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Interview   

Redemption : avis de tempête


Redemption a beau œuvrer dans le metal profressif, il n’est pas du genre à opérer des changements radicaux. Le groupe mené par le guitariste Nick Van Dyk est plutôt du genre à évoluer en douceur au fil des albums. Comme le reconnaît son leader, les changements de line-up aident à apporter des sonorités et approches nouvelles. Ça a été le cas lors de l’intégration du frontman d’Everygrey, Tom Englund en 2017. C’est une nouvelle fois le cas avec l’arrivée du claviériste Vikram Shankar en 2018, qui signe aujourd’hui avec I Am The Storm son premier véritable album en tant que membre à part entière… et surtout compositeur du groupe. Là où tous les précédents albums étaient très largement le fruit de Nick Van Dyk, I Am The Storm profite d’une dynamique créative renouvelée, le claviériste apportant son expertise en matière d’écriture et d’arrangement, et une dimension cinématographique aiguisée.

Nick, qui se voit comme un « ancien » dont les « références datent d’il y a cinq mille ans » et trouve son contrepoint en Vikram et ses influences plus modernes, nous explique tout ceci dans l’entretien qui suit. Nous discutons également des reprises de « Turn It On Again » de Genesis et de « Red Rain » de Peter Gabriel, deux tubes pop qui brillent par leur sophistication, et de certaines thématiques, dont le « poison » qui gagne du terrain dans nos interactions, avec cette incapacité à voir l’humanité chez ceux qui ne sont pas d’accord avec soi.

« On peut améliorer l’alchimie, mais on ne peut pas la fabriquer quand il n’existe rien au départ. Nous étions immédiatement soudés et ensuite, en jouant plus longtemps ensemble, ce qui était initialement une bonne alchimie se développe en quelque chose d’encore meilleur. »

Radio Metal : Ça fait un petit moment que Long Night’s Journey Into Day est sorti, en 2018, près de cinq ans en fait. Est-ce entièrement dû à la période de troubles qu’on a tous vécue ces dernières années ou était-ce simplement un album qui a pris plus de temps à se faire ?

Nick Van Dyk (guitare) : Nous avons pris notre temps avec une assez grosse tournée qui est venue après Long Night et nous avons changé de label. Ensuite, nous avons commencé à enregistrer au début de la pandémie et, bien sûr, nous ne savions pas combien de temps ça allait durer. Nous avions beaucoup de matière. Nous avons d’ailleurs pensé pendant un moment que nous pourrions écrire deux albums et sortir un double album. Quand nous en étions à un album et demi, nous avons pensé : « Vous savez quoi ? Ça prend beaucoup de temps. Pourquoi ne pas sortir ce qu’on a, sans avoir à rester assis sur ces musiques pendant encore dix-huit mois ? » Nous nous sommes alors tournés vers le producteur avec lequel nous avions prévu de travailler. C’est un gars formidable mais il était surbooké et s’est retrouvé scotché à son bureau pendant des mois et des mois. Finalement, j’ai dit : « Je t’adore mec, mais il faut qu’on avance. » Nous avons donc donné l’album à Simone [Mularoni] pour qu’il le mixe et il a fait du super boulot. Ça a pris environ deux semaines avant que nous y mettions un terme. Franchement, l’album aurait dû sortir six ou huit mois plus tôt, mais nous voilà et nous sommes contents de ce que nous avons. Mieux vaut tard que jamais !

Ceci est le premier album avec Virkam Shankar qui t’a été présenté par Tom. Il a rejoint le groupe quand Long Night’s Journey Into Day était terminé. La dernière fois que nous nous sommes parlé, tu avais dit être excité de le voir s’impliquer dans la composition pour l’album suivant. Au final, quelle différence est-ce que ça a fait qu’il soit impliqué dans l’écriture ?

Bonne question et je suis content d’avoir dit ça parce qu’il s’avère que j’avais raison. Il a apporté beaucoup d’idées. Les gens ont pas mal parlé de la chanson intitulée « The Emotional Depiction Of Light », or celle-ci a commencé avec une idée de base à lui pour la chanson entière. Il y avait deux ou trois autres chansons, comme « Action At A Distance » où j’avais un début et une fin, et je savais qu’il fallait une section au milieu. En gros, j’ai dit : « A toi de voir » et il a fait une partie orchestrale vraiment cool au milieu. En général, il a été capable t’apporter à toutes les chansons plus de couleurs que nous en avions avant, car nous avons tous des oreilles différentes. Il peut m’arriver d’entendre quelque chose et je sais qu’il nous faut des violons dans telle section, mais l’orchestration et l’arrangement, c’est son gagne-pain, si tu veux – il a plein de gagne-pains, mais sur le plan de la composition, il est très chevronné. Ce qu’il apporte est super intéressant et je pense que ça contribue vraiment à l’expansion de notre son.

Tu as été plus ou moins le seul compositeur sur tous les albums précédents de Redemption, et l’une des raisons de l’ajout de Vikram au line-up était que tu comprenais l’intérêt d’avoir un partenaire de composition. Trouves-tu que c’est quelque chose qui t’avait manqué par le passé ?

Ce n’est pas tellement ça. Je crois vraiment que c’est bien de remuer les choses et nous avons essayé d’introduire un peu de nouveauté dans chaque album successif. Ce n’est pas tellement que nous avions fondamentalement besoin changer ou que je pensais être à court d’idées, mais quand tu as quelqu’un d’aussi talentueux, en tant que musicien et compositeur, que Vikram, tu ne peux t’empêcher d’élever tes propres aptitudes lorsque tu l’intègres au groupe.

Ça n’est pas dur d’accepter la contribution à l’écriture d’une autre personne quand on a été pendant longtemps le seul compositeur ?

C’est drôle. On pourrait croire que c’est une possibilité. Peut-être que j’ai de la chance, car d’une part, ce que Vikram apporte est bon, et d’autre part, nous entendons les choses de la même manière. Il n’est pas arrivé qu’il m’envoie quelque chose que je trouvais ne pas fonctionner. J’écris encore toutes les mélodies, donc quand j’ai fait celles de « The Emotional Depiction Of Light » et que je les lui ai renvoyées, il était là : « C’est exactement le type de chose que j’espérais qu’on ferait. » Donc je suppose que nous sommes tout simplement sur la même longueur d’onde et, dans tous les cas, jusqu’ici, ça a très bien marché.

Était-ce un tandem de composition ou bien avez-vous composé chacun de votre côté ?

Il m’a envoyé un paquet de trucs que j’ai incorporé. L’un de nos titres bonus est entièrement à lui, et j’ai bien sûr rajouté des parties de guitare dessus. Je dirais qu’il y a trois cas de figure. L’un serait des idées quasi entièrement formées qu’il me donne et sur lesquelles j’écris une ligne mélodique et des paroles, et ensuite j’ajoute un peu de guitare. Un autre serait que je lui demande de m’aider spécifiquement sur un morceau. Le troisième serait quand je lui donne une chanson, il rajoute du clavier, et en faisant ça, ça peut susciter une inspiration de mon côté pour l’arranger un peu différemment. Mais ce n’est pas comme si nous nous posions tous les deux ensemble dans une pièce pour faire des ateliers de travail – c’était aussi probablement parce que le Covid-19 empêchait ça. C’était très isolé, mais ensuite, nous réunissions le tout. Je ne sais pas si c’est quelque chose que nous changerons, car ça semble bien marcher comme ça. Mais qui sait ? Comme j’ai dit, nous aimons toujours essayer d’apporter un petit peu de changement de façon à continuer de nous développer. Faire venir Tom aux Etats-Unis avec nous au lieu qu’il fasse son chant en Suède est un autre truc que nous pourrions avoir envie d’essayer.

« J’ai toujours dit qu’il y avait le Progressif avec un grand ‘P’, c’est-à-dire le genre musical, et il y a le ‘progressif’ avec un petit ‘p’, qui indique une musique qui change, peut-être juste pour changer. Tant qu’on fait de la musique qui est vitale et bonne, le changement est secondaire. »

La dernière fois que nous nous sommes parlé, tu as dit qu’il était évident que vous pensiez les compositions de la même façon, mais y a-t-il aussi de vraies différences ?

Vikram est probablement vingt ans plus jeune que moi, donc les groupes qui m’ont influencé quand j’étais gamin sont du classic rock pour lui et les groupes qu’il écoute, c’est Periphery, Vola ou Haken, c’est-à-dire la nouvelle génération du prog. Pour moi, Haken est un groupe qui est apparu à peu près en même temps que Redemption et qui a pris un chemin légèrement différent, mais qui, en bonne partie, a été influencé par les mêmes choses que moi. Mais Vikram voit ça tout à fait autrement et entend d’autres choses dans la musique, donc je pense que nos influences sont un petit peu différentes. Il y a aussi que j’ai grandi pile au moment où la scène thrash de la Bay Area a atteint sa maturité. Je me souviens d’avoir vu Megadeth et même Metallica dans des salles avec deux cents personnes. Donc quand vous entendez un riff comme celui du morceau éponyme sur le nouvel album, d’accord, c’est joué à la sept-cordes et ça sonne un peu comme Nevermore, parce que qui fait – ou faisait – ce style de musique ? Mais c’est mon influence thrash qui s’exprime là-dedans. Tom a probablement ça aussi, dans une certaine mesure, mais Vikram vient d’une époque différente. Ceci étant dit, j’ai aussi grandi en écoutant de la musique classique et Vikram a été formé au classique et est allé au conservatoire, donc je pense qu’il y a aussi un terreau commun. Chacun apporte un regard qui lui est propre.

D’après toi, est-ce que les deux versions de « The Emotional Depiction Of Light » montrent ces différences ?

C’est possible. La chanson me rappelle le Anathema récent, un groupe que j’adore. Ce qui explique pourquoi, quand je l’ai entendu, j’ai trouvé ça génial, j’ai adoré. Si tu écoutes la version remixée de Vikram, comparée à l’original, elle a un petit peu plus de clavier et pas autant de choses qui se passent vocalement. Ça a tendance à être un peu le bazar dans mes compositions, ce qui peut être bien ou alors trop chargé, suivant comment on voit les choses. Ça montre qu’il y a des différences, mais aussi qu’elles ne sont pas énormes.

Tom a travaillé avec Virkam sur le projet Silent Skies : penses-tu qu’une alchimie artistique particulière s’est vite mise en place grâce à ça ?

Oui. Enfin, ils étaient évidemment plus impliqués dans la composition que Vikram l’était la dernière fois, mais la première chose sur laquelle Tom et Vikram ont travaillé ensemble était le précédent album de Redemption. Le fait est que Tom est un chouette type et que Vikram est fantastique. Nous nous entendons tous très bien sur le plan personnel, et je pense que quand c’est le cas, c’est là qu’une connexion se fait entre nous en tant que musiciens. Silent Skies en particulier est une facette très différente de Tom, par rapport à ce que les fans d’Evergrey ou de Redemption ont l’habitude d’entendre. Vikram est très polyvalent, et il a clairement ça dans son background en tant que compositeur, c’est un projet assez unique, mais je pense que tout ce que nous faisons ensemble entretient cette alchimie. On peut améliorer l’alchimie, mais on ne peut pas la fabriquer quand il n’existe rien au départ. Nous étions immédiatement soudés et ensuite, en jouant plus longtemps ensemble – c’est aussi le cas de Sean [Andrews], Chris [Quirarte] et moi –, ce qui était initialement une bonne alchimie se développe en quelque chose d’encore meilleur.

Ceci est le second album de Tom avec Redemption. As-tu remarqué une évolution de son côté ? N’est-il pas un peu plus à l’aise avec ce qu’est Redemption ?

Ce n’est même pas tant qu’il est plus à l’aise, c’est plus qu’il est plus habitué à ma façon de composer. J’ai passé de nombreuses années à écrire avec la voix de Ray [Alder] en tête et il y a des similarités avec Tom, mais il y a aussi des différences. Donc à mesure que j’apprends… même pas tellement ce avec quoi il est à l’aise, parce qu’il est capable d’énormément de choses et nous voulons tous les deux le sortir de sa zone de confort car c’est ainsi qu’il grandit en tant que musicien. Ma façon d’écrire mes mélodies est différente de sa façon d’écrire les siennes dans Evergrey, et c’est important à la fois pour notre identité et pour son développement en tant que musicien. Je pense que ça le poussera toujours un petit peu dans des directions qui sont nouvelles pour lui, et c’est justement ce qu’il aime dans ce groupe, en plus de la musique en soi. Mais je pense qu’il y a effectivement un bien plus grand degré de confort et que si nous en venions à faire un autre album en enregistrant au même endroit, ça sonnerait encore plus à l’aise, et il se pourrait que je parvienne à lui faire faire des choses un peu différentes de ce qu’il ferait en étant isolé. Ce pourrait être amusant aussi.

C’est aussi un très bon compositeur – il a d’ailleurs sorti deux albums d’Evergrey en l’espace de peu de temps dernièrement. A-t-il contribué en quoi que ce soit cette fois pour Redemption ?

Il contribue aux arrangements vocaux, donc il change un peu une ligne mélodique ici ou là, ou il décide de descendre quelque chose d’une octave, il double quelque chose ou il ajoute une harmonie. Et clairement, certains des effets sur le traitement de la voix sont ses idées. Nous voulons tous les deux qu’il évite d’écrire les mélodies, parce qu’il est inévitable que nous sonnions un peu comme Evergrey car Tom est un chanteur emblématique, et il sonne comme Tom, de la même façon que Redemption avec Ray sonnait un peu comme Fates Warning. Donc si nous voulons garder notre identité, de fait, ça veut dire qu’il ne jouera pas de guitare et, même s’il aura une part de contribution, ça restera fondamentalement mes lignes vocales, car c’est ainsi que ça sonne comme Redemption.

« Je trouve que la qualité de la composition est diluée aujourd’hui et on a des gens qui ont un talent phénoménal, comme Lady Gaga, mais à partir du moment où c’est traité et transformé en morceaux pour boîtes de nuit, leur musique perd toute son âme. »

Bernie Versailles n’a pas participé aux deux précédents albums parce qu’il se remettait de son anévrisme. Cette fois, vous avez de nouveau des invités qui jouent les solos : Simone Mularoni, Chris Poland et Henrik Danhage. Quel est l’état actuel de Bernie et, par conséquent, quelle est sa place dans Redemption ?

Jusqu’à présent je me disais que ce n’était pas à moi d’en parler, parce que c’est sa vie, mais la réalité est qu’il ne va probablement plus être un musicien professionnel. L’anévrisme qu’il a subi a été assez dévastateur et pendant un moment nous ne pensions pas qu’il allait s’en sortir. Donc le fait qu’il puisse au moins vivre et profiter de la vie dans une certaine mesure est une bénédiction. Je pense qu’il n’a plus la capacité de jouer à un niveau qui le satisferait. C’était une prise de conscience très difficile dont j’ai parlé avec mes amis d’Agent Steel, qui est l’autre groupe dans lequel Bernie était très impliqué, et c’était une terrible tragédie. Bernie est une personne adorable et était une part très importante de la construction de ce groupe et je l’aime à mort. S’il en venait à miraculeusement guérir demain, nous trouverons une manière de travailler avec lui à nouveau, mais je n’ai pas beaucoup d’espoir pour ça, malheureusement.

Même si vous avez maintenant Vikram en second compositeur, Redemption conserve clairement son son et son identité. Vous n’avez d’ailleurs jamais été un groupe qui évoluait de façon radicale. A ce propos, tu as déclaré que vous n’étiez pas « des musiciens qui éprouvent le besoin de constamment se réinventer ». Mais le fait de se réinventer, n’est-ce pas justement la définition du progressif ?

J’ai toujours dit qu’il y avait le Progressif avec un grand « P », c’est-à-dire le genre musical, et il y a le « progressif » avec un petit « p », qui indique une musique qui change, peut-être juste pour changer. Je n’ai pas envie de stagner, mais – encore une fois, ça montre mon âge – si tu écoutes Heaven And Hell et Mob Rules ou The Number Of The Beat et Piece Of Mind, ces albums ne sonnent pas très différents l’un de l’autre, mais ils sont fantastiques d’un bout à l’autre. On peut dire la même chose de Blizzard Of Ozz et Diary Of A Madman. Je suis sûr qu’on pourrait mentionner des groupes bien plus récents, si tu regardais dans ton mur de disques derrière toi. Donc, selon moi, tant qu’on fait de la musique qui est vitale et bonne, le changement est secondaire. Ceci dit, je pense vraiment qu’on n’a pas envie de faire la même chanson cinq fois d’affilée. On veut qu’il y ait une petite évolution pour s’assurer qu’on repousse les limites de sa propre créativité et sort de sa zone de confort. Je l’ai déjà dit plusieurs fois, mais c’est important et utile de grandir en tant que musicien. C’est ce que nous essayons de faire.

Généralement, c’est ce que nous ont apporté les changements de musiciens, qui ne sont pas toujours dépendants de notre volonté. Même en remontant jusqu’au premier album, après lequel nous avons changé de chanteur et de batteur. Nous avons changé de bassiste après The Fullness Of Time. Nous avons changé de claviériste après The Origins Of Ruin. Nous en avons encore changé après This Mortal Coil. Puis nous avons changé de chanteur et nous avons intégré un nouveau guitariste live quand nous avons perdu Bernie [Versailles], et nous avons commencé à travailler avec des gens comme Chris Poland. Il y a donc toujours du sang neuf qui arrive dans ce petit projet pour changer les choses. Quand j’écoute une chanson comme « Slouching Towards Bethlehem » sur The Art Of Loss, je me dis que Simone joue ce qui est probablement, selon moi, l’un des meilleurs solos de guitare que pas assez gens ont entendu : ce solo est époustouflant, et je n’aurais jamais pu faire ça. Franchement, je pense que peu de gens auraient pu le faire. Il y a peut-être cinq guitaristes dans le monde qui auraient pu jouer ce qu’il a joué là-dedans. Ça fait que nous sonnons différents. Chris Poland ne joue comme personne d’autre. Avec ces trucs modaux de dingue à la Alan Holdsworth, le fait qu’il contribue avec des solos, ça nous permet de sonner différents et ça nous aide à grandir. Je pense aussi que nous évoluons dans le sens où nous ne faisons pas deux fois le même album, c’est ce que nous voulons éviter.

Toujours à ce sujet, tu as dit que tu as « toujours aimé les groupes dont les albums qui se mariaient bien stylistiquement » et que « l’évolution de [votre] son se fait par petites étapes qui sont faciles à appréhender pour [vos] fans ». Considères-tu qu’il soit important de traiter les fans avec soin, pour ainsi dire ?

Tout d’abord, il faut faire de la musique pour soi, car si tu n’aimes pas et si ce n’est pas authentique, tu ne le feras pas très bien. On est en 2023 maintenant, on n’est plus en 1985 où on sortait un album et c’est tout. Nous vivons dans un monde connecté. Nous avons une communauté de fans passionnée. Ce n’est peut-être pas la plus grande communauté de fans au monde, mais ils sont très passionnés. Ils sont actifs sur internet, nous savons ce qu’ils aiment. Nous sommes sensibles à ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas. J’ai un standard de qualité en tête. Si j’écoute une chanson et que je pense que ça ne va pas plaire à nos critiques les plus durs, il faut que nous soyons vraiment sûrs d’aimer ce que nous faisons. Et il y a des chansons, comme « Remember The Dawn », que je sais être bonnes. J’aime ce style de musique ; je pense que ce serait très dur de faire ce style de musique et ne pas aimer cette chanson. Il y a d’autres chansons qui sont des risques. « The Emotional Depiction Of Light » en était une. C’était un écart plus important pour nous. Nous prenons ce genre de risque de temps en temps. « Black And White World » était un risque il y a quelques années, et d’après les retours que nous avons eus, ça a payé. Je pense que les gens aiment beaucoup cette chanson, même si, quand on écoute la première minute, on ne se dit pas que ce sera un morceau de prog metal à la Dream Theater.

« Si tu prends un groupe comme Queen, quand on y pense, c’est un peu étrange qu’il ait été aussi populaire. Fut un temps où on pouvait écrire ce genre de musique et être très populaire. Je crois vraiment que la pop a baissé en qualité aujourd’hui, à quelques exceptions près. »

As-tu eu toi-même des expériences, en tant que fan, où tu étais trop déconcerté par l’album d’un groupe que tu adorais ?

Je suis désolé de jeter ces gars aux fauves, parce qu’ils sont probablement encore là quelque part, mais as-tu déjà écouté le second album de Crimson Glory, Strange And Beautiful ? Il est clairement étrange, mais il ne sonne pas du tout comme Transcendence, n’est-ce pas ? C’était un peu un choc. J’ai beaucoup apprécié le Voivod du début des années 90, la transition d’Outer Limits, qui est mon album préféré d’eux, à Negatron, quand ils ont eu Eric Forrest au chant et qu’ils ont fait machine arrière musicalement, c’était abrupt. Après, c’est mon problème, parce que c’est comme ça qu’ils sonnaient au début, et je n’aurais pas dû être surpris qu’ils reviennent au style d’avant. Quand tu es habitué à un certain style et qu’ensuite, tu es pris par surprise… D’ailleurs, l’artiste fait à cent pour cent ce qu’il veut. C’est son évolution et les fans suivent ou ne suivent pas, mais je pense que c’est peut-être plus facile pour les fans de suivre s’il n’y a pas un changement total de direction.

Je pense que ce qu’a fait Crimson Glory avec Strange And Beautiful, c’est un peu comparable à ce que Queensrÿche a fait avec Promised Land…

Oui, c’est possible. C’est drôle, je repense à Promised Land, et je crois que tu as raison. Je pense que Promised Land était un plus grand changement que Here In The Now Frontier, d’une certaine façon. Soit dit en passant, plus proche de nous, je suis sûr qu’il y a eu des fans de Fates Warning – encore une fois, je suis désolé que toutes mes références datent d’il y a cinq mille ans – qui ont été décontenancés par le passage de No Exist à Perfect Symmetry, où il y a eu un changement de batteur et où on est passé d’une musique grandiloquente et presque thrashy à quelque chose de très technique… C’était du metal technique avant qu’on en parle comme d’un genre. Quand Perfect Symmetry est sorti, on se posait des questions parce que ce n’était pas du tout ce à quoi on s’attendait. Dix ans plus tard, tous les groupes de prog essayaient de faire le même genre d’album, car ils étaient très en avance sur leur temps. Parfois le changement est une bonne chose, parfois c’est un peu effrayant. Parfois les fans suivent, parfois ils ne suivent pas.

« Action At A Distance » est de toute évidence la grande chanson de l’album. C’est un long morceau épique qui passe par de nombreuses atmosphères, en allant même sur un terrain cinématique et orchestral…

Je suis content que tu aies relevé ça, à la fois le fait que c’est un morceau intéressant et son côté cinématographique. J’ai toujours aimé quand nous avions un côté cinématographique dans notre musique. Des chansons comme « At Day’s End », « Hope Dies Last », ou même en remontant jusqu’à « Memory » sur The Origins Of Ruin, ont une dimension cinématographique, et j’ai toujours adoré ça. Je pense que c’est un élément distinctif dans ce que nous faisons. Vikram nous a évidemment aidés à élever ça à un autre niveau car il est capable d’orchestrer comme s’il écrivait la BO d’un film. Quand j’ai entendu pour la première fois ce qu’il a fait sur « Remember The Dawn », j’étais là : « On dirait Retour Vers Le Futur avec des guitares heavy. » Il y une partie de violon vraiment cool dans les couplets.

Pour en revenir à « Action », j’ai beaucoup lu durant la pandémie, comme tout le monde, et je suis tombé sur un concept en physique, qu’Einstein appelait « action effrayante à distance », c’est-à-dire – sans trop m’égarer – que si tu prends un atome et le sépares en deux parties éloignées de dix kilomètres, et que tu inverses le sens de rotation des électrons sur l’un, la même chose se produira immédiatement sur l’autre, même s’ils sont physiquement très loin d’un de l’autre. Suivant jusqu’où on va dans ces théories, ça laisse entendre un niveau de connexion physique qui ne cadre pas vraiment avec notre façon de voir le monde. Peut-être que c’est expliqué par la théorie des cordes plutôt que par la mécanique quantique. Peut-être est-ce l’illumination que les gens vivent quand il prennent de l’ayahuasca, ce que je ne recommande pas, je n’en prend jamais, mais ça fait que tu vois les choses se connecter différemment. C’est juste un concept intéressant qui expose le fait que toi et moi, par cette conversation ou les conversations que nous avons eues par le passé, sommes connectés d’une façon qui change notre vie. Que ça produise un petit ou un grand changement – suivant les différents types de relations qu’on peut avoir –, je trouve que c’est à la fois un phénomène physique intéressant et une idée sympa, presque romantique, en se disant que, quand deux personnes entrent en collision, d’une façon ou d’une autre, elles ne sont plus jamais vraiment séparées. C’était donc un sujet intéressant à aborder pour les paroles.

« Ce n’est pas la façon dont on s’écroule qui nous définit. C’est la façon dont on se relève. »

Musicalement, il y a toujours un enfant à problème sur un album. Cette chanson était celui de cet album. Elle a mis beaucoup de temps à venir. J’avais tout sauf le début et le milieu. Je savais que j’avais une fin avec la partie de basse funky, et elle avait un autre tempo et une autre tonalité que le début. Donc, Vikram a utilisé cette partie cinématographique centrale pour faire la jointure. C’était un bon exemple de morceau où je lui ai demandé ce qu’il en pensait. Ensuite, le début était un riff sur lequel nous avons travaillé ensemble et qui a probablement changé vingt fois avant de nous mettre d’accord, car c’est parti dans diverses itérations qui ne fonctionnaient pas. Donc, ce que nous avons obtenu est un peu un monstre de Frankenstein, mais je trouve que ça marche !

As-tu un background dans la science ou la physique ?

Oh, non ! J’ai été étudiant en sciences politiques. J’ai appris à lire et à écrire. C’est à peu près tout. Donc tous ces trucs, c’est de la magie pour moi [rires].

I Am The Storm contient deux longs morceaux, mais aussi quelques chansons très courtes – selon les standards du metal progressif : « I Am The Storm », « Seven Minutes From Sunset » et « Resilience » sont toutes en dessous des quatre minutes et demie. Etait-ce un exercice délibéré de concision pour contrebalancer la longueur d’« Action At A Distance » et « All This Time » ?

J’ai toujours pensé qu’il y avait trois facettes dans Redemption. La première – que je dois à mes racines thrash – est que je n’ai jamais voulu être perçu comme un groupe de prog douillet qui commence avec une intro poétique de deux minutes et évolue à partir de là. Nous avons toujours eu un morceau d’ouverture qui te prend à la gorge et te dit qu’après tout, nous sommes un groupe de heavy metal. Une autre facette, ce sont les chansons de metal mélodique courtes, concises, avec quelques touches progressives, un peu comme « Seven Minutes From Sunset », « Damaged » il y a deux albums de ça ou « Somebody Else’s Problem » sur l’album précédent. Puis, la troisième facette, ce sont les chansons plus longues ; je ne veux pas appeler ça des morceaux « épiques », parce que ça fait très imbu de soi-même. En fait, les chansons sont aussi courtes ou aussi longues qu’elles ont besoin de l’être pour faire passer une idée. J’essaye de faire en sorte qu’elles n’aient pas de gras. La partie cinématographique de Vikram dans « Action At A Distance » faisait initialement une minute de plus et j’ai dû le convaincre que moins c’est mieux. C’était très bien, mais nous essayons de faire en sorte que les chansons ne donnent pas l’impression de traîner en longueur, et ainsi, on se retrouve avec une variété de longueurs de morceaux. J’ai effectivement envie d’équilibrer les choses et il faut que ce soit un genre de montagnes russes. Si nous avons une chanson comme « Emotional Depiction Of Light », « That Golden Light » sur The Art Of Loss ou « And Yet » sur le précédent, vous pouvez parier que la chanson suivante va botter le cul. Si les gens se disent : « Oh bon sang, les voilà avec la power ballade », la chanson suivante frappera assez fort.

Vous avez fait deux reprises pour cet album : « Turn It On Again » de Genesis et « Red Rain » de Peter Gabriel. Evidemment, ces deux artistes sont liés, puisque Peter Gabriel a fait partie de Genesis, et les deux ont la particularité d’avoir commencé dans le rock progressif mais sont largement connus pour leurs tubes radiophoniques. Est-ce que cette dualité ou ambiguïté dans leur carrière te parle ?

Je dirais déjà que si un jour je parviens à écrire une chanson aussi bonne que ce que ces gars écrivent, je te paierai des coups à boire ! Une bonne composition est une bonne composition, et c’est un peu la raison pour laquelle nous faisons des reprises… Iron Maiden est sans doute mon groupe préféré de tous les temps. Personne n’a besoin d’entendre une nouvelle version de « Run To The Hills ». On n’améliorera pas l’original, et j’ai déjà une version heavy metal de ce morceau. Curieusement, en parlant d’Iron Maiden, je pense que ce qui m’a lancé sur cette voie musicale, c’était quand – encore une fois, j’ai cent ans – j’ai acheté Piece Of Mind. Ils avaient une reprise de Jethro Tull dessus, et je n’avais jamais entendu parler de ce groupe, parce que même si je suis ancien, je ne suis pas aussi ancien que ça. Et je me souviens m’être dit : « Bon sang, c’est tellement cool ! » Puis j’ai entendu l’original. Au fil du temps, j’ai appris à aimer l’original aussi, mais Iron Maiden avait réussi à préserver la composition qui était très bonne tout en se l’appropriant. J’ai donc toujours été intrigué par ça. Si on revient en arrière, nous avons fait des reprises de The Police, The Who, Tori Amos, U.F.O.… Il y a toujours eu des chansons qui étaient fondamentalement de super chansons et qui se prêtaient à une révision heavy metal. En revanche, il y en a qui sont géniales, mais dont on ne pourrait pas faire une version heavy metal, comme la chanson de Billy Joel « Scenes From An Italian Restaurant » qui est très progressive et fait huit minutes de long. Ça sonnerait kitsch ou les paroles seraient à côté de la plaque.

Les reprises que nous avons choisi de faire ici sont de super chansons. Tu as raison, elles viennent de gens qui ont un background progressif. « Red Rain » est une longue chanson et c’est, en gros, un solo de batterie de six minutes, mais c’est assez radiophonique. « Turn It On Again » est radiophonique, mais – pour les musiciens qui lisent ceci – cette chanson est en treize-quatre et n’a aucun refrain. C’est probablement la chanson pop la plus inaccessible de l’histoire. Elle est clairement ancrée dans le rock progressif. Nous avions prévu dès le départ de faire « Red Rain ». La voix de Tom ressemble à celle de Peter et Chris Poland était là : « Bon sang, ce gars sonne exactement comme Peter Gabriel, vous devez faire une reprise d’un de ses morceaux », et Tom était partant pour le faire. J’ai dit au début de notre conversation que nous étions partis pour faire deux albums, donc nous avions un album et demi de fait, et nous allions faire une reprise par album. Nous avions bricolé avec la chanson de Genesis il y a quelques années, mais ça ne marchait pas trop. Pour je ne sais quelle raison, je l’ai dépoussiérée et nous avons réessayé. Nous l’avons passée à Tom, et elle nous est revenue avec son traitement vocal, que nous avons tous trouvé génial. Nous l’aimons même encore plus que « Red Rain » maintenant. Nous avions donc deux reprises prévues pour être sur deux disques séparés, mais comme nous n’avons pas voulu attendre encore neuf mois, en plus de la longue attente que nous avions déjà subie, pour sortir un double album ou un second album, nous avons mis la seconde reprise dans cet album en bonus, ce qui explique pourquoi il y a deux reprises. Nous ne manquons pas d’idées, et il y a quand même cinquante-sept minutes de musique originale sur le CD, ce qui est assez long. Désolé tout le monde si vous vouliez un autre morceau original, mais il faudra attendre pour ça ! [Rires]

« Cette cancel culture et l’incapacité des gens à voir l’humanité chez une autre personne malgré le fait qu’ils ne soient pas d’accord avec elle au sujet d’un concept, c’est vraiment une caractéristique problématique de la société actuelle. J’espère qu’il sera possible de faire machine arrière car c’est super toxique. »

Tu as évoqué tes influences : on dirait que la plupart des reprises que vous faites sont des chansons assez vieilles. Y a-t-il une volonté d’enseigner quelque chose aux nouvelles générations ?

Je suppose que j’aurais fini par découvrir qui était Jethro Tull quand il a été nominé pour un Grammys et que tout le monde était furieux, et j’aurais été un de ces gamins énervés qui n’appréciaient pas ce qu’était ce groupe. C’est Iron Maiden qui m’a fait découvrir Jethro Tull. Il existe donc beaucoup de bonnes musiques. Je pense que la raison pour laquelle je mentionne toutes ces vieilles références, c’est qu’il y a un côté psychologique chez les gens : quand on est adolescent et qu’on est en train de déterminer qui on est, par opposition à qui étaient ses parents, et qu’on établit sa propre identité et aisance avec soi-même, on – la plupart des gens, à bien des égards – utilise la musique pour définir tout ça, et je pense que la musique qu’on utilise pour se définir de cette façon nous suit toute notre vie comme aucune autre musique. J’adore Symphony X. Ce sont des amis, je trouve qu’ils écrivent de la musique fabuleuse, ce sont des musiciens extraordinaires, mais je ne vais jamais nouer des liens avec Symphony X comme je l’ai fait avec Iron Maiden, Rush ou les vieux Megadeth, parce que c’est ce que j’écoutais quand j’avais quatorze et quinze ans. Je pense que certaines de ces reprises sont des références à cette période de ma vie. Il y a aussi de la musique sortie à cette époque que je méprisais et qu’avec le recul, je reconnais être de la super musique. Quelqu’un – je crois que c’était Lacuna Coil – a fait une reprise de Depeche Mode. Je me souviens que je détestais Depeche Mode parce que je trouvais ce groupe nul et j’écoutais mon thrash metal, mais quand je réécoute maintenant « Enjoy The Silence », je trouve que c’est une super chanson ! La version de Lacuna Coil est vraiment cool. On pouvait en faire une version super heavy, et ils l’ont faite. C’est donc une combinaison de : j’ai grandi avec ça, j’ai appris à davantage apprécier ça avec le temps en mûrissant en tant qu’auditeur, et on peut faire quelque chose de cool avec ça et peut-être faire découvrir aux gens de la musique qu’autrement ils n’auraient peut-être pas entendue.

Comme je l’ai dit, « Turn It On Again » et « Red Rain » ont été d’énormes tubes, mais c’est aussi ce qu’on peut appeler de la pop sophistiquée ou intelligente. Nous avons justement eu cette discussion avec Steven Wilson par le passé. Il a dit que « plus personne ne fait des albums comme ça » et que la pop aujourd’hui « semble très banale, anodine et insipide ». Es-tu d’accord avec lui ?

Je pense qu’à de très rares exceptions près, il a complètement raison. Je trouve que la qualité de la composition est diluée aujourd’hui et on a des gens qui ont un talent phénoménal, comme Lady Gaga, mais à partir du moment où c’est traité et transformé en morceaux pour boîtes de nuit, leur musique perd toute son âme. Elle sonne toujours très bien, et quand on l’entend dans une émission de radio et qu’elle est seule avec un piano acoustique, on est épaté tellement elle a de talent, mais ce n’est pas ainsi que sonne le produit fini. Il y a des compositrices comme Sia, qui écrit beaucoup de pop dont je trouve les mélodies incroyables, mais là encore, très franchement, c’est réduit à de la merde par la machine. Si je devais citer des gens, je dirais qu’Harry Styles écrit de l’excellente pop. Je trouve que Bruno Mars est un peu le James Brown et Prince d’aujourd’hui, et les trucs qu’il a faits avec Anderson Paak sont de la bonne pop par rapport à la plupart des musiques qu’on entend dans le genre. Et je trouve que The Weeknd est difficile à définir ; ce qu’il fait puise des éléments partout. Mais ce sont clairement les exceptions. Fut un temps où Genesis pouvait vendre des millions d’albums en ayant écrit des chansons longues de huit minutes comme « Tonight, Tonight, Tonight ». Ou un groupe comme Sparks, dont je n’ai jamais été fan, pouvait ne serait-ce qu’exister. Ou si tu prends un groupe comme Queen, quand on y pense, c’est un peu étrange qu’il ait été aussi populaire. Fut un temps où on pouvait écrire ce genre de musique et être très populaire. Je crois vraiment que la pop a baissé en qualité aujourd’hui, à quelques exceptions près.

L’album s’intitule I Am The Storm, et c’est aussi le titre de la chanson d’ouverture : quel est le symbole de cette « tempête » ? Est-ce une métaphore pour la musique qui est à la fois puissante et dramatique ?

C’est presque une métaphore pour la vie. Il y a une citation qu’on voit partout, mais la première fois qu’elle m’a sauté au visage, c’était sur une bouteille de vin d’un vigneron de dingue, et ça disait, en écriture givrée sur le verre : « Le diable a dit au guerrier : ‘Tu ne survivras pas à la tempête.’ Le guerrier a murmuré en retour : ‘Je suis la tempête.’ » J’ai trouvé que c’était une expression géniale de pouvoir d’action et d’autodétermination. La musique de Redemption, au niveau des textes, parle de la vie et des relations humaines, de notre relation au monde qui nous entoure, à nous-mêmes et aux gens avec qui nous entrons en contact, et elle admet que la vie peut être très difficile, éprouvante et effrayante, mais elle peut aussi être pleine d’espoir, d’optimisme et de beauté. Embrasser la vie revient à reconnaître toutes ces choses. Les gens qui vivent sans penser qu’il se passe des choses horribles dans le monde ou en ignorant la souffrance humaine, la fragilité humaine et les problèmes que l’on a avec ces trois types de relation ne vivent pas pleinement. D’un autre côté, les gens qui sont complètement fermés et démoralisés par la vie ne vivent jamais vraiment non plus. L’affirmation « je suis la tempête » – et « Resilience » raconte la même histoire – c’est : « Ecoute, la vie nous frappe tous au visage. Ce n’est pas la façon dont on s’écroule qui nous définit. C’est la façon dont on se relève. » « I Am The Storm » dit : « Je ne choisis pas tout ce qui m’arrive, mais je ne suis pas qu’une victime des circonstances, j’ai un rôle dans l’écriture de l’histoire de ma vie et je vais m’appuyer dessus. »

« Si tu devais choisir un moment de l’histoire humaine pour naître en tant que personne lambda quelque part dans le monde, il faudrait que tu choisisses aujourd’hui, parce que les gens nés même dans les pires circonstances aujourd’hui ont bien plus de quoi être optimistes qu’il y a cinquante ou cinq cents ans. »

Dans la même idée, tu as déclaré que vos chansons « ont généralement une attitude positive [mais] traitent de tous les aspects de l’existence humaine, y compris la douleur et la souffrance, la peur et l’inquiétude, l’espoir et la déception ». Dans quelle mesure as-tu été inspiré par ces dernières années qui ont été pleines de tout ça ?

Tout ceci a été écrit avant les événements tragiques en Ukraine et ce qui se passe ailleurs, comme avec Taïwan. On a globalement eu beaucoup de gros problèmes. Ce qui a influencé mon écriture sur une chanson comme « The Pearl Clutchers » sur cet album (titre bonus sur l’édition vinyle, NDLR) et « The Echo Chamber » sur le précédent, c’est le fait que je suis vraiment troublé par notre incapacité à accepter poliment et de façon raisonnée les désaccords. Avant, on pouvait ne pas être d’accord avec une idée et ne pas détester la personne qui l’exprimait, et je pense qu’on est en train de perdre ça maintenant. Cette cancel culture et l’incapacité des gens à voir l’humanité chez une autre personne malgré le fait qu’ils ne soient pas d’accord avec elle au sujet d’un concept, c’est vraiment une caractéristique problématique de la société actuelle. J’espère qu’il sera possible de faire machine arrière car c’est super toxique. Je me suis déconnecté de presque tous les réseaux sociaux il y a deux ans parce que c’était tellement néfaste. La moindre interaction ne faisait qu’attirer des gens furieux encouragés par la colère d’autres gens qui sont les seules personnes auxquelles ils parlent, et ils sont tellement convaincus que leur point de vue est le bon que tous ceux qui ne sont pas d’accord ont non seulement tort, mais sont aussi le mal parce qu’ils pensent ça. Ceci est un poison dans la société et il faut que ça s’arrête. Cette problématique a donc été une grande influence et j’espère que je n’aurai pas à écrire une troisième chanson dessus [petits rires].

En parlant de cancel culture : fais-tu justement attention à ce que tu dis dans tes chansons parfois ?

Je n’ai jamais essayé d’être super politique. Ça ne me dérange pas de faire une déclaration comme celle que je viens de faire. Je pense que quiconque n’est pas d’accord avec le fait qu’on doit être respectueux et gentils les uns avec les autres est assez tordu dans sa tête. Evidemment, chacun a le droit d’avoir son opinion, mais je me fiche de plaire à ces gens. Il y a des groupes qui sont hyper politisés, comme Rage Against The Machine. Je n’ai pas besoin de prendre ce genre de position. Je n’ai pas non plus besoin de prendre position pour l’autre bord politique. Il y a suffisamment de choses qui nous divisent et je préfère essayer de faire en sorte que la musique parle au plus grand nombre. Notre musique est positive sans être kitsch ou mièvre ; il y a une positivité sous-jacente et j’espère que les gens peuvent retirer de nos paroles un sentiment de force. Mais je ne voudrais jamais sonner kitsch et bidon [petits rires].

Malgré ce que tu as pu dire avant, es-tu optimiste pour l’avenir de nos sociétés ?

Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas dans le monde aujourd’hui, mais si tu devais choisir un moment de l’histoire humaine pour naître en tant que personne lambda quelque part dans le monde, il faudrait que tu choisisses aujourd’hui, parce que les gens nés même dans les pires circonstances aujourd’hui ont bien plus de quoi être optimistes qu’il y a cinquante ou cinq cents ans. Je veux dire qu’il y a du progrès. La seule chose dont il faut s’inquiéter, c’est le progrès en matière d’instruments de destruction massive. Il est en cours depuis une centaine d’années, mais le degré de prolifération chez les gens qui n’ont pas suffisamment progressé au point de ne pas vouloir les utiliser [est trop élevé]. Il faut qu’on s’assure que la société rattrape son retard sur le point de vue humaniste contemporain, le droit d’exister et, encore une fois, l’acceptation des gens qui ont des opinions divergentes.

On retrouve une chanson faisant référence au crépuscule, une autre à l’aube, et une autre intitulée « The Emotional Depiction Of Lighté ». Je ne sais pas si Tom a écrit certains de ces textes, mais es-tu personnellement sensible, émotionnellement, à la lumière et à l’atmosphère qu’elle peut créer, surtout au crépuscule et à l’aube ?

Non, j’ai écrit les paroles et c’est drôle. C’est une coïncidence si ces trois titres se rejoignent. Les paroles viennent de trois inspirations totalement différentes et si tu as le temps, je vais t’expliquer. « The Emotional Depiction Of Light », le nom m’est venu parce que j’étais à Paris avec un gars qui travaille pour moi et qui est diplômé en histoire de l’art. Nous avons visité le musée impressionniste là-bas, le Musée d’Orsay. Je peux admirer un Renoir et l’apprécier pour ce que c’est, mais je n’ai pas étudié l’histoire de l’art, donc je lui ai demandé : « Comment l’impressionnisme se définit-il, par rapport à ce qui était là avant ou à ce qui est venu après en termes de périodes dans la peinture ? » Il a répondu : « L’impressionnisme, c’est la représentation émotionnelle de la lumière. » Je me suis dit : « Quelle tournure de phrase sympa ! » Elle m’est resté en tête.

« Tom a été extrêmement occupé [avec Evergrey]. C’est l’inconvénient quand on a des gens impliqués dans de multiples projets, mais je préfère travailler avec Tom que de ne pas travailler avec Tom, donc ça vaut la frustration. »

Puis des années plus tard, je ne sais pas si tu l’as regardé ou si c’est connu par chez vous, mais il y a un dessin animé pour adultes qui s’appelle BoJack Horseman, et qui est très irrévérencieux et drôle. Ça parle d’un personnage mi-homme, mi-cheval, qui était une star de la télé finie. C’est un toxicomane et alcoolique, et il a une relation horrible avec ses parents et ses amours passés, mais ça reste très drôle. Il y a un épisode où il est aux funérailles de sa mère, et il est en train de prononcer l’éloge funèbre. Il dit que ses derniers mots étaient « I see you » (« je te vois », NdT) et il réfléchit : « Est-ce que ça voulait dire qu’elle voyait à travers moi et reconnaissait que je suis une affreuse personne, une épave laissée par mes relations passées, et que je traite très mal les gens ? Ou est-ce ça voulait dire qu’elle me voyait et me reconnaissait comme un individu, une personne ? Ou est-ce que ça voulait juste dire ICU, ‘intensive care unit’ (unité de soins intensifs, NdT), parce que c’est là qu’elle était dans l’hôpital ? » J’ai aussi entendu autre chose après que la chanson a été écrite, mais ça s’applique très bien : Roger Waters de Pink Floyd était interviewé, et il a dit que toute son œuvre formait un seul et même concept, qui est : « Je marche dans la rue, je croise un étranger, et je m’efforce de voir mon humanité en lui et j’espère qu’il reconnaît son humanité en moi. » Je suppose que ça renvoie à mon souhait que l’on puisse tous comprendre qu’on est sur le même bateau. Je trouve que reconnaître la dignité d’autrui en tant qu’individu est un concept important. Ensuite, c’est stratifié avec des choses interpersonnelles et sur les murs qu’on construit et qui nous séparent, ce qui est un autre thème commun. Voilà pour celle-ci.

« Remember The Dawn », c’est juste : la vie est parfois dure et la vie est aussi parfois belle, il faut garder ces deux aspects à l’esprit. Et ensuite, « Seven Minutes To Sunset », tu vas avoir un scoop : cette chanson parle d’aller au travail et de se faire maltraiter au bureau. Elle établit des parallèles entre le fait de combattre à la guerre et le fait d’aller au travail et de devoir affronter son patron – d’ailleurs, le mien est en train de m’envoyer des SMS, probablement pour me crier dessus. « Seven Minutes To Sunset », ce sont les sept minutes que ça me prend en voiture pour aller de chez moi à Sunset Boulevard. Durant ces sept minutes, je n’ai aucun réseau téléphonique, donc j’ai la paix. Quand j’arrive à Sunset, le téléphone commence à sonner et l’enfer se déchaîne. Ce sont donc trois concepts de paroles très différents. Il se trouve juste que la rue s’appelle Sunset Boulevard.

Après Long Night’s Journey Into Day, vous avez sorti le troisième album live de Redemption, Alive In Color. Cependant, Redemption est un groupe qui n’a jamais énormément tourné. Du coup, quelle est ta relation au live ?

C’est tellement amusant de jouer sur scène, surtout pour un public de plus de huit personnes. Tout d’abord, nous écrivons de la musique compliquée. Ce n’est pas comme si je devais apprendre trente minutes de reprises d’AC/DC. Ça prend beaucoup de temps pour être au point. C’est dur de faire ça juste pour deux ou trois concerts. Franchement, on a aussi un problème aux US : quand on essaye de faire venir un membre du groupe résidant de l’autre côté de l’Atlantique, il faut payer cher pour obtenir un visa afin qu’il puisse jouer. Nous avons deux personnes qui doivent venir de l’autre côté de l’océan. Il n’y a pas beaucoup d’opportunités aux US de tourner sans perdre vingt mille dollars, et ce n’est pas à l’ordre du jour. Nous devons trouver un moment où Tom n’est pas en train de tourner avec Evergrey et n’a pas d’autres engagements. Nous devons trouver un moment qui fonctionne pour tout le monde, y compris par rapport à mon boulot, et trouver une opportunité qui paie suffisamment pour les faire venir ici, ou plus probable, nous irons en Europe pour faire quelques festivals, car c’est sans doute moins cher de faire venir quatre gars des US en Europe que de faire venir deux gars d’Europe aux US. Donc j’adorerais repartir et rejouer. Nous nous sommes éclatés à tourner en Europe. C’est dur à croire que ça fait dix ans, mais on a tous perdu trois ans à cause du Covid-19. Ça a été plus long que ça aurait dû l’être. Avec un peu de chance, nous aurons l’occasion de faire ça, parce que c’est ce qui est le plus amusant. J’adore faire des concerts.

Votre dernier concert remonte à septembre 2018. Ça ne devient pas un peu frustrant maintenant ?

Oui ! Enfin, c’est un domaine où le Covid-19 s’est mis en travers du chemin, car personne ne savait… On savait seulement qu’on allait devoir rester longtemps chez soi. Puis, bien sûr, tu as un groupe comme Evergrey qui est très actif, qui tourne et qui est le gagne-pain de Tom, donc franchement, il est obligé de repartir sur les routes et il a été extrêmement occupé à la fois avec la composition, comme tu l’as fait remarquer, et avec les concerts. C’est l’inconvénient quand on a des gens impliqués dans de multiples projets, mais je préfère travailler avec Tom que de ne pas travailler avec Tom, donc ça vaut la frustration.

Interview réalisée par téléphone le 21 mars 2023 par Nicolas Gricourt.
Retranscription : Emma Hodapp.
Traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Stephanie Cabral.

Site officiel de Redemption : www.redemptionweb.com

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  • fallwarden dit :

    Il y a une reprise de Jethro Tull sur l’album Piece of Mind d’IRON MAIDEN ??????????????? Erreur de traduction ?

    [Reply]

    Spaceman

    Non, ce n’est pas une erreur de traduction, il a bien dit ça, et le fait est qu’Iron Maiden a enregistré une reprise de Jethro Tull a cette époque-là : « Cross-Eyed Mary » paru sur le single de « The Trooper » et qui a été incluse dans une réédition de Piece Of Mind en 1995.

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