, ce sera plus dans cette direction. Je n’ai pas besoin de chanteuses dans le groupe ou des trucs comme ça [petits rires].
Tu as déclaré que Refuge coexisterait avec Rage. Refuge étant le même line-up que le Rage de 1988 à 1993, qu’est-ce qui t’as motivé à reformer ce line-up ?
C’était complètement une coïncidence. Je n’ai eu aucun contact avec le batteur Chris [Efthimiadis] pendant environ quinze ans, et lorsque j’ai eu cinquante ans, j’ai voulu me débarrasser de tous les cadavres dans mon sous-sol [rires], j’ai voulu me débarrasser de toute la haine et les mauvaises choses du passé. J’ai entendu dire qu’il voulait reprendre contact avec moi. Nous étions les meilleurs amis depuis l’école primaire, tu sais. Il était une des personnes les plus importantes dans ma vie lorsque j’étais plus jeune et je l’ai complètement perdu. Et j’ai simplement décidé de revenir vers lui et d’enterrer la hache de guerre. C’était le début de l’idée de rejouer certaines des vieilles chansons, juste pour s’amuser. Ça n’a jamais été le but d’en faire un groupe, encore moins un groupe professionnellement actif. Mais ensuite, l’info comme quoi nous avions joué ensemble lors d’un concert pour le fun vers chez nous s’est répandu sur internet. Alors nous avons reçu plein de demandes de partout dans le monde pour jouer d’autres concerts avec ce line-up original. C’est pourquoi nous avons décidé d’accepter quelques offres. Et bien sûr, il était clair depuis le début que ça ne redeviendrait jamais Rage avec ce line-up, car les deux gars ont des familles, ils ont leurs propres travails qu’ils ne veulent pas lâcher. Nous avons donc décidé de donner à ce groupe un nouveau nom parce qu’il ne peut y avoir deux line-up de Rage différents en même temps [petits rires]. Je joue encore avec eux. Tu sais, ce sont mes amis et c’est juste un truc amusant. Nous n’avons aucune intention d’en fait un groupe professionnel, comme je l’ai dit.
Mais peut-on quand même s’attendre à un album ?
Peut-être. En fait, nous n’avons rien prévu jusqu’à présent. Comme je l’ai dit, ce n’est qu’un truc pour s’amuser. Mais peut-être qu’un jour nous aurons envie d’enregistrer de nouvelles choses mais pour le moment rien n’est prévu. Nous avons déjà écrit quelques nouvelles idées mais, comme je l’ai dit, nous ne stressons pas. Ce n’est pas un groupe professionnel et nous n’avons pas l’intention d’en faire quelque chose de professionnel. Voilà notre sentiment.
Interview réalisée par téléphone le 29 avril 2016 par Nicolas Grirourt.
Retranscription et traduction : Nicolas Grirourt.
Photos : Tim Tronckoe.
Site Officiel de Rage : www.rage-official.com